mardi 29 septembre 2015

Le néant s’invite à Versailles

On apprenait au début de cette semaine (ici par exemple) que, pour la quatrième fois, l’exposition d’œuvres de M. Anish Kapoor dans les jardins du château de Versailles avait fait l’objet d’actes de vandalisme. Il semble que cette quatrième « attaque » ait fait moins de bruit que la précédente. Tout lasse…
Remarquons que l’exposition de déchets onéreux appelés œuvres d’art contemporain dans les jardins du château de Versailles est à la mode depuis quelques années. La liste intégrale des « artistes » ainsi exposés m’échappe, mais on y relèvera des noms comme celui de l’omniprésent Jeff Koons.
Ce genre de cirque a ses partisans, qui se recrutent en général dans une bourgeoisie argentée, moderne et citoyenne du monde, ou dans la partie de son personnel qui œuvre dans le journalisme culturel ou goûte celui-ci. Il s’agit pour lesdits partisans, sans doute, d’exalter le dialogue entre le moderne et l’ancien. Il a aussi, notons-le, ses ennemis acharnés, horrifiés par le sacrilège qu’il constituerait.
Tâchons de garder la raison : aucun dialogue, aucune confrontation n’est possible entre un lieu aussi magnifique que le château de Versailles – un des sommets de la civilisation française – et quelques bidules aussi clinquants qu’insignifiants ; quant au caractère sacré de Versailles, il m’échappe : dans ce monument érigé par Louis XIV à sa propre gloire, ses deux successeurs, croit-on savoir, s’ennuyèrent fort. Et leur retrait sur cet Olympe dont ils avaient hérité ne les aida certainement pas à se faire aimer du peuple (à commencer par celui de Paris[i]).
Dans de telles dispositions, on ne voit pas de réelle matière à scandale. Le Dirty Corner[ii] de M. Kapoor (dit aussi le Vagin de la reine[iii]) mérite surtout des haussements d’épaules. Le seul scandale dans cette affaire résiderait dans le coût de ce genre d’installation, que nous ignorons d’ailleurs.
La troisième « attaque » contre ce Dirty Corner, donc, avait fait du bruit voici quelque temps. C’est qu’elle avait consisté en l’écriture de graffitis plus ou moins abscons dont certains pouvaient être considérés comme antisémites (voir ici par exemple).
« Encore un coup des royalistes ! » se serait écrié M. Kapoor, avant de décider de conserver, pour l’exemple sans doute, ces brumeuses inscriptions. Décision qui appelle deux remarques.
La première portera sur « les royalistes ». Ayant personnellement, sans pour autant militer dans quelque parti, mouvement ou groupuscule quelconque, une forte sympathie pour l’idée d’avoir un roi en France, je tiens à préciser que je ne goûte guère ce genre de graffitis. Sans pouvoir affirmer qu’ils sont en effet l’œuvre de « royalistes », je n’ignore pas que dans certains milieux se voulant tels il existe un certain nombre d’esprits, disons… un peu fatigués. Peut-être faudrait-il leur suggérer que les fleurs de lys, eh bien, cela ne se fume pas.
La seconde a pour objet la décision de M. Kapoor. Elle n’est pas, après tout, sans une certaine cohérence. Car là, le dialogue est possible entre deux formes d’insignifiance. Contrairement à ce que certains pourraient croire à première vue (qu’ils soient des admirateurs de ce bric-à-brac dément ou de ceux qui le couvrent de graffitis non moins déments), M. Kapoor et ses adversaires sont bien du même monde : celui du néant.
Il n’y aura donc aucune raison de regretter cette quincaillerie lorsque le château de Versailles en sera enfin débarrassé et que chacun pourra jouir pleinement de sa splendeur guindée. Jusqu’à la prochaine exposition…


[i] Vous aurez reconnu là les propos d’un Parisien.
[ii] Et non Chatty Corner, s’il vous plaît. Encore qu’avec sa forme de cornet acoustique géant, il pourrait faire penser à un coin bruissant de bavardages…
[iii] Je n’ai pas réussi à comprendre si ce nom, plus ridicule que scandaleux, a ou non quelque caractère officiel. Mais il faut reconnaître que cette partie du corps – surtout chez une reine – a quelque chose de plus sacré que les pierres de Versailles, aussi belles soient-elles. Elle mérite qu’on la laisse en paix et qu’on n’en parle pas.

mardi 22 septembre 2015

La vue est courte

Il n’aura échappé à personne – ou à peu près – que, depuis quelques semaines des milliers de personnes venues notamment de Syrie parcourent en tous sens les routes d’Europe. Ces personnes constituent la part visible – et désormais sensible – d’un mouvement entamé depuis des années, mais qui nous touchait sans doute moins tant qu’elles s’entassaient dans des camps au bord de la Méditerranée.
Il nous sera donc de plus en plus difficile de faire comme si ces gens n’étaient pas là. Nos réactions ne pourront certainement plus se résumer à de vaines et éphémères pleurnicheries ni à de tout aussi vaines ratiocinations. Même s’il faut reconnaître que la publication récente de la photographie d’un petit garçon mort sur un rivage a donné lieu à des réactions particulièrement caricaturales dans les deux sens : entre les donneurs de leçons médiatiques et les autoproclamés experts en noyade flairant la mise en scène, il n’est pas indispensable de choisir son camp…
La seule sagesse réside bien sûr dans un accueil prudent. Le pape, par exemple, n’a pas dit autre chose, enfin il me semble. Ce dont on peut déduire que des efforts seront demandés aux populations des différents pays d’Europe, mais aussi à ceux qui prétendent les gouverner.
Dans le cas de ces derniers, il s’agit donc d’encadrer ce mouvement : non en faisant tomber les frontières, mais en les entrouvrant et en se renseignant efficacement sur ceux qui les franchissent.
Or le moins qu’on puisse dire des gouvernements européens est qu’ils se livrent depuis début septembre à de flamboyantes démonstrations d’improvisation. Les uns et les autres font montre tour à tour d’une générosité frisant l’aveuglement et de postures mimant la fermeté et révélant souvent une forme d’égoïsme : en résumé, ils veulent faire « humain » ou faire « homme », selon leur humeur[i].
Du reste, il n’y a rien d’étonnant là-dedans, si l’on pense à la Syrie et si l’on prête foi à de récentes déclarations de M. Martti Ahtisaari, ancien président finlandais. A l’en croire (ici dans le Guardian ou dans le Figaro), bien des horreurs auraient pu être évitées dès le début de 2012 si une proposition émanant de la Russie avait été prise au sérieux par d’autres. Pensez-vous : une proposition russe ! Peuh…
Début 2012 ? En France, nous allions passer, disons de Sarkozy-Fillon-Juppé à Hollande-Ayrault-Fabius. Laissons tranquille M. Ayrault, qui compte sans doute pour du beurre (nantais, bien entendu), mais n’oublions pas les autres. Peut-être, dans leur légèreté, se sont-ils rendus coupables d’une faute des plus graves. N’étant pas connaisseur en matière de diplomatie, j’ignore si la proposition russe était réalisable. Mais elle eût certainement valu la peine d’être examinée.
Nos mirobolants politiciens rendront-ils jamais des comptes pour de telles fautes ? Allons, ils seront capables de dire qu’il n’est pas bon de remuer le passé (dont ils ont d’ailleurs su tirer toutes les leçons), et que c’est l’avenir qui compte.
Il y a des choses importantes en ce moment : bientôt les élections régionales ! Les plus ambitieux, les plus visionnaires, songent même à 2017.

[i] Ne parlons pas des Etats-Unis, où les gouvernants semblent n’avoir cure de cette histoire, sans se soucier de leur part de responsabilité dans ce drame…

vendredi 11 septembre 2015

Motifs et prétextes (3) : « Derniers jours » (C.H. Wijkmark)

 « Toute ressemblance avec des événements ou des personnages réels serait vraiment l’effet d’une mauvaise chance ». Les lecteurs attentifs ou inconditionnels de Roger Nimier auront reconnu là l’avertissement qui précède un de ses romans, Perfide. Bien entendu, il n’en est rien. On pourrait faire la même remarque sur Derniers jours[i], un roman de Carl-Henning Wijkmark. Encore que la piste du roman à clefs soit ici une impasse, tant les clefs sont transparentes, et donc volontairement neutralisées.
Une certaine familiarité
Une nuit de septembre 1962, sur l’autoroute de l’Ouest, peu après la sortie du tunnel de Saint-Cloud, une puissante voiture de sport, venant de Paris à plus de cent cinquante kilomètres à l’heure, percute un pilier de béton. Le conducteur, un écrivain et journaliste encore jeune, mourra de ses blessures peu après son transfert à l’hôpital de Garches.
Ainsi périt René Masselon, admiré pour ses rares romans, dont on retiendra le premier, Les Fils prodigues, avant de renoncer à une œuvre plus longue pour se jeter dans le journalisme et la critique littéraire, officiant notamment dans Arts. Le narrateur, Lennart Gelin, un jeune journaliste suédois, tâchera de comprendre qui était vraiment cet ami de fraîche date. Et n’y parviendra sans doute pas.
Le personnage de Masselon, on l’aura compris, emprunte bien des traits à Roger Nimier. A première vue, en fait : cette ressemblance serait plutôt à considérer comme une convention permettant de situer de manière générale un personnage cultivant les ambiguïtés, les fantaisies et les mystères, quitte à être victime de malentendus.
Nous verrons ainsi paraître un grand costaud délicat, hyperlettré, critique intègre[ii], écrivain doutant de son talent, mêlé de près ou de loin – on ne le saura jamais vraiment – aux milieux « Algérie française », aimant les jolies femmes et le champagne, transformant toute circonstance en fête, en canular ou en jeu d’enfant… Tout l’attirail suffisant pour dérouter et charmer un journaliste étranger, jeune et « vaguement progressiste »[iii].
Exotisme
L’Europe continentale, dans l’après-guerre, pouvait, pour un jeune Suédois, passer pour un monde parfaitement étranger : un monde portant encore les cicatrices de profondes blessures qui avaient épargné son pays. Ajoutez à cela le prestige et le charme de la vieille et haute civilisation française, encore vivante, ainsi que les déchirements politiques liés aux guerres coloniales, et le dépaysement sera complet. Une solution facile pour feindre de ne pas être étonné par tout cela peut consister à avoir recours à des clichés. La tentation est forte et d’aucuns y cèdent sans plus s’en soucier.
C’est le cas d’Ingrid, compagne du narrateur au début du roman[iv]. Les choses sont simples pour elle, par exemple dans le cas de la guerre d’Algérie : d’un côté les bons (les fellaghas luttant pour leur indépendance et leurs amis progressistes), de l’autre les méchants (les Pieds noirs exploiteurs et leurs soutiens, forcément fascistes). Un séjour aux Baléares l’été 1962 ne lui ôtera aucune de ses illusions : voir arriver dans de petits bateaux des Pieds noirs qui ont tout quitté pour ne pas se laisser massacrer ne l’émeut en rien ; et les efforts de Masselon – autre vacancier dont elle et le narrateur font ici la connaissance – pour leur venir en aide ne lui arracheront que des sarcasmes, puisqu’à ses yeux ces gens sont, avant d’être des hommes qui souffrent, des « salauds », pour user d’un terme cher aux progressistes d’alors[v].
Le narrateur n’aura pas ces délicatesses. Voulant y voir clair après l’attentat du Petit-Clamart, il décide d’enquêter sur les milieux « Algérie française », en particulier sur l’OAS. Aidé – ou manipulé – par son nouvel ami, il fera passer quelques articles dans une petite feuille en anglais pour Américains de Paris, dirigée par… un vieux journaliste suédois. Un voyage à Munich, où il a étudié quelques années auparavant, lui fera rencontrer, dans une ambiance où se mêlent le roman d’espionnage et l’évocation de souvenirs de jeunesse, un colonel en rupture d’armée vivant dans la clandestinité, mélange de soldat perdu et d’intellectuel aux vues aussi nuancées que fanatiques, et une walkyrie aussi éplorée que désirable – un agent double, évidemment.
Rentré à Paris, il fréquentera assidûment Masselon, dont la personnalité devient pour lui un mystère qui s’épaissit, l’accompagnera à la campagne pour transformer en fête la fuite d’un jeune homme « très bien »[vi] un peu compromis avec l’OAS, aura une liaison avec une petite actrice, recevra la visite d’hommes troubles – membres de l’OAS ou barbouzes, il ne le saura jamais…[vii]
On le devine, il n’apprendra pas grand-chose sur ce qu’il cherche à savoir, si ce n’est que tout est bien compliqué. Que le monde n’est pas un conte de fées social-démocrate où la vie pourrait être classée dans de jolies petites cases, bien proprettes et reposantes.
Les mystères de l’amitié
Un reproche que l’on pourrait faire à Derniers jours porte sur une question de vraisemblance : l’action se déroulant sur environ six semaines, peut-il se passer tant de choses, dans les faits et dans les âmes – celle du narrateur notamment[viii] – en si peu de temps ? Une véritable amitié peut-elle naître dans un délai si bref ? Pourquoi pas, à condition de dormir peu et d’avoir recours à des stimulants plus ou moins dangereux : le tabac, le café, l’alcool. Ces stimulants ne manquent pas dans le récit.
Le narrateur s’en rend bien compte, cherchant à comprendre ce qui l’attire chez Masselon, avec qui il avait peu d’affinités a priori. Cette quête est à peu près impossible – même en usant de méthodes peu recommandables, comme une sorte de cambriolage qu’il fera – en si peu de temps, surtout avec un personnage camouflant sa timidité et son manque d’estime de soi derrière une prodigalité et une hyperactivité qui tiennent du feu d’artifice[ix]. Ce que remarque le narrateur à la lecture des Fils prodigues :
« Exactement cette ironie que d’ordinaire les femmes détestent, qui blesse leur acquiescement à la vie parce qu’elles n’y voient que froid et haine de la vie. Cela me paraissait plutôt comme de la timidité et un idéalisme blessé, ainsi qu’une chaleur enfantine qui n’était pas moins forte parce qu’elle était retenue comme au bord d’un précipice. »[x]
Mais fouiller, tourner autour du sujet ou entrer droit dedans, chercher, en amateur de situations nettes et explicites à tout savoir et à tout comprendre (comme faire la part de l’amitié et de la manipulation chez Masselon), ne mène le narrateur nulle part. Il eût peut-être dû se contenter de ce que Montaigne avait écrit de son amitié avec La Boëtie : « parce que c’était lui, parce que c’était moi. »[xi] Mais sans tous ces tâtonnements, point de roman…
Il faut l’accepter : l’amitié a ses mystères. Insolubles, insondables. Un ami, vieux ou récent, ne nous sera jamais entièrement connu. Il nous échappera toujours. Ce qui n’empêche pas les sentiments.




[i] Sista Dagar, roman paru chez Norstedts en 1986 (et réédité avec l’œuvre romanesque complète de Wijkmark en 2014). La traduction française a été publiée en 2007 aux éditions Cénomane (sises au Mans).
[ii] Pour ce qui est du modèle (Nimier, donc), recommandons en particulier Journées de lecture (I et II), ainsi que L’Elève d’Aristote, recueils posthumes parus chez Gallimard. Ou encore Les Ecrivains sont-ils bêtes ?.
[iii] Selon les mots de l’auteur, rapportés dans le Cahier de l’Herne Roger Nimier, paru en septembre 2012.
[iv] Le portrait de cette jeune artiste peintre, pétrie de bonne conscience et d’aspirations bourgeoises, est un régal.
[v] Cette arrivée de réfugiés au milieu d’estivants a de bien tristes résonnances en 2015. Là encore, il y a des hommes qui souffrent. Et des vacanciers. Ce mélange absurde serait-il un trait de la modernité ? D’autres signes apparaissent dans ce roman, choisis d’une manière assez pertinente.
[vi] Un des passages les plus réussis du roman, sorte de marivaudage morose et lourd de sous-entendus inaccessibles, dans une ambiance qui fait penser à Drieu la Rochelle, où Masselon passe son temps à se dérober aux questions qui brûlent la langue du narrateur, profitant de chassés-croisés et de diversions de toutes sortes. On pourra cependant regretter que l’auteur ait choisi de faire se tutoyer le narrateur et Masselon : les timides, les fuyants, aiment souvent leurs distances et préfèrent souvent en rester au vouvoiement, même avec des amis véritables (ce qui était le cas, dit-on, de Nimier).
[vii] Sur le climat politique traînent cependant ici et là quelques invraisemblances : ainsi de l’opposition à de Gaulle, en particulier pour ce qui est de l’Algérie ; peu des personnes qui s’y mêlèrent devaient regretter la IVème république…
[viii] Ce qui donne lieu à quelques passages introspectifs ou à quelques dialogues autour de la personnalité de Masselon qui sont assez pesants.
[ix] Du vrai Roger Nimier, Alexandre Vialatte écrivit : « on eût dit qu’il passait en foule. »
[x] Pardon pour cette traduction bancale, qui est de ma main, de :
Just den ironi som kvinnor brukar avsky, som sårar deras livsbejakelse därför att de ser den som kyla och livshat. För mig såg det väl mera ut som skygghet och sårad idealism, och en barnslig värme som inte blev mindre stark för att den hölls tillbaka som på randen av en avgrund.
[xi] Pensée française, claire et consciente de ses limites. A comparer avec un goût pour l’explication appuyée que Nimier croyait entrevoir en 1959 dans Le Visage, un film d’Ingmar Bergman : « Ingmar Bergman, avec ses très jolies qualités possède un ou deux défauts suédois caractérisés. Il souligne d’un gros trait noir ce qu’on avait compris depuis dix ans, de Bousbir à Dunkerque. » (Festival de quartier, dans Variétés, recueil posthume)

lundi 7 septembre 2015

Au bruit de la sonnette… post-scriptum !

Le premier numéro de Limite, « revue d’écologie intégrale », lancée grâce aux éditions du Cerf, vient de paraître. Cherchant sur Internet des indications sur les moyens de trouver cette revue, je suis tombé sur… un morceau d’anthologie du journal Libération que je vous laisse savourer : « Limite », des réacs en vert et contre tous.
Avouez que si vous avez suivi le lien vers ledit article, en supposant que les fatigues du jour vous aient laissé une once – oh, seulement une once suffira – de sens du comique, vous aurez au moins souri. Non au laborieux calembour qui lui sert de titre, de ceux qui font de Libération depuis plus de trente ans l’Almanach Vermot ou l’emballage de Carambar de la gauche in, branchée ou désormais hype, mais aux dignes efforts déployés par son auteur pour ramasser en peu de mots le plus grand nombre possible de clichés où la haine le dispute à l’approximatif. C’en est presque beau : il m’a semblé, à sa lecture, voir les traces du filet d’écume qui a dû jaillir à la commissure des lèvres de la journaliste chargée de ce flingage au pistolet à bouchon. Contentons-nous de remarquer que ces traces de bave ne font pas très « pro ». A moins qu’elles n’aient été laissées là exprès, pour témoigner de l’authenticité de cet accès de rage…
Rage impuissante pour ma part, car elle m’a plutôt confirmé dans mon souhait d’aller voir de plus près cette nouvelle revue et, donc, de courir la chercher chez un libraire. En attendant, on peut en lire ici l’éloge par le talentueux Sébastien Lapaque, et en avoir un avant-goût.

vendredi 4 septembre 2015

Au bruit de la sonnette…

Connaissez-vous l’Observatoire Sociopolitique (OSP) de Fréjus-Toulon ? Non ? Pourtant, vous en aurez peut-être entendu parler ces derniers jours, au sujet d’une « université d’été » qui a fait quelque bruit dans la grosse presse. Or tout ce bruit ne vous aura sans doute pas appris grand-chose sur l’OSP de Fréjus-Toulon[i]
La meute… ou le troupeau
Que s’est-il donc passé pour que la grosse presse bruisse à ce point ? C’est simple : samedi 29 août a eu lieu à la susdite « université d’été » un débat entre quelques personnalités politiques invitées, parmi lesquelles… Mlle Marion Maréchal-le Pen.
Pensez donc : l’occasion de rapprocher dans une même phrase Eglise catholique et Le Pen, voilà plus qu’il n’en faut pour faire saliver le journaliste de base, être qui à une telle occasion ne peut que réagir comme le chien de Pavlov au son de la célèbre sonnette, mû qu’il est par ses instincts et non par un désir de savoir, d’exposer et d’expliquer quoi que ce soit. Avec un appétit digne d’une meute de loups souffrant de sous-nutrition, ou avec l’élan collectif d’un troupeau de moutons, nos attachants amis les journalistes se sont rués sur l’événement et ont pondu de croquignolettes copies sur un supposé rapprochement entre l’Eglise catholique et le Front dit national, orchestré par « le très conservateur Mgr Rey ».
Ainsi, ces touchants petits êtres ont livré en pâture au bon peuple les quelques clichés qui permettent de faire naître et d’entretenir – autant que possible – une polémique aussi vaine qu’elle sera oubliée[ii]. Naturellement, les pisse-copie habituels de l’antichristianisme officiel ont pu verser leur pinte de n’importe quoi haineux, comme la prévisible Caroline Fourest, dont la causerie du lundi matin sur France-Culture (on appelle cela une radio de service public) a encore été reconduite cette saison.
Des agneaux enragés
Mais ces flamboiements de médiocrité sont encore, somme toute, dans l’ordre des choses. Plus surprenante (et plus discrète) fut l’attitude de quelques milieux dits cathos de gauche.
Il ne faut pas rire trop fort des « cathos de gauche ». Premièrement, parce qu’ils ne sont pas si drôles que cela ; secondement, parce qu’il n’est guère charitable de s’en prendre à une population en voie d’extinction (la confusion entre religion et opinions politiques semblant être un risque en ce moment plus avéré à droite). On serait tenté de les considérer comme un échantillon d’une certaine bourgeoisie pratiquant l’autosatisfaction et l’entre-soi[iii], et qui a dû décider un jour que Dieu est de gauche[iv].
Par exemple, M. René Poujol, apparemment une de leurs voix, s’est fendu dans Causeur d’un article condamnant l’initiative de l’OSP de Fréjus-Toulon (ici) : en résumé, on ne dialogue pas avec le FN, on le combat. Parce que. Un point c’est tout. Et fermez le ban. J’aimerais savoir avec quelles armes M. Poujol entend « combattre » le FN. Certainement pas avec un goupillon ou un encensoir : non que leur usage habituel rende ces objets trop respectables (raison que j’approuverais pour ma part), mais ils ont sans doute aux yeux d’un « catho de gauche » une connotation frisant le « tradi ». Non, M. Poujol s’est essayé à la dérision, titrant son article : Maréchal, vous voilà. C’est que l’on sait rire, chez les « cathos de gauche » ! Il faudrait faire remarquer à M. Poujol que la finesse de son jeu de mots n’a d’équivalent que celle dont usa un certain Jean-Marie Le Pen vers 1988, à propos d’un ministricule nommé Durafour. Ah, maudite et cruelle symétrie ![v]
Mais qui, mais quoi ?
Une réplique, toujours dans Causeur, a été donnée à la filandreuse diatribe de M. Poujol par Théophane Le Méné (ici). On y trouve un argument fort simple, que je reprends volontiers : s’il est possible, voire avéré, que le discours ou le programme du FN comporte des aspects incompatibles avec la doctrine de l’Eglise, cela est tout aussi vrai de n’importe quel autre parti politique. Ce sont les raisons de l’incompatibilité qui varient, voilà tout. Encore faut-il pour s’en rendre compte se défaire de ses préjugés partisans.
On pourrait quand même faire un reproche à l’OSP de Fréjus-Toulon : pourquoi avoir invité, ne serait-ce que le temps d’un débat, des représentants de partis politiques ? C’est après tout s’exposer à quelques démonstrations de langue de bois (ou à quelques circonvolutions embarrassées). Mais comme les intervenants avaient été invités en fonction de leur foi revendiquée (ou à peu près), c’était peut-être l’occasion de faire la part dans leur propos de la sincérité, de l’opportunisme et aussi de l’incohérence. Qu’ils fussent du PS, des Républicains, du FN ou de quoi que ce soit. Souhaitons à ceux qui ont assisté à ces journées[vi], et en particulier à ces débats, d’avoir pu se faire une idée.
Ah, quand même : quel était donc le thème de cette « université d’été » ? Ce n’est pas dans la grosse presse que nous l’aurons appris. Il faut chercher ailleurs[vii] pour découvrir que c’était… « Médias et vérité ». Chacun aura pu constater une fois de plus que « médias et vérité », cela fait plus d’un.


[i] L’OSP de Fréjus-Toulon « a été fondé par Mgr Rey en 2005 au service de l’engagement des chrétiens dans la société », nous apprend la page d’accueil de son site (voir ici). Pour ceux qui l’ignoreraient, Mgr Rey est l’évêque du diocèse de Fréjus-Toulon.
[ii] Ajoutons en passant que la présentation faite par les journalistes de cette « université d’été » est pour le moins cavalière à l’égard des autres invités de ce débat, des autres participants de cette université, sans parler de ses organisateurs.
[iii] Se répandant – oh, modestement – sur internet notamment dans un blogue nommé A la table des cathos de gauche : si d’aventure des « cathos » qui ne sont pas de gauche y passent la tête, peut-être auront-ils droit à un verre d’eau s’ils sont sages.
[iv] Ne voyez pas dans l’ironie de mes propos un point de vue nécessairement de droite : remplacez ici gauche par droite, et vous obtiendrez une description de leurs frères ennemis, leurs inconciliables jumeaux. Cela dit, dans les deux cas, on peut rencontrer des personnes généreuses ; rien n’est tout simple.
[v] Je me demande ce que l’on boit à la table des cathos de gauche pour faire des jeux de mots pareils, sans doute à l’heure du dessert. Je n’ai pas prévu d’y goûter dans les jours qui viennent, ayant le palais délicat.
[vi] Précisons que toute cette affaire est vue de Paris par quelqu’un qui n’a pas assisté à ces rencontres.
[vii] Chez Patrice de Plunkett, par exemple (ici), mais ce n’est pas une surprise. Son point de vue est intéressant, ainsi que ceux exposés dans les commentaires (autre chose que les propos trop souvent simplets de quelques commentateurs de tous bords, par exemple à la suite des articles de Causeur cités plus haut).