samedi 27 avril 2019

Chloé et moi

Nul n’est tenu d’avoir – ni d’exprimer – un avis tranché et définitif sut tout sujet. Par exemple, quant à la pertinence du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, je me permettrai de jouir de la liberté que je viens d’énoncer. Le prélèvement à la source a probablement un certain nombre d’inconvénients et d’avantages dont l’évaluation dépasse mes compétences.
En revanche, comme un certain nombre de mes concitoyens, quel qu’en soit le mode de prélèvement, je paie l’impôt sur le revenu. J’ai donc récemment rassemblé mes bulletins de salaire de 2018 afin de vérifier si le total inscrit sur ma déclaration de revenus « pré-remplie » était exact. Etant d’un naturel distrait, voire négligent, c’est seulement à cette occasion, ces derniers jours donc, que j’ai remarqué qu’à certains de mes bulletins de salaire étaient jointes des notes explicatives sur le fonctionnement de ce mode de prélèvement nouveau en France. Fort bien, si le désir me prend de lire ces notes, je serai sans doute plus amplement renseigné sur un régime auquel de toute façon je serai soumis.
Quelle ne fut pas ma surprise de voir en tête de chaque note le portrait dessiné d’une jeune femme brandissant un document officiel. Elle a une grosse tête, un sourire heureux, le regard joyeux, de jolis cheveux blonds et de bonnes joues roses. Le dessin est un peu raide, naïf, exécuté avec tellement peu de talent artistique que l’on peut se demander s’il n’a pas été réalisé au moyen de quelque logiciel dont j’ignore tout.
Nous n’en saurons guère plus sur cette personne, si ce n’est que nous pouvons la voir plus bas, sur une image plus petite, en pied cette fois. Elle marche d’un pas décidé, vêtue du chandail bleu marine et du col de chemisier blanc que nous voyions sur le portrait du haut, et nous découvrons qu’elle porte un pantalon orange et des bottines à talons de couleur sombre. De son bras droit tendu, elle brandit toujours un document officiel de l’administration fiscale.
A voir sa posture et son sourire, nous devinons que l’impôt sur le revenu et en particulier le prélèvement d’icelui à la source font son bonheur, ou du moins y contribuent. Quelle joie que de remplir sa déclaration d’impôts ! Quel plaisir que de les payer ensuite, a fortiori s’ils sont prélevés à la source ! Ou plutôt, vu le caractère un brin enfantin, pour ne pas dire infantile, de ces illustrations : les impôts, miam, miam ! Encore une cuillérée !
Mais qui est cette jeune femme à la mine si avenante ? L’introduction de chaque note nous l’apprend. Nous eussions pu lire, dans la première note, par exemple :
« Vous venez de déclarer vos revenus de 2017 auprès de l’administration fiscale… »
Mais non. Nous lisons au lieu de cela :
« Comme Chloé, vous venez de déclarer vos revenus 2017 auprès de l’administration fiscale… »
Ainsi, elle se nomme Chloé. Nous ne saurons rien de plus sur elle. Pas de nom de famille, par exemple. C’est Chloé et voilà tout. Elle n’a qu’un prénom, comme tous les grands enfants que nous sommes apparemment devenus aux yeux de l’administration fiscale. C’est un peu notre copine à tous, nous autres contribuables. Et elle nous montre l’exemple : elle est sage, enthousiaste, bien mise ; on la devine très polie avec la maîtresse et toujours prête à admonester avec bienveillance les mauvais élèves. Quand même, quelle fayote, cette Chloé ! Quelle chouchoute !
Mais ce n’est pas grave, quand je serai grand, je me marierai avec Chloé : elle est trop belle ! Un point c’est tout, na.

jeudi 25 avril 2019

Notre Dame et la forêt des signes

Lundi 15 avril 2019, nous étions entrés depuis la veille, dimanche des Rameaux, dans la Semaine sainte. Comme chaque année, nous nous apprêtions à nous souvenir de la Passion du Christ avant de célébrer Sa résurrection. Avec plus ou moins de foi et de ferveur. Chacun a ses grandes et ses petites années.
Or voilà que ce lundi soir, donc, un rude coup nous était asséné : on annonçait que Notre-Dame de Paris était en feu.
En bon Parisien, je ne pus que pleurer. Mais je savais bien que mes larmes, jointes à celles de tous mes concitoyens pantruchards, ne pourraient rien pour éteindre ce désastreux incendie, qui avait déjà emporté la flèche de notre cathédrale. Donc, en bon (?) catholique, il me restait à prier. Le lendemain, on apprenait que l’incendie avait pu être maîtrisé, puis éteint. Notre-Dame, malgré l’ampleur des dégâts, était sauvée !
A peu près tout a déjà été dit ou écrit sur ces douloureuses heures. Ayant effectué mon service militaire dans le Service de Santé des Armées et non chez les carabiniers d’Offenbach ou dans le génie (comme diraient les tintinophiles), je ne viendrai guère, dix jours après les faits, répéter tout ce qui en a déjà été dit, ni faire part de mes inspirations uniques et fulgurantes. Je me contenterai donc de rappeler quelques signes.
Evidemment, la sidération et la tristesse n’ont pas touché les seuls catholiques, à Paris et dans le monde. Il est pénible d’envisager la disparition d’un monument présent – et vivant, donc plus qu’un monument – depuis plus de huit siècles ; c’est un rappel plutôt violent de ce que rien ici-bas n’est éternel. La peine, l’abattement, furent même plus grands, semble-t-il, pour les non-croyants. Les prières qui réunirent de nombreuses personnes sur les quais entourant l’île de la Cité en témoignent : ces personnes ne priaient pas pour le repos éternel de notre cathédrale, ce qui n’aurait eu aucun sens (et eût même été une forme d’idolâtrie), mais dans l’espérance. Les pompiers firent le reste (et quel reste !), avec dévouement et courage, et avec la compétence qui rend efficaces ce dévouement et ce courage.
Le sauvetage, non seulement des tours, des murs et d’une grande partie des voûtes de la cathédrale, mais aussi de vénérables reliques et surtout du Saint Sacrement prouvèrent que l’espérance des fidèles en prière n’était pas vaine. Et nous avons tous vu les photographies prises le mardi matin : au milieu des décombres, l’autel, intact, surplombé de la croix et, sur le côté, une humble et magnifique statue médiévale de la Sainte Vierge portant l’enfant Jésus, intacte elle aussi.
Certes, nous nous serions volontiers passé de ce désastre. Tout comme l’Eglise se serait bien passé des scandales qui se sont trop souvent produits en son sein, dont il a beaucoup été question ces derniers mois. Mais si ces scandales et ce désastre suffisent à nous faire perdre notre foi et notre espérance, en particulier lors de la Semaine sainte, c’est qu’elles étaient bien légères. Montrons plutôt à ceux qui ne les partagent pas un visage sincèrement joyeux : c’est Pâques, le Christ est ressuscité !
(Observons que c’est ce moment de l’année qu’ont choisi des assassins pour massacrer des centaines de catholiques sri-lankais en train de célébrer cette fête essentielle et joyeuse. Peut-être ont-ils cru pouvoir par leurs crimes nier cette joie essentielle. Certes, la douleur et l’horreur sont immenses devant de tels actes, mais ceux qui les ont commis perdent leur temps à faire tant de mal : à la fin des temps, nous savons bien que c’est Dieu qui triomphera et que le diable n’y pourra rien.)
Pour revenir à Notre-Dame de Paris, quid de la charité, puisqu’il a tant été question de foi et d’espérance ? On s’est offusqué devant l’ampleur des dons promis par quelques milliardaires en vue des travaux de restauration de la cathédrale : quid des pauvres ? La question n’est pas entièrement infondée : c’est bien joli de restaurer une belle cathédrale, mais il faut que cela ait un sens. Puisqu’il s’agit d’une église avant toute chose et que l’Eglise commande l’attention aux plus pauvres… Inversement, il serait plus qu’intéressant de demander à ceux qui ne voient pas de nécessité aux travaux de restauration de cette cathédrale quelle est la raison profonde de l’attention aux pauvres qu’ils revendiquent. C’est souvent dans de tels lieux, des lieux de prière, où l’on célèbre la messe, que naissent des engagements en faveur des pauvres.
J’ai employé à dessein le mot restauration. M. Macron a promis de « rebâtir » la cathédrale de Paris « en cinq ans », et de la rendre « plus belle qu’avant ». Pourquoi ne pas plutôt s’engager à lui rendre sa splendeur en prenant pour cela le temps qu’il faudra ? Ce serait un beau signe de patience et d’humilité. Nous verrions ainsi peu à peu cette belle église reprendre forme et revenir à son usage. Chaque année, à Pâques, par exemple, nous pourrions nous réjouir des progrès accomplis. Ce serait préférable à je ne sais quel geste architectural ou je ne sais quelle prouesse technologique, qui feraient de Notre-Dame de Paris un gros œuf de Pâques, clinquant et vide, disponible à l’exploitation pour les jeux olympiques de 2024[i].
Nous avons tous appris que la charpente de Notre-Dame, partie en fumée ce 15 avril, était surnommée « la forêt ». En brûlant, cette forêt nous en a fait entrevoir une autre : une forêt de signes. Puissions-nous en faire quelque chose de bon.
Joyeuses Pâques !


[i] Soit dit en passant : ceux qui s’offusquent des centaines de millions déjà promis pour restaurer Notre-Dame devraient lever au moins un sourcil en ce qui concerne le coût des jeux olympiques : voilà de l’argent qui n’ira probablement pas aux pauvres…

samedi 13 avril 2019

Morne spectacle

C’est un caractère à la fois futile et profond que semble confirmer le mouvement des « gilets jaunes » dans sa poursuite, bien au-delà d’un simple ensemble de revendications. Il ne paraît ni voué à l’échec ni au succès, n’ayant pas de but évident. De plus en plus, il ressemble à l’expression de l’épuisement moral, culturel et pourquoi pas spirituel de tout un monde, celui où nous vivons et qui a été vendu à des gens qui se sentent désormais plus ou moins roulés. En attendant d’obtenir une réponse – qu’ils ne paraissent pas toujours rechercher ou espérer – à leur désarroi, les « gilets jaunes » s’occupent en jouant aux « gilets jaunes » le samedi. D’aucuns ont pu dire, vu le nombre de ces actes depuis la mi-novembre (on en est à vingt-deux), que l’on est plutôt dans le monde des feuilletons télévisés américains que dans celui de la tragédie classique : sans doute l’aspect culturel de cet épuisement.
Pour ce qui est de son aspect spirituel, pourquoi ne pas imaginer que des chrétiens pourraient aller à la rencontre de ces étranges révoltés, ne serait-ce que pour leur rappeler qu’ils ont une âme ? Certains prêtres sont allés les rencontrer dans leurs manifestations du samedi et au moins deux évêques se sont d’ailleurs donné la peine d’aller les visiter sur leurs ronds-points… Leur dire qu’ils sont avant tout des personnes et non des consommateurs, des usagers de services publics ou des contribuables, ce serait un début. Les aspects social et moral suivraient probablement, en attendant celui de la culture.
Ce n’est évidemment pas l’Etat ni le gouvernement qui pourraient apporter de telles réponses : ils ne sont d’une part pas là à cette fin et d’autre part le genre de personnages qui exercent le pouvoir en ce moment en paraissent bien incapables. Il n’est besoin que de voir comment cette affaire a commencé : devant la révolte provoquée par une taxe à prétexte écologique, le gouvernement n’a trouvé comme réponse que le retrait de ladite taxe, augurant que l’affaire serait ainsi réglée. Il n’en fut rien, évidemment, le mal étant plus profond. Mais que peuvent y entendre des gestionnaires aux affectations interchangeables pour qui tout se résume à des questions comptables ? Vous êtes déprimés et même furieux ? Tenez, mon bon, voilà cent sous !
Devant ce prévisible échec, il ne restait plus au pouvoir qu’à jouer la comédie du pouvoir. Voilà donc M. Macron et son gouvernement lancés à leur tour dans le spectacle. « Donner la pièce » à ces gens pour les ramener à la raison n’ayant pas suffi, deux spectacles ont été montés.
Le premier a consisté à lancer le fameux « grand débat » dont on se demande toujours ce qu’il donnera. Il s’agissait sans doute d’apaiser les « gilets jaunes » en leur faisant comprendre qu’enfin le peuple serait écouté. Tout en « maintenant le cap », bien entendu, pour continuer de « transformer la France », comme dirait M. Le Maire. Le problème, c’est que l’on ignore en quoi notre pays est censé être transformé.
En même temps, comme dirait M. Macron, il importait de rassurer son électorat. Celui-ci, manifestant quelques tropismes bourgeois (dans une acception plus bloyenne que sociologique du terme, il faut le craindre), n’aime rien plus que ce qu’il appelle l’ordre. Devant l’agitation des « gilets jaunes » (loin de moi l’idée de penser que leurs manifestations sont pures et angéliques), certains se sont pris à rêver d’un écrasement en bonne et due forme : qu’attendait-on pour faire tirer dans le tas et pour mobiliser l’armée à cette fin ? M. Luc Ferry a un moment fourni la caution intellectuelle à ce bourgeoisisme féroce[i]. Pour l’acte XIX de ce lassant feuilleton, le gouvernement annonça donc à grand bruit que des troupes seraient déployées dans Paris. Les bourgeois applaudirent, encore effrayés par le calamiteux acte XVIII au cours duquel sévirent un peu trop de black blocks, dont on ignore – et on l’ignorera probablement longtemps – s’ils bénéficièrent ou non de quelque complaisance pour commettre leur méfaits plus ou moins impunément. L’indignation de l’opposition devant cette mesure obligea nos gouvernants – qui ne sont quand même pas tout à fait fous – à vendre la mèche : nos soldats, grâce à Dieu ne devaient en rien entrer en contact avec des manifestants. Et, curieusement, on entend bien moins parler de black blocks depuis le 23 mars…
Mais le sommet, le clou du spectacle gouvernemental, c’est l’espèce de tour de force auquel s’est livré M. Macron depuis l’hiver. Sillonnant la France, il s’est entretenu avec des élus, des citoyens choisis on ne sait comment, et même avec des enfants. Suprême exploit, le 18 mars, il a rencontré soixante-cinq intellectuels, répondant avec aisance à leurs questions. Cela a duré huit heures et a été retransmis en direct sur France-Culture. Les mauvaises langues diront que les défunts Castro et Chavez n’auraient pu en faire autant. D’autres pourraient penser que cet épique moment, s’il est décompté des temps de parole de la majorité à la radio et à la télévision, épargnera aux électeurs les discours des calamiteux seconds couteaux macroniens.
Mais soyons aimable : n’y avait-il pas quelque chose de touchant dans l’exhibition de cette prodigieuse intelligence, d’une intelligence ayant réponse à tout ? Ainsi, notre cher leader a sans doute eu beaucoup à enseigner à quelques dizaines de « penseurs » et d’universitaires bien plus âgés que lui…
On se demande comment M. Macron pourra s’y prendre pour faire mieux. Le verra-t-on bientôt terrasser à mains nues, devant un public extasié, quelques fauves ou crocodiles ? Ou bien encore cracher le feu tout en exécutant un numéro de funambule ? Ou alors déclamer en même temps deux tragédies de Racine ? Quoi qu’il en soit, ses admirateurs ne manqueront pas de nous faire remarquer la multiplicité et la solidité de ses talents. Quel spectacle ce sera !
C’en serait drôle si ce n’était lassant.


[i] Pour les bourgeois, M. Luc Ferry est un grand philosophe. Il a d’ailleurs les cheveux longs, signe d’une intense réflexion, mais pas trop, signe d’une certaine retenue.