vendredi 21 janvier 2022

Un peu de sérieux, voyons !

 Le 21 janvier 1793, date funeste dans l’histoire de France, donne chaque année lieu à diverses commémorations. Nous ne dirons rien, ou presque, de la tradition, peut-être encore chère à quelques ventres républicains, qui consiste à manger de la tête de veau tous les 21 janvier, sinon que Flaubert fait dire à un personnage de L’Éducation sentimentale que c’est une preuve de ce que « la bêtise est féconde ». Voilà qui qualifie fort bien, depuis plus d’un siècle et demi, la gastronomie républicaine.

Considérons plutôt quelques traditions plus recommandables : des messes sont célébrées en mémoire de Louis XVI, des royalistes se fleurdelysent plus ou moins discrètement, et votre serviteur se fend ici d’un billet. Il arrive à la grosse presse de s’y intéresser. Elle rend en général compte de ces commémorations d’un œil condescendant : tout ce pittoresque tellement vieille France est pour nos amis les journalistes un genre de folklore plus ridicule qu’inquiétant. Somme toute, quiconque aujourd’hui sentirait un pincement de cœur en pensant à ce roi assassiné ou trouverait quelque attrait à l’idée de restaurer la monarchie en France, passerait plus, à leurs yeux, pour un doux dingue ou un diplodocus inoffensif que pour un hargneux réactionnaire. Un roi en France ? Un peu de sérieux, voyons ! Ces royalistes sont d’ailleurs incapables de se mettre d’accord sur l’identité de l’héritier légitime du trône.

S’il y a du vrai dans ce dernier argument, qu’il me soit permis de renvoyer nos amis républicains au spectacle que constitue désormais tous les cinq ans[i] la campagne pour l’élection présidentielle. Pour ma part, je ne vois pas un, je dis bien pas un, prétendant qui soit à la hauteur de la charge[ii]. Faut-il donc considérer l’élection présidentielle comme un folklore plus ridicule qu’inquiétant ? Non, certes : ce folklore est aussi ridicule qu’inquiétant.

La monarchie héréditaire – dotée d’un certain pouvoir – ne serait-elle pas en somme quelque chose de plus sérieux ? Je ne dis pas que c’est possible immédiatement, mais cela mérite qu’on y réfléchisse.



[i] Que d’éventuels jeunes lecteurs me pardonnent : j’ai connu l’époque des septennats !

[ii] Que d’éventuels vieux lecteurs me pardonnent : le général de Gaulle démissionna trois ans et des poussières avant ma naissance.

lundi 3 janvier 2022

J’ai feuilleté pour vous…

 Chevreuse (Patrick Modiano)

Quelques lieux, objets, photographies, bribes de phrases, noms ou visages font faire à Jean Bosmans des bonds en arrière ou en avant dans le temps. Il en fera un roman, mais les souvenirs sont une brume où il voyagera toujours. Comme Patrick Modiano qui, fidèle à son habitude, évoque une petite galerie de personnages tour à tour fascinants, louches, dangereux ou pitoyables, voire simplement ridicules. Leurs noms, comme toujours, ont quelque chose de familier et exotique à la fois. Un Modiano de plus, toujours le même roman, quoi qu’en disent les inconditionnels ou les snobs, pas déplaisant à lire mais quasiment impossible à distinguer du précédent : à quoi bon, se demandera le lecteur en tournant les premières pages de Chevreuse. Il aura tort : s’il continue, il découvrira que, peu à peu, le brouillard s’ordonne pour faire entrevoir le début d’une intrigue.

Bosmans devient écrivain pourrait être un autre titre pour Chevreuse. En tout cas, Modiano le redevient complètement, et c’est une bonne nouvelle que ce roman.

Châteaux de sable (Louis-Henri de la Rochefoucauld)

On ne devrait pas trop boire en sortant d’un mariage. Ou, au contraire, devrait-on ? Un certain Louis-Henri de la Rochefoucauld, héros et narrateur du dernier roman de Louis-Henri de la Rochefoucauld, en fait l’expérience. Il atterrira, assoiffé par un excès de boisson, dans un bar clandestin tenu et fréquenté par des royalistes un rien dérangés, où il fera la connaissance d’un nommé Robinson, qui n’est autre que Louis XVI.

Ce dernier s’avère d’une compagnie agréable, bien plus fin (intellectuellement, du moins, que la réputation qui lui a été faite), malgré quelques excentricités. Outre Louis XVI, notre narrateur aura l’honneur et la joie de rencontrer une Marie-Antoinette au naturel, grisonnante et sobrement vêtue, embellie et ennoblie par les épreuves, loin du kitsch chocolatier dont elle semble devenue à son corps défendant l’enseigne, ce dont elle sourit amèrement : « vous savez qu’on se sert de moi pour faire le marketing des macarons ? »

Quoi de mieux, en somme, que cette rencontre fort improbable – ivresse, folie douce, songe éveillé, réalité ou tout simplement roman – pour un homme qui se sent déplacé dans un monde peu fait pour de doux rêveurs issus de vieilles familles françaises ?

Il flotte dans Châteaux de sable comme un parfum légèrement blondinien, où l’ironie et l’humour tempèrent la mélancolie et l’anxiété. Ce n’est pas une surprise, ce parfum étant déjà présent, quoique moins bien dosé, en 2017 dans Le Club des vieux garçons. Et la fantaisie de ces Châteaux de sable n’est pas exempte de gravité, voire de profondeur, en espérant que ces compliments n’offenseront pas l’auteur.

Correspondance, III, 1964-1968 (Paul Morand, Jacques Chardonne)

Il arrive aux noms de Modiano et de La Rochefoucauld d’apparaître dans ces pages : le même Modiano, d’autres la Rochefoucauld.

Peu de choses à dire de plus sur cet ultime volume de la correspondance des deux vieux chats que sur le précédent (1961-1963), paru il y a plus de six ans. Chardonne, sentant la mort venir, semble encore plus tao par moments, ses « ce n’est rien » étant agrémentés d’aveux d’admiration pour la civilisation chinoise. Morand excelle encore ici et là dans l’image originale ou la description-éclair : « Nous vivons ici dans un négatif de photographie : au lieu de la masse claire du lac et d’une place plus sombre, j’ai un lac et un ciel d’ardoise noire, et un sol éclatant de blancheur », écrit-il de Vevey le 29 décembre 1964.

La fin de cette correspondance, ce sera la mort de Chardonne, fin mai 1968. Morand, apprenant cette mort, écrira le 30 mai 1968 lettre qui ne partira évidemment pas, finissant par : « Je ferme ici une correspondance d’une quinzaine d’années, une boule de laine dans la gorge. » Curieusement, cette lettre est suivie d’un post-scriptum reconnaissant apparemment quelques mérites à de Gaulle. Tout arrive… Le vieil homme entrera ensuite dans le long hiver, pour paraphraser Blondin, et ce sera le Journal inutile qui commencera le surlendemain.

Reste, entre des souvenirs dur Proust (et quelques autres) et des considérations point déshonorantes sur Les Choses de Georges Perec, un voyage dans le temps qui fascinera les amateurs et rasera les autres d’une manière monumentale, quand ils ne seront pas outrés par l’imbécillité politique, morale et spirituelle de Morand. Dommage pour ce grand talent (ce dont il a déjà été question ici).

samedi 1 janvier 2022

Pour en finir avec 2021

 Sans qu'elles se ressemblent tout à fait, reconnaissons à certaines années consécutives de fâcheux airs de famille. Ainsi avons-nous été peinés ou ennuyés en 2021 autant qu’en 2020 par la funeste pandémie que l’on sait, avec son cortège de deuils, d’enfermements, de bobards et de vaines querelles. De quoi avoir l’impression pour le moins lassante d’un perpétuel recommencement.

Les instants joyeux étant rares, autant ne pas se priver de se les rappeler. Pour les catholiques français, ce fut probablement la possibilité de fêter Pâques ensemble, contrairement à ce qui se fit en 2020, en particulier, pour les plus matinaux, lors de la vigile pascale célébrée au petit matin pour des raisons de couvre-feu. Moment extraordinaire, beau, émouvant et, selon toute vraisemblance, unique.

Cette joie intense nous fut nécessaire pour affronter d’autres épreuves. La parution en octobre du « rapport Sauvé » fut un choc dans l’Église. Certes, nous savions bien qu’en son sein des abus effroyables étaient commis ici et là, de temps à autre. Sans en nier la gravité, voire le caractère diabolique à tout point de vue, nous préférions nous rassurer en nous disant que cela ne concernait qu’une infime minorité de prêtres… Seulement voilà : cette infime minorité, accumulée au cours des décennies, donne en absolu un nombre terrible. Ce qui fut, sinon terrible, du moins navrant, c’est le petit tas de controverses qui en sont nées, lancées par quelques cliques habituelles de « progressistes » exigeant la démission de tous nos évêques ou encore le mariage des prêtres, ou de « conservateurs » contestant la validité du « rapport Sauvé ». Or l’Église n’a pas besoin de « progressistes » ni de « conservateurs », mais d’un combat permanent contre le mal, y compris – et peut-être d’abord là – en son sein. Laissons donc au magasin des curiosités les solutions aussi incongrues que préfabriquées ou les expressions de déni s’appuyant sur des arguties de statisticiens amateurs.

Les coups ne tombant jamais seuls, il nous fallut, en décembre, apprendre la démission de l’archevêque de Paris après une campagne de presse pour le moins crapoteuse. On peut, à ce propos, penser ce que l’on veut du Point, mais on ignorait jusque-là que cette publication appartînt à la presse de caniveau. On s’instruit tous les jours, après tout. Si certains avaient de vraies raisons de faire des reproches à Mgr Aupetit, pourquoi n’ont-ils pas fait ces reproches à visage découvert, franchement et dans le calme ? Leur était-il nécessaire de répandre anonymement des ragots dans des journaux friands de spectacle ?

Dans ce domaine, ne nous attardons point sur Paris-Match, dont certaines photos floues montrant Mgr Aupetit en compagnie d’une vierge consacrée de ses amis et légendées dans la plus pure tradition farfelue de cette entreprise de gaspillage de papier feraient hennir de rire s’il ne s’agissait de calomnies. Comment ne pas penser à cette « une » de Paris-Flash dans Les Bijoux de la Castafiore : « Le rossignol milanais va épouser un vieux loup de mer » ?

Et, puisqu’il est question de rire, les amateurs de vieux dessins politiques se rappelleront celui que commit Jacques Faizant pour le Figaro du 1er janvier 1969 : Marianne, épuisée, laisse derrière elle une porte barricadée au moyen de verrous, cadenas, barres et bûches de toute sorte où l’on peut lire : 1968. 2020 et 2021, à part quelques moments de joie qu’il ne faut pas oublier, conviendraient aussi bien. Souhaitons – et faisons en sorte – qu’il n’en soit rien en 2022. Bonne année !