Osons, en quelques notes aussi brèves que possible,
rapprocher quelques actualités françaises et européennes qui, en apparence, n’ont
que des rapports lointains. L’exercice n’est pas forcément réjouissant,
quoiqu’il puisse s’avérer parfois drôle et intéressant.
Séisme
Voilà un mot qui est revenu à la mode depuis les
résultats que l’on sait aux élections européennes. Il nous ramène en 2002, où
il avait déjà été employé après le premier tout de l’élection présidentielle
(un ami, hélas disparu depuis, avait préféré me dire, le soir de ce premier
tour : « quelle poilade ! »). Ce mot, répété à l’envi,
ainsi que les habituelles références approximatives aux années trente, permet de prendre des poses héroïques et surtout
d’éviter de réfléchir, par exemple aux raisons qui ont fait s’abstenir la majorité
des électeurs et voter une bonne partie de ceux qui s’en sont donné la peine
pour le Front National.
Les belles âmes préfèreront crier séisme aussi fort que possible, et
protester contre le Front National. Jeudi, quelques milliers de jeunes sont allés
manifester contre le résultat d’une élection tout à fait légale. Mais le plus
beau que j’aie entendu, c’est une reprise façon variétoche contemporaine du Chant des partisans par un certain
Benjamin Biolay. Quelle leçon, quel courage ! Comme la résistance est
commode, quand il s’agit de protester contre un parti politique légal parmi
d’autres, quand c’est tout à fait permis (et même encouragé) ! Et, encore
une fois, cela évite de réfléchir, ne serait-ce qu’à la manière de réfuter les
arguments dudit parti.
Dans un domaine assez proche, il est plutôt
encourageant de voir qu’en Ukraine, ce ne sont pas les héroïques combattants de
Kiev, célébrés naguère par quelques grandes consciences horrifiées par le Front
National qui ont emporté l’élection présidentielle. Je veux parler bien sûr des
gens du Secteur Droit ou de Svoboda qui, autant que je sache, sont
autrement inquiétants que le Front National, mais scandalisèrent moins les
belles âmes de chez nous lorsqu’ils s’arrogèrent un tiers des postes dans le
gouvernement de fait qui s’était installé dans leur pays jusqu’à cette élection.
Débat d’idées à l’UMP
Trop au centre, trop à droite ? Trop
décomplexés ou pas assez ? Faut-il se poser en adversaire ou en concurrent
du Front National pour conserver ou gagner des voix ? Voilà le débat
d’idées qui semble agiter l’UMP : au fond, un problème de définition du marketing mix. C’est assez normal,
puisque ce parti politique réunit des dirigeants parmi lesquels on ne saurait
dire s’il s’en trouve deux qui pensent de manière compatible. Quand ils
pensent.
En attendant, les voilà obligés de se passer de M.
Copé, leur penseur en chef, empêtré dans une affaire de fausses factures aussi
sordide que grotesque. Il est curieux de constater que ce n’est qu’après coup
que tous ces politiciens comprennent que ce genre d’affaire contribue à nourrir
l’abstention et les succès du Front National aux élections. Avant de
recommencer, recommencer, et recommencer encore…
Mais heureusement M. Hollande veille. Il a sommé
l’UMP de ne plus céder à ce genre de faiblesse. Il est vrai que ce n’est pas à
gauche que l’on ferait de pareilles bêtises. Qui se souvient, du reste, qu’il y
a un peu plus d’un an, M. Cahuzac, alors ministre…
L’affaire qui embarrasse l’UMP et M. Copé implique
une société de communication nommée Bygmalion. Un nom clairement forgé sur un
jeu de mot mythologico-vaseux : Pygmalion en plus grand, Pygmalion au
carré. On imagine M. Copé en Pygmalion de soi-même : érigeant sa propre
statue et s’en éprenant… Certains ont ironisé sur ce nom, le travestissant en big millions. Big Mammon ne serait pas mal non plus, dans le registre de
l’idolâtrie.
Mais à bien y songer, je n’aime pas ce big. Je préfère rester français et
utiliser gros. A quand un Grométhée,
une sorte de Prométhée obèse ? Ce serait un bon symbole de notre basse
époque.
Démocratie européenne
Il est légitime de se demander si les institutions
européennes sont démocratiques, malgré les récentes élections, et à quoi elles
servent. On se souvient du traité de Lisbonne, qui reprend en gros les
dispositions du traité rejeté entre autres par la France en 2005 (lors d’un
référendum : si les gens votent mal, eh bien il n’y a qu’à se passer de
leur avis). Or ce traité prévoit que des citoyens européens peuvent soumettre
des pétitions à la Commission Européenne. Une de ces pétitions vient d’être
rejetée par ladite commission : il s’agit d’Un de nous, qui vise à faire interdire les manipulations d’embryons
humains à des fins de recherche. Cette pétition a réuni près de deux millions
de signatures dans toutes l’Europe, mais apparemment ses promoteurs et les
signataires n’ont pas à se mêler de ce sujet. On lira à ce propos ce qu’en dit
la Fondation Jérôme Lejeune, ici, avec profit ; n’hésitez surtout pas à
ouvrir le document où la Commission Européenne justifie le rejet de la
pétition : trente-deux pages d’arguties vagues teintées de charabia
simili-juridique pour dire en gros que les recherches en question sont tout à
fait éthiques (puisqu’on vous le dit) et qu’elles représentent de juteuses
occasions pour l’industrie pharmaceutique (ce qui, au fond, semble plus
important pour ces gens que le reste).
Si certains se demandent à quoi sert la Commission
Européenne, c’est qu’ils ne s’informent pas : elle sert, au moins, d’abord
à inviter les citoyens européens à s’exprimer, ensuite à les prier de se taire.
Et, pour délayer sur trente-deux pages un « oui mais non, en fait
taisez-vous », il doit falloir du monde.
Vacheries
On pourrait rapprocher cette affaire de celle du
projet d’installation, près d’Abbeville, d’une étable pour mille sept cents
têtes de bétail (autant dire une usine à vaches), destinée à la production
massive de lait et de viande destinés à la vente à vil prix. Autrefois, dans
les mythes grecs, Prométhée finissait par être enchaîné. Aujourd’hui, ses
adorateurs l’ont libéré et ont décidé de l’engraisser. D’où, sans doute, ce
besoin de bidoche en abondance.
Cinq opposants au projet sont actuellement détenus
pour avoir démonté l’autre jour quelques tuyaux sur le chantier de cette usine.
Ils sont accusés de vandalisme. Car, bien sûr, les vandales, ce ne sont pas
ceux qui projettent d’empiler les vaches. Pour plus de détails et pour savoir
qui sont les vandales, une visite ici vous éclairera.
Dans ce cas, comme dans celui d’Un de nous, les
partisans de manipulations peu ragoûtantes ne manqueront pas, bien entendu,
d’accuser leurs opposants d’être des obscurantistes qui, en maniant des peurs
moyenâgeuses, menacent le progrès et la prospérité (ben voyons : la
prospérité de quelques-uns). Sans me vanter, c’est de ce genre d’accusation que
je vous entretenais il y a quelques jours (ici). On ne saurait donc trop conseiller à
ces opposants de poursuivre leurs combats sans perdre de temps à se soucier de
telles accusations.
Quoi qu’il en soit, signalons aux amis du progrès
que leur idole, Prométhée, à force d’engraisser, pourrait finir par avoir mal
au foie.