Le jeudi 1er
décembre, une proposition de loi portant sur le « délit d’entrave
numérique à l’IVG » a été votée à l’Assemblée nationale. J’ignore combien
de députés s’étaient dérangés pour l’occasion, mais au vu des résultats des
votes relatifs aux amendements et motions de rejet[i],
force est de supposer que bon nombre d’entre nos cinq cent soixante-dix-sept
députés étaient occupés ailleurs : peut-être avaient-ils piscine, point de
croix, goûter associatif ou campagne électorale. Par exemple, M. Fillon,
nouveau champion, paraît-il, de la droite catholique, s’est-il fait entendre au
sujet de cette proposition de loi, en tant que député de Paris[ii] ?
La proposition a donc été
soumise au vote de nos sages et doctes sénateurs ce mercredi 7 décembre. Là, elle
a été adoptée avec 173 voix pour et 126 contre[iii].
Quel est l’objet de cette
proposition de loi ? Il s’agit d’étendre un « délit d’entrave à
l’IVG » à des sites internet proposant d’autres solutions que l’avortement
à des femmes enceintes qui, pour une raison ou une autre, seraient tentées de
recourir à cette extrémité et s’interrogent. Les responsables de ces sites
risqueraient jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende pour
avoir tenté de dissuader des femmes de se faire avorter. Il est paraît-il
reproché à ces sites de se donner des airs officiels pour tromper de
malheureuses femmes.
Cette proposition a donné
lieu de multiples protestations, notamment au nom de la liberté d’expression,
de Mgr Pontier (président de la Conférence des Evêques de France)[iv] aux
rédacteurs de Charlie Hebdo. Les partisans de cette proposition de loi
auront beau s’égosiller contre un supposé retour de l’ordre moral
(orchestré naturellement par de sombres officines catholiques), le moins que
l’on puisse dire est que la diversité des sources et des motifs de ces
protestations donne tort auxdits partisans, si elle ne témoigne pas de leur
mauvaise foi.
Ainsi donc, une loi considérée
par des personnes aux convictions fort variées comme une atteinte à la liberté
d’expression a été votée avec légèreté[v] par
une Assemblée nationale aux rangs semble-t-il clairsemés. Si d’aventure un
gouvernement futur fait passer de la sorte d’autres lois aussi scélérates, il
faudra demander aux députés ou anciens députés qui s’étrangleront alors
d’indignation où ils étaient le 1er décembre 2016 et, s’ils étaient
présents ce jour-là à l’Assemblée, quel fut leur vote. Les absents et ceux qui
auront voté pour cette proposition auront surtout le droit de se taire. Il serait injuste de priver les sénateurs de ce même droit.
Mme Rossignol, ministre
des Droits des femmes (sic), a déclaré au sujet de cette proposition de loi que
« la liberté d’expression n’inclut pas le droit au mensonge ».
Pourquoi pas, mais il va alors falloir s’entendre sur la notion de mensonge.
Les avortements autorisés depuis la loi Veil de 1975 sont régulièrement
qualifiés d’interruptions volontaires de grossesses. Le Trésor de la
langue française donne comme synonymes d’interruption, arrêt
et coupure, certes, mais aussi pause et suspension. Et interruption
volontaire de grossesse est donné comme un euphémisme pour avortement.
Si l’on prend interruption dans l’acception de pause ou de suspension,
ledit euphémisme est quelque peu mensonger. Personne n’a jamais vu de
grossesses reprendre après de telles interruptions. Mais cet euphémisme est
tout à fait autorisé et même officiel puisqu’on le trouve dans des textes de
loi. Voilà un bien mauvais exemple donné par l’Etat. Du reste, avortement
est une appellation incomplète. Il faudrait dire avortement volontaire
ou avortement provoqué[vi].
Je fais en outre partie
des quelques illuminés fanatiques qui, de ci, de là, considèrent comme peu
admissible, voire inadmissible, la pratique de ces avortements volontaires,
par considération pour la vie des fœtus ou des embryons ainsi
« éliminés ». Comme la quasi-totalité de ces illuminés fanatiques,
j’ai entendu cent fois l’argument selon lequel un embryon n’est encore qu’un
« tas de cellules ». Peut-être, mais quand un embryon franchit-il la
limite qui le sépare de l’état de « tas de cellules » à celui d’être
humain ? Ne serions-nous alors que des tas de cellules plus grands qui
s’ignorent ? Dans ce cas, je ne donne pas cher de nos vies aux yeux de
certains. Qui ment ? Qui se ment ?
Finissons sur un aspect
plus anecdotique, voire plus léger. Qui voudra me faire croire que parmi ceux
visés, le site internet nommé Afterbaiz prétend pouvoir se faire passer
pour officiel avec un nom pareil ? Ou alors est-ce que son nom est
tellement ridicule qu’il pourrait passer pour tel, en cette basse époque ?
Quoi qu’il en soit,
mesdames, tant que cela est permis (et même après), je m’autorise à vous
dire : ne vous faites pas avorter.
Jamais.
(D’autres considérations
autour du même sujet suivront bientôt.)
[i] Voir ici.
[ii] Ne médisons pas. M.
Fillon a des convictions, mais uniquement à titre personnel.
[iii] Ce qui fait un total de
299 voix exprimées. Il y a trois cent quarante-huit sénateurs en tout.
[iv] Sans oublier Mgr
Vingt-Trois.
[v] Et à main levée, en
procédure accélérée !
[vi] Pour être honnête, je
reprends ici en substance un commentaire lu dans un article du blogue de
Patrice de Plunkett (voir ici), article aux considérations par ailleurs fort
intéressantes.
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