dimanche 6 février 2022

Emmerdements

 Il n’est pas illégitime de s’interroger ce qui pousse les responsables politiques, dans divers pays, à briguer tel ou tel poste. La vanité, l’ambition, l’orgueil ? Certes, cela y est pour beaucoup. Certains se justifieront en invoquant une vocation. Pourquoi pas ? D’autres le désir servir leur pays. Fort bien ! D’autres encore celui de faire triompher leurs idées. On veut bien.

M. Macron, depuis cinq ans, fait l’objet à peu près en permanence de ce genre d’interrogation. De nombreuses hypothèses ont été émises à son sujet, dont les plus originales portent sur le courant d’idées dans lequel il s’inscrirait – au-delà du superficiel en même temps, peut-on dire. Dans ce domaine, un essai de Frédéric Rouvillois, Liquidation, paru il y a environ un an et demi, est assez intéressant.

Restent, chez M. Macron, de curieux éléments de psychologie. Curieux, pour ne pas dire inquiétants. On n’aura pas oublié sa sortie d’il y a un mois environ sur ceux qui refusent de se faire vacciner contre le virus qui nous ennuie depuis deux ans : M ; Macron a « très envie de les emmerder », comme chacun sait. Nous passerons sur ce que cette déclaration a d’offensant, sur le désir qu’elle semble révéler de désigner comme coupables de tous les maux une minorité de récalcitrants, ou sur la manière d’alimenter les délires complotistes que représentent de tels propos[i]… tout cela a déjà été dit ailleurs, mieux que je ne saurais le faire (sans compter que je n’avais qu’à me manifester plus tôt !).

Ce qui devrait nous inquiéter, c’est ce « j’ai très envie ». Après tout, que M. Macron ait « très envie » de ceci ou de cela, peu me chaut tant qu’il le garde pour lui et se garde de céder à ses envies. Mais s’il le déclare à des journalistes, cela a comme un accent menaçant[ii]. Et rappelle quelque peu Zazie dans le métro aux lecteurs de Queneau, où Zazie déclare vouloir devenir institutrice « pour faire chier les mômes ». La littérature nous donnerait ainsi des indices peu encourageants sur la maturité de M. Macron.

On peut aussi se contenter de penser que ce n’est qu’un écart de langage de plus de sa part, et hausser les épaules. Je ne sais pourquoi je songe tout à coup au jour où il a qualifié M. Boris Johnson, premier ministre britannique, de « clown ». Il est vrai qu’en la matière les méchantes langues diront qu’il est connaisseur, voire expert. Il n’est besoin que de voir de quels ministres il est capable de s’entourer, préciseront ces méchantes langues.

Car oui, ce sont de méchantes langues : comment par exemple ne pas éprouver un sentiment bienveillant envers notre premier ministre, M. Castex ? Ses mines perplexes, son air perpétuel de se demander ce qu’il fait là, voilà qui est touchant et devrait nous attendrir. Puisque les références littéraires devraient nous éclairer, comment ne pas penser au président Melba dans Perfide, de Roger Nimier ? Curieuse époque que la nôtre, où le personnel politique français semble nous ramener couvent à cette roborative farce. C’est drôle, mais ce n’est pas rassurant.

À propos de M. Johnson, dont il était question plus haut, cet homme semble traverser une mauvaise passe. La presse britannique s’en donne à cœur joie, à propos de fêtes qui eurent lieu au 10 Downing Street en plein confinement. Si de telles fêtes sont de fait moralement répréhensibles et d’un effet déplorable par le manque d’exemplarité qu’elles révèlent, il semble manquer quelque chose aux diatribes contre M. Johnson. Non pas quant à leur effet éventuel, beaucoup sommant l’intéressé de démissionner, mais quant au personnage qu’est Boris Johnson.

Certains n’ignorent pas qu’il fut à Oxford membre du Bullingdon Club, institution dont les familiers de l’œuvre d’Evelyn Waugh peuvent se faire une idée[iii]. Evelyn Waugh ? Voilà une piste intéressante. M. Johnson n’a-t-il pas quelques traits de ces bright young things dont le non moins brillant Waugh dépeignit quelques frasques dans Ces Corps vils ? Pour preuve ce personnage qui, apprenant l’existence de l’Independent Labour Party, regrette de ne pas y avoir été invité ; et aussi une fête improvisée… au 10 Downing Street. Dans ces conditions, allez savoir si M. Johnson – ou l’un ou l’autre de ses collaborateurs – n’aura pas commis une fâcheuse erreur quant à l’acception, en anglais dans le texte, du mot party. La littérature, décidément, nous éclaire d’une manière aussi drôle qu’effrayante[iv].



[i] Nous ne dirons rien des propos absurdes et indécents de M. Estrosi ou de M. Hirsch au même sujet. Les courtisans ne sont souvent que de pâles imitateurs.

[ii] Voulu, c’est du cynisme, involontaire, c’est un manque de maîtrise de soi.

[iii] Dans Grandeur et décadence (sous le nom de Bollinger Club) et dans Retour à Brideshead.

[iv] Ne nous plaignons pas : le rire et la littérature ne sont pas là pour nous rassurer.

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