L’écume de l’actualité permet parfois des réflexions
intéressantes. Je ne veux pas parler des sifflets essuyés à Rome par M.
Valls il y a quelques jours : à ce sujet, je me contenterai de vous
renvoyer au point de vue judicieux exprimé ici, dans le blog de Fikmonskov, et de remarquer que s’il est permis de s’engueuler
en famille, il vaut mieux que cela se passe chez soi, les fenêtres fermées,
plutôt que, disons, dans une église pendant la messe.
Non, je pensais plutôt aux caricatures politiques
exécutées par Jean Sarkozy, lesquelles nous ont été révélées il y a quelques
semaines.
Un jeune amateur
Faut-il encore présenter le jeune homme prometteur
qu’est M. Jean Sarkozy ? Visiblement, il cherche sa voie : études de
droit, théâtre, gestion de l’établissement public de la Défense, politique, il
s’essaie à tout. Et maintenant au dessin politique. Au vu des résultats (ici), il a encore
moins de talent qu’un Plantu dans ses pires œuvres, et on ne saurait trop lui conseiller
de chercher encore, en lui souhaitant de la trouver un jour, sa place. Quant à
ses dessins, il pourra toujours les montrer, dans de nombreuses années, à ses
petits-enfants, s’ils ont été sages, après le dessert. Cela lui fera des souvenirs.
Humour et sport professionnels
A bien y penser, il existe un parallèle entre l’humour
(ou plutôt la satire) et le sport. De même qu’il est plaisant de faire un peu d’exercice,
voire de participer à un sport collectif, il n’est pas désagréable d’y aller de
temps en temps de son petit commentaire, amusé ou méchant, sur tel ou tel
aspect de la vie ou des bêtises du moment. Et aussi d’encourager un ami sportif
ou d’entendre un bon mot ici ou là. Cela n’empêche en rien le reste.
Le sportif professionnel, lui,
doit passer son temps à s’entraîner, puis à se produire dans des rencontres de
haut niveau. Il n’a plus de loisir, plus le temps de s’intéresser à quoi que ce
soit. Pensons maintenant à un journaliste ou à un dessinateur satirique :
chaque mois, chaque semaine, voire chaque jour, il doit trouver matière à rire.
Il doit être drôle : on le paie
pour cela.
Du reste, de même que le sportif professionnel peut
facilement glisser sur la pente de l’entraînement excessif, voire du dopage,
par la surenchère des performances (il faut bien assurer le spectacle), le
satiriste professionnel ne risque-t-il pas de finir par se demander : de quoi vais-je pouvoir me moquer aujourd’hui ?
Triste dérive, qui transforme en robot hargneux, dans un cas un être vigoureux
et aimant le jeu et l’exercice physique, dans l’autre un être doué de style et
d’esprit.
C’est ainsi que le satiriste tombera vite dans l’un
ou l’autre travers, parfois les deux : l’aigreur ou l’affadissement.
La traversée des âges : l’exemple de Simplicissimus
Ces deux maux, que l’on peut résumer à l’épanchement
de bile ou au dévoilement de petites femmes, sont d’ailleurs probablement la
cause de la disparition de bien des publications satiriques : le public
finit par s’en lasser. La décadence dure parfois un certain temps, qui peut
être plus long sous un régime totalitaire : nos hardis satiristes se
mettront pour bon nombre au pas et hurleront avec les loups. Souvent pour des
raisons assez terre-à-terre : c’est qu’il faut manger, ma bonne dame !
Un exemple fort intéressant de ce genre de décadence
s’est rencontré en Allemagne : de 1896 à 1944, Simplicissimus, hebdomadaire satirique munichois (dont la collection complète peut être consultée ici), suivit les
tribulations de l’Allemagne. Drôle et acéré à ses débuts (au point de valoir à
un de ses fondateurs, Thomas Theodor Heine, six mois de prison pour
lèse-majesté), ce périodique fit platement dans le style patriotard pendant la
Grande Guerre, avant de retrouver un ton plus mordant dans les années 1920 et
de sombrer à partir de 1933 dans un mélange de grosses blagues (qui y avaient,
à vrai dire, toujours eu leur place) et de propagande gouvernementale.
Ce qui ne varie pas dans le temps est la qualité
artistique de bien des dessins, souvent influencé par les tendances de l’art
moderne des années 1890-1910. Citons pour le plaisir quelques noms, outre celui
de Th. Th. Heine, comme Bruno Paul, Olaf Gulbransson, Eduard Thöny, Wilhelm
Schulz ou, parmi de plus jeunes, Karl Arnold. Occasionnellement, Simplicissimus accueillit aussi des
contributions d’artistes plus reconnus, comme Alfred Kubin ou George Grosz.
Passé les quelques blagues médiocres sur les curés,
les couples adultères, les officiers prussiens, les paysans bavarois ou les
dames plus ou moins vêtues (genres qui subsisteront jusqu’au bout), cela vise
joliment et férocement juste. A droite, à gauche, en Allemagne et ailleurs.
Or le tournant de 1933 est édifiant : hormis
Heine (qui était d’origine juive et prit à temps le chemin de l’exil) et
quelques autres, les piliers comme Arnold, Thöny, Schulz ou Gulbransson, qui
avaient copieusement mangé du nazi pendant une dizaine d’années, retournèrent
leurs vestes sans grande difficulté. Et souvent en conservant leur talent
artistique, bien que celui-ci, avec l’âge, pût donner des signes de faiblesse
ou de monotonie.
Pourquoi chercher cet exemple à l’étranger ? C’est
qu’en France on ne vit pas à la même époque – parfois aussi agitée chez nous –
de publication équivalente durer aussi longtemps avec la même qualité picturale
(qu’on veuille bien songer que l’Assiette
au beurre cessa de paraître en 1912 ; et qu’en matière de dessin le
Canard enchaîné n’est jamais allé à la cheville de Simplicissimus ou de l’Assiette
au beurre).
On pensera plus en France à quelques parcours
individuels, comme celui de Ralph Soupault : dessinateur au trait
expressif, simple et élégant, il mit son incomparable talent dans des dessins visant
juste (comme ici en 1934) ou franchement odieux (comme là pendant l’Occupation).
Venu de la presse nationaliste, c’est par conviction qu’il tomba dans le
collaborationnisme le plus infect et le plus stupide, sans rien perdre de la
force de son trait[i].
Où l’on voit que les convictions et l’estomac peuvent
mener aux mêmes errements.
Oui, mais l’amateur, l’homme d’esprit, me
demanderez-vous ? Que ferait-il en de telles circonstances ? Eh bien,
il se tairait sans doute, ou choisirait avec prudence son auditoire pour lâcher
– quand cela viendrait – un bon mot. Ce qui ne le dispenserait pas, d’ailleurs,
dans sa vie quotidienne – et notamment dans son métier – d’interroger de temps
en temps sa conscience.
[i] Un parcours à comparer à
celui de son confrère Roger Chancel, venu des mêmes milieux et passé, lui, à la
Résistance.
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