Il y a environ deux mois me fut donné le bonheur d’aller écouter le Requiem de Mozart (ou faut-il dire – au moins – de Mozart et Süßmayr ?), chanté et joué par un chœur et un orchestre composés en bonne partie d’amateurs. Ce Requiem, j’avais prévu d’aller l’écouter en mars 2020, dans la même église de la proche banlieue parisienne. Mais les circonstances en avaient voulu autrement, compte tenu du mortel virus que l’on sait (mortel, à bien des acceptions du terme). La joie de retrouver ce chœur, cet orchestre, cette église – et même le chemin pour m’y rendre –, je ne dus pas être le seul à l’éprouver. Ajoutons à cela une exécution magnifique autant que mes pauvres oreilles pussent en juger, et l’émotion était complète. Lorsque tout fut accompli, les applaudissements furent nourris, pour ne pas dire gavés : dans le public, certains se levèrent, crièrent des bravos, et l’on entendit même des sifflets. À n’en point douter, ces derniers manifestaient plus un plaisir ineffable que quelque désapprobation que ce fût.
(Peut-être faudrait-il, à
ce propos, écrire un jour – si ce n’est déjà fait – une histoire des sifflets
et du sens à leur accorder, histoire que bien entendu ne devrait pas faire
abstraction de la géographie ni de la sociologie.)
Et c’est alors que je
ressentis comme une gêne.
Nous étions, je le
rappelle, dans une église. Le lieu, avouons-le, semble peu propice à des bravos
ou à des sifflets. N’en déplaise à nos frères tradis, même les plus exaltées des
célébrations du genre charismatique ne donnent guère lieu à ce genre de
manifestation. « Ne soyez pas vieux jeu, décoincez-vous, voyons », m’objecteront
les enthousiastes et les indulgents. « Nous étions, certes, dans une
église, mais nous n’étions pas à la messe, nous écoutions de la musique, fort
belle d’ailleurs ».
Soit, nous n’étions pas à
proprement parler à la messe, et la musique que nous venions d’entendre était
fort belle. Mais voilà : un Requiem, c’est bien le canon d’une
messe d’obsèques. Cela exige une écoute attentive, grave, recueillie. Celui de
Mozart répondait d’ailleurs à une commande bien précise : il était fait
pour enterrer quelqu’un. Ce n’était pas quelque chose comme : « tiens,
si je m’essayais à ce genre ? On verrait bien ce que je pourrais en
faire »… Laissons cela à un Verdi avec un Dies irae à grand
spectacle ou à Saint-Saëns dans la façon col Claudine. À bien écouter ce
Requiem de Mozart, aucun spectacle là-dedans, pas d’enflure ni de
mignardise, mais bien de la foi – mêlée sans doute de crainte – malgré les
errements spirituels que l’on prête au compositeur et dont se vantent encore
bruyamment les francs-maçons. En sortant d’avoir écouté ce Requiem-là,
il conviendrait plutôt de murmurer un « merci » en hochant la tête.
Mais la faute est-elle
seulement celle du public ? Ne serions-nous pas à une époque où la plus
grande crainte serait – plutôt que celle de l’Enfer, par exemple – de ne pas
apprécier les accents avec lesquels cette crainte est exprimée ? Ou encore
celle de ne pas être en surplomb, de se laisser prendre aux émotions et à la
foi réellement exprimées ? L’éducation de ce public reste à faire,
en lui rappelant la fonction d’une œuvre comme ce Requiem,
magnifiquement remplie.
La sécularisation de notre
monde est sans doute une des causes de ce que j’avais pu prendre pour un manque
de tact. Elle conduit à délaisser dans toute œuvre d’art à caractère religieux,
la fonction ou le sens au profit de la beauté (au mieux), voire du plaisir de
se voir en train d’apprécier – peut-être – cette beauté. On conseillera aux
gens de notre époque la lecture de La mort des cathédrales de Marcel
Proust. Lequel, s’il n’est guère réputé pour un catholicisme fervent, avait
oublié d’être sot[i].
[i] J’envisageais pour appuyer
mon propos de vous partager une citation de ce texte de Proust. Mais cela
serait vain : il se tient d’une pièce, il faudrait le citer en entier.
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