lundi 23 décembre 2013

Un cadeau : "Villa blanche", de Bruno Tessarech

Il y a quelques mois, je vous avais entretenus ici du dernier roman de Bruno Tessarech, Art nègre. Et je vous avais promis de vous toucher un jour quelques mots de Villa blanche, du même auteur. Voici donc en guise de cadeau de Noël[i] un aperçu qui, je l’espère, vous donnera envie d’aller y voir.
Situons, pour commencer le sujet : il s’agit d’une évocation, sous la forme d’une enquête, de Denise Bourdet, la femme d’Edouard Bourdet, auteur dramatique tout aussi oublié aujourd’hui qu’elle. On pourrait hausser les épaules devant ce monde de fantômes, apparemment insignifiants pour beaucoup d’entre eux, mais l’effort de leur accorder quelque considération est payé d’un charme certain.
Passons rapidement sur quelques défauts qu’il faut cependant mentionner, et qui résident dans quelques relâchements, comme : « Hiver 1908. Catherine apprend… » (p. 56), « Automne 1913. Edouard a pris l’habitude… » (p. 72) ainsi qu’un « incontournable » et quelques « branché » ou « relooké » que je n’ai pas pris la peine de retrouver et qui m’ont crispé. Ce sont à mon avis des facilités dignes plutôt d’un journaliste, outre le fait que de telles expressions seront un jour plus ou moins proche, à n’en point douter, horriblement datées. Voilà pour les réserves du grincheux que je suis.
Je n’en dirai pas autant des « traductions » en euros de certaines sommes d’argent. L’effet, là, m’a plutôt semblé amusant et cruel : « euro », mot incongru et sans histoire, qui vient coiffer quelques vignettes d’une époque dont il ne reste que la patine. Je m’explique : c’est bien la patine qui manque à « euro », en fait quelque chose de dépourvu de tout agrément (contrairement à « franc », « livre », « couronne », « drachme » ou même « dollar »).
A propos de patine, Tessarech en créée une magnifique couche, vers le début, lorsqu’il raconte les circonstances qui lui ont fait faire la connaissance – si je puis dire – de Denise Bourdet. Quelques phrases au passé simple (« Le fond de l’appartement y passa à son tour », p. 25) surgissent au milieu du récit du débarras de l’appartement, où l’emploi de l’imparfait est abondant, comme pour suggérer un étirement du temps pour ce qui ne dut durer que quelques jours et devient ainsi une « époque ». Les brusques étapes au passé simple sont celles d’un combat déjà perdu.
Pour ce qui est de l’époque mentionnée plus haut, l’évocation de la khâgne d’Henri IV et des poses de ses élèves est un petit enchantement[ii]. Ces garçons qui prennent des airs élégants, affranchis et lettrés, qui ne savent pas grand-chose et parmi lesquels un aura l’illusion de l’accès à un monde mystérieux et fascinant – d’autant plus fascinant que la réalité de ce monde, certainement plus banale, lui sera pour toujours interdite – peuvent faire penser à certains passages du Grand Meaulnes ou, mieux (à mon goût), aux romans d’Alexandre Vialatte.
Venons-en à Denise Bourdet. Ou plutôt au monde qui l’entoure, car c’est surtout lui que l’on entrevoit ici. Si nous connaissons plus ou moins bien (ou croyons les connaître) des noms – voire des auteurs et leurs œuvres – comme Mauriac, Morand, Cocteau, etc., ceux d’Edouard Bourdet, de Catherine Pozzi ou d’Henry Bernstein nous sont moins familiers.
Bourdet restait jusque là pour moi un nom que l’on a parfois la bonté de placarder sur quelque colonne Morris ou une ombre passant par exemple dans le journal de Drieu la Rochelle, comme le 11 septembre 1939 : « B. a un air sinon délabré, du moins terriblement amorti. Cette drogue. Quand on pense que cela a été officier de chasseurs à pied en 14. Quelles ruines fait la paix. » Cela… Désormais, cela est pour moi un être humain.
Je ne connaissais Catherine Pozzi que par un bref article de Roger Nimier paru en 1960 dans Arts, où il est question de ses « œuvres poétiques (…), qui consistent en six brefs poèmes » et par une lettre de Jean Paulhan à Dominique de Roux (reproduite dans Maison jaune), où elle est présentée comme « une grande femme, gracieuse et laide, qui fut la femme de D. Bourdet (sic !), la mère de Claude B. et la maîtresse de Valéry ». En voici un peu plus sur la personne.
Des trois noms cités, le plus impressionnant demeure Bernstein. Alors que Tessarech parvient toujours à se montrer bienveillant envers les figures qu’il évoque, celui-là, malgré quelques efforts ici et là pour tenter de l’épargner (il « ne saurait être quantité négligeable », p. 236), il ne le rate pas, le sommet – ou le fond, on est avec Bernstein ! – étant atteint avec l’affaire de Judith. Entendons-nous : il ne le rate pas, à tous les sens du terme. Ajoutons quelques injures baroques, savantes et déroulées froidement et cela donnerait du Léon Bloy du meilleur tonneau. Mais il me semble que Tessarech ait eu le bon goût de se contenter de décrire et de raconter, comme lorsqu’il est question de ses relations avec Maurois. Bernstein est assez bouffi pour se suffire[iii].
Bien d’autres personnes passent dans ce récit : Henri Sauguet, Jean Marais (très Jean Marais, conscient de sa majesté mais n’en faisant tout juste pas trop ; saisissant : « Un géant aux yeux exorbités se tourna vers moi… Ses yeux fouillèrent au loin », p. 296), mais surtout Edmée de la Rochefoucauld, qui figure comme une dernière chance pour le narrateur : il n’en tirera que quelques vagues banalités.
Trop tard.
J’ai pensé en lisant ce dernier passage à la presque fin de La vraie vie de Sebastian Knight, de Nabokov[iv] :
-                     Oh ! la, la ! s’écria-t-elle, en devenant très rouge. Mon Dieu ! Mais le monsieur russe est mort hier et c’est à M. Kegan que vous avez rendu visite…


[i] J’en profite pour vous souhaiter une JOYEUSE et SAINTE fête de NOËL.
[ii] Personnellement, ce genre de tableau me touche beaucoup, moi qui fus l’un des plus enragés poseurs parmi les taupins de Condorcet, vers 1990-1993. Pour la petite histoire, une reproduction du portrait de Proust par Jacques-Emile Blanche est accrochée à l’un des murs du parloir parmi un bric-à-brac de souvenirs, comme l’hélice brisée d’un ancien élève qui, pendant la guerre, « l’autre, la Grande », mourut à l’issue d’un combat aérien.
[iii] Contrairement à Bourdet, Bernstein, toujours dans le journal de Drieu la Rochelle, passe moins pour une ombre. Drieu, tout comme Bourdet, en est venu aux mains avec lui !
[iv] Ce qui est de ma part un compliment.

mercredi 18 décembre 2013

Pour finir l’automne en coup de vent

La météo, paraît-il, n’exclut pas la possibilité de forts coups de vent ces prochains jours. Voici donc des propos qui risquent d’être vite emportés. Tant pis.
Zaubernatale
Nous aurons tous vu ces derniers jours la publicité d’un opérateur de télécoms : « Magic Noël », le « A » étant transformé en « 4 ». Passons sur cette astuce visuelle, à peu près aussi vieille que la publicité. Mais, ah, ce magic qui, par son orthographe anglaise nous fait entrer dans la modernité, la vraie : magique, ce serait sans doute trop long, donc pas productif. C’est sans doute dans un souci d’efficacité que ce charabia a été retenu ; Zaubernatale, par exemple, bien que tout aussi amphigourique, n’aurait eu aucune chance…
Une remarque en passant : Noël n’a rien à voir avec quelque magie, quelque enchantement ou quelque féérie que ce soit. Chez les adorateurs de Mammon, je ne dis pas, mais pas pour moi, merci. La venue du Christ parmi nous, c’est quand même autre chose, non[i] ?
De l’usage des bonnets rouges
Pour continuer sur Noël, il y a bien le bonnet rouge du gros barbu, vous savez, celui qui se trimbale sur son traîneau enchanté tiré par des rennes[ii] magiques… Et il y a celui que l’on accommode à toutes les sauces en ce moment. Dernier usage signalé : lors d’une manifestation de mini-miss, dont les mères protestent contre l’interdiction des concours de beauté pour enfants[iii]. « Laissez-nous vivre notre rêve ! », clament ces mères pleines d’amour. Et quel rêve, en effet : exhiber sa fille devant un jury qui la trouvera plus ou moins belle, comme un joli petit veau aux comices agricoles. Serait-ce là le fameux rêve français[iv] que M. Hollande disait vouloir réenchanter ? Décidément, on ne sort pas de l’enchantement.
Cette dérisoire protestation est à mettre en parallèle avec la grève des sages-femmes qui a lieu en ce moment. Par dévouement ou sens du devoir, si j’ai bien compris, les grévistes s’expriment tout simplement par le port d’un brassard : « en grève », sans interrompre leur précieux travail. J’en viens presque à prier pour qu’elles n’adoptent pas ce désastreux effet vestimentaire qu’est devenu le bonnet rouge.
Pour ma part, les jours froids, je porte une magnifique casquette plate. En tweed. De couleur verte.
France-Culture ? Vraiment ?
France-Culture diffuse tous les soirs à 19h une émission qui a pour titre le rendez-vous. S’y retrouve tout ce qu’il y a de plus branché, pardon, de plus hype, dans le monde culturel. Le dernier cri, quoi. La conversation est ponctuée par les pouffements hystériques du producteur et de ses acolytes, souvent provoqués par une allusion quelconque à tout ce qui ne saurait être dans le ton.
Il y a quelques jours, alors que j’entendais d’une oreille distraite cette émission, me sont parvenus à l’oreille des sons étranges.
Tout d’abord, un invité, pris d’un prurit de snobisme cinéphilique, dissertait de l’usage fait d’une petite caméra de je ne sais quel type, dans ses dernières années, par un certain Zven Naïcouiste. Le contexte, passé une certaine perplexité, me permit de comprendre qu’il s’agissait de Sven Nykvist, autrefois chef opérateur d’Ingmar Bergman. Pour un homme si savant, il est quand même un peu dommage d’ignorer que « Sven » se prononce avec un « s » et un « v », et que « Nykvist » se prononce à peu près « Nukvist ». Tout simplement.
Ensuite, le clou : un autre invité (qui avait sans doute dû étouffer un fou rire) se trouvait être un chanteur suédois. J’ai oublié son prénom, mais, après avoir entendu dire Naïmann, je compris qu’il se nommait peut-être Nyman. Et qu’il était originaire de Luleå, après avoir entendu dire Louléiou. Précisons qu’on prononce, en gros, « Luléo », avec l’accent tonique sur le « u », qui est long ; les snobs, pour faire plus couleur locale, pourront s’essayer à un « Lulè ».
Pour qui parle suédois, un tel massacre est à se tenir les côtes. Bon, me direz-vous, ce n’est pas évident, le suédois n’est pas une langue dont le rayonnement est immense, et cessez de la ramener parce que vous avez la chance de parler une langue rare. Je veux bien, mais je signale à ces objecteurs qu’ils auront l’occasion d’entendre de tels cuirs avec des noms anglais, allemands, espagnols ou italiens, et même français, à de plus rares occasions, certes. Tout aussi risibles.
Cela s’appelle France-Culture. C’est plein, à en déborder, de gens cultivés, ouverts, curieux de l’autre (vous savez, ce fameux autre, qui nous ouvre tant d’horizons : prière de me le faire connaître ; pour ma part, je rencontre des hommes et des femmes). A un tel point qu’il ne leur viendrait jamais à l’idée de demander comment se prononce un nom qu’ils vont citer – à l’invité, par exemple, ne serait-ce que pour avoir la politesse de ne pas écorcher son nom.
Transposez cette minuscule anecdote à tout autre domaine que celui de la prononciation des noms étrangers, et vous serez en mesure de vous faire une idée de la rigueur des journalistes, en particulier de ceux de notre radio nationale.
Dans la dignité, disent-ils ?
De ceci, en revanche, vous aurez certainement entendu parler : un groupe de dix-sept personnes, choisi par un institut de sondage au nom du comité consultatif national d’éthique pour sa représentativité de la population française, s’est réuni quelques jours pour émettre des avis sur l’euthanasie : il en ressort des recommandations pour légaliser le suicide assisté. Ce qui appelle quelques commentaires :
Premièrement, le susnommé comité a été récemment remanié avec des membres réputés bien disposés envers M. Hollande et certaines de ses promesses de campagne.
Deuxièmement, ce comité, pour éviter d’avoir à se prononcer lui-même, fait sélectionner une poignée de quidams selon des procédés qui nous sont inconnus. Lesquels quidams sont censés nous représenter. Première lâcheté.
Troisièmement, M. Hollande, avant de le remanier, avait déclaré que sur la question visée il ne se prononcerait qu’après avoir eu l’avis de ce comité. Seconde lâcheté.
Quatrièmement, il faudrait dire à ceux qui essaient de nous faire gober qu’exiger comme un droit une aide de la part de médecins pour se suicider ou pour achever un mourant[v] – comme une vieille bourrique blessée à mort – se nomme droit à mourir dans la dignité, que mourir dans la dignité consisterait plutôt à pouvoir être entouré de gens dévoués ou aimants dans des moments qui ne seront pas drôles et qui seront certainement fort pénibles.
Mais j’ai l’intuition que le monde moderne n’a pas le temps. Un mourant qui souffre, c’est un problème. Son agonie peut durer. Mieux vaut se débarrasser du problème, pensera le monde. Et retourner à ses petites affaires. J’oserai même faire un parallèle avec l’avortement : une femme enceinte est en détresse ? Eh bien, le monde lui proposera de supprimer le « problème » que pose l’enfant qu’elle porte. Ce qui est beaucoup moins encombrant que de chercher un moyen d’aider cette femme à élever son enfant.
Une dernière chose me frappe : dans cette affaire d’euthanasie, de même qu’au moment du « débat » sur le simulacre de mariage dit pour tous, on a vu des élus « écologistes » en pointe pour promouvoir ce genre d’avancées. Alors qu’on les entend peu en matière d’environnement. Drôles d’écologistes, en vérité…
Je n’ai pas dit là grand-chose de neuf, mais le répéter ne peut pas faire de mal.
Espérance, toujours
Avec la même pensée et les mêmes prières que les semaines passées pour le père Georges Vandenbeusch…


[i] Et le prochain qui me parle de féérie ou d’enchantement à propos de Noël, je l’attrape par le bras et l’emmène dans une église. Ce qui lui fera du bien.
[ii] Chez moi, le renne, ça se mange. Ce n’est pas un animal de trait.
[iii] Pourtant à peu près le seul projet raisonnable de ce qui tient lieu de gouvernement en France aujourd’hui.
[iv] C’est en général pendant notre sommeil que nous rêvons. Méfions-nous du veau qui dort !
[v] C’est-à-dire à demander à la société, à travers les médecins, d’être complice d’un suicide.

vendredi 13 décembre 2013

Si la laideur rapporte (à propos de la « tour Triangle »)

Pour clore mes oiseuses interrogations sur le conservatisme et la réaction (en partie introspectives, pour votre plus grand ennui), j’en viens à m’avouer réactionnaire : certains jours, je me dis que l’enfer doit déjà être un peu ici.
Idylle sur un plateau
J’habite le haut Vaugirard. Pour vous repérer, disons que c’est à l’est de la porte de Versailles. A priori, le lieu le plus quelconque de Paris, dans le déjà assez quelconque XVème arrondissement.
Pour qui le connaît, ce quartier recèle quelque charme et quelques bizarreries, si l’on veut bien s’écarter un instant du boulevard Lefebvre et parcourir quelques rues étroites, pentues, incommodes l’hiver (car glissantes et venteuses) et toujours calmes.
Ce fin fond de Vaugirard est, à ma connaissance, fort peu représenté dans la littérature. Je ne vois guère qu’une nauséeuse et poisseuse scène de messe noire, située rue Olivier de Serres, dans Là-bas de Huysmans et, toujours rue Olivier de Serres, une jolie phrase de Charles Dantzig[i], dans Il n’y a pas d’Indochine :
« La rue Olivier de Serres (sens Paris-banlieue) semble monter vers la mer ; au milieu […], on a l’impression qu’on va voir l’Atlantique. »
Pour ma part, l’inconnu que j’imagine au bout de cette côte pourtant assez molle serait plutôt une lande, mais chacun ses horizons. L’impression me semble assez juste. Essayez donc !
Demeurant sur le susnommé boulevard, mon sixième étage vaguement haussmannien m’offre une vue sur le bois de Meudon au Sud et, vers l’Ouest, les coteaux les plus méridionaux de Saint-Cloud. Ce qui est plutôt agréable, à condition de ne pas attarder ses regards sur les horribles bâtiments du parc des expositions. Lesquels ont le mérite de ne pas s’élever bien haut.
La « tour Triangle »
Or voici que cet apaisant horizon menace, d’ici quelques années, d’être bouché. Il a été en effet décidé par la ville de Paris de construire au milieu du parc des expositions une tour dite Triangle, haute de 180 mètres, qui devrait être occupée par des bureaux avec, à ses pieds divers commerces…
Pour faire passer cette pilule, on nous annonce l’aménagement de jolis jardins tout mignons dans le parc. Bon, va pour les jardins. Mais cette tour…
C’est curieux, mais la notion de tour, en soi, ne me dérange pas. S’il s’agit, par exemple, de la flèche d’une cathédrale, voilà l’audacieuse matérialisation d’une humble prière. Que nous le voulions ou non, elle nous appelle. Tandis que l’empilement de bureaux où des employés tromperont leur ennui dans des intrigues de machine à café ou en décorant les cloisons d’indicateurs chamarrés pour plaire à leurs chefs[ii], cela ne m’inspire rien. Ou alors si : la forme pyramidale de la « tour Triangle », son gigantisme et son style prétentieux[iii], tout cela me semble suer un orgueil qui m’évoque la tour de Babel…
La campagne au bout de la rue
Le samedi matin, on peut faire son marché boulevard Lefebvre. Et, sur les marchés, par temps de campagne électorale, fleurissent les distributeurs de tracts. En général, je les évite ou prends poliment le tract qui m’est tendu (bonjour, merci, au revoir), le parcours en zigzag et l’envoie emplir la première poubelle venue, désolé de la mort de tant d’arbres pour une si vaine propagande…
Or voici qu’un samedi matin, fin novembre, atterrit entre mes mains un tract vantant le programme d’une dissidente de l’UMP[iv], de ce genre de jeune politicienne fervente du ôte-toi d’là qu’j’m’y mette. J’y lus entre autres promesses lyriques le soutien ardent au projet de « tour Triangle ».
Levant ma tête du brimborion que j’avais entre les mains et bravant ma timidité, j’engageai la conversation avec la brave dame qui venait de me le passer. Elle avait la cinquantaine pimpante, un bon sourire, l’air simple, correct et détendu de la mère de famille alliant tradition et modernité.
-          Pardon, madame, mais si je comprends bien, vous êtes favorables à la construction de cette tour ?
-          Mais oui, bien sûr !
-          Alors je ne voterai pas pour votre candidate.
-          Ah bon ! Seulement pour cette raison ?
Je restai poli. Je ne lui rétorquai pas qu’elle venait de me confirmer que l’une des valeurs les plus prisées en ce moment en politique est le mépris pour l’électeur, que l’on peut tranquillement prendre pour un perdreau de l’année. Je m’abstins de lui expliquer que j’avais croisé lors des Manifs pour tous des gens qui avaient voté Hollande en pensant que certaines promesses électorales étaient si ridicules qu’elles seraient vite oubliées, alors que, du point de vue du gouvernement, elles seraient les moins difficiles à faire passer… Je me contentai de dire que je me verrais mal voter pour un candidat soutenant des projets rédhibitoires pour moi.
-          Mais qu’avez-vous contre cette tour ?
-          Tout. Je n’ai pas envie d’avoir sous les yeux ce machin pour me boucher la vue. Vous habitez le quartier, madame ?
-          Oui, et c’est vrai qu’il y a beaucoup de gens dans ma copropriété qui sont aussi très remontés. Je ne comprends pas…
-          Et avez-vous pensé aux années de travaux, au bruit, à la poussière, aux encombrements ?
-          Mais nous avons déjà eu de tels désagréments avec le chantier du tramway. Et nous en sommes fiers, non, de notre tramway… Vous n’en êtes pas fier ?
Inutile de lui faire comprendre qu’un tramway ne saurait être pour moi un objet de fierté, ni de honte, d’ailleurs. Un tramway permet de se déplacer, c’est bien pratique, voilà tout[v]. Elle profita de mon silence :
-          Et puis, il y aura plein de bureaux et de commerces ! Ce sera du business pour le quartier ! C’est quand même le plus important, le business, non ?
Plus rien à répondre de ma part. La dame avait raison, peut-être. Enlaidissons le monde. Tartinons-le, salissons-le de quelques étrons de plus. Il en montera un fumet d’un parfum doux aux naseaux de l’étrange dieu Business.
Sans doute mû par une habitude acquise lors des manifestations évoquées plus haut, je ne pus que dire doucement à cette brave dame, avant de prendre congé d’elle et de tourner les talons :
-          Je n’en veux pas.
Espérance, toujours
Avec la même pensée et les mêmes prières que les semaines passées pour le père Georges Vandenbeusch…



[i] Je le soupçonne, peut-être à tort, de manquer d’objectivité : il y a après tout une rue de Danzig dans le quartier…
[ii] Il y aurait bien des choses à dire au sujet de ces indicateurs, à y réfléchir. Ce sera pour une autre fois.
[iii] Que l’on doit aux architectes suisses Herzog et de Meuron, couronnés par un prix Pritzker en 2001 pour l’ensemble de leur œuvre – occasion pour moi de me réjouir de ne pas m’appeler Pritzker.
[iv] Renseignements pris, la jeune dame aurait été naguère étiquetée copéiste, appellation qui me plonge dans une perplexité abyssale.
[v] Encore que, dans le cas des boulevards maréchaux, il soit scandaleux de voir à deux pas les voies de la petite ceinture sans voyageurs depuis pas loin de quatre-vingts ans.

vendredi 6 décembre 2013

Brefs relevés européens

 
Un petit tour (non exhaustif) des sottises de la semaine vous plairait-il ? Alors donnez-vous la peine…
Des poupées qui font pipi
Ce que nous savons de la situation en Ukraine ces derniers jours, c’est ce que veulent bien nous en dire les journalistes, si nous n’avons pas le temps, la curiosité ou le courage de nous renseigner sérieusement : de gentils manifestants (des dizaines de milliers, nous dit-on) réclament un rapprochement de l’Ukraine et de l’Union européenne, rejetant les décisions du parlement et du gouvernement, lesquels souhaitent (sans doute mus par de noirs desseins) conserver un lien étroit avec la Russie.
Ce n’est pas moi qui vous dirai ce qu’il faut en penser. J’ignore parfaitement qui a raison ou tort, et même si quelqu’un a raison ou tort dans cette histoire. Je me contenterai par conséquent d’observer que les susmentionnés manifestants sont vus avec une grande bienveillance par notre presse. Ce qui change de l’époque où, à Paris (vous en souvenez-vous ?), trois manifestations rassemblant chacune plusieurs centaines de milliers de personnes furent au mieux traitées comme à peu près rien (et en plus ces fossiles étaient allés jusqu’à protester contre une loi déjà votée) !!!
Les événements qui se déroulent en Ukraine ont en tout cas fourni une occasion aux Femen de faire une brève réapparition, dimanche dernier. Ne craignons rien : à Paris, en toute sécurité. Cela me rassure un peu : on ne les voyait plus beaucoup, ces derniers mois ; j’en venais presque à me demander si elles existaient encore. Leur contribution aux débats qui agitent l’Ukraine a été simple et directe : devant l’ambassade d’Ukraine à Paris, elles ont uriné sur un portrait du président ukrainien.
Cette protestation, hautement symbolique, nous révèle sans doute une évolution chez elles. Jusqu’ici, en effet, elles semblaient croire que leurs corps se limitaient à des paires de seins. Désormais, elles savent qu’elles ont aussi une vessie !
On attend maintenant leur découverte du cerveau. Ce sera certainement passionnant.
Selon M. Mélenchon…
… Ou selon la police ? Tsss, ce n’est pas une question très charitable, ça ! Laissons M. Mélenchon tranquille.
Et vive la Croatie, monsieur !
Toujours dimanche dernier, un référendum a permis d’inscrire dans la constitution croate le fait qu’un mariage ne saurait unir qu’un homme et une femme. Mine pincée (pour ne pas dire : nez pincé) des journalistes de Radio-France, aux bulletins de lundi matin, pour plusieurs raisons :
Premièrement, il y a le résultat de ce référendum, bien entendu.
Deuxièmement, il y a le fait qu’un pays moderne, européen et démocratique, ait recours à une chose aussi atroce qu’un référendum.
Troisièmement, qui pis est, ce référendum est d’initiative populaire !!! Ah, ce n’est pas en France qu’une telle monstruosité se produirait !
Enfin, les vigilants journalistes de Radio-France nous ont appris (horreur !) que l’influence de forces aussi rétrogrades que l’Eglise catholique et « la droite » n’était pas étrangère à ce référendum ni à son résultat. Ce qui explique le drame. En somme, les Croates seraient des abrutis pas encore aussi éclairés que nous autres, vrais Occidentaux post-à-peu-près-tout. Cela ne devrait pas nous étonner : l’éminent professeur Bob Dylan (fameux biologiste et ethnologue) n’a-t-il pas récemment déclaré que les Croates avaient dans leurs veines du sang oustachi ? (Bon, à ce prix-là, j’ai du sang armagnac.)
Du reste, ai-je pu entendre toujours sur notre radio nationale, ce regrettable événement est incompatible avec les valeurs européennes.
Mais assez d’ironie (enfin, pour un instant). Pour ma part, je n’aime pas beaucoup le mot valeurs : les valeurs, ça se négocie ; cela fluctue (en hausse, en baisse) et cela s’échange. J’aime mieux tenir à ce que je crois être vrai et bon une fois pour toutes, pour des vérités et des vertus qui ne changent pas (et si j’en change, c’est que moi j’aurai changé). Par ailleurs, je veux bien admettre qu’inscrire une définition du mariage dans la constitution d’un pays puisse sembler incongru. Non pas parce que ce serait une atteinte à je ne sais quelles valeurs (qui changeront quand cela arrangera ceux qui les promeuvent aujourd’hui), mais parce qu’a priori il est incongru d’inscrire de telles évidences dans une constitution. Or, à force de changer de valeurs comme de chemise, il se trouve des personnes pour ne plus estimer évidentes lesdites évidences. Une telle bizarrerie peut donc être vue comme ce qui reste pour rappeler, voire défendre ces évidences devant l’avachissement général de l’Europe.
Malheureusement, j’ai bien peur que le marbre des constitutions soit un peu tendre, ces temps-ci.
Quoi qu’il en soit, vive le Croatie !
M. Peillon et les prépas
Comme je l’ai déjà suggéré plus haut, ce n’est pas en France que se produiraient de telles infamies. Pensez donc : la France, c’est le pays de M. Peillon, le prophète de la religion républicaine ! A propos de M. Peillon, celui-ci a décidé d’étendre son entreprise de saboulage de l’Education Nationale aux classes préparatoires. Il faut dire que c’est à peu près tout ce qui semblait fonctionner encore : voilà une inégalité, donc une inadmissible injustice.
En écoutant distraitement la radio, j’ai cru entendre dire qu’un professeur de prépa travaillerait en moyenne dix heures par semaine. Pour avoir passé (il y a plus de vingt ans, certes) trois ans en taupe, je me vois obligé de supposer que cette statistique inclut les professeurs retraités ou morts. Il suffit de prendre un professeur de mathématiques ou de physique de taupe, de compter son nombre hebdomadaire d’heures de cours et d’y ajouter le temps passé à corriger chaque semaine une bonne quarantaine de copies (des devoirs sur table ou à la maison, dont il aura au préalable préparé les énoncés) pour avoir ce genre de doute…
Saint-Nicolas
Je ne saurais évidemment terminer ce survol sans souhaiter à tous une bonne et joyeuse Saint-Nicolas. En particulier aux hommes célibataires, aux Alsaciens (et aux Alsaciennes), aux Lorrains (et aux Lorraines), à…, à…, et même aux Néerlandais (et aux Néerlandaises !), en espérant pour ces derniers que Zwarte Piet était de la fête !
Espérance
Naturellement, tout cela n’interdit pas d’avoir toujours la même pensée ou de faire les mêmes prières que la semaine dernière, pour le père Georges Vandenbeusch…