vendredi 26 février 2016

Au détour d’une biographie

Les habitués de ces humbles notes savent quelle est l’admiration de leur auteur pour l’œuvre d’Evelyn Waugh, en particulier pour ses romans. Or Waugh fut aussi, à ses heures, biographe : de Dante Gabriele Rossetti[i], d’Edmund Campion[ii] et de Mgr Ronald Arbuthnott Knox[iii].
Les deux dernières de ces biographies sont évidemment l’œuvre d’un catholique. Catholique, Waugh le fut certainement de manière imparfaite[iv] (mais pas plus imparfaite que vous ou moi, peut-être), voire maladroite sur le tard. Magnifique aussi de temps à autre au détour de certains de ses romans, nouvelles ou articles. Dans le récit qu’il donna en 1959 de la vie de Mgr Knox, le grand écrivain s’efface derrière le biographe scrupuleux[v], délicat et amical.
Nous connaissons peu, nous autres Français, la figure de Ronald Knox (1888-1957). Fils d’un évêque anglican et petit-fils de deux prêtres de la même confession, il fut lui-même ordonné après ses études à Eton puis à Oxford. Brillant prédicateur, critique littéraire précoce, grand érudit, cultivant avec quelques amis une certaine exigence spirituelle et liturgique non dénuée de sens de l’humour et de la satire, il avait une belle carrière devant lui dans l’Eglise anglicane. Or, en 1917, il se convertit au catholicisme – au grand regret de son père – avant d’être ordonné prêtre – catholique donc, cette fois – en 1918. Il enseigna ensuite quelques années dans un collège catholique avant d’être l’aumônier des étudiants catholiques d’Oxford jusqu’en 1939, et de contribuer à une nouvelle traduction anglaise de la Bible. Dans des domaines plus profanes, il fut aussi l’auteur de quelques nouvelles et romans policiers ainsi que d’un canular radiophonique qui n’est pas sans évoquer, avec des conséquences moins dramatiques, ce que fit Orson Welles douze ans plus tard de La Guerre des mondes. Et, s’il avait cessé de briller parmi de jeunes intellectuels anglicans, il gagna bientôt l’amitié d’écrivains comme Hilaire Belloc, G.K. Chesterton, puis Evelyn Waugh.
Ces glorieuses apparences ne sauraient cacher un homme maladif (dyspeptique, pour être précis) et mélancolique, puisant ses forces dans sa confiance en Dieu. C’est du reste pour cette raison que l’on peut parler à son sujet de conversion, si l’on en croit Waugh, là où l’on eût pu, par amitié pour nos frères anglicans, évoquer sa réception dans l’Eglise catholique. Les pages où Waugh fait le récit de cette conversion indiquent une crainte chez Ronald Knox, celle de perdre sa foi s’il n’ose franchir le pas : peur de sombrer dans une routine et une facilité desséchantes ?
La crainte de cette sécheresse n’est pas son seul lot : on la retrouve dans la citation que fait Waugh d’une lettre de Mgr Knox à une dame qui la lui avait exprimée :
« Etre sec pendant le carême quand notre Seigneur jeûna, se sentir irréligieux le vendredi Saint, quand notre Seigneur endura la déréliction – tout cela est tout à fait correct et conforme à la liturgie… Lorsque "vos prières sont exaucées de quelque manière", dites : "je suis une créature si faible que Dieu doit me donner des sucreries." »[vi]
En somme, ne pas désespérer de nos prières, qu’elles soient apparemment exaucées ou non, ni nous sentir découragés si nous nous sentons encore loin de la sainteté. A propos de sainteté et de distance, Waugh note du reste (à propos de Mgr Knox) :
« Il avait tant avancé en sagesse et en sainteté qu’il se détourna de honte devant le portrait exact de ce qu’il avait été. »[vii]
Cette honte éprouvée par Mgr Knox a en fait pour objet la réédition, trente ans après sa première publication en 1917, d’un de ses livres. Au pire, on pourrait croire à une modestie quelque peu affectée. Ou, mieux, à une forme d’humilité. Sans pouvoir rien affirmer sur l’éventuelle sainteté de Mgr Knox (nous n’en savons rien, et il ne nous appartient pas d’en juger), observons comme Waugh en parle : « il avait tant avancé… » ; un homme toujours en chemin. Une sorte de conversion perpétuelle, ce dont nous avons besoin, en somme.
Cette biographie pourrait constituer une bonne lecture pour le carême...


[i] Rossetti: His Life and Works (1927)
[ii] Edmund Campion, Jesuit and Martyr (1935)
[iii] The Life of Right Reverend Ronald Knox (1959)
[iv] A une amie qui lui demandait un jour comment il pouvait se dire chrétien et être aussi méchant, il répondit que ce serait deux fois pire s’il n’était pas chrétien. Bon mot à part, cela semble aussi lucide qu’humble.
[v] Il était l’exécuteur littéraire de Mgr Knox.
[vi] Pauvre traduction par mes soins de : ‘To be dry in Lent when our Lord fasted, to be feeling irreligious on Good Friday, when our Lord suffered dereliction – all that is quite correct and liturgical… When you do “get any kind of satisfaction out of one’s prayer” say: “I’m such a feeble creature God has to give me sweetmeats”’.
[vii] Pauvre traduction par mes soins de :He had travelled so far in wisdom and holiness that he shrank shamefully from the exact portrait of his former self.

lundi 22 février 2016

Bon dessin, affreuse effigie

Avant de passer à des choses plus sérieuses (encore que), comment ne pas ajouter deux brefs appendices à mon récent « service de semaine » ?
Le Pape et Donald Trump
On sait quel bruit a fait un bref et pertinent commentaire du pape au sujet de récent propos de M. Donald Trump, candidat à la candidature républicaine aux Etats-Unis d’Amérique. M. Trump défend au pape d’estimer quels propos sont d’un chrétien ou ne le sont pas. Il faudra alors que ce monsieur explique par quelle autorité il peut dire s’il parle en chrétien ou non, s’il n’accorde pas cette autorité au pape…
Tout est fort bien résumé dans un excellent dessin paru dans un journal du Minnesota, fatalement obscur pour nous autres, pauvres Européens, et c’est ici.
Carnaval à Saint-Jean-de-Luz
M. Trump provoque paraît-il l’admiration de pas mal de droitards français qui, du coup, se sont mis à maudire notre Saint-Père, se fendant de touits approximatifs et d’une finesse digne de leur nouvelle idole. Mais n’allons pas croire que cette finesse est le monopole de la droite. A gauche aussi on sait finement critiquer l’Eglise catholique. On put lire aujourd’hui dans le Figaro (voir ici) que lors d’un carnaval à Saint-Jean-de-Luz l’effigie de Mgr Aillet, évêque de Bayonne, fut brûlée en public. Un élu local n’a pu s’empêcher de céder à ce prurit contemporain qui se nomme le touit : « A St Jean, au procès de Zanpantzar, internationalistes on juge aussi le FN et féministes on juge Mge Aillet ! Fier ».
Oh, certes, ce n’était qu’un carnaval et ce n’était qu’une effigie. Certains auront beau jeu de revendiquer je ne sais quelle irrévérence ou encore quelque potacherie. Pour ma part j’y vois de la haine : cette effigie était explicitement celle d’un homme bien précis. En résumé, à Saint-Jean-de-Luz, il y a des élus fiers de baver leur haine. Et c’est encore plus répugnant que les éructations de M. Trump.

jeudi 18 février 2016

Service de semaine

Politiquement incorrect -
Après avoir vanté il y a deux semaines la puissance de travail de Mme Taubira, j’ai été pris d’un doute infâme : pour écrire un livre en trois semaines tout en exerçant ses fonctions de ministre, se pourrait-il que Mme Taubira ait eu recours aux services d’un nègre ? Non, certainement, ce serait affreux. Imaginons au pire ceux d’un ghost writer, pour user d’une locution globiche. Du reste, un écrivain fantôme, voilà qui ajouterait quelque mystère aux Murmures à la jeunesse de Mme Taubira. Mais nous n’en savons rien, après tout.
Poésie gouvernementale -
Ce qu’il y avait à redouter avec la démission de Mme Taubira, c’était la perte d’un souffle poétique dans notre gouvernement. Fort heureusement, la poésie ne l’a point déserté[i] : nous avons maintenant un secrétariat d’Etat à l’égalité réelle. Le caractère sibyllin de ce titre est un trait de génie. Il stimule l’imagination. Chacun s’interroge sur sa signification et les plus inspirés avanceront des hypothèses. Les propositions sont à envoyer à M. le Premier ministre, à l’hôtel de Matignon. C’est un service à lui rendre, à travers lui à la Rrrrépublique, et à travers icelle à la France.
Au fond, ce remaniement pourrait être résumé par un conte-minute, inspiré d’Andersen :
Les nouveaux habits du président *** -
-          Mais il n’en a pas ! s’écria le passant.
-          Et alors ? lui répondit un policier. Ça vous dérange, espèce de réac pudibond ? Circulez, avec vos idées d’un autre âge.
Et, reprenant son office de passant, il passa son chemin.
Franche inculture -
On sait que Mme Fleur Pellerin a fait les frais du récent remaniement ministériel : congédiée comme un sous-fifre, paraît-il, elle n’est plus ministre de la culture.
Elle a été beaucoup moquée lorsqu’elle occupait ce poste, ayant un jour affirmé ne pas avoir le temps de lire des livres. Souhaitons-lui d’en avoir un peu maintenant.
Peut-être prendra-t-elle aussi celui d’écouter France-Culture ? Dans ce cas, conseillons-lui la prudence. Ainsi, samedi 13 février, on pouvait entendre dans le Salon noir, émission d’archéologie, un spécialiste des champs de bataille de la Grande Guerre expliquer l’obsession de Raymond Poincaré pour la revanche sur l’Allemagne par sa naissance à Bar-le-Duc, ville sise en territoire allemand depuis 1870. Va pour la revanche, mais Bar-le-Duc en territoire allemand ???????!!!
Ne faudrait-il pas inclure, si ce n’est déjà fait, des cours d’histoire et de géographie dans la formation des archéologues ? Ce serait plus sûr.
Caricature -
Cessons d’accabler la gauche. La droite a elle aussi ses artistes. Ainsi, M. Luc Chatel, nouveau président du conseil national des Républicains, déclarait lundi 15 février que « les Républicains doivent être […] le parti du gaz de schiste, des OGM, des biotechs… »
Mais qu’ont-ils tous à vouloir ressembler à ce point à des caricatures ?[ii]
(Bon. Au moins, ne nous plaignons pas : à défaut de savoir pour qui voter l’an prochain, le choix s’élargit quant à savoir pour qui ne pas voter.)
Le Saint-Esprit à Cuba -
Mais écartons cette écume pour nous réjouir : le pape François et le patriarche orthodoxe de toute la Russie, Cyrille 1er, se sont rencontrés à Cuba ! Une rencontre fraternelle, nous dit-on, assortie d’une forte déclaration commune.
Après une séparation multiséculaire, que de joie et d’espérance ! L’Esprit souffre où Il veut, y compris à Cuba. Et en octobre le pape rencontrera des responsables luthériens en Suède…
Bien sûr, ne rêvons pas de je ne sais quelle fusion, mais espérons plutôt une plus étroite fraternité : mon frère et moi ne serons jamais le même homme, mais nous serons toujours frères.
Dans un domaine plus profane, ceux qui ont la charge des relations internationales devraient y songer quelquefois.




[i] En revanche, évitons le tentant jeu de mots qui consisterait à surnommer M. Placé le bien nommé. Ce serait déplacé.
[ii] Signalons quand même quelques réflexions intelligentes inspirées par cette dérisoire sortie de M. Chatel à Gaultier Bès (voir ici).

vendredi 12 février 2016

Les petits chapeaux

Commençons par un souvenir d’enfance : l’appellation chapeau chinois donnée à l’accent circonflexe par l’institutrice. Ce devait être en onzième (ou au cours préparatoire, si vous préférez), donc pour moi fin 1978 ou début 1979. Je me rappelle avoir trouvé ridicule cette expression : pourquoi, d’une part, ne pas laisser tranquilles les Chinois et, d’autre part, ne pas appeler les choses par leur nom ? Ce que je me rappelle aussi, c’est un avertissement de l’institutrice : attention, il y a un i après le premier o dans oignon.
Or voici qu’à propos notamment d’oignons et d’accents circonflexes on s’énerve sur une réforme datant de 1990, censée simplifier l’orthographe française. (Un autre souvenir : en 1990, je passais mon bac et une jolie condisciple me dit que, grâce à cette réforme, on pourrait désormais paraître culturé à peu de frais.) Nul ne sait trop si finalement cette réforme a été appliquée. Peut-être, à lire çà et là un disgracieux évènement. En revanche, je n’ai jamais vu paraître le mot ognon. Et je m’en réjouis.
Les plus inquiets redoutent une disparition de l’accent circonflexe. Il n’en est rien, semble-t-il. Il disparaîtrait seulement des u et des i lorsqu’il n’est pas appelé à y trôner pour des raisons de conjugaison : en résumé, selon cette géniale réforme, on écrirait paraitre à l’infinitif et qu’il parût à l’imparfait du subjonctif. Si cela est bien le cas, est-il permis de demander où se trouve la simplification ?
Du reste, je trouve quelque peu incongru que des autorités entendent réformer l’orthographe d’une langue. L’usage le fait fort bien, et il suffira à quelque autorité, l’Académie française, par exemple, d’en valider ou non l’évolution. Ajoutons que toute langue a ses bizarreries, qui font souvent une partie de son charme. Le français n’en a pas le monopole. Pensons au S-Zett allemand, remplacé par deux s au gré d’une réforme récente. Celle-ci, comme d’autres plus anciennes (consistant par exemple à passer du c au z pour le son ts devant un i ou un e ou à supprimer quelques h après des t) n’a point fait trop de dégâts : l’allemand conserve toujours son allure hérissée ou envoûtante, selon les préjugés des uns ou des autres. Il en va autrement de l’orthographe suédoise qui, il y a un siècle environ, a subi un rabotage assez brutal : adieu aux hv, remplacés par des v au début des mots interrogatifs, ou encore à quelques fv, comme dans hufvud (tête). De baroque, le suédois est devenu lisse et fonctionnel, caractère qui s’est aggravé en officialisant une radicale simplification des conjugaisons. C’est fort pratique, mais assez ennuyeux. Cela fait penser à ces plaques de couleur grise dont certains Suédois revêtirent dans les années 1950 leurs jolies maisons de bois rouge : pratiques, isolantes, mais mornes (sans compter l’éventuelle présence d’amiante…).
Mais revenons à nos petits chapeaux. Il peut être de bon ton d’en porter, surtout s’ils sont ridicules, au moment du carnaval. Le carnaval est une assez belle tradition, quand il ne devient pas une simple attraction touristique et quand il n’a pas trop perdu de son sens – un peu d’amusement avant de se mettre en route vers Pâques[i]. Tournons donc le dos à Venise, à Rio de Janeiro ou à la Nouvelle-Orléans, avec tout le respect dû à ces villes. Pensons plutôt au carnaval de quelque petite ville du Nord de la France, d’une fantaisie plus spontanée. Ce n’est pas toujours fin, mais la finesse n’est pas ce que l’on attend d’un carnaval.
A Calais, samedi 6 février, un rassemblement pour le moins groupusculaire semble avoir remplacé toute idée de carnaval. La police arrêta même un général de corps d’armée à la retraite. Dieu merci, ledit général n’avait pas eu la mauvaise idée d’arborer à cette occasion un autre petit chapeau, fort sérieux celui-là, son képi[ii]. Personnellement, je n’aime pas que l’on porte un uniforme hors de propos, que cela soit une posture fana-mili ou une pose antimilitariste. Il semble que le général Piquemal partage cette délicatesse, et je l’en félicite respectueusement. Quoi qu’il en soit, il a affirmé depuis avoir regretté de s’être mêlé à une manifestation d’inspiration pégidesque, ce dont je le félicite tout aussi respectueusement. Il aurait dû toutefois y réfléchir avant, histoire de ne pas nourrir trop de fantasmes chez les bourgeois de gauche (de Calais ou d’ailleurs) ou les énervés de droite, un 6 février, qui plus est[iii]. Aurait-il eu un instant la tête un peu trop près du bonnet ? 


[i] Soit dit en passant, la route est ouverte depuis mercredi !
[ii] Le Petit Robert donne comme étymologie pour képi : de l’allemand Käppi, signifiant petit chapeau ou petite casquette.
[iii] Une excellente synthèse a été donnée de tout cela par Patrice de Plunkett, ici

vendredi 5 février 2016

Le théâtre des opérations

Au détour d’un entretien (diffusé sur France-Culture samedi 30 janvier) où il évoquait son expérience de reporter de guerre, Jean-Claude Guillebaud s’est fendu de deux remarques fort intéressantes touchant aux malheurs du monde contemporain.
La première de ces remarques était la protestation d’un chrétien contre une idée exprimée çà et là selon laquelle les religions, et en particulier les religions monothéistes, seraient des facteurs de guerres et de massacres. Pour ce qui est des religions, Jean-Claude Guillebaud fit observer que ce genre de considération suffirait pour dérider un auditoire russe : c’est que l’athéisme soviétique a laissé un lourd bilan. En ce qui concerne le monothéisme, certains, comme Michel Onfray (selon Guillebaud) lui opposeraient la douceur des civilisations polythéistes : Guillebaud les a poliment renvoyés à l’histoire de la Grèce antique, les invitant à lire ou relire Thucydide.
La seconde portait sur son étonnement de voir à quel point nos gouvernants semblent désemparés devant la violence des temps. Détresse qui paraît, par contagion, se répandre à la population. A quoi Guillebaud a opposé la fermeté des Londoniens sous le blitz, moment où leur ville fut dévastée et où périrent bien plus de victimes que lors des affreux massacres de novembre.
La première remarque se suffit à elle-même tant elle est claire et juste. La seconde est plus discutable[i], mais tout n’y est pas faux : nos autorités semblent bien peu à la hauteur des événements, essayant des trucs en panique.
Par exemple, notre gouvernement, suivi et encouragé en cela par l’opposition, veut déchoir de la nationalité française des « bi-nationaux » reconnus coupables ou complices d’actes ou de projets terroristes. Vu les terroristes auxquels nous avons affaire, il y a fort à parier qu’une telle punition les laisse tièdes. Et, si j’en crois les observations de personnes plus versées que moi en droit, ce genre de disposition existe en fait déjà[ii]. Supposons donc qu’il y a peut-être mieux à faire pour combattre nos ennemis. Et, dans un pays où l’on aime répéter que nul n’est censé ignorer la loi, qu’en est-il du gouvernement et des législateurs ?
Cette affaire de déchéance fait du bruit depuis pas mal de semaines, et c’est elle qui aurait poussé Mme Taubira à la démission. Ayant personnellement assez manifesté contre une loi portant son nom[iii], je devrais peut-être me réjouir. Bon, je ne vais pas pleurer, mais je n’éprouve aucune envie de l’accabler : Mme Christiane Taubira n’est pas la loi Taubira ; les insultes, les bananes, très peu pour moi. Saluons en elle, au contraire, une personne qui a su donner à la langue de bois un ton nouveau, plus tropical, plus poétique. Il est des personnes férues de bandes dessinées (plus précisément des aventures de Spirou et Fantasio) pour comparer cette éloquence à celle du maire de Champignac[iv]. Certes, certes… mais alors un maire de Champignac qui aurait lu René Char et, bien entendu, Aimé Césaire. Pour résumer ses discours, on pourrait écrire : « Triomphe de l’orteil, nocturne dans sa jubilation éternelle »… Mais cessons de nous lamenter, Mme Taubira ayant laissé pour célébrer dignement sa démission, un livre écrit, paraît-il, pendant les trois semaines précédant celle-ci. Quelle puissance de travail ! Le titre ? Murmures à la jeunesse[v].
(Cette évocation de Mme Taubira et de la loi qui porte son nom est une bonne occasion de saluer les manifestants qui furent, paraît-il, deux millions à Rome samedi 30. Et, tant que j’y suis, de récentes « brèves » de Basile de Koch qui tombent fort à propos au sujet de M. Sarkozy et de « Sens commun ».)
Quand même, alors que les temps sont graves au point que le gouvernement le reconnaisse de temps à autre, nos politiciens se montrent toujours aussi dérisoires. Pour revenir à l’entretien accordé par Jean-Claude Guillebaud à France-Culture, entre deux sottises (sur la Bible, notamment), la journaliste de service a émis une hypothèse pertinente : la panique qui frappe la France et l’Europe en ce moment n’a-t-elle pas pour origine l’absence de théâtre des opérations bien circonscrit dans la guerre qui nous est faite ? Ce n’est pas impossible. En revanche, ce qui ne manque pas, ce sont les opérations de théâtre. C’est souvent drôle, mais pas toujours rassurant.




[i] Pour reprendre des termes chers à Bernanos, ce dont on peut discuter, c’est si ce sont les tripes ou les cœurs qui s’endurcissent dans de telles circonstances. Aucune objection en ce qui concerne les tripes, mais quant aux cœurs… disons pour ces derniers qu’il vaut mieux préférer la fermeté à la dureté.
[ii] Voir ici chez Koztoujours, par exemple.
[iii] Sans me vanter ni encore moins poser à l’ancien combattant : un petit rappel ici
[iv] Comparaison chère – pas seulement en ce qui concerne Mme Taubira – à Patice de Plunkett. On lira ici avec profit son avis sur la démission de Mme Taubira.
[v] Ce qui prouve qu’il n’y a pas que la droite à se sentir prise de démangeaisons littéraires. De ce dernier côté, il ne reste plus qu’à attendre La Pension Wauquiez