dimanche 17 janvier 2016

Sans vouloir juger

Raisins
A ce que l’on dit, certains djihadistes s’attendent, après avoir péri dans la commission de leurs forfaits, à goûter au paradis la compagnie de personnes aussi nombreuses qu’elles sont galantes et pures. Or il se dit aussi que ces espérances seraient fondées sur une erreur d’interprétation des textes dont ils prétendent s’inspirer, ces délices étant en fait, paraît-il, des raisins doux et sucrés. Etant ignorant dans ce domaine, je me garderai bien de me prononcer. J’ignore d’ailleurs aussi si des assassins sont censés pouvoir y accéder…
Observons cependant que les raisins rendraient ce paradis accessible aux femmes, ce qui serait plus équitable.
Paganisme
Mon ignorance m’interdit aussi de savoir si ces délices, quelles qu’elles soient, sont une représentation imagée ou figurative du paradis que se font les adeptes de la religion dont se réclament les djihadistes. Supposons donc qu’il s’agit d’une image.
Mais il se peut que ce ne le soit pas pour tous les adeptes de ladite religion ou d’une conception caricaturale de celle-ci. Cela rappelle alors quand même un peu l’idée naïve du Walhalla, paradis des guerriers germaniques. Dans cette vision païenne, les valeureux guerriers, après être morts les armes à la main, se retrouvent tous pour former la troupe qui défendra en temps voulu les dieux. En attendant le combat final, ils passent leurs journées à se porter d’épiques ramponneaux avant de se relever pour profiter d’un roboratif banquet où, chaque soir, leur est servi le même cochon (lequel s’est magiquement reconstitué depuis la veille) et que l’on suppose arrosé de généreuses rasades de bière ou d’hydromel.
En somme, c’est assez pittoresque, mais un peu court : après tout, ces délices ne sont que terrestres. Dieu n’est-Il pas infiniment plus grand que cela ?
Martyrs
La brutalité et la sauvagerie des massacres de novembre à Paris, la stupeur, la frayeur et la tristesse qu’ils ont engendrées chez nous, voilà qui pourrait avoir comme un goût de fin du monde. Peut-être est-ce là le rêve – plus ou moins conscient – de ceux qui les ont perpétrés ou, plus sûrement, de leurs commanditaires : hâter la fin des temps. En somme forcer la main à Dieu : puéril et funeste blasphème.
Les auteurs de tels massacres, certains d’y trouver eux aussi la mort, semblent aimer à se dire martyrs. L’emploi de cette appellation laisse songeur : dans la religion que je prétends pratiquer imparfaitement, un martyr est une personne qui a témoigné de sa foi jusqu’à accepter de souffrir, d’être suppliciée, voire de mourir de la main d’autrui. On ne devient un martyr que si la situation se présente. En aucun cas un martyr ne saurait être une personne décidée à en tuer le plus grand nombre d’autres avant de se faire sauter le caisson : d’un point de vue chrétien, un tel comportement pourrait être considéré comme l’achat d’un billet pour l’enfer, avec réservation d’une place assise. Ce que l’on ne saurait souhaiter à personne.
Toutes sortes d’explications sont avancées pour chercher à comprendre comment de jeunes malheureux tombent dans des pièges aussi grossiers. Radicalisation de l’islamisme, disent les uns, islamisation du radicalisme (ou d’un désir immature de force, de virilité et d’aventure), rétorquent les autres. On peut aussi supposer la rencontre – funeste – de l’une et de l’autre.
2084
Il faut ajouter à cela, évidemment, la manipulation de ces deux tendances à des fins politiques : de la part de grandes puissances, certes, mais aussi de celle d’aventuriers ambitieux. Le plus récent roman de Boualem Sansal, 2084[i], décrit ce que deviendrait un monde où de telles entreprises auraient réussi.
Ce monde, c’est l’Abistan, Etat fondé par Abi, où tout est régi par la religion officielle, le Gkabul, « né de ce manque de soin dû à une religion » où l’on reconnaît l’islam : le Gkabul en est une grossière caricature, bien utile pour mettre au pas toute une population. Avec, bien entendu, tous les ressorts d’un Etat totalitaire pour enserrer, engluer chaque citoyen. En Abistan, on ne peut pas espérer s’enfuir, ni même en désespérer, puisque c’est le seul monde connu, possible et souhaitable pour les Abistanais. Du reste, même l’opposition clandestine semble un outil du pouvoir. C’est en gros l’expérience que fait Ati, héros de ce roman au titre évidemment inspiré par Orwell.
On pourra regretter dans 2084 la mollesse apparente du rythme, voire la pauvreté de l’intrigue. Peu d’action, peu de dialogues ; en revanche, de minutieuses descriptions et de nombreuses informations sur l’histoire officielle de l’Abistan ; avec cela, des personnages aux noms brefs et informes, que l’on finit par avoir tendance à confondre.
Le lecteur pourrait en somme penser avoir affaire à un travail préparatoire à un roman plutôt qu’au roman attendu. Ou alors, peut-être est-ce volontaire : plonger le lecteur dans ce monde triste et poisseux, le fondre parmi les ombres ternes qui le peuplent. Dans ce cas, c’est plutôt réussi.
(Finissons sur une note d’espoir pour les aspirants écrivains qui ne sont plus de prime jeunesse : Boualem Sansal, né en 1949, a publié son premier roman en 1999 !)


[i] Paru chez Gallimard en 2015. Grand prix du roman de l’Académie française.

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