Il n’est pas illégitime de s’interroger ce qui pousse les responsables politiques, dans divers pays, à briguer tel ou tel poste. La vanité, l’ambition, l’orgueil ? Certes, cela y est pour beaucoup. Certains se justifieront en invoquant une vocation. Pourquoi pas ? D’autres le désir servir leur pays. Fort bien ! D’autres encore celui de faire triompher leurs idées. On veut bien.
M. Macron, depuis cinq
ans, fait l’objet à peu près en permanence de ce genre d’interrogation. De nombreuses
hypothèses ont été émises à son sujet, dont les plus originales portent sur le
courant d’idées dans lequel il s’inscrirait – au-delà du superficiel en même
temps, peut-on dire. Dans ce domaine, un essai de Frédéric Rouvillois, Liquidation,
paru il y a environ un an et demi, est assez intéressant.
Restent, chez M. Macron,
de curieux éléments de psychologie. Curieux, pour ne pas dire inquiétants. On n’aura
pas oublié sa sortie d’il y a un mois environ sur ceux qui refusent de se faire
vacciner contre le virus qui nous ennuie depuis deux ans : M ; Macron
a « très envie de les emmerder », comme chacun sait. Nous passerons
sur ce que cette déclaration a d’offensant, sur le désir qu’elle semble révéler
de désigner comme coupables de tous les maux une minorité de récalcitrants, ou
sur la manière d’alimenter les délires complotistes que représentent de tels
propos[i]… tout
cela a déjà été dit ailleurs, mieux que je ne saurais le faire (sans compter
que je n’avais qu’à me manifester plus tôt !).
Ce qui devrait nous
inquiéter, c’est ce « j’ai très envie ». Après tout, que M. Macron
ait « très envie » de ceci ou de cela, peu me chaut tant qu’il le
garde pour lui et se garde de céder à ses envies. Mais s’il le déclare à des
journalistes, cela a comme un accent menaçant[ii]. Et rappelle
quelque peu Zazie dans le métro aux lecteurs de Queneau, où Zazie
déclare vouloir devenir institutrice « pour faire chier les mômes ».
La littérature nous donnerait ainsi des indices peu encourageants sur la
maturité de M. Macron.
On peut aussi se
contenter de penser que ce n’est qu’un écart de langage de plus de sa part, et
hausser les épaules. Je ne sais pourquoi je songe tout à coup au jour où il a
qualifié M. Boris Johnson, premier ministre britannique, de « clown ».
Il est vrai qu’en la matière les méchantes langues diront qu’il est
connaisseur, voire expert. Il n’est besoin que de voir de quels ministres il
est capable de s’entourer, préciseront ces méchantes langues.
Car oui, ce sont de
méchantes langues : comment par exemple ne pas éprouver un sentiment
bienveillant envers notre premier ministre, M. Castex ? Ses mines
perplexes, son air perpétuel de se demander ce qu’il fait là, voilà qui est
touchant et devrait nous attendrir. Puisque les références littéraires
devraient nous éclairer, comment ne pas penser au président Melba dans Perfide,
de Roger Nimier ? Curieuse époque que la nôtre, où le personnel politique
français semble nous ramener couvent à cette roborative farce. C’est drôle,
mais ce n’est pas rassurant.
À propos de M. Johnson,
dont il était question plus haut, cet homme semble traverser une mauvaise passe.
La presse britannique s’en donne à cœur joie, à propos de fêtes qui eurent lieu
au 10 Downing Street en plein confinement. Si de telles fêtes sont de fait moralement
répréhensibles et d’un effet déplorable par le manque d’exemplarité qu’elles
révèlent, il semble manquer quelque chose aux diatribes contre M. Johnson. Non pas
quant à leur effet éventuel, beaucoup sommant l’intéressé de démissionner, mais
quant au personnage qu’est Boris Johnson.
Certains n’ignorent pas
qu’il fut à Oxford membre du Bullingdon Club, institution dont les
familiers de l’œuvre d’Evelyn Waugh peuvent se faire une idée[iii].
Evelyn Waugh ? Voilà une piste intéressante. M. Johnson n’a-t-il pas
quelques traits de ces bright young things dont le non moins brillant
Waugh dépeignit quelques frasques dans Ces Corps vils ? Pour preuve
ce personnage qui, apprenant l’existence de l’Independent Labour Party,
regrette de ne pas y avoir été invité ; et aussi une fête improvisée… au 10
Downing Street. Dans ces conditions, allez savoir si M. Johnson – ou l’un ou l’autre
de ses collaborateurs – n’aura pas commis une fâcheuse erreur quant à l’acception,
en anglais dans le texte, du mot party. La littérature, décidément, nous
éclaire d’une manière aussi drôle qu’effrayante[iv].
[i] Nous ne dirons rien des
propos absurdes et indécents de M. Estrosi ou de M. Hirsch au même sujet. Les courtisans
ne sont souvent que de pâles imitateurs.
[ii] Voulu, c’est du cynisme,
involontaire, c’est un manque de maîtrise de soi.
[iii] Dans Grandeur et décadence (sous le nom de Bollinger Club) et dans Retour à Brideshead.
[iv] Ne nous plaignons pas :
le rire et la littérature ne sont pas là pour nous rassurer.