jeudi 2 février 2017

Pénélope guette

Personne, en France, à moins de vivre dans l’ascèse la plus complète et la plus admirable, n’aura échappé aux « révélations » concernant M. Fillon et les emplois fictifs qu’aurait occupés son épouse. J’ai déjà évoqué (ici) le peu d’enthousiasme que j’éprouve pour les propositions de M. Fillon, du moins pour ce que j’en sais, ainsi que la méfiance que m’inspirent les arguments dont il use pour les présenter ou les justifier. Puisque M. Fillon a revendiqué en matière de probité une conception exigeante de la fonction à laquelle il aspire, ces « révélations » devraient constituer pour moi une raison de plus de me méfier.
Cependant, j’ai des doutes. Point n’est besoin d’être initié aux secrets peu reluisants de la vie politique pour deviner que ces « révélations » tombent un peu trop à point nommé pour ne pas être le fruit de quelque coup monté contre M. Fillon. A ce que l’on sait, les affaires qui nous sont « révélées » ne dateraient pas d’hier après-midi. Elles étaient donc probablement connues depuis longtemps dans les milieux bien informés et quelques-uns ont dû attendre le moment approprié pour nous les apprendre. Le coup du dossier qu’on garde au cas où pour le Canard enchaîné est bien connu. Si ce qui nous est dévoilé ainsi n’est pas à l’honneur de M. Fillon[i] (ni de son épouse), le fait de le dévoiler maintenant et de la manière que l’on sait (par tranches chaque mercredi) n’est pas à l’honneur de ceux qui sont en train de le faire.
Pour la presse en général, peu importe que les faits soient avérés ou non (ils le semblent au moins en partie) et qu’ils soient légaux ou non (un avocat, Régis de Castelnau, peu « fillonniste » lui-même s’est étonné ici dans Causeur de la diligence de la justice dans cette subite et opportune affaire). Ce qui paraît compter pour nos amis les journalistes, c’est l’odeur alléchante de la viande fraîche et le bruit qu’ils vont pouvoir faire en la mastiquant et en la digérant. Ils auront comme d’habitude l’impression fugace d’être un peu ceux qui firent « tomber » Richard Nixon en 1974, donnant au passage à cette affaire le nom de Penelope-gate[ii], du prénom de Mme Fillon.
Qu’est-ce que le Penelope-gate ? Le portail de Pénélope ? Celui de quelque palais d’Ithaque ou des bords de la Sarthe, à moins que ce ne soit celui – rêvé – du palais de l’Elysée, rêve qui pourrait bien partir en fumée à cause des bourdes de M. et Mme Fillon ? Dans ce dernier cas, c’est en Espagne qu’il faudrait situer le palais de l’Elysée.
A moins qu’il s’agisse de dire que Pénélope guette ? Que guette-t-elle ? Le retour de son mari pour disperser de fâcheux et illégitimes prétendants ?
Mais revenons à des considérations plus sérieuses : cette affaire, outre qu’elle trouble l’image d’intégrité qu’entendait cultiver M. Fillon, trouble son discours. Comment l’écouter et en faire la nécessaire critique, avec tant de bruit ? Comment l’inciter à infléchir certaines des orientations qu’il revendique, lesquelles paraissent intenables[iii] ? Avec de telles incitations, M. Fillon aurait certes du pain sur la planche, obligé qu’il serait de revoir une partie de ses propositions. La tâche serait pour lui – et pour les Français – plus intéressante que celle qui consiste à restaurer son image.
Mais, dans tous les cas, nous savons bien que « faire, défaire et recommencer, c’est toujours travailler ». Voilà un proverbe que n’eût pas démenti une certaine Pénélope, il y a fort longtemps, avant de se remettre chaque matin devant sa tapisserie, en disant : « filons » !


[i] En résumé, nous découvrons, consternés, que M. Fillon est un politicien comme les autres, ce que nous aurions pu deviner depuis longtemps.
[ii] J’ai déjà évoqué ici cette détestable et ridicule habitude d’utiliser un peu à tout bout de champ le mot gate.
[iii] Voir à ce sujet un intéressant article de Guillaume de Prémare dans Permanences, ici (l’article est paru en décembre, donc avant ce lamentable vacarme).

vendredi 27 janvier 2017

Incantations et éructations

Si la politique m’intéresse, je tâche aussi souvent que possible de me rappeler qu’elle ne peut ni ne doit tout régler de nos vies. Je tendrais même à penser que ceux qui y voient la source de tout bien, de tout salut, en particulier dans quelque engagement partisan trop passionné (qu’il soit durable ou momentané) risquent de sombrer dans quelque religiosité dévoyée, voire dans l’idolâtrie. Gare, évidemment, aux déceptions.
Lorsque cette religiosité prend des formes un rien sommaires, qui ne vont pas sans une certaine vulgarité, cela peut laisser perplexe, voire effrayé l’homme civilisé. Le spectacle électoral et post-électoral donné ces derniers temps aux Etats-Unis en est un bon exemple. Ainsi, la pauvreté des arguments de M. Trump, la nullité de ses discours et ses arrangements avec la vérité nous auront été servis à satiété ces derniers temps. Mais qu’en est-il de ses opposants dont on nous a dit qu’à l’occasion de son intronisation ils étaient des millions à manifester ? Au plat babil du mage Trump-qui-va-sauver-l’Amérique, ils opposent une expression non moins sommaire, non moins puérile, pas même de leur indignation mais de leur dégoût : pas bon Trump, tous en chœur, avec un bonnet de tricot rose à oreilles de chat sur la tête.
Le crétinisme hargneux qui semble avoir gagné les deux camps (encouragé par une forme toute américaine de manichéisme ?) pourrait bien être en partie le fruit d’une invasion des esprits par les modes d’expression qu’offrent les réseaux dits sociaux. Ce serait le triomphe de la pensée « touiteur », dénoncée par exemple ici par Patrice de Plunkett[i], citant une analyse de Roger Scruton. Il ne va cependant pas assez loin.
Pour décrire un certain type de désinformation, l’expression post-vérité est à la mode. Pourquoi pas, si ce n’est qu’elle est souvent utilisée par la presse qui pense comme il faut pour désigner les mêmes cibles : M. Trump, M. Poutine ou les partisans du Brexit… sans mentionner que leurs adversaires ont fait usage quelquefois de procédés tout aussi mensongers et grossiers. Le mensonge, puisqu’il vaut mieux désigner les choses par leur nom, est répandu dans tous les camps.
Il en va de même des « émotions » relayées par des touits fatalement peu nourris et peu subtils (cent quarante signes pour exposer ses idées, ses projets ou ses intentions, c’est un peu court, à moins de bénéficier d’un esprit de synthèse quasi-miraculeux). Ne serait-on pas après tout dans la post-pensée, voire dans la post-émotion ? Toutes ces réactions ressemblent plus à des réflexes conditionnés qu’à des émotions sincères. Les prises de positions ou les réactions à celles-ci, de la part des puissants ou des quelconques, dans la post-émotion, sont reléguées en-deçà de l’émotion. Elles finissent par ressembler à des tics nerveux[ii].
Si la sauvagerie du touit a gagné le monde entier, une vieille nation civilisée et littéraire comme la nôtre se doit, faute d’user toujours d’arguments de poids, de s’exprimer avec des phrases construites. Ainsi, alors que les Etats-Unis ont vu parvenir au pouvoir le milliardaire « anti-système » Trump, on nous vante en France le candidat « anti-système » Macron. Lequel est énarque, ancien banquier, ancien ministre, etc. Reconnaissons à M. Macron qu’il a sur M. Trump l’avantage, en bon Français, de donner l’impression d’un certain raffinement, d’une certaine culture : on nous le présente d’ailleurs souvent comme un « littéraire », trait qui même chez les moins lettrés de nos compatriotes est plutôt apprécié.
Ses partisans, et notamment les plus jeunes, auront été séduits par ces qualités, à n’en point douter, auxquelles il faut ajouter la jeunesse.
Ainsi, samedi dernier, alors que je faisais mon marché, je fus abordé par une bande de jeunes gens propres sur eux et capables de s’exprimer autrement que par borborygmes ou monosyllabes : « Bonjour, êtes-vous intéressé par Emmanuel Macron, le candidat qui fera entrer la France dans le XXIe siècle ? »
C’est plutôt joli, non ? J’ai goûté l’assurance de ces jeunes, exprimée par l’emploi du futur : « qui fera entrer… » Ajoutons que cette certitude est celle d’un avenir nécessairement radieux : qu’attendre de plus beau, de plus enviable que d’entrer dans le XXIe siècle ? Enfin, nous marcherons sur les chemins du progrès, nous serons même sans doute des leaders, nous serons modernes donc heureux, tout cela grâce à un homme neuf suivi par la jeunesse !
Tant attendre d’un seul homme… Si l’expression est plus policée et articulée que quelques touitesques éructations trumpiennes, elle n’en relève pas moins de cette religiosité dévoyée que je vois dans l’exaltation partisane. Reste à savoir si l’homme du moment est considéré par ces naïfs engagés comme un dieu ou comme un prophète (et par ses ennemis comme un démon ou un sectateur du mal). Mais dans tous les cas ces naïvetés confinent à l’idolâtrie.
(Quant aux jeunes macroniens, ils eurent peu de succès avec moi : je m’étais levé tard et il y avait la queue chez le boucher, sans parler du marchand de fruits et légumes. Je passai donc mon chemin d’un air hébété qui me sied fort bien.)

[i] Qui, au passage, met en évidence ce sur quoi portent ou ne portent pas les protestations plus ou moins spontanées contre M. Trump.
[ii] Relevons un intéressant article dans Phillitt, où la manie du touit est comparée au syndrome de Gilles de la Tourette.

samedi 21 janvier 2017

Un bref (et royal) testament


L’an dernier, pour le 21 janvier, j’avais évoqué le témoignage, tiré de la biographie de Louis XVI écrite par Jean-Christian Petitfils, de son bourreau (voir ici). La même biographie nous livre aussi les dernières paroles de ce roi sur l’échafaud, prononcées « hâtivement » mais « d’une voix forte » :
« Je meurs innocent de tous les crimes qu’on m’impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort et prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne tombe jamais sur la France. »
Peut-être suis-je un peu ignare, mais je sais peu d’acteurs politiques qui, au moment de connaître une mort violente, ont connu une inspiration aussi noble.

jeudi 12 janvier 2017

Ils sont devenus flous !

Un tel titre pourrait laisser croire que votre serviteur a, cette fois, définitivement lâché la rampe. Il n’en est rien. Puisque je ne fais pas mienne la devise du regretté Michel Déon (« les carottes sont cuites »), il ne saurait être question de m’enivrer de quelque brouillard morose…
Proverbe de saison (1)
« Noël au Macron, Pâques au Fillon », me soufflait l’autre jour un ami, que je tiens à remercier pour ce bon mot. Qui sait s’il n’a pas sa part de vérité ?
Aurait-on assisté à un « moment Macron » fin 2016 ? En quelque sorte, la révélation de la stature d’un candidat anti-système qui serait passé par quelque banque d’affaires puis par l’Elysée (en tant que conseiller) et le ministère de l’économie. La presse s’engoue encore un peu pour le jeune phénomène et ses apparents succès. Mais qui peut dire qu’en avril…
M. Fillon pourrait bien, lui aussi, souffrir d’un embrasement trop subit. On ne l’entendait plus. Or il lui fallait bien, après ses premiers succès, faire parler de lui. D’autant que certains paraissent redouter ses intentions en matière économique ou sociale, qualifiées ici et là de thatchériennes. Allons, allons… M. Fillon tient à nous rassurer : « je suis gaulliste, et de surcroît chrétien ».
Que l’on puisse se dire gaulliste (ou antigaulliste) en 2017 laisse songeur, mais bon, pourquoi pas. « De surcroît chrétien », en revanche, peut provoquer la perplexité. Naïvement, ne pourrait-on pas penser que c’est « le reste » (y compris, pourquoi pas, une manière de « gaullisme social » qui viendrait de surcroît à un chrétien ? Et qui peut oser dire : « je suis chrétien » ? Pour ma part, je veux bien professer qu’avec l’aide de Dieu j’essaie de l’être…
Mais si, en matière sociale, le christianisme de M. Fillon a les mêmes effets que ceux qu’il a en ce qui concerne l’avortement, il est permis de ne pas se sentir entièrement rassuré.
Proverbe de saison (2)
Le vrai proverbe, chacun le connaît : « Noël au balcon, Pâques au tison ». Comme tous les proverbes, il vaut ce qu’il vaut. Mais s’il se vérifie, nous risquons de fêter Pâques avec de joyeux frissons. Cependant, la presse nous informe d’une descente en Europe centrale d’air froid venu de Scandinavie. De Scandinavie, rendez-vous compte ! Rien que le nom fait grelotter, à se demander comment font les millions de Scandinaves pour encaisser pareils frimas à peu près tous les ans. Cela donne en tout cas de fort belles images de neige et de gel, ainsi que des relevés de températures assortis de points d’exclamation.
Mais n’en faisons pas un plat : cela se nomme l’hiver. Nous en avons déjà vu de tels par le passé et nous en verrons sans doute d’autres. Encore que cela se fasse de plus en plus rare à Paris.
On signale aussi, en même temps que les dures beautés de l’hiver, des morts de froid dans les rues et les campagnes : des vagabonds, des réfugiés… Il est bon, certes, d’avoir une pensée et, mieux, un geste, pour eux. Mais le reste de l’année ? On aurait tort de s’imaginer que la misère se limite à l’hiver. Elle sévit aussi par beau temps.
Paris, étant plus une ville d’Europe occidentale que d’Europe centrale, est pour l’instant relativement épargnée par ce temps hivernal qui s’abat sur notre vieux continent en plein hiver. Le chaud et le froid alternent. Peut-être ces variations ont-elles quelque influence sur les humeurs des hommes en vue.
Belle alliance populaire
Le mot humeur est à prendre ici au sens figuré. Il ne s’agit point des sécrétions peu appétissantes qui ne demandent qu’à déborder de nos nez par temps froid. Pour revenir à nos chers politiciens, penchons-nous à notre gauche.
A gauche comme à droite, on fait désormais dans le yéyé : il faut des primaires. La chose n’est d’ailleurs pas nouvelle à gauche, puisque c’est à ce magnifique outil démocratique que nous devons d’avoir depuis bientôt cinq ans M. Hollande pour président de la république. La gauche bourgeoise ne pouvant se contenter du nom de Parti Socialiste, elle entend s’élargir sous celui de Belle Alliance Populaire. Un peu comme si le Front National troquait Rassemblement Bleu Marine contre Chaleureuse Union Patriotique, comme si EELV lançait sa campagne sous le nom des Gentils Jardiniers, ou comme si Les Républicains™ avaient fait leur primaire sous le nom du Réjouissant Rassemblement
En ce qui concerne la gauche, nous avons appris que M. Valls, qui a changé (tropisme secrètement sarkozyque ?), serait désormais disposé, s’il devenait président, à retirer l’alinéa 3 de l’article 49 de notre constitution. Cela a fait rire, évidemment. Faisons-lui cette suggestion s’il parvient à se faire élire : cette révision constitutionnelle devant sans doute passer par un vote au parlement, M. Valls, s’il rencontre quelque opposition, pourra faire usage, une dernière fois, dudit alinéa. Ne serait-ce pas une belle preuve d’humour de sa part ?
Le même M. Valls n’a semble-t-il pas apprécié que M. Fillon se dise chrétien ; à l’en croire, M. Fillon aurait « défini son projet comme catholique ». On aimerait bien, mais… En tout cas, que l’on n’aille pas dire de M. Valls qu’il n’est pas un défenseur acharné de la laïcité[i], ah mais !
Un qui n’entend pas abuser de la laïcité, c’est M. Peillon. Il faut bien se différencier de M. Valls. Ses propos à ce sujet valent leur pesant de ce que vous voudrez : « Si certains veulent utiliser la laïcité, ça a déjà été fait dans le passé, contre certaines catégories de populations, c’était il y a quarante ans les juifs à qui on mettait des étoiles jaunes, c’est aujourd’hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans qu’on amalgame d’ailleurs souvent avec les islamistes radicaux, c’est intolérable. » Cette citation se suffit à elle-même ; point n’est besoin de commenter pareil tissu d’absurdités sur des pages ; c’est en quelque sorte un « sans faute » dans le n’importe quoi. Contentons-nous d’une hypothèse : pris par le temps, M. Peillon (par ailleurs professeur de philosophie) fait écrire ses discours par M. Cambadélis.
(Moment de contrition)
« Si nous voulons progresser dans les pratiques démocratiques, nous devons promouvoir l’exercice du droit de vote en promouvant dans la société un véritable débat qui échappe aux postures, aux "petites phrases" et aux ambitions personnelles. » (Conseil permanent de la Conférence des Evêques de France : 2017, année électorale. Quelques éléments de réflexion)
Comme j’aimerais ne plus plaisanter sur nos politiciens ! Peut-être devrions-nous tous cesser de le faire. Et les politiciens pourraient-ils avoir l’amabilité d’éviter de nous tenter ?
Idioties internationales
Saisi donc par la contrition et en guise de pénitence, je me garderai de me gausser de nos amis les Américains, persuadés pour quelques-uns que l’élection de M. Trump est le fruit d’un complot moscoutaire. Je me contenterai de trouver cela délicieusement rétro, sans être d’ailleurs un admirateur de M. Trump ; je regrette même que l’on ignore quelles eussent été les récriminations de celui-ci si le résultat de l’élection présidentielle américaine avait été différent. Mais il suffit.


[i] Influence maçonnique, diront les plus soupçonneux, qui voient cette influence jusque dans le nom de certaines de nos nouvelles régions, comme Grand Est

jeudi 5 janvier 2017

Adieu à Michel Déon

La mort a bien des inconvénients. Si elle surprend une personne jeune, au sommet de ses talents, que l’on connaisse cette personne ou qu’on l’admire pour ces talents, on crie à l’injustice. Si elle s’en vient réclamer son tribut à un vieillard – connu ou admiré de même – on est un peu déçu : on avait fini par le croire immortel, ce vieillard. Pourtant, qui que nous soyons, il nous faut un jour quitter ce monde, en ayant si possible plié et rangé proprement nos affaires.
Immortel, on eût pu croire que Michel Déon l’était devenu. Pourtant, il a dû finir par quitter les lieux le 28 décembre, à l’âge de 97 ans. Bien qu’il fût « immortel », selon l’usage bizarre qui qualifie de la sorte les académiciens. Il rejoint ainsi son confrère, ami et correspondant Félicien Marceau, décédé en mars 2012, l’année de ses 99 ans[i]. Il est vrai que les deux messieurs, avec quelques autres, mettaient plus de sel que de poivre dans les salades vertes du quai Conti.
L’annonce du décès de Michel Déon a été l’occasion pour nos amis les journalistes de déballer les vieux clichés : dernière chevauchée du « vieux Hussard » (auteur, il est vrai, des Poneys sauvages et de Cavalier, passe ton chemin), amour des îles, de la Grèce à l’Irlande…
Sur l’enrôlement de Michel Déon parmi les Hussards, rappelons ce qu’en avait dit en substance son ami Antoine Blondin peu avant sa mort dans un entretien télévisé : « L’article de Bernard Frank paru en 1952 dans Les Temps modernes, Grognards et hussards, ne mentionne que trois noms : ceux de Roger Nimier et de Jacques Laurent, ainsi que le mien. Roger est mort en 1962, Jacques Laurent est à l’Académie, ce qui fait de moi le seul survivant. » Blondin, toujours lui, donne une version légèrement différente de cette boutade dans ses entretiens avec Pierre Assouline (Le flâneur de la rive gauche), suivie d’une autre sur l’inclusion ou non par lui-même de Déon parmi les Hussards. Mais, quoi qu’il en soit, il a raison quant aux noms cités dans l’article de Bernard Frank. Ce qui permettra de ressortir une autre vieille scie : « ils étaient quatre, comme les trois mousquetaires ». Retenons toutefois les « quatre cartes-préfaces » écrites pour Les étonnements de Guillaume Francoeur, d’André Fraigneau, par Nimier, Laurent, Blondin et Déon.
Mais laissons là ces propos de petite histoire littéraire et d’immortalité (relative, on sait à quoi s’en tenir au moins depuis Les quarante médaillons de l’Académie, de Barbey d’Aurevilly, qui remontent à 1863). Ils nous masquent l’œuvre.
Pour être franc, celle-ci est inégale. Ceux qui voudront la découvrir auront tout intérêt à ne pas commencer par les premiers romans de Déon. Ils ont quelque chose de remâché, d’uniforme dans le ton sombre (surtout Les gens de la nuit et Les trompeuses espérances ; Je ne veux jamais l’oublier est plus nuancé, et le héros y prend de belles rincées avec ses amis Guillaume et Antoine[ii]). Ils se précipiteront en revanche sur ses écrits ultérieurs : en prenant le large (pour Spetsai ou pour Tynagh), Déon a appris à respirer. Ce qui donne ses Pages grecques (Le balcon de Spetsai, Le rendez-vous de Patmos, Spetsai revisité), puis Les poneys sauvages et Un taxi mauve : les éclopés du XXe siècle, jeunes ou vieux, aventuriers essoufflés, espions, collabos, résistants, « soldats perdus » ou hippies exténués, y lèchent leurs plaies. Avec encore un peu d’âge viendront le recul, donc l’humour et le picaresque (plutôt que la gaieté) dans Le jeune homme vert et Les vingt ans du jeune homme vert : au lieu de se lamenter (magnifiquement, du reste), les éclopés de l’histoire sourient de leurs déboires[iii]. Ces lectures seront couronnées (à notre humble avis) par le chef-d’œuvre de virtuosité presque gratuite, voire d’art pour l’art, qu’est Un déjeuner de soleil[iv].
Les néophytes (qui ne le sont plus) penseront qu’à ce degré de connaissance de l’œuvre de Michel Déon, il sera temps d’aller voir ses romans de jeunesse. Pourquoi pas, mais il leur est conseillé de jeter un peu plus qu’un œil aux souvenirs du vieux maître dans Mes arches de Noé et Bagages pour Vancouver. Ils y apprendront, entre mille autres choses, comment Déon ne fut pas l’auteur des mémoires de Gabrielle Chanel, mais écrivit ceux de Salvador Dali. Et qu’il avait pour devise « les carottes sont cuites », devise que nous réprouvons, préférant celle d’Antoine Blondin : « remettez-nous ça ! ».


[i] Cf. De Marceau à Déon, de Michel à Félicien, correspondance (1955-2005) parue en 2011 chez Gallimard.
[ii] Décalques d’André Fraigneau et d’Antoine Blondin.
[iii] Et rendent justice aux Contrerimes de Paul-Jean Toulet.
[iv] Où le vieil académicien réac mentionne le nom de Thomas Pynchon !

vendredi 30 décembre 2016

Journées de lecture (dans la « France catholique »)

Après avoir souhaité un joyeux Noël à tous mes lecteurs (voilà, c’est fait), quels vœux faire pour l’année à venir ? Rien de précis, mais évidemment beaucoup de bien ; de l’espérance, peut-être. Pour tous et pour chacun. A travers quelques lectures, peut-être ?
Dans un monde qui change…
Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique est le long titre d’une brève brochure (70 pages environ) émanant du Conseil permanent de la Conférence des Evêques de France, parue cet automne. « Si nous parlons aujourd’hui, c’est parce que nous aimons notre pays, et que nous sommes préoccupés par la situation ». Qui ne partagerait ces sentiments ?
Dans ce texte, aussi riche qu’il est court, nos évêques livrent leurs observations, leurs inquiétudes et leurs suggestions sur de nombreux aspects de la vie de notre pays : le politique (avant la politique), mais aussi les impasses et les possibilités d’ordre social, économique, éducatif et culturel (y compris en ce qui concerne l’identité nationale).
On pourrait dire de cette brochure qu’elle est pour tous, en ce qu’elle entend poser des problèmes d’ordre collectif. On espère à ce titre que nos joyeux politiciens l’auront lue attentivement : ils ont beaucoup à y apprendre. Et nous ? Eh bien, nous aussi. Car « chacun, à son niveau, est responsable de la vie et de l’avenir de notre société » (p. 70), et « retrouver la vraie nature du politique et sa nécessité pour une vie ensemble suppose de s’y disposer, de le choisir, de le permettre. Cela ne tombera pas du ciel ou par l’arrivée au pouvoir d’une personnalité providentielle. C’est le travail et la responsabilité de tous » (pp 65-66).
Certains puristes (dont votre serviteur) ont tiqué à la lecture de quelques locutions peu dignes, nous a-t-il semblé, de nos évêques et de la qualité de leurs réflexions : vivre ensemble, contrat social ou faire sens. Concessions à la mode, imprégnation inconsciente, urgence ? Allez savoir. Ces défauts (pardonnés, donc, vu l’intérêt du texte) sont moins présents dans un texte fourni en annexe, qui est de juin 2016 : 2017, année électorale – Quelques éléments de réflexion. Il n’est besoin que d’en citer le dernier paragraphe pour en souligner l’utilité :
« Pour celles et ceux qui ont foi en Dieu et qui vivent dans la communion au Christ, les difficultés que nous rencontrons ne sont pas un appel au renoncement. Au contraire, elles nous acculent à investir toutes nos capacités pour construire une société plus juste et plus respectueuse de chacun. Cela s’appelle l’espérance. »
Les grandes figures catholiques de la France (François Huguenin)
Toujours cet automne est paru ce livre (aux éditions Perrin), qui passionnera les amateurs d’histoire et de portraits aussi succincts qu’équilibrés. On regrettera dans l’introduction les mêmes défauts que ceux relevés dans le texte de nos évêques. De grâce, un peu moins d’urgence ! Le calme permet de mieux choisir son vocabulaire.
A propos de l’introduction de cet ouvrage, un passage peut provoquer des interrogations : « Catholiques en effet, et non pas chrétiennes ». Tirée de son contexte avec malhonnêteté (ce que je suis en train de feindre de faire), cette phrase est redoutable. Il vaut mieux donc préciser, comme le fait l’auteur, que « la France est tout simplement, depuis son ébauche que l’on datera de Clovis et sa création qui est le fait des Capétiens, un pays catholique », en ce que « l’histoire de France est marquée par le catholicisme, jusqu’à se confondre avec lui ou à tout le moins être irriguée par lui, jusqu’au XXe siècle ».
Quinze « figures » nous sont ainsi dépeintes, de Clovis à Charles de Gaulle, en passant par saint Bernard de Clairvaux, saint Louis, sainte Jeanne d’Arc, saint Vincent de Paul ou sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Ces quelques figures de saints, plus que des motifs de fierté (ah ! ils étaient Français, comme nous !), sont à considérer comme des phares, des exemples, des sources d’espérance ou au moins d’admiration. La présence de Blaise Pascal dans cette galerie ne dépare pas.
Celle de personnages plus éminemment politiques, tels Philippe le Bel, Henri IV, Louis XIV ou Charles de Gaulle, surprend quelque peu. Les aspects peu chrétiens de ces personnalités ne nous sont pas cachés, et c’est fort bien. Il ne s’agit pas pour François Huguenin d’en faire des saints. Par exemple, la dureté dont put faire preuve de Gaulle, notamment envers les Harkis à l’issue de la guerre d’Algérie, ne fournit guère un témoignage de hautes vertus catholiques ! Cela doit être posé sans nier la grandeur (publique ou privée) de l’homme et sans se permettre (ni de notre part ni de celle de l’auteur) de douter de sa foi. A ce titre, son amour et son attention pour sa fille sont fort justement rappelés et sont à son honneur. L’homme savait se comporter en catholique – et simplement en chrétien – en privé. Mais en tant que personnage historique ? Accordons-lui d’avoir su faire preuve d’espérance dès 1940, ce qui n’était pas rien.
Cette gêne devant certains choix m’incite à faire une suggestion à François Huguenin : n’eût-il mieux pas valu donner comme titre à ce livre : Les grandes figures de la France catholique ?
Si je ne peux pas marcher, je courrai ! (Axelle Huber)
La France catholique, dans ce sens, est une notion qui appartient donc plutôt au passé. Elle subsiste cependant dans quelques îlots constitués souvent par d’aimables familles sans problèmes apparents. Ces buttes-témoins, pourrait-on dire, font les frais de nombreux clichés et caricatures sans toujours être innocentes de ce côté-là (vous savez bien, les « bourgeois-cathos »).
On a tort de se moquer de tels milieux. Il s’y produit parfois de douloureux miracles, révélateurs de profondes vertus chrétiennes qui en se manifestant nous rappellent qu’elles ne sont pas de vains mots ni des habitudes sociales.
Ainsi, tout souriait à la famille Huber : une certaine aisance matérielle, quatre enfants pétillants, deux parents aimants. On y est catholique pratiquant, cela va de soi. Léonard, le père, a de plus ce qu’il faut de nonchalance et de drôlerie pour être tout à fait charmant.
Or voici qu’un jour il est pris d’une étrange gêne et de quelques fourmillements. Ce ne sont que les premiers signes de la maladie de Charcot (ou sclérose latérale amyotrophique), qui l’emportera quatre ans plus tard. Ce douloureux cheminement est raconté dans Si je ne peux pas marcher, je courrai !, écrit par son épouse Axelle[i].
Le lecteur y trouvera, outre le souvenir d’un être admirable et de ses souffrances, l’illustration des vertus de foi, d’espérance et de charité, vécues dans la chair. La foi, dans l’acceptation confiante de l’épreuve ; l’espérance, quand l’espoir de guérison peu à peu s’éloigne, de « conserver la grâce du présent »[ii] ; quant à la charité, il s’agit de celle, de la part de l’entourage de Léonard, de l’aimer tel qu’il est, de l’aider, de le servir, et de la part de Léonard, qui a « endossé l’habit du pauvre », d’accepter cet habit et les attentions qu’il reçoit désormais. La charité résonne dans ce livre, comme elle a dû résonner entre Léonard et son épouse, entre eux et leurs proches aussi.
Trois écueils étaient à redouter pour un tel livre : une longue lamentation désordonnée, une accumulation de sucreries sulpiciennes, ou celle de grandiloquences apocalyptico-pontifiantes. Force est de constater, Dieu merci, qu’ils ont tous trois été évités, grâce notamment à une langue sobre et à une grande lucidité. Ajoutons à cela que chaque chapitre est précédé d’une citation tirée fort à propos de l’œuvre de Bernanos pour dire que l’on ne pouvait espérer plus beau témoignage.


[i] Et disponible aux éditions Mame.
[ii] « Si je ne peux plus marcher, eh bien je courrai », dit un jour Léonard. Plus tard, comme la maladie progressait jusqu’à le gêner dans la parole, il ajouta : « Si je ne peux pas parler, eh bien, je chanterai ». Si ce n’est pas de l’espérance…

vendredi 23 décembre 2016

« Sur les chemins noirs » (Sylvain Tesson)

Sylvain Tesson est en marche. Vraiment. C’est à pied, et non à bord d’un « car Macron », qu’il a décidé de traverser la France. Lui qui avait bravé les forêts sibériennes ou refait en side-car le trajet de Napoléon de Moscou à Paris[i], le voilà revenu d’une plongée dans des paysages apparemment plus familiers, ceux de la France la plus profonde, dont il nous livre le récit dans Sur les chemins noirs. Ce voyage est la réalisation d’un vœu fait pendant la convalescence qui a suivi un accident aussi grave que bête. Et puis, en guise de rééducation, mot qu’il estime tiré d’un « vocabulaire d’agents du Politburo », il allait de soi que Sylvain Tesson préférât « demander aux chemins ce que les tapis roulants étaient censés [lui] rendre : des forces ».
Il faut s’entendre sur la notion de France la plus profonde, dont les paysages ne nous sont peut-être pas si familiers que cela. Il ne s’agit pas de se gausser, ni, inversement, de s’en émerveiller, de mœurs paysannes miraculeusement préservées ou indécrottablement figées, selon le point de vue. Pourtant, l’ambition de Sylvain Tesson était bien d’aborder « une géographie de traverse », « une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement, qui est la pollution du mystère ». Certes, cette « France ombreuse », il la trouvera. Mais ce sera par les « chemins cachés, bordés de haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés » : les campagnes sont devenues un désert. Non pas le désert de l’hyperruralité déploré par quelques technocrates, mais celui d’un monde vidé d’une population que les illusions de la modernité ont attirée vers une vie apparemment plus facile. Ici et là, il verra, entre la Provence et le Limousin, quelques Anglais ou Hollandais venus s’installer au moins pour la belle saison.
Si cette traversée est celle d’un désert, elle n’interdit pas quelques rencontres : une bergère près de Tende, quelques marcheurs ou de vieux paysans du Massif Central, un vieux couple simple et hospitalier du côté de Laval… Ou encore des gendarmes inquiets de voir marcher un homme seul, et même des chasseurs reprochant à notre marcheur de ne pas avoir de tenue fluo pour éviter de se faire tirer dessus par eux. Cette dernière rencontre est l’occasion d’un beau morceau d’ironie de la part d’un compagnon d’étape.
Car, outre les rencontres que le hasard ou la Providence met sur les pas de Sylvain Tesson, ce voyage est fait en compagnie de quelques amis venus marches avec lui le temps d’une ou deux étapes.
Parmi ces amis se trouve le photographe Thomas Goisque (nom connu des lecteurs de Berezina), à qui l’on doit la photographie ornant le bandeau du livre : assis sur un tronc d’arbre couché, massif et tortueux, au milieu des feuillages et des rochers moussus, Sylvain Tesson, de profil, joue de la flûte. Il n’est pas rasé, porte un chapeau cabossé, de forts brodequins et une pèlerine, qu’on imagine de drap solide, recouvrant un épais sac à dos. Le costume, comme on le voit, n’est pas très fluo : il est intemporel ; en cette « France ombreuse », on pourrait être aussi bien en 1415 qu’en 2015. L’image a presque la délicatesse de quelque magnifique et paisible peinture chinoise. Elle rend bien le ton, et même la langue dans laquelle Sur les chemins noirs est écrit : classique et soutenue sans que l’on sente l’effort ; parfaite pour épouser le rythme de la marche qui en deux mois et demi mène de Tende au nez de Jobourg, en passant par le Mercantour, le Comtat Venaissin, les Cévennes, l’Aubrac, le Cantal et le Limousin, avant de descendre vers la Touraine puis, à travers quelques bocages, vers le littoral du Cotentin. La lenteur de la marche donne une continuité à la traversée de ces pays, continuité qui rend sensibles les variations du relief, des climats, de la végétation, et parfois aussi des gens…
Puisque nous voilà au bout, observons que le sud du Cotentin est l’occasion d’évoquer le souvenir flamboyant de Barbey d’Aurevilly, à travers celui du Chevalier des Touches, après un éloge politique du bocage : « Oh ! comme il eût été salvateur d’opposer une "théorie politique du bocage" aux convulsions du monde. On se serait inspiré du génie de la haie. Elle séparait sans emmurer, délimitait sans opacifier, protégeait sans repousser. L’air y passait, l’oiseau y nichait, le fruit y poussait. On pouvait la franchir mais elle arrêtait le glissement de terrain. »
Décidément, si Sylvain Tesson est en marche, ce n’est pas au pas de M. Macron. Et cela n’est pas pour nous déplaire.


[i] Voyage narré dans Berezina (voir ici).

jeudi 15 décembre 2016

Le sociétalisme réel

Pour revenir, comme promis, sur mon billet précédent, force m’est d’avouer qu’il est une objection, et une seule, que je veux bien entendre, aux considérations que j’y ai exposées : il est bien joli d’être « pro-vie » ou je ne sais quelle autre appellation, mais que proposer aux femmes qui, se découvrant enceintes, éprouvent pour diverses raisons une détresse telles qu’elles puissent envisager un avortement ? Des réponses existent déjà, d’autres, plus ambitieuses, peuvent être imaginées. Mais avant d’y venir, je m’autoriserai quelques observations.
Sur quoi le poussif quinquennat de M. Hollande s’est-il ouvert et sur quoi, le jour même où cet oubliable présidenticule annonçait qu’il ne souhaitait pas renouveler son mandat, s’est-il symboliquement refermé ? Sur des mesures qualifiées de sociétales. Pour commencer, le « mariage » dit pour tous, sur lequel je ne reviendrai pas aujourd’hui, qui a usé des semelles de manifestants (dont celles de votre serviteur) et fait couler presque autant d’encre que d’aérosol lacrymogène. Pour finir, cette absurde loi sur le « délit d’entrave numérique à l’IVG ». Il y a lieu de s’interroger sur l’insistance avec laquelle M. Hollande, ses ministres et quelques élus de la majorité ont voulu imposer ces lois. Une explication possible, que je trouve assez convaincante, est que, faute d’avoir pris des mesures de justice sociale, le président, son gouvernement et sa majorité avaient besoin d’avoir l’air de gauche en manifestant en permanence leur progressisme. Faute de socialisme, on nous servit le sociétalisme[i]. Une manière, en somme, d’incarner à peu de frais le progrès, le mouvement, de se sentir autorisé à tancer quiconque n’est pas d’accord. Et, faute d’avoir pour ennemi « la finance »[ii], les sociétalistes prirent pour ennemis les « conservateurs » ou les « réacs », de la Manif pour tous aux opposants à l’avortement. Sur ces ennemis, il fut permis de déverser toutes les insultes imaginables, fruit le plus souvent de clichés éculés et de fantasmes rances.
Ne nous plaignons pas cependant. La gauche a fait des progrès dans le traitement des ennemis qu’elle se désigne de temps en temps afin de conserver un semblant d’identité. Songeons qu’en 1792 les Girondins ne trouvèrent rien de mieux que de déclarer la guerre au reste de l’Europe, afin de pouvoir aussitôt déclarer la Patrie en danger. Puis les Montagnards enchaînèrent avec les massacres de Vendée et la Terreur. Il est à noter, au sujet de la Vendée, que c’est Gracchus Babeuf, précurseur en quelque sorte des communistes, qui forgea pour dénoncer ces massacres le néologisme populicide. Dieu merci, peu de progressistes – ou sociétalistes – ont désiré notre mort ces derniers temps.
Sans la comparer à celle de Babeuf, ce qui serait un peu dur, observons qu’une belle voix s’est fait entendre à gauche, avec une éloquence simple et juste, aussi bien contre le « mariage » dit pour tous que contre le « délit d’entrave numérique à l’IVG » : celle de M. Bruno Nestor Azerot, député de la Martinique. Il ne faut donc pas mettre toute la gauche dans le même sac, puisqu’elle compte parmi ses élus et ses militants des personnes plus préoccupées de questions sociales que de postures sociétales.
Cela posé, revenons à notre question : qu’offrir à des femmes tentées par l’avortement, ainsi qu’aux enfants qu’elles portent ? Une aide, bien entendu, autant matérielle que morale. Des associations existent déjà pour proposer cette aide. Pourquoi ne pas imaginer le même genre de service de la part de la collectivité ? Ce serait d’ailleurs un meilleur emploi de l’argent public que le remboursement d’avortements. Mais je doute que cela soit la volonté de quelque tendance politique que ce soit. La gauche sociétaliste et ses faux adversaires de droite – libéraux le plus souvent – n’en voudraient pas. La première parce que cela serait « réac » et les seconds parce que cela coûterait de l’argent et du dévouement à autrui. Cette dernière raison, plus crue, est sans doute celle qui se cache derrière la première. Une preuve ? Eh bien, la loi sur le « délit d’entrave numérique à l’IVG » vise précisément les sites internet où sont recommandées les associations proposant cette aide.
Certains esprits mal avisés évoquent parfois des « avortements de confort ». Je ne crois pas qu’un avortement puisse être confortable pour une femme[iii]. En revanche, il peut être confortable pour ceux qui la pousseront à le subir : fais-toi avorter et débrouille-toi avec ça, ma fille ; ne nous embête pas avec tes inquiétudes ; ne nous oblige pas, ne nous lie pas par un service que nous pourrions devoir te rendre ; devoir ? Nous ne voulons pas entendre ce mot. Ils appelleront cela, les hypocrites, la libération de la femme[iv].
Certains élus de gauche affirment avoir reçu d’un exorciste[v] du diocèse de Fréjus-Toulon[vi] une lettre les mettant en garde contre les feux de l’Enfer, lequel les guetterait s’ils votaient pour cette loi de « délit d’entrave numérique à l’IVG ». « Même pas peur », auraient répondus quelques-uns d’entre eux, avec le cran imbécile auquel on reconnaît la libre-pensée depuis au moins cent cinquante ans[vii]. Ils ont tort. Ils ne savent pas de quoi ils parlent.
Car nous savons désormais que la devise du sociétalisme réel est : « non serviam »[viii]. Il n’est jamais trop tard pour la rejeter.


[i] Cela est fort bien expliqué ici ou par P. de Plunkett.
[ii] M. Hollande n’eut en somme « la finance » pour ennemi que le temps d’un discours électoral…
[iii] Sauf aux dires de quelques féministes hypnotisées par leur militantisme qui prétendent que ce n’est qu’une formalité, un acte médical comme les autres, etc.
[iv] On trouvera de plus amples développements à ce sujet ici, dans le Samaritain.
[v] Mot qui ne paraît jamais sans guillemets dans la presse qui se dit sérieuse.
[vi] Diocèse connu des journalistes pour son évêque, le « très conservateur » Mgr Rey (voir ici).
[vii] Un peu plus même, si l’on songe à cette vieille pie de Homais.
[viii] Certains crurent à tort, dans la Tchécoslovaquie des années 1960, à la possibilité d’un « socialisme à visage humain ». Celui du sociétalisme paraît d’emblée plus grimaçant.

mercredi 7 décembre 2016

Ne vous faites pas avorter, mesdames !

Le jeudi 1er décembre, une proposition de loi portant sur le « délit d’entrave numérique à l’IVG » a été votée à l’Assemblée nationale. J’ignore combien de députés s’étaient dérangés pour l’occasion, mais au vu des résultats des votes relatifs aux amendements et motions de rejet[i], force est de supposer que bon nombre d’entre nos cinq cent soixante-dix-sept députés étaient occupés ailleurs : peut-être avaient-ils piscine, point de croix, goûter associatif ou campagne électorale. Par exemple, M. Fillon, nouveau champion, paraît-il, de la droite catholique, s’est-il fait entendre au sujet de cette proposition de loi, en tant que député de Paris[ii] ?
La proposition a donc été soumise au vote de nos sages et doctes sénateurs ce mercredi 7 décembre. Là, elle a été adoptée avec 173 voix pour et 126 contre[iii].
Quel est l’objet de cette proposition de loi ? Il s’agit d’étendre un « délit d’entrave à l’IVG » à des sites internet proposant d’autres solutions que l’avortement à des femmes enceintes qui, pour une raison ou une autre, seraient tentées de recourir à cette extrémité et s’interrogent. Les responsables de ces sites risqueraient jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende pour avoir tenté de dissuader des femmes de se faire avorter. Il est paraît-il reproché à ces sites de se donner des airs officiels pour tromper de malheureuses femmes.
Cette proposition a donné lieu de multiples protestations, notamment au nom de la liberté d’expression, de Mgr Pontier (président de la Conférence des Evêques de France)[iv] aux rédacteurs de Charlie Hebdo. Les partisans de cette proposition de loi auront beau s’égosiller contre un supposé retour de l’ordre moral (orchestré naturellement par de sombres officines catholiques), le moins que l’on puisse dire est que la diversité des sources et des motifs de ces protestations donne tort auxdits partisans, si elle ne témoigne pas de leur mauvaise foi.
Ainsi donc, une loi considérée par des personnes aux convictions fort variées comme une atteinte à la liberté d’expression a été votée avec légèreté[v] par une Assemblée nationale aux rangs semble-t-il clairsemés. Si d’aventure un gouvernement futur fait passer de la sorte d’autres lois aussi scélérates, il faudra demander aux députés ou anciens députés qui s’étrangleront alors d’indignation où ils étaient le 1er décembre 2016 et, s’ils étaient présents ce jour-là à l’Assemblée, quel fut leur vote. Les absents et ceux qui auront voté pour cette proposition auront surtout le droit de se taire. Il serait injuste de priver les sénateurs de ce même droit.
Mme Rossignol, ministre des Droits des femmes (sic), a déclaré au sujet de cette proposition de loi que « la liberté d’expression n’inclut pas le droit au mensonge ». Pourquoi pas, mais il va alors falloir s’entendre sur la notion de mensonge. Les avortements autorisés depuis la loi Veil de 1975 sont régulièrement qualifiés d’interruptions volontaires de grossesses. Le Trésor de la langue française donne comme synonymes d’interruption, arrêt et coupure, certes, mais aussi pause et suspension. Et interruption volontaire de grossesse est donné comme un euphémisme pour avortement. Si l’on prend interruption dans l’acception de pause ou de suspension, ledit euphémisme est quelque peu mensonger. Personne n’a jamais vu de grossesses reprendre après de telles interruptions. Mais cet euphémisme est tout à fait autorisé et même officiel puisqu’on le trouve dans des textes de loi. Voilà un bien mauvais exemple donné par l’Etat. Du reste, avortement est une appellation incomplète. Il faudrait dire avortement volontaire ou avortement provoqué[vi].
Je fais en outre partie des quelques illuminés fanatiques qui, de ci, de là, considèrent comme peu admissible, voire inadmissible, la pratique de ces avortements volontaires, par considération pour la vie des fœtus ou des embryons ainsi « éliminés ». Comme la quasi-totalité de ces illuminés fanatiques, j’ai entendu cent fois l’argument selon lequel un embryon n’est encore qu’un « tas de cellules ». Peut-être, mais quand un embryon franchit-il la limite qui le sépare de l’état de « tas de cellules » à celui d’être humain ? Ne serions-nous alors que des tas de cellules plus grands qui s’ignorent ? Dans ce cas, je ne donne pas cher de nos vies aux yeux de certains. Qui ment ? Qui se ment ?
Finissons sur un aspect plus anecdotique, voire plus léger. Qui voudra me faire croire que parmi ceux visés, le site internet nommé Afterbaiz prétend pouvoir se faire passer pour officiel avec un nom pareil ? Ou alors est-ce que son nom est tellement ridicule qu’il pourrait passer pour tel, en cette basse époque ?
Quoi qu’il en soit, mesdames, tant que cela est permis (et même après), je m’autorise à vous dire : ne vous faites pas avorter. Jamais.
(D’autres considérations autour du même sujet suivront bientôt.)


[i] Voir ici.
[ii] Ne médisons pas. M. Fillon a des convictions, mais uniquement à titre personnel.
[iii] Ce qui fait un total de 299 voix exprimées. Il y a trois cent quarante-huit sénateurs en tout.
[iv] Sans oublier Mgr Vingt-Trois.
[v] Et à main levée, en procédure accélérée !
[vi] Pour être honnête, je reprends ici en substance un commentaire lu dans un article du blogue de Patrice de Plunkett (voir ici), article aux considérations par ailleurs fort intéressantes.

samedi 3 décembre 2016

« L’Âge des low tech » (Philippe Bihouix)

La patience est une vertu cohérente : ses récompenses savent se faire attendre. Ainsi, c’est longtemps après ma sortie d’une grande école[i] que j’ai eu le plaisir de faire une découverte plus qu’intéressante grâce à la revue des anciens élèves de cette école. Il s’agissait, il y a bien un an, d’une brève note de lecture concernant L’Âge des low tech, ouvrage de Philippe Bihouix[ii], paru aux éditions du Seuil en 2014.
Cette découverte fut pour moi une heureuse surprise, au milieu d’articles vantant toutes sortes d’innovations techniques, organisationnelles ou managériales plus smart, lean ou agiles les unes que les autres. Parmi ces incantations d’ingénieurs enivrés par leur infinie inventivité s’insinuait enfin une réflexion à contre-courant ; et, luxe suprême, une réflexion qui demeure celle d’un ingénieur au meilleur sens du terme, sens sur lequel je reviendrai plus tard.
Il me fallut cependant encore quelque temps pour surmonter ma proverbiale paresse et enfin faire l’acquisition du susnommé ouvrage, au sujet duquel s’imposent quelques impressions.
Le livre commence par un prologue (La folle valse des crevettes) qui est un constat : les conséquences désastreuses du modèle économique et industriel actuel sur l’environnement commencent à se voir de manière indiscutable et pourraient bientôt finir par être catastrophiques. Un tableau est vite brossé de pratiques souvent absurdes[iii] et parfois dévastatrices qui ont été adoptées pour des raisons financières. Bien entendu, il y aura toujours quelques optimistes pour tenter de nous rassurer : les ressources de l’esprit humain en matière d’inventivité technique sont déjà à l’œuvre pour nous sortir de ce mauvais ; le développement durable et la croissance verte ne sont-ils pas déjà là pour nous permettre de nous gaver proprement désormais ? L’auteur n’y croit pas et n’y voit qu’une nouvelle manière de poursuivre la course folle déjà engagée.
En quelque sorte, il nous donne à entendre que nous sommes maintenant dans une situation qu’un esprit aussi fin que celui d’Antoine de Rivarol, il y a un peu plus de deux siècles, n’envisageait que comme une hypothèse improbable, voire farfelue (mais redoutable si elle venait à s’avérer) : « La terre ne donne que des revenus ; elle ne connaît pas de capitaux ; si on la mangeait en nature au lieu de vivre de ses fruits, alors elle serait un capital dont on pourrait calculer le prix et la durée, et il y a longtemps que le genre humain aurait mangé son séjour. »[iv]
Il en est de la conscience écologique comme du conservatisme : l’écologiste et le conservateur peuvent se contenter de constater combien l’époque est lamentable, voire menaçante, et contempler avec une sorte de délectation morose l’étendue des dégâts présents et à venir ; s’ils veulent en revanche faire preuve d’audace, ils peuvent aussi proposer une manière d’en sortir, qui n’hésite pas à recourir à certains retours en arrière. Non par nostalgie – ce ne sont pas des rêveurs ni des réactionnaires – mais pour découvrir des pistes viables à explorer, lesquelles pourraient avoir été oubliées, méprisées ou simplement négligées dans la course frénétique du progrès.
Philippe Bihouix montre dans la suite de son ouvrage qu’il appartient à la seconde catégorie (d’écologistes au moins ; pour le reste, je l’ignore et ce n’est pas l’objet de la présente causerie). Cette suite consiste en un développement en quatre « actes », appellation qui, pour désigner des chapitres, pourrait passer pour une coquetterie d’auteur. Il n’en est peut-être pas rien – peu importe – mais cela n’est sans doute pas gratuit : ces quatre actes, pour un pessimiste, pourraient être ceux d’une tragédie. Pour un esprit non pas optimiste mais lucide et refusant le désespoir, ils peuvent être ceux d’un drame ou d’une tragi-comédie : les périls sont vastes, mais il n’est pas impossible de les surmonter, bien que l’issue soit incertaine et de nombreux efforts nécessaires.
Le premier acte, Grandeur et décadence des « ingénieurs thaumaturges », reprend et développe le constat du prologue, en l’inscrivant notamment dans une perspective historique. L’histoire, ici, est celle des techniques, avec tous les avantages et la puissance qu’elles nous ont offerts. Avec aussi leur coût ; celui-ci est allé croissant. L’illusion de la « croissance verte », évoquée dans le prologue, est ici expliquée et analysée : en résumé, les solutions que de nouvelles techniques prétendent apporter à des problèmes dont la plupart d’entre nous sont désormais conscients n’en sont pas vraiment. Plutôt que résoudre ces problèmes, elles les déplacent. Les ressources risquant de s’épuiser et les pollutions occasionnées par la mise en œuvre de ces techniques seront différentes, voilà tout. La course frénétique continuera sur d’autres terrains, mais elle continuera[v].
Ces solutions techniques, ainsi que celles qu’elles prétendent remplacer, font partie d’un modèle économique dans lequel nous baignons, auquel nous sommes soumis et auquel nous contribuons, de manière plus ou moins consciente. S’il n’est pas viable, à quoi bon l’entretenir plutôt que le remplacer par un autre ?
Fort bien, mais par quoi ? C’est l’objet du livre en général, et en particulier de l’acte II : Principes des basses technologies.
Ces principes sont ceux des retours en arrière nécessaires avant d’envisager une bifurcation vers de nouveaux développements. Il ne s’agit donc pas d’un retour à quelque « bon vieux temps » aussi idyllique qu’imaginaire, mais d’un ensemble de réflexions orientées autour de sept axes : (1) « remettre en cause les besoins », (2) « concevoir et produire réellement durable », (3) « orienter le savoir sur l’économie des ressources », (4) « rechercher l’équilibre entre performance et convivialité », (5) « relocaliser sans perdre les bons effets d’échelle », (6) « démachiniser les services » et (7) « savoir rester modeste ».
Le cinquième axe apporte la nuance indispensable à la crédibilité de l’ensemble du raisonnement : les « principes des basses technologies » reposent sur un équilibre qui reste à déterminer de manière plus fine que dans cet ouvrage[vi], sans doute au cas par cas[vii]. L’auteur donne cependant de nombreux arguments, souvent bien choisis et éloquents, aussi bien en énonçant clairement le problème posé au départ de chaque principe et en fournissant quelques exemples de solutions.
De même que l’acte II, l’acte III (La vie quotidienne au temps des basses technologies) revendique une certaine imprécision dans l’aperçu, nécessairement approximatif, de ce à quoi pourrait ressembler notre vie une fois adoptés et appliqués les principes énoncés dans l’acte II. Divers domaines de la vie quotidienne sont abordés : l’alimentation, les transports, la finance… La vie ainsi envisagée semble assez frugale (d’aucuns diront spartiate) et quelques aspects évoqués pourront paraître farfelus ou contraignants. Mais n’est-ce pas plutôt, pour nous autres habitants de pays riches, le fait de renoncer à quelques fausses évidences (ou mauvaises habitudes) fort confortables qui nous effraie ? Comment entamer la transition ?
Cette question, élargie à des échelons plus vastes, fait l’objet de l’acte IV (La transition est-elle possible ?). Après avoir rappelé l’impossibilité selon lui de continuer comme nous le faisons aujourd’hui et la stérilité de certaines réactions (« attentisme, fatalisme et "survivalisme" »), Philippe Bihouix pose les questions associées à quelques obstacles possibles : celles liées à l’emploi, à l’échelle (en termes d’efficacité et d’influence, politique notamment, pas toujours de manière convaincante dans ce dernier cas – voir l’exemple de l’abolitionnisme anglais[viii]), mais aussi à l’habitude. Pour ne pas nous désespérer, l’acte finit « sur une note positive » : si les efforts à faire pour inverser une tendance désastreuse sont nombreux et importants, ils peuvent être coordonnés et entamés à divers échelons, et la combinaison de leurs premiers effets – l’inverse de ceux qui nous désolent actuellement – pourra s’avérer encourageante[ix].
Les quatre actes nous ayant passionnés, restait à Philippe Bihouix de nous donner un baisser de rideau ou un épilogue : Rêve s’il en fût jamais. L’analogie théâtrale perd un peu de sa pertinence ici : nous assisterions plutôt au finale d’une symphonie où tous les thèmes, condensés, s’enchaînent fort vite ; un bon aperçu pour le « spectateur » retardataire, paresseux ou distrait, ou un bon résumé pour le lecteur pressé, lequel aurait tort de s’en contenter.
En n’entrant point trop dans les détails de ce qu’il propose, ce livre évite l’écueil de l’utopie. A ce titre, il paraîtra pessimiste aux optimistes et optimiste aux pessimistes, ce qui est plutôt bon signe. Et si j’ai indiqué au début de cette filandreuse critique que je me trouvai avoir fréquenté la même école que son auteur, ce n’est pas (seulement) pour me vanter. Ce serait plutôt pour rappeler – en substance – un propos du défunt directeur de cette école au temps où j’y étais élève : « la première tâche d’un ingénieur n’est pas de résoudre des problèmes, mais de les poser. » C’est ce qu’a fait avec talent, avec rigueur et non sans humour parfois Philippe Bihouix dans L’Âge des low tech. Je me permets donc de saluer humblement ce camarade.


[i] Assumons ce fait ! Ne soyons pas « populiste » !
[ii] Le moyen par lequel j’ai découvert l’existence de ce livre et de son auteur m’a permis en outre d’apprendre que j’avais été pendant un an – avant quelques glissements dans le cours de mes études provoqués par une certaine légèreté de ma part – un camarade de promotion de ce dernier. Nous ne nous sommes pas croisés à l’époque. Mais il est vrai que j’étais, comme je viens de le suggérer, un élève quelque peu évanescent.
[iii] Comme celle qui a donné son titre à ce prologue, et qui consiste à pêcher des crevettes en mer du Nord, à les expédier au Maroc pour les y faire décortiquer (la main-d’œuvre y est moins chère), puis à les renvoyer au Danemark, où l’on raffole de ces petits animaux.
[iv] J’en avais déjà touché quelques mots ici il y a quelques mois.
[v] Voir p. 112 : « Notre système économique et industriel, tel James Dean au volant de sa voiture dans La Fureur de vivre, nous propose d’appuyer sur la pédale d’accélération, en espérant que l’on inventera les ailes avant d’atteindre le bord de la falaise. »
[vi] Cette observation n’est en rien un reproche. Détailler chaque équilibre n’est pas l’objet de L’Âge des low tech.
[vii] Pour aller dans le sens de l’auteur, l’exemple des hauts-fourneaux villageois du « grand bond en avant » chinois vers la fin des années 1950 démontre que tout relocaliser n’est pas la panacée.
[viii] Un complément, dans le domaine politique, à cette lecture pourra être apporté par celle de La Clameur de la terre, de Frédéric Rouvillois (voir ici).
[ix] « Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux », écrivait Ionesco – qui ne croyait peut-être pas si bien dire – dans La Cantatrice chauve. Ici, ce serait plutôt : « Prenez un cercle, élevez-le, il deviendra vertueux ».