dimanche 24 août 2014

Le 24 août à Paris

L’année 2014 doit plaire aux amateurs de commémorations et de comptes bien ronds. Il suffit de songer, bien sûr, à 1914 et à 1944. Naturellement, nous aurons notre lot de discours de politiciens pour célébrer le 70ème anniversaire de la Libération de Paris… Je ne préfère pas trop y penser, vu le genre d’ectoplasmes qui les prononceront.
1914-2014
Mais revenons, avant de célébrer à notre manière la Libération de Paris, à 1914. Nous rappellera-t-on assez quel concours de bêtise, d’orgueil et de rhétorique d’embusqués belliqueux mena à la guerre de 1914 ? Il semble qu’à l’époque n’importe quel prétexte eût convenu pour ouvrir les hostilités. Il suffisait de l’attendre.
(Précisons que je ne me plains nullement d’appartenir à une des nations victorieuses en 1918. Mais quand on voit les sacrifices demandés et souvent consentis pour parvenir à cette victoire et ce qui en fut fait ensuite…)
Or, cent ans plus tard, on entend de la part de l’administration américaine, de l’OTAN ou de l’Union européenne, des accusations quotidiennes contre les provocations et de l’escalade à laquelle se livrerait M. Poutine en Ukraine. Ces accusations s’appuient souvent sur des déclarations émanant des autorités ukrainiennes, faisant état d’intrusions mystérieuses de blindés russes dans l’est de leur pays ou de tirs d’artillerie, déclarations souvent oubliées dès le lendemain. Les accusateurs, en revanche, ne semblent pas gênés d’avoir soutenu le renversement par la violence d’un président élu (aussi nul et corrompu qu’il fût) ni embarrassés de la manière dont le gouvernement ukrainien prétend pacifier les régions orientales de son territoire, en bombardant des civils et en utilisant des troupes dont certaines se parent d’insignes SS et comptent des volontaires étrangers recrutés dans les milieux néonazis – qu’on veuille bien se renseigner sur le bataillon « Azov », par exemple.
Je tiens à préciser que mes propos ne sont pas ceux d’un russophile éperdu. Je ne pense pas que M. Poutine soit une adorable rosière. Mais j’ai comme l’impression que l’administration américaine et les gouvernements européens qui lui emboîtent aveuglément le pas s’échauffent tous seuls, comme s’ils voulaient que « ça pète ». Et aussi que tous ces gens – y compris, en France au moins, les journalistes – osent dire à propos de la Russie ce qu’ils n’osaient dire, du temps de la guerre froide, de l’URSS (souvent par une prudence diplomatique et somme toute légitime, mais parfois aussi, en ce qui concerne les journalistes français et les hommes politiques de gauche, pour ne pas faire de peine à nos braves communistes). La perspective d’une commémoration à balles réelles de 1914 ne m’enchante guère, je l’avoue.
Et, soit dit en passant, les preuves brandies par les autorités américaines pour en faire un casus belli, on sait ce que cela peut donner. Il suffit de se rappeler la guerre entamée en Irak, en 2003 (M. Poutine faisant figure, comparé à Saddam Hussein, de chic type).
Libération de Paris
Le 24 août 1944, la division Leclerc entrait dans Paris, qui s’était soulevé quelques jours auparavant. Le 25, la garnison allemande capitulait. Il est bien légitime de s’en souvenir avec joie et reconnaissance. « Permission d’être Français », comme l’écrivit le cher Nimier dans Les épées.
Quiconque est Parisien depuis quelques générations tient de sa famille des histoires, des anecdotes et des souvenirs de ces jours. Je possède pour ma part un beau drapeau français, qui me fut donné il y a pas loin de trente ans par ma grand-mère. Il est punaisé sur le manche à balai (d’époque ?) qui lui tient lieu de hampe. Pas le genre d’objet que l’on agite un soir de championnat de foutebôle. Il a pavoisé pour mieux que cela.
Tout cela est magnifique et même assez émouvant. Le soulèvement de Paris, ainsi que l’engagement de quelques-uns dans la Résistance ou la France Libre, voilà qui fut une belle et noble façon d’assumer les conséquences de la décadence de la troisième République.
Mettons-nous un instant à la place de ces gens. Bien entendu, dans de telles circonstances, nous n’hésiterions pas à choisir le bon camp. Nous serions héroïques, grands et purs. Nous risquerions nos vies en permanence. A vrai dire, je n’en suis pas tout à fait sûr. Raison de plus d’être reconnaissants.
(Et, comme le dit alors le général de Gaulle, Paris fut libéré « par lui-même, avec le concours des alliés… » Retenons cette manière de le dire, c’est la plus belle, et politiquement c’était la plus utile pour le pays. Nous serons donc éternellement reconnaissants envers nos alliés britanniques et américains. En rappelant toutefois à ces derniers que la gratitude n’interdit pas la critique.)
Saint Barthélémy
Le 24 août, c’est aussi la saint Barthélémy. Date sinistre, en 1572, dans l’histoire de Paris, avec les massacres que l’on sait (on y pense moins cette année : 442 ans, ce n’est pas un compte rond ; qu’on se rassure, je n’ai pas chez moi de souvenir de ce jour-là : je n’avais pas de famille à Paris à l’époque).
On nous présente souvent ce funeste jour comme une preuve de ce que les religions seraient toutes des sources de violence, en particulier la religion catholique. Mis à part le fait que, à la même époque et dans d’autres pays d’Europe, c’était plutôt les catholiques qu’on persécutait, je trouve l’argument un peu court ; et, en l’entendant ou en le lisant, je sens comme une odeur de pharmacie, tant je pense aux ricanements « voltairiens » d’un M. Homais.
Il faudrait plutôt dire que c’est ce qui finit par arriver quand diverses factions politiques se parent d’oripeaux religieux pour justifier leurs menées. Je ne crois pas que Dieu se soit réjoui de tout ce sang. Et j’aime décidément ce qu’on lit dans Léon Morin, prêtre, de Béatrix Beck, lorsque ledit prêtre parle des hérétiques : « Vous croyez [que Dieu] les aime moins que les autres ? ».
Comme quoi on peut désapprouver autrui avec fermeté sans souhaiter sa mort. Il faudrait l’expliquer aux djihadistes qui massacrent volontiers chrétiens ou yézidis dans ce pays paisible qu’est devenu l’Irak depuis sa libération par les Etats-Unis (oui, bon, je sais, encore les Américains…).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).