vendredi 29 janvier 2016

Une droite littéraire ? (suite)

Ayant évoqué dans mon billet précédent certaines préférences en matière de littérature et de « droite », comment ne pas tenir parole et ne pas vous en toucher encore quelques mots ? Je ne suis pas, après tout, un politicien[i].
Je me suis donc replongé dans un de ces recueils posthumes de Roger Nimier qui fleurirent dans les années 1990, fruits d’un travail d’édition mené par Marc Dambre. En l’occurrence, Variétés, paru chez Arléa en 1999 avec pour sous-titre : « L’air du temps, 1945-1962 ».
Dans ce recueil – comme dans les autres – la politique à proprement parler est peu représentée à part quelques articles de jeunesse qui annoncent, en moins abouti, l’ironie rageuse du Grand d’Espagne. Observons qu’il y est parfois question de « socialisme monarchique », manière pour le moins baroque – mais point antipathique – d’être « de droite ».
Retenons plutôt quelques traits qui peuvent nous faire aimer un Nimier délivré des postures politiques.
Par exemple, mieux qu’un souci dandy de déplaire, l’indifférence au scandale, avec un titre bien connu : « Surprise à Marigny : Jean-Louis Barrault encore plus mauvais que d’habitude ». Le titre de cette critique dramatique – une de celles qui firent désirer (puis obtenir) à certains la peau du magazine Opéra – pourrait faire penser à une provocation. Or le texte donne des arguments, des explications… en trouvant même des excuses et des qualités à Barrault.
En matière de critique, on trouve dans ce recueil quelques articles sur le cinéma. « Festival de quartier », sur le festival de Venise de 1959, respire une fantaisie bonhomme et amusée qui sait se faire féroce à l’occasion, assassinant au passage, en quelques coups secs, Anatomie d’un meurtre, d’Otto Preminger (tout en ayant la charité de ne point assassiner Preminger lui-même). « De quoi souffre le cinéma ? De bêtise », antérieur de quelques années, est d’une sévérité qui n’est pas sans évoquer quelques jeunes « flingueurs » de l’époque, Rohmer ou Truffaut, par exemple. Avec moins de gratuité dans ses violences, et plus de fantaisie, peut-être.
Tant pis. J’abuserai encore de ce mot : fantaisie. Celle-ci paraît dans des domaines où l’on n’attend pas nécessairement un écrivain sérieux, un homme qui devrait s’interroger chaque matin sur le pouvoir de ses minces copies : la cuisine et le rugby. Comme ces deux activités exigent autant de rigueur que de folie, Nimier en rend compte en faisant preuve des deux : un match de rugby peut être narré avec précision aussi bien que finir en pastiche débridé (et inintelligible) de James Joyce ; quant à la cuisine, une recette détaillée (aussi redoutablement lourde que la plume est agile) nous est donnée dans une « chronique gastronomique » parue en son temps dans une livraison de la NRF, et celle de l’ours à la savoyarde (dans « Les Alpes à la carte ») est un trésor de démesure.
La relecture de ce recueil révèle donc que ces plaisirs ne s’émoussent pas. et offre même quelques surprises à qui ne chercherait chez Nimier que de quoi nourrir ses préjugés sur un méchant écrivain « droitard », que ce soit pour l’encenser ou pour le vomir. Ne résistons pas à deux longues citations pour illustrer notre propos :
« A Landsdowne Road le rugby est un combat de chevalerie ; à Murrayfield c’est une tradition ; à Twickenham une revue militaire ; à l’Arm’s Park de Cardiff, un psaume. A Colombes ce n’est qu’un dimanche où un public de hasard, groupé sur un stade misérable, vient se livrer à son sport favori, le chauvinisme. Le chauvinisme se joue à trente mille contre un, l’arbitre. »
Et
« On nous donnera peut-être des voitures, pour nous pousser (bientôt !) à boire de l’essence. Il faudra même songer à nous offrir des routes. »
Sur ce dernier point, il serait absurde d’enrôler sous une bannière écologiste et décroissante un homme qui aima – pour son malheur – les voitures rapides. Mais reconnaissons que c’est une observation plutôt juste, qui n’a guère vieilli.
Ecrire ce que l’on croit vrai après avoir considéré les choses, et l’écrire d’une belle manière, voilà qui importait sans doute plus à ce véritable écrivain que de prouver – ou de se prouver – qu’il était d’un « camp » politique donné. Du reste, il fit un sort aux effets désastreux de l’engagement partisan sur la littérature dans « Le problème politique des gilets à fleurs ». Une manière d’écrire qui se nourrit de l’équilibre, ou plutôt de la tension permanente, entre la passion et le détachement. La recette du style et de la liberté, peut-être ?

[i] Certains spécimens de cette variété d’humains me rappellent, allez savoir pourquoi, quelque vieux dessin de Forain où un boursicoteur en rassure un autre : « Je vois que vous vous êtes trop engagé avec Chose. – Rassurez-vous, il n’a que ma parole. »

dimanche 24 janvier 2016

Une droite littéraire ?

Encore une variation sur mes chers « hussards », allez-vous penser. Pas tout à fait. Seul le nombre nous en rapproche aujourd’hui : si, en 1952, dans l’article où Bernard Frank leur donna ce sobriquet, lesdits hussards étaient trois (Nimier, Laurent, Blondin), l’usage veut qu’on y ajoute Michel Déon, ce qui permet aux amateurs de formules éculées de dire qu’ils étaient quatre, comme les trois mousquetaires.
Il s’agit en fait de ce dont bruisse la presse en ce moment : les livres, parus ou annoncés, de quatre politiciens classés à droite, MM. Fillon, Juppé, Sarkozy et Copé. Leurs titres respectifs – quand nous parvenons à les retenir – et les échos qui nous en parviennent nous dispensent d’avoir à les lire pour nous en faire une idée.
D’un côté, il y a le Faire de M. Fillon, et je ne sais plus quoi de M. Juppé. On sent ces deux messieurs droits dans leurs bottes, le menton ferme au bout d’une mâchoire volontaire, l’œil décidé. En résumé, deux vieux routiers viennent nous expliquer comment, s’ils accèdent enfin à de hautes responsabilités, la France sera sauvée par leur action.
D’un autre côté, La France pour la vie[i] de M. Sarkozy, et je ne sais plus quoi de M. Copé. Leurs grands yeux humides semblent nous adresser des regards tristes et suppliants : ces deux-là, c’est de l’amour qu’ils réclament ; ils aimeraient qu’on les comprenne enfin, qu’on soit touché par leur humanité. D’ailleurs, pour le prouver, M. Sarkozy, à ce qu’on sait, avoue des erreurs – oh, vénielles. Il ne les répétera pas, c’est promis. C’est qu’il a changé. Comment ne pas le croire, d’ailleurs, le changement étant le domaine dans lequel il a toujours montré la plus grande constance[ii] ?
Il est aisé d’imaginer que de tels ouvrages ne relèvent pas de la haute littérature. Et de se rappeler que la chose n’est pas d’hier : ces livres de circonstance, ces tracts électoraux un peu étirés, laisseront dans les esprits la trace que laisse un discours de politicien ; ils iront en rejoindre d’autres, de tous bords, dans quelques greniers où ils feront les délices de la faune locale (souris, araignées, mites…) ou dans quelques brocantes où ils feront celles de quelques collectionneurs : même dans les domaines les plus farfelus, on en rencontre.
Cependant, ces quatre messieurs en sont sans doute toujours à rêver qu’ils libèreront la croissance par leurs indispensables réformes, brisant enfin le carcan qui étouffe les énergies de notre pays. Ce genre de libéralisme économique promettant un ruissellement de richesses qui abreuvera jusqu’aux plus pauvres, accordons à nos mousquetaires grisonnants qu’ils auront probablement contribué pour une petite part à ce mythique ruissellement : quelques nègres, vraisemblablement moins argentés qu’eux, ont dû y trouver leur compte.
Somme toute, s’il faut absolument parler d’une droite littéraire (et si cette notion a un sens), je préfère retourner à mes chers hussards, à leurs amis, pères, oncles ou ce que vous voudrez (de Morand à Perret, par exemple[iii]). Et même à Bernard Frank, qui était… de gauche[iv].


[i] Curieux titre. Il me laisse perplexe. Pourquoi me fait-il penser aux cœurs gravés dans l’écorce des arbres par de naïfs et solennels adolescents ? Ou, mieux, à des tatouages que se ferait faire un matelot cynique ou étourdi ?
[ii] Jusqu’à provoquer de sévères déconvenues chez ceux qui ne s’en étaient pas rendu compte. Qu’allaient donc croire les gens de « Sens commun » (voir ici chez P. de Plunkett) ?
[iii] Pourquoi pas aussi à Pol Vandromme, dont Une Indifférence de rébellion vient de reparaître chez Pierre-Guillaume de Roux. Des critiques littéraires inégales où viennent se nicher de belles pages sur le Hainaut et le cours ardennais de la Meuse…
[iv] Puisqu’il est question d’écrivains, ajoutons, pour saluer sa mémoire et pour Le Roi des aulnes, Michel Tournier, ancien camarade de classe de Roger Nimier.

jeudi 21 janvier 2016

Admiré de son bourreau


« Pour rendre témoignage de la vérité, il a soutenu tout cela avec un sang-froid et une fermeté qui nous a[i] tous étonnés. Je reste convaincu qu’il avait puisé cette fermeté dans les principes de la religion, dont personne plus que lui ne paraissait pénétré ni persuadé »
(Extrait d’une lettre de Charles-Henry Sanson à Dulaure[ii], 13 février 1793)
Cet extrait est cité par Jean-Christian Petitfils dans sa biographie de Louis XVI. Qu’une victime suscite à ce point l’admiration chez son bourreau, dans des termes qui eussent pu lui valoir quelques ennuis, voilà qui provoque… mon admiration.
Certes, on pourra toujours dire – et avec raison, hélas – que ce sont les erreurs de Louis XVI qui ont fini par l’amener à l’échafaud, mais force est de reconnaître avec quelle dignité il les assuma et fit face à l’iniquité du traitement qui lui fut accordé. Il faudrait aussi citer ses dernières paroles, simples, nobles et pacifiques. J’y songerai peut-être l’an prochain.
 

[i] Sic.
[ii] Directeur du journal Le Thermomètre du jour.

dimanche 17 janvier 2016

Sans vouloir juger

Raisins
A ce que l’on dit, certains djihadistes s’attendent, après avoir péri dans la commission de leurs forfaits, à goûter au paradis la compagnie de personnes aussi nombreuses qu’elles sont galantes et pures. Or il se dit aussi que ces espérances seraient fondées sur une erreur d’interprétation des textes dont ils prétendent s’inspirer, ces délices étant en fait, paraît-il, des raisins doux et sucrés. Etant ignorant dans ce domaine, je me garderai bien de me prononcer. J’ignore d’ailleurs aussi si des assassins sont censés pouvoir y accéder…
Observons cependant que les raisins rendraient ce paradis accessible aux femmes, ce qui serait plus équitable.
Paganisme
Mon ignorance m’interdit aussi de savoir si ces délices, quelles qu’elles soient, sont une représentation imagée ou figurative du paradis que se font les adeptes de la religion dont se réclament les djihadistes. Supposons donc qu’il s’agit d’une image.
Mais il se peut que ce ne le soit pas pour tous les adeptes de ladite religion ou d’une conception caricaturale de celle-ci. Cela rappelle alors quand même un peu l’idée naïve du Walhalla, paradis des guerriers germaniques. Dans cette vision païenne, les valeureux guerriers, après être morts les armes à la main, se retrouvent tous pour former la troupe qui défendra en temps voulu les dieux. En attendant le combat final, ils passent leurs journées à se porter d’épiques ramponneaux avant de se relever pour profiter d’un roboratif banquet où, chaque soir, leur est servi le même cochon (lequel s’est magiquement reconstitué depuis la veille) et que l’on suppose arrosé de généreuses rasades de bière ou d’hydromel.
En somme, c’est assez pittoresque, mais un peu court : après tout, ces délices ne sont que terrestres. Dieu n’est-Il pas infiniment plus grand que cela ?
Martyrs
La brutalité et la sauvagerie des massacres de novembre à Paris, la stupeur, la frayeur et la tristesse qu’ils ont engendrées chez nous, voilà qui pourrait avoir comme un goût de fin du monde. Peut-être est-ce là le rêve – plus ou moins conscient – de ceux qui les ont perpétrés ou, plus sûrement, de leurs commanditaires : hâter la fin des temps. En somme forcer la main à Dieu : puéril et funeste blasphème.
Les auteurs de tels massacres, certains d’y trouver eux aussi la mort, semblent aimer à se dire martyrs. L’emploi de cette appellation laisse songeur : dans la religion que je prétends pratiquer imparfaitement, un martyr est une personne qui a témoigné de sa foi jusqu’à accepter de souffrir, d’être suppliciée, voire de mourir de la main d’autrui. On ne devient un martyr que si la situation se présente. En aucun cas un martyr ne saurait être une personne décidée à en tuer le plus grand nombre d’autres avant de se faire sauter le caisson : d’un point de vue chrétien, un tel comportement pourrait être considéré comme l’achat d’un billet pour l’enfer, avec réservation d’une place assise. Ce que l’on ne saurait souhaiter à personne.
Toutes sortes d’explications sont avancées pour chercher à comprendre comment de jeunes malheureux tombent dans des pièges aussi grossiers. Radicalisation de l’islamisme, disent les uns, islamisation du radicalisme (ou d’un désir immature de force, de virilité et d’aventure), rétorquent les autres. On peut aussi supposer la rencontre – funeste – de l’une et de l’autre.
2084
Il faut ajouter à cela, évidemment, la manipulation de ces deux tendances à des fins politiques : de la part de grandes puissances, certes, mais aussi de celle d’aventuriers ambitieux. Le plus récent roman de Boualem Sansal, 2084[i], décrit ce que deviendrait un monde où de telles entreprises auraient réussi.
Ce monde, c’est l’Abistan, Etat fondé par Abi, où tout est régi par la religion officielle, le Gkabul, « né de ce manque de soin dû à une religion » où l’on reconnaît l’islam : le Gkabul en est une grossière caricature, bien utile pour mettre au pas toute une population. Avec, bien entendu, tous les ressorts d’un Etat totalitaire pour enserrer, engluer chaque citoyen. En Abistan, on ne peut pas espérer s’enfuir, ni même en désespérer, puisque c’est le seul monde connu, possible et souhaitable pour les Abistanais. Du reste, même l’opposition clandestine semble un outil du pouvoir. C’est en gros l’expérience que fait Ati, héros de ce roman au titre évidemment inspiré par Orwell.
On pourra regretter dans 2084 la mollesse apparente du rythme, voire la pauvreté de l’intrigue. Peu d’action, peu de dialogues ; en revanche, de minutieuses descriptions et de nombreuses informations sur l’histoire officielle de l’Abistan ; avec cela, des personnages aux noms brefs et informes, que l’on finit par avoir tendance à confondre.
Le lecteur pourrait en somme penser avoir affaire à un travail préparatoire à un roman plutôt qu’au roman attendu. Ou alors, peut-être est-ce volontaire : plonger le lecteur dans ce monde triste et poisseux, le fondre parmi les ombres ternes qui le peuplent. Dans ce cas, c’est plutôt réussi.
(Finissons sur une note d’espoir pour les aspirants écrivains qui ne sont plus de prime jeunesse : Boualem Sansal, né en 1949, a publié son premier roman en 1999 !)


[i] Paru chez Gallimard en 2015. Grand prix du roman de l’Académie française.

vendredi 8 janvier 2016

Est-il sérieux d’en rire ?

Jalons
Pour qui a été jeune dans les années 1990 (ou, pour être dans le ton, faut-il dire les boring nineties ?), le nom du « groupe d’intervention culturelle Jalons » n’est peut-être pas inconnu. Il rappellera à certains Jalons, « le magazine du vrai et du beau », qui avait été quelques années auparavant sous-titré « mensuel sensuel ». A chaque numéro, dont la parution tout sauf périodique forçait les amateurs à scruter attentivement les étalages des kiosques à journaux, c’était un feu d’artifices : le monde, ou plutôt ce que prétendaient en faire les puissants, leurs ennemis et les célébrités, devenait une vaste farce, devant laquelle il convenait de se tordre de rire, à condition de mettre en veilleuse un instant son bon goût. Ce jeu de massacre ridiculisait l’époque avec une efficacité que l’on pourrait qualifier de miraculeuse, car dépourvue d’aigreur.
Pour un public plus large, le susnommé groupe d’intervention s’était fait connaître dès 1985 par une manifestation contre le froid au métro Glacière, et bientôt par quelques pastiches de journaux célèbres. Ce sont ces pastiches qui nous sont aujourd’hui présentés par Basile de Koch, président à vie du susnommé groupe d’intervention culturelle, dans Les pastiches de Jalons, 1985-2015, recueil paru cet automne aux éditions du Cerf.
Dès la manifestation du métro Glacière, « les Jalons » furent soupçonnés d’être de droite : n’avaient-ils pas scandé « Verglas assassin, Mitterrand complice » ? On en frissonne[i]… D’ailleurs, les premières cibles de leurs pastiches, comme pour confirmer ce soupçon infâmant aux yeux de certains, furent Le Monde (Le Monstre) et Libération (Laberration) en 1985. Mais la gauche put se rassurer au printemps 1988, lorsque parut Le Lougarou Magazine, pastiche réalisé il est vrai avec la complicité de SOS Racisme, organisation contactée par Karl Zéro, frère du président : le résultat fut inégal, et n’ont été retenues dans le recueil que les pages rédigées par Jalons[ii].
Cette expérience étant peu concluante, « les Jalons » œuvreront désormais seuls : viendront encore, pour ce qui touche à la politique, Le Figagaro en 1993 et Le Cafard acharné en 1994 : du beau travail[iii].
La politique étant devenue, dès cette époque, un simple élément du spectacle permanent, voire de la chronique people[iv], pourquoi ne pas s’intéresser à la presse qui se nourrit de la vie des célébrités, voire à la presse à scandales ou à sensations ? Paraîtront donc Voiri en 1995, Pourri Moche en 1999 et Fientrevue en 2003. Ces pastiches avaient été précédés en 1986 par Franche Démence. Dans un registre un peu plus guindé, on regrettera l’absence de Coins de rue – images immondes.
Autant le dire, ces pastiches sont les moins convaincants, surtout en ce qui concerne Fientrevue. Une personne qui a lu une fois Entrevue (et qui souhaite par conséquent garder l’anonymat) m’en a donné la raison : l’original était déjà un torchon illisible… Peut-être est-ce le vide abyssal de ces magazines qui en rend les pastiches plus poussifs. Ou alors la lassitude des pasticheurs devant un monde qui ressemble de plus en plus à leurs plaisanteries ?
D’autres avant eux avaient réalisé des pastiches de journaux : le titre Franche Démence fut utilisé par Boris Vian dès les années 1950. Et après eux ? On trouve en ligne Le Gorafi, qui est drôle et bien fait, mais présente deux inconvénients : l’actualité, d’une part, lorsqu’elle n’est pas atroce, ressemble trop à ce que l’on peut lire dans Le Gorafi, tant elle est bête ; et Le Gorafi paraît en continu : on ne saurait voir le monde comme un canular en continu !
Il n’en demeure pas moins que l’on parcourt avec plaisir ce recueil, y picorant ici et là de quoi être secoué d’un rire énorme : beaucoup de ces pastiches ont bien vieilli et, comme dit plus haut, ils possèdent les qualités de Jalons : liberté de ton, satire efficace et sans aigreur… Tout le contraire du ricanement calibré pour petits bourgeois libéraux de gauche (mais pas trop) des rebelles subventionnés (par de grands groupes financiers) de Canal plus. J’ignore si Karl Zéro partage cet avis…
Quoi qu’il en soit, merci et longue vie au président de Koch !
A la une
Puisqu’il est question de rire, il paraît qu’il faut avoir un avis sur la « une » du dernier numéro de Charlie-Hebdo. Soyons honnête, quitte à être brutal : sans l’assassinat d’une partie de la rédaction de ce périodique par deux imbéciles criminels, en parlerait-on ? Au fond, ces assassins déments lui accordaient beaucoup trop d’importance, de même que ceux qui en font maintenant un symbole mondial de la liberté d’expression. Je ne pense donc rien de Charlie-Hebdo. Personne n’est obligé d’en penser quoi que ce soit. Le livre sacré du charlisme ne me regarde pas.
Je me contenterai donc de vous renvoyer à un bref article de René Poujol dans Causeur[v] ou à un commentaire lapidaire de Patrice de Plunkett[vi]. Voire, pour faire encore plus bref, à ce qu’en a dit le cardinal Vingt-Trois : « Je ne vois pas pourquoi je réagirais à quelque chose qui est fait pour provoquer » : simple et de bon goût, non ?


[i] Il me semble avoir entendu utiliser cet argument avec le plus grand sérieux par Caroline Fourest sur France-Culture au temps des Manifs pour Tous, où l’on retrouvait Frigide Barjot, épouse de Basile de Koch… Voir ici.
[ii] Ayant lu ce pastiche à l’époque en compagnie d’un camarade de classe – j’étais alors en seconde – qui avait pour père un photographe travaillant pour… Le Figaro Magazine, je me rappelle qu’il y avait un éditorial de « Louis Poubels » qui n’est pas reproduit dans le recueil.
[iii] Jusque dans les détails : si vous avez la bonheur de posséder un original du Figagaro, vous observerez avec quelle facilité, une fois plié (entre les deux « ga »), on peut le confondre avec Le Figaro.
[iv] Et aussi un objet de consommation : ce sera l’objet d’un numéro de Qui choisir ? en 2002 ; la tentative de sortir un autre Qui choisir ? en 2012 avorta, pour des raisons évoquées par Basile de Koch dans la présentation qu’il en fait.
[v] Mais oui. Quand M. Poujol a tort, il a tort (voir ici par exemple). Et quand il a raison, eh bien, pourquoi ne pas le dire, comme c’est le cas ici ?
[vi] Référence moins surprenante dans ce blogue ; et c’est ici.

vendredi 1 janvier 2016

Lecteurs voyageurs

Illiers-Combray
En mai 1994, je fis avec des amis un voyage à Illiers-Combray, non loin de Chartres. Le nom de ce bourg est évidemment lié au souvenir de Marcel Proust. Illiers servit comme on le sait de modèle au Combray de la Recherche, au point que sa municipalité obtint un jour d’accoler au premier nom – bien réel – le second, parfaitement fictif.
A Illiers-Combray, donc, on visite la maison où le jeune Proust passa tant de vacances. Cette maison mêle habilement l’aménagement et la décoration d’une villégiature rurale et cossue du XIXe siècle à des signes de piste plus ou moins subtils destinés aux proustiens fétichistes, artistes ou philosophes. Dans le jardin, il ne manque pas une aubépine. Et la pâtisserie d’Illiers sert de petites madeleines – les vraies, celles de la tante Léonie, est-il assuré – que l’on peut à loisir tremper dans sa tasse de thé.
La visite de la maison de la tante est guidée, ce qui permet de glaner au passage quelques anecdotes. Ainsi, j’entendis, ce jour de 1994, l’aimable guide nous conter le désarroi, voire la consternation (jusqu’aux larmes) de touristes japonaises apprenant que cette maison n’était en rien celle de la tante Léonie, puisque celle-ci n’est qu’un personnage de roman.
Naturellement, nous eûmes un sourire à la fois attendri et condescendant quand nous furent évoquées ces pauvres et naïves Japonaises. Elles avaient pris pour un merveilleux recueil de souvenirs une formidable tentative d’illustration par le roman d’une philosophie du souvenir. C’est que nous savions cela, nous autres.
Rétrospectivement me vient une question : quel était alors, pour nous, l’intérêt d’un tel voyage, hormis le plaisir d’une belle excursion dont je garde d’ailleurs un souvenir enchanté ?
Epitaphe à Madrid
Curzio Malaparte n’était pas avare, dans ses divers ouvrages, en anecdotes données pour vraies alors qu’elles révèlent surtout ses talents de conteur et son imagination[i]. Dans Kaputt[ii], il s’est même trouvé un complice, Augustin de Foxà, diplomate espagnol intarissable en matière d’anecdotes macabres, de traits d’esprit ou de pitreries profondes.
Dans une de ses macabres histoires, Foxà évoque l’épitaphe d’un étudiant nommé Novillo, lue, affirme-t-il, au cimetière de Saint-Sébastien, à Madrid :
« Dieu a interrompu ses études pour lui enseigner la vérité. »
Cette épitaphe m’a été rappelée par la lecture toute récente d’un roman de Carl-Henning Wijkmark, Da capo[iii]. Le héros de ce roman est un photographe suédois chargé par un riche commanditaire américain d’illustrer un livre ayant pour sujet, en gros, la représentation de la mort en Europe centrale. Déviant en permanence de son sujet pour diverses raisons, le photographe, se souvenant soudain de cette épitaphe, décide de faire un crochet par Madrid pour retrouver la tombe de ce Novillo et la photographier.
Une fois à Madrid, déception : on lui apprend que cette tombe n’existe pas, que c’est une invention et qu’il n’est pas le premier, ni le dernier sans doute, à tomber dans le panneau.
Cet épisode, assez drôle, est plutôt bienvenu dans un roman dont l’ambiance est pesante et qui est parfois affligé de longueurs[iv]. Regardons-y cependant de plus près : est-ce vraiment une invention de Malaparte ? Après tout, ce pourrait aussi bien être une invention de Foxà dont Malaparte rendrait fidèlement compte. Voire une invention que Malaparte prête à Foxà. Ou encore mieux : cette tombe existe vraiment et c’est Wijkmark qui a eu l’idée génialement romanesque d’en faire – en gros – une invention de Malaparte…
On ne sait jamais trop, avec ces écrivains. Pour un peu, j’irais presque faire le voyage de Madrid pour savoir à quoi m’en tenir. Mais à quoi bon ?
(Et, bien évidemment, une très bonne année 2016.)


[i] Soyons un instant Italien et saluons ces talents d'un si non e vero, e ben trovato.
[ii] Dont le premier chapitre a, rappelons-le, pour titre : Du côté de Guermantes
[iii] Paru en 1994.
[iv] Mais qui vaut le détour.