L’année 2014 doit plaire
aux amateurs de commémorations et de comptes bien ronds. Il suffit de songer,
bien sûr, à 1914 et à 1944. Naturellement, nous aurons notre lot de discours de
politiciens pour célébrer le 70ème anniversaire de la Libération de
Paris… Je ne préfère pas trop y penser, vu le genre d’ectoplasmes qui les
prononceront.
1914-2014
Mais revenons, avant de célébrer à notre manière la
Libération de Paris, à 1914. Nous rappellera-t-on assez quel concours de
bêtise, d’orgueil et de rhétorique d’embusqués belliqueux mena à la guerre de
1914 ? Il semble qu’à l’époque n’importe quel prétexte eût convenu pour
ouvrir les hostilités. Il suffisait de l’attendre.
(Précisons que je ne me plains nullement
d’appartenir à une des nations victorieuses en 1918. Mais quand on voit les
sacrifices demandés et souvent consentis pour parvenir à cette victoire et ce
qui en fut fait ensuite…)
Or, cent ans plus tard, on entend de la part de
l’administration américaine, de l’OTAN ou de l’Union européenne, des
accusations quotidiennes contre les provocations et de l’escalade à laquelle se
livrerait M. Poutine en Ukraine. Ces accusations s’appuient souvent sur des
déclarations émanant des autorités ukrainiennes, faisant état d’intrusions
mystérieuses de blindés russes dans l’est de leur pays ou de tirs d’artillerie,
déclarations souvent oubliées dès le lendemain. Les accusateurs, en revanche,
ne semblent pas gênés d’avoir soutenu le renversement par la violence d’un
président élu (aussi nul et corrompu qu’il fût) ni embarrassés de la manière
dont le gouvernement ukrainien prétend pacifier les régions orientales de son
territoire, en bombardant des civils et en utilisant des troupes dont certaines
se parent d’insignes SS et comptent des volontaires étrangers recrutés dans les
milieux néonazis – qu’on veuille bien se renseigner sur le bataillon
« Azov », par exemple.
Je tiens à préciser que mes propos ne sont pas ceux
d’un russophile éperdu. Je ne pense pas que M. Poutine soit une adorable
rosière. Mais j’ai comme l’impression que l’administration américaine et les
gouvernements européens qui lui emboîtent aveuglément le pas s’échauffent tous
seuls, comme s’ils voulaient que « ça pète ». Et aussi que tous ces
gens – y compris, en France au moins, les journalistes – osent dire à propos de
la Russie ce qu’ils n’osaient dire, du temps de la guerre froide, de l’URSS
(souvent par une prudence diplomatique et somme toute légitime, mais parfois
aussi, en ce qui concerne les journalistes français et les hommes politiques de
gauche, pour ne pas faire de peine à nos braves communistes). La perspective
d’une commémoration à balles réelles de 1914 ne m’enchante guère, je l’avoue.
Et, soit dit en passant, les preuves brandies par
les autorités américaines pour en faire un casus
belli, on sait ce que cela peut donner. Il suffit de se rappeler la guerre
entamée en Irak, en 2003 (M. Poutine faisant figure, comparé à Saddam Hussein,
de chic type).
Libération de Paris
Le 24 août 1944, la division Leclerc entrait dans
Paris, qui s’était soulevé quelques jours auparavant. Le 25, la garnison
allemande capitulait. Il est bien légitime de s’en souvenir avec joie et
reconnaissance. « Permission d’être Français », comme l’écrivit le
cher Nimier dans Les épées.
Quiconque est Parisien depuis quelques générations
tient de sa famille des histoires, des anecdotes et des souvenirs de ces jours.
Je possède pour ma part un beau drapeau français, qui me fut donné il y a pas
loin de trente ans par ma grand-mère. Il est punaisé sur le manche à balai
(d’époque ?) qui lui tient lieu de hampe. Pas le genre d’objet que l’on agite
un soir de championnat de foutebôle. Il a pavoisé pour mieux que cela.
Tout cela est magnifique et même assez émouvant. Le
soulèvement de Paris, ainsi que l’engagement de quelques-uns dans la Résistance
ou la France Libre, voilà qui fut une belle et noble façon d’assumer les
conséquences de la décadence de la troisième République.
Mettons-nous un instant à la place de ces gens. Bien
entendu, dans de telles circonstances, nous n’hésiterions pas à choisir le bon
camp. Nous serions héroïques, grands et purs. Nous risquerions nos vies en
permanence. A vrai dire, je n’en suis pas tout à fait sûr. Raison de plus
d’être reconnaissants.
(Et, comme le dit alors le général de Gaulle, Paris
fut libéré « par lui-même, avec le concours des alliés… » Retenons
cette manière de le dire, c’est la plus belle, et politiquement c’était la plus
utile pour le pays. Nous serons donc éternellement reconnaissants envers nos
alliés britanniques et américains. En rappelant toutefois à ces derniers que la
gratitude n’interdit pas la critique.)
Saint Barthélémy
Le 24 août, c’est aussi la saint Barthélémy. Date
sinistre, en 1572, dans l’histoire de Paris, avec les massacres que l’on sait
(on y pense moins cette année : 442 ans, ce n’est pas un compte
rond ; qu’on se rassure, je n’ai pas chez moi de souvenir de ce
jour-là : je n’avais pas de famille à Paris à l’époque).
On nous présente souvent ce funeste jour comme une
preuve de ce que les religions seraient toutes des sources de violence, en
particulier la religion catholique. Mis à part le fait que, à la même époque et
dans d’autres pays d’Europe, c’était plutôt les catholiques qu’on persécutait,
je trouve l’argument un peu court ; et, en l’entendant ou en le lisant, je
sens comme une odeur de pharmacie, tant je pense aux ricanements « voltairiens »
d’un M. Homais.
Il faudrait plutôt dire que c’est ce qui finit par
arriver quand diverses factions politiques se parent d’oripeaux religieux pour
justifier leurs menées. Je ne crois pas que Dieu se soit réjoui de tout ce
sang. Et j’aime décidément ce qu’on lit dans Léon Morin, prêtre, de Béatrix Beck, lorsque ledit prêtre parle des
hérétiques : « Vous croyez [que Dieu] les aime moins que les autres ? ».
Comme quoi on peut désapprouver autrui avec fermeté
sans souhaiter sa mort. Il faudrait l’expliquer aux djihadistes qui massacrent
volontiers chrétiens ou yézidis dans ce pays paisible qu’est devenu l’Irak
depuis sa libération par les Etats-Unis (oui, bon, je sais, encore les
Américains…).
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