samedi 25 avril 2015

Résistance ?!

Qui n’est pas résistant aujourd’hui ? Soixante-dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, nous sommes encore remplis d’une sympathie et d’une admiration pour la résistance à l’occupant au point de nous y identifier volontiers (et abusivement). Jusqu’à, par exemple, l’épastrouillant M. Jean-Michel Ribes qui, au sein du théâtre (subventionné) du Rond-Point, organisa, voici quelques années une saison consacrée au rire de résistance. Le même (avec le soutien des forces de l’ordre) résista ensuite, en 2011, à des manifestants contestant les représentations de je ne sais plus quelle pochade impie déjà desséchée dans nos souvenirs[i]. Et, début 2013 si ma mémoire est bonne, ce valeureux combattant organisa une petite sauterie avec quelques vedettes engagées et quelques ministres pour marquer son adhésion au courageux mouvement de résistance à la Manif Pour Tous… toujours dans son théâtre subventionné.
Un peu d’histoire
Le mot résistance, on l’aura compris, s’est aujourd’hui tellement éventé et affadi qu’il est difficile de ne pas ironiser sur qui veut l’employer. Il est vrai qu’user de mots ayant encore un sens est devenu particulièrement délicat de nos jours. Or il n’en fut pas toujours ainsi.
Par exemple, il eût été d’une témérité frisant la démence de crier sur les toits qu’on était résistant en France, entre 1940 et 1944. Ceux qui l’étaient effectivement étaient en général plutôt discrets et usaient de leur courage à de meilleures fins que celle de se poser en héros. Ce n’est qu’après la Libération que tout le monde ou à peu près proclama en être, et ce n’est pas encore fini… Mais n’allons pas nous répéter.
En remontant encore le temps, cette fois jusqu’au XIXe siècle, il ne faisait pas bon être rattaché à la résistance. Certes, ce n’était pas dangereux. Mais la résistance, c’était alors le contraire du mouvement, autrement dit du progrès social ou technique. Un résistant, c’était l’ennemi de la gauche qui pense et de l’industriel qui s’enrichit. En résumé, c’était Môssieu Réac, tel que croqué par Nadar. Du reste, au XIXe siècle, et en quittant le strict – et ennuyeux – domaine des opinions politiques, cette appellation pourrait fort bien s’appliquer à quelques grandes plumes antimodernes, comme Barbey d’Aurevilly, Baudelaire, Bloy ou Huysmans d’une part, Flaubert d’autre part.
Un manifeste utile
Comme tout le monde est désormais résistant depuis environ soixante-dix ans, l’important est de savoir, pour que cela ait un sens, à quoi résister (ou prétendre résister). A cet égard, la proposition contenue dans le titre d’un livre de MM. Éric Letty et Guillaume de Prémare paru en mars chez Pierre-Guillaume de Roux, éveille l’intérêt : Résistance au Meilleur des mondes.
L’argument de ce livre est simple : premièrement, le monde unifié, gentiment totalitaire où l’homme prétend être son propre créateur pour plus de confort et d’ordre, dépeint en 1932 dans Le Meilleur des mondes, est peut-être bien plus proche de nous dans le temps que ce qu’avait imaginé Aldous Huxley ; deuxièmement, ce n’est pas une bonne nouvelle ; troisièmement, il importe donc de s’opposer à ce mouvement et, pour ce faire, d’en connaître les mécanismes et les acteurs.
Ce mouvement, donc, ne date pas d’hier. On peut le voir à l’œuvre d’une part dans la recherche d’une maîtrise totale de la vie humaine, de la naissance à la mort, par des moyens techniques, et d’autre part dans une entreprise de séparation des hommes de tout ce qui a construit les sociétés au cours du temps : histoire, famille, nation, ou toute espèce de tradition. Les exemples ne manquent pas, du mariage dit pour tous (vu ici comme un prélude à l’autorisation de la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes ou à la gestation dite pour autrui… en attendant, qui sait, que la technique permette l’ectogenèse ?) à la déconstruction systématique de l’enseignement, notamment des humanités.
Qui peut vouloir un tel mouvement ? Les auteurs pourraient être tentés de dénoncer un vaste complot, dans un chapitre intitulé Les architectes du « meilleur des mondes » où ils avancent quelques hypothèses quant à d’éventuelles sociétés de pensées ou organisations internationales (parmi lesquelles l’ONU et l’Union européenne, souvent mentionnées dans ce livre), mais préfèrent – et ils ont sans doute raison – choisir celle d’une construction « à partir d’une idéologie diffuse[ii] ». Si cette dernière hypothèse est fort recevable, il serait judicieux d’ajouter aux sociétés de pensées et aux organismes politiques les grandes entreprises, lesquelles pourraient fort bien voir dans la mécanisation et la standardisation de l’humain un moyen d’augmenter leurs profits par une rationalisation parfaite de nos vies. Cet aspect, s’il n’est pas ignoré dans Résistance au Meilleur des mondes[iii], n’est pas, semble-t-il, autant développé, et c’est à peu près la seule réserve que l’on pourrait faire sur ce livre. Au super-Etat-nounou fort justement dénoncé, il eût fallu explicitement ajouter l’Employeur-papa, ou quelque chose de la même farine[iv], pour que le tableau fût complet.
Soit dit en passant quant au caractère diffus de l’idéologie mise en œuvre, rien n’interdit de penser, pour peu que l’on ait des inclinations religieuses, à un plan du diable, dont chacun sait (au moins depuis Baudelaire) que sa plus grande ruse est de nous faire croire qu’il n’existe pas (ne serait-ce que par la bouffonnerie de la plupart des théories du complot). Certains s’en feront les complices par orgueil, d’autres par paresse (intellectuelle le plus souvent), d’autres encore par avidité. Et les quidams comme vous et moi parfois aussi, par indifférence ou par sentiment d’impuissance.
J’ai parlé de Résistance au Meilleur des mondes comme d’un manifeste et non d’un pamphlet, ce qu’il pourrait être s’il ne proposait rien. Il est bien joli en effet de résister à quelque chose, encore faut-il avoir quelque chose à bâtir après le combat. Contentons-nous de citer un extrait (parmi d’autres possibles) de la conclusion[v] de cet utile ouvrage :
« […] ce terme de "conservateurs" n’est pas adapté car la riposte au "meilleur des mondes" ne consiste pas à "conserver" des valeurs, mais à déployer un élan vital pour l’avenir, à manifester une culture de la liberté, qui […] se comprend comme l’ensemble des libertés concrètes dont l’homme peut jouir et bénéficier dans le respect de l’ordre naturel. »
Cette riposte, dont un signe fut, selon les auteurs de Résistance au Meilleur des mondes, la Manif Pour Tous[vi], ne fait donc que commencer. Toujours selon eux (et il faut leur donner raison), elle devra prendre un jour ou l’autre, entre autres aspects, une tournure politique pour exister. Souhaitons que ce ne soit pas dans des combinaisons partisanes…

[i] Sic transit gloria mundi, comme ne dirait certainement pas notre ministre de l’Education Nationale. Pour savoir ce que je pense de ce genre d’affaire, voir ici.
[ii] Quant à cette idéologie, à sa naissance, son essor et ses limites, on pourra lire Le Règne de l’homme – Genèse et échec du projet moderne, de Rémi Brague, un ouvrage qui offre plus une perspective historique et philosophique qu’un point de vue militant, mais qui n’en est pas moins corrosif.
[iii] L’élite mondialisée, l’oligarchie apatride, la super-classe, appelez cela comme vous voudrez, n’exclut pas, après tout, les grands patrons…
[iv] Ejusdem farinae, comme ne dirait toujours pas notre ministre de l’Education Nationale.
[v] Intitulée Voici le temps des Veilleurs. Occasion de rappeler un petit livre fort intéressant paru l’an dernier, Nos Limites.
[vi] N’allons pas faire un mauvais procès à Guillaume de Prémare, qui fut président de ce mouvement, en l’accusant de se livrer à un plaidoyer pro domo (comme ne dirait décidément pas notre ministre…) ; en somme, cet engagement et ce livre se suivent logiquement.

samedi 18 avril 2015

Méfions-nous des bonnes blagues

La prudence devrait toujours être de mise lorsqu’il s’agit de plaisanter. Surtout si la plaisanterie est énorme et le contexte délicat, ce que je suggérais dans une note d’un récent article (ici) : qui sait sous quels yeux, dans quelles oreilles peut tomber une bonne grosse plaisanterie, et dans quelles têtes elle peut faire mûrir des idées démentes et dangereuses. Surveillons donc nos plaisanteries, avant qu’elles ne deviennent des prophéties.
Un poisson carnassier
J’ai déjà évoqué l’an dernier (ici) l’admiration que j’éprouve pour l’art des dessinateurs de Simplicissimus, hebdomadaire satirique allemand qui parut tous les lundis de 1896 à 1944, sans toujours en approuver les légendes, surtout en des périodes (entre 1914 et 1918 et encore plus de 1933 à 1944) où la satire devait brosser le pouvoir dans le sens du poil.
D’après mes calculs, le 1er avril 1914 tomba un mercredi. Les lecteurs de Simplicissimus allaient donc pouvoir s’amuser dès le 30 mars, et ne durent pas manquer de le faire : le numéro du 30 mars 1914 est un petit joyau (à voir ici ; ne craignez rien si vous ne lisez pas l’allemand, a fortiori en caractères gothiques, un résumé suit). Les piliers de la revue (Olaf Gulbransson, Eduard Thöny, Wilhelm Schulz, Thomas Theodor Heine) se relayèrent pour conter une histoire dessinée bien loufoque, devant ridiculiser – sans doute de manière définitive, durent-ils croire – un certain nationalisme allemand, fortement teinté de militarisme.
Qu’on en juge plutôt : un jour, l’empereur Guillaume II, lassé par le pouvoir, cède son trône à un certain M. Krause, parfait représentant du Spießbürger touché par des sentiments nationaux-romantiques, petit, gras, barbichu, engoncé dans sa redingote, mais dont le fier regard germanique fait étinceler un héroïque pince-nez. Avec lui, l’Allemagne va enfin accéder à la place qui lui revient dans le concert des nations, c’est-à-dire la seule…
D’abord, il y a ces Français, qui ont décidé d’interdire l’importation de choucroute allemande dans leur pays : un casus belli, pour le moins. Après les premiers succès allemands sur les bords de la Marne, le gouvernement français propose un armistice : trop facile pour sa majesté Krause, qui décide de poursuivre la guerre. Dans un immense fracas, l’armée française sera anéantie lors de la bataille de Bordeaux, qui demeurera dans les annales.
Au tour des Russes de chercher noise à l’Allemagne. Donc Krause, comme tout le monde, envahit la Russie. L’apparition du fantôme de Napoléon, le mettant en garde contre ce succès trompeur en lui rappelant l’incendie de Moscou, ne provoque chez lui qu’un haussement d’épaules : c’est qu’en bon bourgeois allemand, il a tout prévu et amené avec lui une brigade de pompiers. C’en sera fait de la puissance russe, et bientôt Nicolas II n’aura plus qu’à se rendre, à genoux devant sa majesté Krause.
Or voici que les Anglais entrent dans la danse : la flotte britannique menace Hambourg. En quelques vols de Zeppelins chargés de bombes, elle sera envoyée par le fond.
Sa majesté Krause n’a plus qu’à savourer son triomphe, défilant à la tête de ses armées dans son plus bel uniforme sous la porte de Brandebourg tandis que, surgissant du ciel, Germania vient déposer sur son impériale tête une couronne de lauriers.
C’est alors que madame Krause lui demande ce qu’il a à tant transpirer et quel rêve il a encore pu faire. Dans l’obscurité de la chambre conjugale, sous l’édredon, il murmure : « Tu étais impératrice… ».
Quatre mois plus tard
Il suffit de quatre mois pour que se réalisât une partie de ce rêve grotesque. Sauf que Guillaume II ne céda la place à aucun Krause pour lancer l’Allemagne et toute l’Europe (bien complice, d’ailleurs) dans les quatre ans de guerre que l’on sait.
J’ignore si les magnifiques artistes[i] de Simplicissimus se mordirent les doigts à l’été 1914 lorsqu’ils virent leur énorme blague prendre un tour prophétique. Il n’en demeure pas moins qu’ils mirent leurs grands talents au service de la propagande guerrière allemande, exaltant tout ce qu’ils ridiculisaient encore quelques mois auparavant.
Vingt ans après
Que dire de l’Allemagne en 1933 ? Fatiguée, elle s’offrit à un genre de sous-Krause, un ancien rapin devenu un politicien aussi habile que fanatique. Adolf Hitler parvint presque à réaliser le rêve de Krause, en y ajoutant pas mal d’horreurs supplémentaires de son cru. On sait quels efforts il fallut pour l’arrêter – et toute l’Allemagne avec lui – dans sa course folle et meurtrière.
Là encore, les talentueux artistes de Simplicissimus, parmi lesquels trois des quatre auteurs de l’histoire résumée plus haut (Heine, qui était juif, put s’exiler à temps ; double chance pour lui : il échappa aux persécutions et ne collabora pas à la plus basse propagande), ne lésinèrent pas sur les efforts pour contribuer à la propagande du nouveau régime. Je me demande si, à partir de 1939, il arrivait à ces vieux messieurs de relire le numéro du 30 mars 1914 de Simplicissimus. Et, dans ce cas, quels pouvaient être leurs sentiments. Allez savoir, les humoristes, surtout les professionnels, ne sont pas toujours des gens très sérieux.



[i] Vraiment, j’admire leur art. Avec quelques réserves pour Schulz, dont le trait finit au cours du temps par s’affadir quelque peu.

vendredi 10 avril 2015

La Terre est plate !

Je le sais bien, nous ne sommes plus le premier avril. Mais le monde moderne paraît non seulement affirmer une telle énormité, mais aussi le prouver, en faisant se suivre et se ressembler les jours et les saisons.
Poissons d’avril
Aimez-vous les poissons d’avril ? J’avoue pour ma part avoir un faible pour cette amusante tradition qui consiste à faire gober une énormité à ses interlocuteurs. Les meilleurs sont ceux qui ont toutes les apparences d’un grand sérieux en accumulant, ou plutôt en les enchaînant, des détails presque vraisemblables.
Il en surnage encore parfois de jolis, comme cette année celui selon lequel un fabricant de matériel informatique allait supprimer le point-virgule sur les claviers des appareils qu’il commercialise. Pour un peu, on s’emporterait contre cette nouvelle absurdité, avant de regarder avec soulagement le calendrier.
Hélas, on ne peut pas en dire autant de bien des choses qui se passent ici-bas, des plus comiques aux plus atroces. Dans ce dernier cas, on est tenté de penser que, si c’est une blague, elle est de mauvais goût. Bien des décisions, bien des projets, de nos jours, semblent puiser leur inspiration dans le Gorafi.
Il en résulte un malaise : d’une part, du fait de l’affadissement du premier avril, et, d’autre part, du fait de l’impression – un brin cauchemardesque – de vivre un premier avril permanent.
Observons qu’il en va de même pour le carnaval : autrefois moment enchanté où l’on se permettait de faire bombance et de se livrer à des excentricités avant de passer aux choses sérieuses – en l’occurrence à l’occasion du carême –, le carnaval, semble-t-il, est devenu permanent, y compris (à mon humble avis) en matière vestimentaire.
Poissons en chocolat
Ces considérations sur le sens du carnaval nous amènent donc à des questions moins profanes : que reste-t-il en Occident d’autres moments qui jadis rythmaient l’année, à savoir les fêtes chrétiennes ? Pas grand-chose, j’en ai peur, sinon quelques vestiges qui ne provoquent guère l’enthousiasme : ruée dans les magasins et excès de table à Noël, indigestion de chocolat et de viandes grasses à Pâques… Nous savons cela depuis des lustres. Ces tristes habitudes ont leur origine chrétienne mais, de même que Chesterton constatait que le monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles, on pourrait dire qu’il est tout aussi plein de coutumes chrétiennes devenues obèses.
Ainsi, boire du bon vin, faire gras et manger des friandises à Pâques peut avoir un sens si l’on s’en est privé pendant le carême (à condition de savoir pourquoi l’on s’en est privé). Seulement, la modernité nous a désappris à nous priver de quoi que ce soit : ce ne serait pas bon pour les affaires – ce qui est évidemment dit d’une autre manière aux foules : en affirmant qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien ou par l’injonction martelée de céder au moindre de ses désirs (en fait aux désirs de ceux qui ont quelque chose à nous vendre).
Cependant, les fêtes de Pâques semblent avoir été moins touchées, c’est-à-dire dénaturées et salies, par les zélateurs – ô combien prosélytes – de Mammon que celles de Noël. Est-ce dû à la saison, à la lumière ? Il est vrai que dans la nuit de l’hiver les illuminations des temples du commerce se voient mieux qu’aux jours plus longs du printemps, qu’ils soient radieux ou grisâtres. Ou alors c’est que s’insinuer dans la célébration d’une naissance est plus à la portée desdits zélateurs de Mammon que de s’insinuer dans celle d’une résurrection.
Et si c’était une chance pour rappeler ce qu’est cette fête essentielle ? Et ainsi rendre à l’année un peu de son rythme, autant dans les apparences qu’en profondeur ?[i]
Poisons d’avril
Bien entendu, il n’y a pas de Pâques sans carême, ni sans Vendredi Saint, de même qu’il n’y a pas de carême ni de Vendredi Saint sans Pâques. Cette année, le Vendredi Saint, l’attention des catholiques a été portée sur nos frères persécutés d’Orient, notamment par des quêtes et des prières. C’est que, pour eux[ii], le Vendredi Saint, en ce moment, est une chose bien réelle.
Or il semble que l’on ait eu à Paris des visions étranges. Aurait-on cru voir Ponce Pilate conduire des rames de métro ? En tout cas, la RATP, au nom de la neutralité du service public[iii], a refusé de faire apparaître sur les affiches annonçant des concerts, que les recettes seraient versées à des œuvres venant en aide aux chrétiens d’Orient. Cette affaire ayant commencé à faire du bruit le premier avril, je confesse avoir cru un instant à un poisson un peu pourri. Or il n’en est rien.
Le scandale a vite enflé et, Dieu merci, la réprobation fut à peu près générale[iv] : tout le monde (ou presque ?) a compris ce qu’a d’indécent cette neutralité entre les assassins et leurs victimes.
Il est vrai, aussi, qu’une filiale du groupe RATP a récemment emporté d’appétissants appels d’offres en Arabie Saoudite. De là à y voir un lien avec le comportement minable de la régie publicitaire de la RATP[v], on ne saurait dire. Dans ce cas, non olet, comme disait un empereur romain dont le nom est longtemps resté associé à des pissotières…

[i] On peut l’espérer, à Paris du moins, en voyant l’augmentation d’année en année du nombre de chemins de croix proposés dans les rues par les paroisses le jour du Vendredi Saint.
[ii] Et pour d’autres à travers le monde. Au Kenya, par exemple.
[iii] Dans ce domaine, si toute référence chrétienne gêne la RATP, que vont devenir des stations du métro parisien comme Sait François-Xavier, Saint Placide, Saint Sulpice, Saint Germain-des-Prés, Saint Michel, Saint Paul, Saint Augustin, Saint Lazare, Saint Georges et quelques autres ? Mais je m’en voudrais d’avoir soufflé une mauvaise idée aux dirigeants de la RATP.
[iv] Même de la part de M. Valls. Ne boudons pas notre plaisir : BRAVO !
[v] Mais ne soyons point trop dur : la RATP a fini par accepter de faire figurer la mention qui la gênait tant.

lundi 6 avril 2015

Une tragédie contemporaine

Il y a bientôt deux semaines s’écrasait dans les Alpes un avion de ligne allemand, causant la mort de ses cent cinquante occupants. Il est inutile de citer quelque détail que ce soit de cette catastrophe, tant la presse nous en a fourni, souvent à tort et à travers. Mais, outre l’évidente compassion pour les victimes et pour leurs proches, cet événement appelle quelques réflexions.
Deuils modernes
De manière générale, lorsque se produit dans le monde un triste événement qui a quelque retentissement, avez-vous remarqué les petits monuments éphémères qui fleurissent ici et là ? Veilleuses, fleurs, messages de « solidarité » et divers objets attendrissants font leur apparition en quelques points donnés.
Loin de moi l’idée de ricaner de telles manifestations de deuil – elles ont leur côté touchant et les gens expriment leur sympathie comme ils le peuvent – mais leur caractère souvent pauvre et parfois mièvre finit par être crispant[i]. Oui, les braves gens, touchés par un malheur, semblent devenus incapables d’exprimer leur sympathie d’une manière simple, digne et profonde. Le monde moderne semble les avoir amputés de toute spiritualité, ne leur laissant comme expression possible que celle d’une sentimentalité vague accrochée à des objets fabriqués en série ou à des techniques (je pense aux touits) qui la datent affreusement[ii]. Qu’ils puissent guérir de cette infirmité, en ce temps pascal !
Régression par les machines
Dans tous les récits qui nous ont été faits de l’accident que j’évoquais plus haut, un élément est apparu : une porte, automatiquement verrouillée, que le commandant de bord n’a pu ouvrir, faire ouvrir, ni défoncer pour regagner le poste de pilotage dont il s’était absenté un instant. Et voilà qu’un dispositif automatique, une machine imparable, a fait d’un moment dangereux une tragédie : rien à faire pour éviter la catastrophe.
Ce genre de dispositif a été imposé à bord des avions de ligne, nous dit-on, après le 11 septembre 2001, pour protéger les pilotes contre d’éventuels terroristes en interdisant à ces derniers l’accès au poste de pilotage. Louable intention, certes, mais dont on a pu hélas mesurer les dangers en cas de mauvais usage ou de déclenchement intempestif : vous pouvez toujours essayer de raisonner, de maîtriser, voire d’empêcher de nuire un homme devenu fou ou se mélangeant les pinceaux dans une manœuvre. Mais quid d’une machine conçue, développée et réalisée pour résister à toute intervention humaine ?
Ce genre de dispositif rappelle la « doomsday machine » de Docteur Folamour : un formidable dispositif de représailles se déclenchant automatiquement pour dévaster la Terre en cas d’attaque nucléaire contre l’URSS : aucune hésitation morale possible. Ni aucune correction en cas d’erreur. Où les hommes se rendent esclaves de leurs inventions.
Tous experts !
En m’attardant sur ce détail (qui aurait eu malheureusement son importance, autant que l’on sache), j’ai bien l’impression d’entrer dans l’horrible cirque qui s’est emballé sous nos yeux : informations en direct, interprétations hâtives, hypothèses hasardeuses considérations psychologiques et morales sur un copilote dépressif et sur les compagnies aériennes… Rien ne nous aura été épargné d’un accident dont ni les quidams comme vous et moi ni les journalistes ne sauront le fin mot.
Nous en serons réduits à de vaines discussions de comptoir, jeu dans lequel nous entrons trop souvent. Nous devrions y penser et nous taire un peu, ne serait-ce que par égard pour la dignité des morts.
 
Toutes ces considérations ne me dispensent pas de vous souhaiter de joyeuses et saintes fêtes de Pâques !


[i] Il est des cas où, lorsque des enfants sont morts, ces petits monuments peuvent s’orner d’ours en peluche, par exemple.
[ii] La pauvreté et l’invasion des artefacts modernes dans le deuil sont bien illustrées dans un sévère article de Nunzio Casalaspro paru dans Causeur il y a quelques jours, ici.