Faut-il chercher sur la vie et l’œuvre d’Agram Bagramko, peintre de Ma source la Seine, d’autres renseignements que ceux fournis par François Sureau dans L’Or du temps ? Qu’il soit permis d’en douter. Nous devrons donc nous contenter au sujet de « ce réfugié aux origines imprécises, proche du groupe surréaliste depuis l’époque dite des sommeils, mais séparé ensuite de Breton par son mysticisme tranquille qui le rendit suspect » de ce que François Sureau aura bien voulu nous livrer, pour servir son propos dans la descente du cours de la Seine à laquelle il nous invite.
Ce Bagramko, quoique
voyageur et nanti, sinon d’un carnet d’adresses, d’une liste d’accointances
longue comme le bras[i],
ne saurait être présent partout le long de la Seine, et au fil du récit nous
faisons d’autres rencontres : d’intéressants généraux nommés Mangin ou
Brosset, un vieux sage juif de Troyes (Rachi) et son contemporain Chrétien de
Troyes ; et d’étranges lieux aussi, comme le lac d’Orient, nous sont
évoqués.
Peu à peu nous approchons
de Paris et, là, la Seine de Sureau semble prendre un autre cours que celui que
nous connaissons[ii] :
elle vient irriguer tout Paris où elle finit par se perdre. Et c’est en fait un
autre livre qui commence, dont le prétexte n’est plus la Seine, mais Paris. Si Bagramko,
son fantôme ou son souvenir, nous accompagne toujours, Sureau s’est trouvé ici
un nouveau parrain en la personne de Jacques Hillairet, figure chère aux amoureux
de Paris[iii],
lequel fait l’objet d’un portrait à la fois reconnaissant et ironique sur
quatre pages. Il est bon, pour évoquer Paris en artiste, de disposer des
renseignements amassés avec la rigueur passionnée d’un officier du génie pour s’y
repérer. Outre ce portrait et quelques références explicites, les titres des
chapitres de L’Or du temps relatifs à Paris rappellent souvent ceux des
méthodiques promenades proposées par le colonel Coussillan dans Connaissance du
vieux Paris, avec il est vrai quelques fantaisies : « Le salut, du Luxembourg
à Neuilly », « Rive droite, du Père-Lachaise à Odessa »…
Comme il a été dit plus
haut, on s’éloigne ici des rives de la Seine, jusqu’à explorer des quartiers
sans grand rapport avec celles-ci. Nous pourrons donc par exemple nous égarer
du côté du boulevard Barbès, dans une rêverie à la fois fantomatique et féroce
du magasin Dufayel : de ce temple précoce du capitalisme kitsch (ou du
kitsch capitaliste ?), il ne reste aujourd’hui que quelques portails le
long du boulevard Barbès ou de la rue de Clignancourt. Nous en saurons plus, au
passage, sur ce nom, DUFAYEL, que l’on voit s’étaler sur les murs aveugles ou
les pignons des immeubles, en gros caractères publicitaires, dans tant de
vieilles photographies de Paris…
Les détours, les
digressions, les méandres ou les bras morts, oserait-on dire, abondent donc dans
les chapitres parisiens de L’Or du temps. François Sureau semble avoir
perdu de vue son prétexte, voire son système, mais il serait un peu mesquin de
le lui reprocher.
[i] Un bras plus long que ne
pourrait jamais en avoir la Seine.
[ii] Pour descendre la Seine avec
Sureau jusqu’à son embouchure, il y eut cet été une série sur France-Culture,
reprenant d’ailleurs (des sources à Paris) pas mal de passages de L’Or du temps.
[iii] À qui est dédié son Dictionnaire historique des rues de Paris.