samedi 28 juin 2014

L’empire des maux

Eprouvant une certaine fatigue en ce moment (mais courage, les vacances approchent), j’ai été brièvement tenté de céder à la paresse en n’évoquant que des phénomènes aux apparences assez anodines. Comme par exemple la prolifération depuis déjà quelques années de films sortant en France avec un titre en anglais. Avant de me rendre compte que cela pouvait nous mener à des choses plus inquiétantes…
Going to the pictures
Je ne saurais dire exactement quand a commencé cette manie de ne pas traduire les titres de films. Le phénomène existait déjà chez les cinéphiles dans les années 1980, lorsqu’ils se régalaient de comédies américaines comme Animal Crackers, The Shop Around The Corner ou The Philadelphia Story. C’est d’ailleurs sous ces titres que j’ai pu les apprécier, il y a bien vingt ou vingt-cinq ans, dans quelques cinémas du Quartier Latin. Peut-être leurs titres français (respectivement : L’explorateur en folie, Rendez-vous, Cette sacrée vérité) étaient-ils mal choisis ?
C’est peut-être à partir du milieu des années 1990 que nous avons vu déferler les grosses productions aux titres non traduits : des Basic Instinct, Total Recall ou Starship Troopers, par exemple[i]. Il serait fastidieux de poursuivre cette liste, tant Hollywood abreuve le monde de ses produits – ce qui n’est pas une nouveauté.
Un fait plus surprenant est l’attribution de titres en anglais à des films réalisés dans des pays non anglophones. Pour parler de ce que je connais, je me rappelle qu’il y a quelques années était sorti en France un film du réalisateur suédois Lukas Moodysson qui avait pour titre Together. Enfin, en France, puisque son titre original est Tillsammans, soit littéralement… Ensemble. La télévision est elle aussi contaminée. Ainsi, on a vanté récemment la qualité d’une série télévisée suédoise au propos dystopique, diffusée par Arte sous le titre : Real Humans. Une bande annonce vue sur Internet m’a permis de constater que le titre original de cette série est bien entendu Äkta människor, soit littéralement… De véritables humains. Cette mondialisation du titre, les films produits dans d’autres pays la subissent également : ainsi avons-nous pu entendre récemment parler d’un film indien qui a pour titre : The Lunch-Box. J’en ignore le titre original, mais je me demande si La gamelle ne faisait pas trop « popote » pour les distributeurs.
A propos de cinéma suédois, tout cela ne m’empêchera pas d’apprécier les films d’Ingmar Bergman, sortis avant cette absurde mode, comme Le septième sceau (et non The Seventh Seal), Le visage (et non The Face), voire Cris et chuchotements (et non Whispers And Cries[ii])…
Deux interprétations
Il est assez simple de comprendre, dans le cas de la cinéphilie, que ce soit pour des films dits classiques ou pour des films « exotiques » (c’est-à-dire ni français ni américains, pour faire vite), il entre une part de snobisme : le spectateur « cultivé » sera flatté par l’impression de n’avoir pas besoin d’une traduction (ou pire : d’un doublage) pour apprécier l’original, dans sa saveur et son jus. Bien que se sentant cultivé et ouvert à la diversité du monde, l’anglais lui suffira, car l’anglais, c’est de l’étranger, donc c’est bien.
Dans le cas du cinéma populaire, c’est plus brutal : à quoi bon faire l’effort de traduire les titres pour la populace ? L’important, c’est qu’elle prenne du spectacle plein la face et qu’elle achète du pop-corn.
Quelle peut être la finalité de cette absence de traduction ? S’agirait-il de conditionner le public pour l’intégrer dans une masse universelle, indifférenciée, réduite à un tas de consommateurs manipulables ? Cela n’est pas prouvé, mais le résultat y ressemble bien, révélant deux types de mentalités de colonisés : d’un côté, une bourgeoisie snob qui se voit en élite intellectuelle et rêve de ressembler aux vainqueurs, de l’autre un petit peuple que l’on tient dans les amusements, et où naît une langue désarticulée, impropre à refléter quelque réflexion que ce soit.
Franglais des riches, franglais des pauvres
Certes, le franglais n’est pas une nouveauté, puisque c’est en 1963 que René Etiemble publia Parlez-vous franglais ?, pamphlet contre la bouillie verbale mondialisée dont l’auteur ne détestait pas, du reste, la langue ni la littérature anglaise. Mais force nous est de constater certains jours que la bouillie s’étale de plus en plus.
Sortons des salles de cinéma et allons au bureau. A partir d’un certain niveau de qualification, quel que soit le domaine où l’on travaille, on finit par entendre des propos qui peuvent laisser perplexe ou hilare, selon l’humeur. Pour ma part, j’ai entendu récemment dire que « les nice to have ont des deadlines liées à leurs story points », dans le cadre du développement d’un produit industriel.
Pour le petit peuple, la presse féminine est une mine. La midinette y apprendra quels sont les must have et les it shoes à porter pour être à la fois terriblement girly et aussi sexy et glamour qu’une star.
Bouillie, vous dis-je.
(J’ouvre ici une parenthèse qui est un plaidoyer pro domo : on pourrait m’objecter le titre et la devise du présent blogue, qui sont en anglais. Je m’en suis déjà expliqué il y a un an environ – ici – et j’aurais aussi bien pu l’intituler, disons, Pappersgeneralen, avec pour sous-titre Tala sanning blir i längden ofarligare än att ljuga, qui a pas mal d’allure, à mon goût ; mais, voilà, je connais moins l’œuvre de Verner von Heidenstam que celle d’Evelyn Waugh. Tiens, d’ailleurs, pro domo, ce n’est même pas du français, puisque c’est du latin.)
L’empire des mots (l’empire du mal ?)
Mais revenons à la vie en entreprise, où les dérives du vocabulaire ne résident pas que dans le charabia franglicisant. Chacun sait que ce que l’on nommait autrefois personnel est aujourd’hui nommé ressources humaines. Je ne sais pas, mais cette dernière expression m’a toujours donné quelques frissons. Elle me semble placer les hommes parmi d’autres ressources, au même rang que des outils ou des consommables. Et comme il faut toujours aller plus vite pour être plus efficace dans son travail, on finit par trouver inutile de s’encombrer d’adjectifs. Combien de fois n’ai-je pas entendu dire, lors des réunions, « t’as combien de ressources à me filer pour ça ? » au lieu de « sur combien de personnes puis-je m’appuyer pour faire ce travail ? »…
Avec de tels glissements, on finit par entrer, sans trop y songer, dans ce que le Pape a nommé, je crois, civilisation du déchet. Dans ces conditions, que faire d’une ressource épuisée, qui ne rapporte rien ? Eh bien, pour paraphraser Serge Gainsbourg dans Ronsard 58 : on lui paye son prix, on s’en débarrasse[iii].
Ces propos paraîtront brutaux aux oreilles délicates du XXIe siècle. Ils ne sont plus de mise. Par exemple, il a beaucoup été question en France d’euthanasie ces derniers jours, après l’acquittement d’un médecin qui a reconnu avoir expédié ad patres sept vieillards malades : la grosse presse, bien conditionnée, a préféré en dire qu’il avait abrégé les souffrances de ces vieillards, avant d’insister sur son émotion, son humanité, et les applaudissements qui ont salué le verdict[iv]. Et M. Kouchner, de son côté, a exprimé son souhait de bannir l’usage du mot euthanasie, notamment « parce qu’il y a le mot nazi dedans, ce qui n’est pas très gentil ». On comprend l’inquiétude de M. Kouchner sur d’éventuels rapprochements inopportuns. Il suffit pour cela de lire la proposition n°21 du candidat François Hollande en 2012 :
« Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité »
et de la comparer avec ce qui suit :
« [Certains médecins désignés nominativement] pourront accorder une mort miséricordieuse aux malades qui auront été jugés incurables selon une appréciation aussi rigoureuse que possible »,
qui est extrait d’un ordre secret rédigé par Hitler en octobre 1939[v].
Entendons-nous bien : je ne crois pas pratiquer ici la reductionem ad Hitlerum. Ce serait le cas si je faisais par exemple remarquer que M. François Hollande ne fume pas, tout comme Adolf Hitler, ce qui serait imbécile et dénué de tout intérêt. Non, ici il s’agit d’une proposition, d’actes à rendre possibles. Je ne prétends pas que les intentions de M. Hollande soient les mêmes que celles de Hitler[vi], mais il est troublant et même effrayant d’observer la ressemblance dans les mots, les euphémismes, voire les détournements employés par les deux sur un sujet précis en matière d’actes, je le répète.
Voilà où peuvent mener l’air du temps et le vocabulaire ambiant. On commence par absorber les à-peu-près qui bruissent un peu partout (par exemple en se passant de traduire les mots étrangers dans des domaines frivoles), on continue en usant d’euphémismes pour décrire une réalité brutale, puis on finit par proposer en des termes délicats, sans s’en apercevoir, presque la même chose que les pires assassins.
Et il y aura encore des gens pour me dire que le diable n’existe pas !




[i] Tiens, je m’aperçois que ces trois films ont été réalisés aux Etats-Unis par Paul Verhoeven, cinéaste néerlandais (donc pas initialement anglophone). A propos de Starship Troopers, je me rappelle avoir vu en 1998 des affiches de ce film au moment de sa sortie au Brésil, avec pour titre, si j’ai bonne mémoire, Soldados das estrelas : serait-on encore un peu vivant au Brésil ?
[ii] Le titre original est Viskningar och rop, soit en fait Chuchotements et cris, ou plus élégamment Murmures et cris. Mais je suppose que les distributeurs ont voulu faire un rapprochement homophonique avec Crime et châtiment, avec lequel ce film n’a d’ailleurs rien à voir…
[iii] Mais il est vrai que dans cette chanson dont le titre indique le millésime, il est plutôt question de chanter le caractère éphémère de la beauté d’une femme un peu… légère.
[iv] Les dégoulinades sentimentales – au profit de l’étrange médecin – occasionnées par ce procès me rappellent cette phrase de Roger Nimier, dans Le Grand d’Espagne : « Les fleurs bleues, le cannibalisme, il suffit de s’entendre et c’est exactement la même chose ».
[v] Cf. Crime et utopie, de F. Rouvillois, p. 224.
[vi] M. Hollande est grand seigneur : il nous laissera le choix.

samedi 21 juin 2014

Le ciel est-il menaçant ?

Ne partez pas si vite ! Non, votre Chatty Corner n’est pas devenu un bulletin météo. Vous comprendrez mieux le titre de la causerie de ce jour en en lisant la suite. Il s’agit plutôt d’évoquer quelques menaces, réelles ou supposées.
Météo quand même
(Ouvrons cependant une parenthèse sur le dernier exploit de M. Fabius, qui s’est enfin réveillé – ou faut-il dire qu’il est enfin sorti de son hibernation ? Voilà qu’il a posé pour Le Parisien en « monsieur météo ». Peut-être pour nous alarmer sur le climat de notre pauvre planète ? Nul ne sait trop, tant désormais la pitrerie prime sur le message. Il paraît qu’il aurait refusé de prendre la pose à côté d’un ours polaire empaillé. Trop grotesque ? Non, pas assez proche des gens. Il faut croire que M. Fabius s’ennuie, les affaires étrangères ne lui donnant en ce moment pas assez de travail. Aïe… On lira avec amusement, à ce sujet, ceci dans Causeur.)
Foutebôle
Mais voici le moment de mettre à exécution mes menaces de la semaine dernière : et si je glissais un mot sur le foutebôle ? Après tout, dans Chatty Corner, il y a corner. Bon, mais alors ce mot sera bref. Car tout a été dit de ce que je pourrais dire sur le foutebôle en particulier et sur le sport en général : les vertus éducatives du sport collectif (effort, dévouement à la collectivité sans mépriser l’exploit individuel, etc.), le plaisir à jouer ou à voir pratiquer un beau jeu (dans ce dernier domaine, j’avoue être plus sensible au rugby, ne serait-ce que pour son mélange apparemment paradoxal de brutalité et de subtilité, pour ne pas dire de complication), tout cela a déjà été dit un peu partout ; de même les dérives du sport professionnel transformé en spectacle mercantile et en outil d’abrutissement des foules, surtout pour ce qui est du foutebôle. D’autres sports sont touchés depuis plus ou moins longtemps. Le rugby n’y échappe pas, du reste. Ainsi, j’ai le souvenir, il y a quelques années, alors que je possédais encore un poste de télévision, d’avoir entendu lors d’une rencontre internationale le commentateur chanter les gladiateurs du XV de France : mauvais signe.
La coupe du monde de foutebôle qui se déroule en ce moment au Brésil semble atteindre le sommet – ou toucher le fond – dans le domaine des dérives, jusqu’à l’indécence : le coût des travaux, les dérangements occasionnés (y compris les expropriations et une explosion des loyers dans les quartiers environnant les stades) et quelques autres désagréments ont eu raison de la patience d’un certain nombre de Brésiliens. Ah, mais ce n’est pas normal, ça ! Le foutebôle, c’est comme une religion, au Brésil, nous diront tous les journalistes, attendris (dont ceux qui, au nom de la laïcité, voient un geste fanatique dans le moindre signe de croix esquissé en public chez nous). Peut-être, mais il est apparemment un moment où le pain et les jeux constituent un menu qui ne suffit pas aux hommes, même au Brésil. Il semble que les Brésiliens se réveillent plus vivement que M. Fabius…
Vous l’aurez compris, je n’aime pas plus que cela les spectacles de gladiateurs.
Autres menaces
Jeudi 19 juin, un événement pénible faisait les gros titres dans la presse en ligne suédoise : dans la vieille ville de Stockholm, un homme se disant muni d’explosifs s’était barricadé dans les locaux d’une quelconque association après avoir adressé des messages menaçants destinés au parti modéré et au parti social-démocrate. Aucun écho dans la presse française, et c’est en fait tant mieux : après des heures de siège, le forcené s’est rendu à la police dans la soirée et il s’est avéré qu’il n’avait aucune bombe avec lui.
Et puis il se passe des choses tellement plus graves : le même jour, vers 19 heures, j’apprenais en écoutant France-Culture qu’un festival de théâtre était menacé en Pologne. Non, ce n’est pas à cause d’une internationalisation du mouvement des intermittents du spectacle. Pensez donc : on projette de jouer dans ce festival Golgotha picnic, pièce d’un obscur dramaturge mexicain bouffeur de curés. L’archevêque de Poznań et des gens moins fréquentables menaceraient d’en perturber les représentations. Le ton était grave dans ce journal de la culture diffusé tous les soirs au début du Rendez-vous, émission où s’assemblent quelques glousseurs branchés qui rigolent comme des idiots de tout ce qui n’est pas eux.
Commençons par dire, comme d’habitude, que ces gens se fichent un peu du monde : comme si l’Eglise catholique (qu’il faut immédiatement associer à des bandes où les idées d’extrême-droite le disputent à l’antisémitisme et à l’éthylisme, surtout en Pologne, ah, l’emprise du clergé en Pologne, mon bon monsieur…) était une ombre menaçante qui plane sur toute liberté – les Polonais apprécieront.
Ajoutons cependant deux ou trois choses à dire aux Catholiques polonais :
Premièrement, réagir ainsi, c’est accorder beaucoup d’importance à une pièce de théâtre dont on peut supposer qu’elle a toute la valeur artistique d’un étron de mulet en train de sécher quelque part dans la Sierra Madre occidentale.
Deuxièmement, d’un point de vue disons terrestre, c’est le meilleur moyen de permettre à l’offenseur de prendre des poses de victime d’une fantasmatique inquisition. Cette pièce fut jouée à Paris fin 2011, au théâtre du Rond-Point. Les protestations que ce spectacle occasionna, qu’elles fussent pacifiques (avec Frigide Barjot et Michael Lonsdale en tête) ou qu’elles se voulussent plus viriles (dans le genre Civitas) permirent au pitre pontifiant qu’est M. Jean-Michel Ribes de jouer les résistants – bien à l’abri derrière un ou deux rangs de CRS, il est vrai.
Troisièmement, et surtout, une telle réaction ne me semble pas très catholique. Un Chrétien doit aimer ses ennemis et même prier pour eux. Ce n’est pas de moi, ni du curé de ma paroisse, ni d’un évêque, ni même du Pape. C’est une parole du Christ. Toujours fin 2011, c’est l’archevêque de Paris qui fournit la seule réponse chrétienne à ces misérables insultes, en invitant les Parisiens à venir vénérer les reliques de la Passion à Notre-Dame. Ce qui nous permit de nous rappeler – et de rappeler – d’une part, que, la Passion du Christ n’est pas une blague et que le spectacle joué au théâtre du Rond-Point n’était qu’un crachat de plus à la face du Christ et, d’autre part, que nous devions prier pour que les cracheurs en comprennent quelque chose.
N’y a-t-il pas en Pologne quelques reliques devant lesquelles les Catholiques polonais pourraient méditer ? Il n’est pas mauvais de chercher à désarmer ses ennemis, tant que c’est en répondant à la haine par le contraire de la haine.

samedi 14 juin 2014

Vanitas vanitatum

Vers l’âge de dix-neuf ou vingt ans, lorsque j’étais en taupe, un camarade et moi exprimions parfois la velléité, devant la sensation de vanité que nous éprouvions dans nos dures études, de mener une vraie vie, en devenant par exemple poètes-voyageurs. Ne me demandez pas ce que cela signifie, et j’ignore si, comme moi, ce camarade, depuis longtemps perdu de vue, a trahi cette vague espérance. Mais il est des jours où je sens comme un aiguillon : et si je changeais de vie ? Allez savoir : peut-être est-ce l’effet de la crise de la quarantaine ou d’une autre bêtise psychologisante du même genre, dont je suppose que les magazines et la littérature populaires sont remplis. Si c’est une midlife crisis, je veux bien, car cela m’amènera jusqu’à quatre-vingt-quatre ans.
La vieillesse est une sieste
Un qui se trouve quelque part entre quarante-deux et quatre-vingt-quatre ans (un tantinet plus près des quatre-vingt-quatre ans que des quarante-deux), c’est M. Fabius. Son dernier exploit, s’il faut en croire la grosse presse, c’est la somnolence qui l’a pris lors d’un déplacement en Algérie. Qui, déjà, a écrit que la vieillesse est un naufrage ? Chateaubriand ? Ou je ne sais plus qui de célèbre cherchant à l’imiter ? Quelle que soit la réponse à cette question, il semble que pour M. Fabius la vieillesse soit plutôt une bonne sieste.
Quelle importance ? Aucune. Si ce n’est pour la grosse presse l’occasion de ne pas nous informer sur ce que pense (ou ne pense pas), dit (ou ne dit pas) ou fait (ou ne fait pas) M. Fabius, qui est après tout notre ministre des affaires étrangères, à propos de bien des sujets sérieux, voire effrayants – comme ce qui se passe en ce moment en Irak[i]. Ni de l’avis de M. Hollande à de tels sujets, s’il en a un.
On embauche à l’Elysée
En ce qui concerne M. Hollande, peut-être l’entend-on peu s’exprimer sur des sujets aussi graves parce qu’il est fort occupé en ce moment. Pensez donc : il a procédé au remplacement de quelques-uns de ses conseillers. Ainsi, parmi les nouveaux admis, se trouve Mme Nathalie Ianetta, nommée conseillère chargée des sports. Car, oui, le président de la république a besoin d’un conseiller chargé des sports. Est-ce pour entretenir sa forme ? Je l’ignore. En revanche, un article du Figaro m’apprend que la dame, âgée de quarante-deux ans, parlait jusqu’ici de foutebôle sur Canal + et que, selon ses désormais anciens employeurs, elle « avait besoin d’air, de changement ». Et, comme chacun le sait, avec M. Hollande, le changement, c’est maintenant.
Loin de moi l’idée de juger ces motifs. D’ailleurs, j’aurai moi-même quarante-deux ans à l'été et, comme je l’ai expliqué plus haut, il m’arrive aussi d’éprouver un besoin de changement. Pourquoi, d’ailleurs, n’offrirais-je pas à M. Hollande de profiter de mes compétences ? En matière de plaisanteries absurdes, par exemple.
Pâtisseries
Il a été récemment question d’un projet de réforme des régions. Sans nous attarder sur les détails, contentons-nous d’observer que ce qui a été mis en avant est l’importance qu’il y a à passer de vingt-deux à quatorze régions en France, en procédant ici et là à la fusion de deux régions limitrophes.
Soit, soit, mais pourquoi quatorze, et pas douze ou dix-sept ? On l’ignore. Pourquoi faire cette réforme sans revoir les limites des régions actuelles, voire des départements ? On l’ignore aussi. En fait, on ignore à peu près tout des raisons de ce projet, si ce n’est qu’il est censé faire faire des économies et qu’il aurait été esquissé en vitesse sur un coin de table à l’Elysée. A ce propos, certains ont dit que désormais « bricolage et bâclage sont les mamelles de la France »[ii]. On pourrait aussi bien dire découpage et coloriage. Et, du reste, pourquoi se limiter à des régions limitrophes ? Lors d’une discussion avec des amis, il y a quelques semaines, nous nous amusâmes à proposer des noms de nouvelles régions pour leur sonorité. Je proposai Alsace-Auvergne[iii].
Bref, tout cela semble un rien primesautier. Bien que l’on nous ait lourdement conditionnés ces derniers mois en nous rebattant les oreilles du mille-feuilles administratif que serait devenu notre beau pays. A la réflexion, cette expression aurait dû nous éclairer : n’oublions pas que le palais de l’Elysée est sis faubourg Saint-Honoré ; autrement dit, en un lieu qui porte le nom du saint patron des pâtissiers[iv]. Mille-feuilles, Saint-Honoré : en somme, M. Hollande n’a pas besoin de conseiller chargé des plaisanteries absurdes.
Si ça continue, je vais me mettre à vous parler de foutebôle.



[i] Il y a en revanche d’excellents propos à ce sujet, chez Koztoujours
[ii] Ici, par exemple.
[iii] Proposition à laquelle il me fut répliqué que les spécialités culinaires de cette nouvelle région risquaient d’être un peu lourdes. Ayant des ancêtres, entre autres lieux, sur les versants méridionaux du Massif Central (pas en Auvergne, mais à côté) et sur les versants orientaux des Vosges, je ne suis pas de cet avis.
[iv] Et d’un gâteau portant le nom de ce saint.

samedi 7 juin 2014

Liberté pour les rois !

L’abdication du roi d’Espagne, lundi dernier, m’a rappelé (sans me vanter) quelques réflexions (à lire ici) qui m’avaient été inspirées par celle du roi des Belges l’an dernier. Réflexions qui méritent du coup quelques compléments. Que voici.
« Ô cruel souvenir de ma gloire passée ! »
C’est au fond ce que pourrait dire ce vieux roi qui s’en va (et après tout, Le Cid se passe en Espagne) : les dernières années de son règne  auront été marquées par divers scandales n’épargnant pas la famille royale espagnole. Il y a lui-même contribué il y a quelques années, partant en Afrique chasser l’éléphant tandis que son peuple ne nageait pas dans la prospérité.
Sa gloire passée ? Quelle est-elle ? Celle d’avoir rétabli la royauté en Espagne, rétablissement qui n’eut rien d’une restauration emperruquée, de celles qui, sous des airs de renaissance, sont souvent de mornes agonies – que l’on pense, en France, à Charles X. Ce rétablissement se fit au prix d’une démocratisation qui impliquait un certain effacement du roi, peut-être excessif (nous y reviendrons), mais était-il possible d’envisager une solution plus originale ? Je l’ignore. Et puis, que voulez-vous, l’air du temps…
Cet effacement trouva cependant d’heureuses limites en 1981 lorsque, en tant que chef des armées, le roi n’eut besoin que d’un discours pour mettre un terme aux élucubrations putschistes d’un colonel de la garde civile pris soudain d’une nostalgie du temps de Franco sous des formes quelque peu turbulentes. Ce qui prouve qu’au moins en ce temps, il restait quelque autorité au roi d’Espagne.
Or voici qu’on entendait ces derniers jours dans la grosse presse française que certains Espagnols souhaiteraient qu’un référendum décidât de la poursuite ou non de la monarchie. Je crois que quelques avertissements, ou éclaircissements, leur seraient nécessaires.
Aux républicains espagnols
Reprenons les motifs de reproches et d’éloges évoqués plus haut et transposons-les dans une république. En France, par exemple.
Eh bien, nous eûmes de 1981 à 1995 un président de la république bigame, qui logeait sa maîtresse et leur fille aux frais de l’Etat. Entre deux affaires de la fin de son second septennat, un de ses amis se tira une balle dans la tête en plein palais de l’Elysée. Ce président, avec de telles histoires, démissionna-t-il pour autant ? Non. Bien que son âge fût avancé et sa santé plus que chancelante, il s’accrocha au pouvoir jusqu’au terme de son mandat. Plus récemment, M. Hollande, dans une ambiance moins dramatique, fit rire pas mal de monde avec ses affaires de scooter et le congé qu’il donna à Mme Trierweiler, laquelle avait son bureau (à quel titre ?) à l’Elysée… Mais assez bavé sur mon pays : les républiques étrangères ne manquent pas de frasques grotesques – que l’on veuille bien penser aux aventures de M. Clinton…
En résumé, la république n’épargnerait aux Espagnols ni la corruption, ni le népotisme, ni d’autres frasques.
Imaginons maintenant un colonel de gendarmerie un peu fêlé qui entrerait, avec quelques complices, à l’Assemblée Nationale et menacerait les députés d’un pistolet, déclarant sa volonté de prendre le pouvoir. La réaction de nos députés serait sans doute comparable à celle des députés espagnols en 1981 : à ce qu’on dit, tous se réfugièrent derrière leurs pupitres, à quatre pattes, à l’exception d’un communiste et d’un ancien franquiste. Mais que ferait notre président ? Un gentil discours plein de « euh » ? Et tous de hausser les épaules tandis qu’il serait parti se cacher au fond d’un bunker, tremblant à l’idée que le susnommé colonel fêlé pourrait inspirer ses gardes. Cela n’est pas posé pour attaquer personnellement l’actuel hôte du faubourg Saint-Honoré : ce scénario aurait pu convenir à son prédécesseur.
(Il est à observer qu’en 1961 de Gaulle mit rapidement fin à une révolte militaire et qu’en 1969 il démissionna ; il est vrai que d’aucuns le soupçonnent de ne pas avoir eu de sentiments plus républicains que cela.)
D’où vient la différence ? Quelqu’un peut-il me dire si le roi d’Espagne ne serait pas roi par la grâce de Dieu ? Ce qui lui donne sans doute à la fois une autorité plus respectée (n’émanant pas de sa seule petite personne) et une plus grande humilité (pour les mêmes raisons) qu’un président quelconque, somme toute interchangeable, qui s’est retrouvé là par le hasard du vote, le boniment électoral et la lassitude éprouvée à l’égard de son prédécesseur.
D’ailleurs, il faudrait signaler – amicalement – à nos voisins espagnols que nous serions en droit de nous demander si ce n’est pas la république qui est un peu usée chez nous…
Dans les pages pipôle
Les monarchies européennes souffrent toutes en gros du même problème : souvent, les rois, les reines et les princes ne sont plus que des bibelots plus ou moins élégants, que l’on promène ici et là à des fins décoratives. Ils ont parfois du mal à tenir des propos intéressants sur le gouvernement de leurs pays et, lorsqu’ils y parviennent, ils se font rabrouer aussitôt par des politiciens qui n’apprécient guère que l’on perturbe leurs jeux par quelques commentaires.
Il est vrai que lesdits politiciens, depuis cent cinquante ans environ, ont patiemment grignoté ce qui restait de pouvoir à leurs rois. Lesquels ne se sont pas toujours fait prier pour céder de leur autorité, soit par crainte de s’opposer au sens de l’histoire, soit par paresse.
Quel a été le résultat de cet abandon ? Eh bien, entre un défilé et une réception, les princes s’ennuient. Les plus sages s’occupent en créant des fondations charitables, en cultivant leurs terres ou leur esprit, ou en servant dans l’armée. Les autres s’amusent avec faste en faisant rêver les midinettes et gagner de l’argent aux propriétaires de journaux cucul. Au fond, plus grand-chose ne distingue ces princes fêtards des stars, si ce n’est que ces dernières ont parfois quelques talents. Il ne reste plus à quelques bonnes âmes libérales qu’à suggérer que ces amusements coûtent cher, et…
On l’aura compris, pour les princes fêtards, les carottes sont peut-être déjà cuites. Leur insignifiance est le dernier fruit de la paresse et de la pusillanimité de leurs aïeux. Et les princes sages ? Pourquoi ne pas leur offrir une position d’arbitre, de recours ? Il n’est pas dit qu’un roi exerçant effectivement son autorité doive être un monarque absolu.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas libérer les rois ? Et leur accorder une place réelle et originale ?
Un prénom très porté
Le nouveau roi d’Espagne se nommera Philippe VI. Déjà, l’an dernier, la Belgique héritait d’un Philippe. Précisons que le fils du roi de Suède, Charles Philippe, n’est pas l’héritier direct du trône…