vendredi 10 juillet 2015

En faisant les valises

Pour commencer, j’avouerai que j’avais d’abord pensé à un autre titre pour ce billet : Sur la plage, les pavés. Mais c’était un peu facile et il ne siérait pas de céder à la tyrannie de la plage. Il existe bien d’autres lieux où passer ses vacances.
Vous ne lirez donc point ici de conseils de dernière minute pour avoir l’air mince sur la plage. Il y a des magazines féminins – voire masculins – pour cela.
Je pensais plutôt à de modestes suggestions de lecture. Qu’emporter en vacances ?
Pour vous distraire : une dose modérée de pur divertissement ne saurait nuire. Pourquoi pas quelque roman de Nancy Mitford ? Charivari, Highland Fling ou Tir au pigeon[i] sont tout à fait lisibles. C’est très charmeur, très féminin, très drôle aussi. Mesdemoiselles, vous m’en direz des nouvelles et, mesdames, vous les prêterez à vos maris après les avoir lus ; ils ont besoin de rire.
Pour vous nourrir de littérature : ma paresse étant immense en ce moment, je me contenterai de vous ramener à quelques conseils déjà donnés ces deux dernières années : aussi bien Nimier que Waugh, Gracq, Jünger, O’Connor et tant d’autres (pour les autres, voyez ici).
Pour encourager un jeune écrivain talentueux (et savourer sa prose) : Lève-toi et charme, de Clément Bénech.
Pour vous muscler sur la plage (quand même) : un pavé d’Aurélien Bellanger à chaque main, trente tractions avant d’ouvrir l’un ou l’autre. Ou alors le deuxième tome de la correspondance de Jacques Chardonne et Paul Morand (dont je vous entretiendrai plus tard) : même exercice avec un tome à chaque main ; vous deviendrez de véritables armoires. Notons que briller sur la plage avec un livre est une occupation dépeinte d’une manière fort amusante dans une nouvelle de Sébastien Lapaque, Reading Nietzsche on the Beach (c’est dans Mythologie française).
Pour me faire plaisir : un roman dont je suis l’auteur, disponible en passant par ici ; compte tenu du délai de livraison, retenez-le plutôt pour des vacances tardives, au mois d’août par exemple. Vous me pardonnerez certainement les erreurs d’impression.
Pour la plus grande gloire de Dieu : pensez que vous aurez peut-être sous les yeux une nature magnifique, préservée au moins dans ses apparences (la pollution est parfois sournoise) et humblement embellie ici et là par les mains des hommes ; occasion de rendre grâce et de lire Loué sois-Tu, la récente encyclique du pape François : Dieu ne prend pas de vacances.
Si vous en prenez, qu’elles soient excellentes. Si vous n’en prenez pas, que votre été soit beau.
(Quant à moi : la maison cesse ses activités jusqu’à début août.)


[i] Wigs on the Green, Highland Fling et Pigeon Pie, pour les anglophones.

samedi 4 juillet 2015

C’est l’Amérique !

Nous sommes tant inondés d’informations indifféremment déversées que nous avons rarement le temps de faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire. Et, une nouvelle chassant l’autre, l’oubli nous guette.
Futile imposture ?
Qui se souvient, par exemple, de l’histoire de cette militante américaine des droits civiques qui s’était fait passer pour une noire ? Confondue, la dame a dû démissionner de ses fonctions de la filiale de l’Etat de Washington de la NAACP[i] : il est vrai que la diffusion de son portrait au naturel (teint rose et cheveux blonds) ne permettait plus le doute[ii].
Bien entendu, comme cette personne a cru bon d’expliquer qu’elle se sentait noire, la conclusion ne s’est pas fait attendre : ou c’est une menteuse ou elle est un peu dérangée. La seconde hypothèse est possible, et même fort probable. Cependant, eût-il été possible de tirer la même conclusion si cette dame se fût fait passer pour un homme ? Interrogation purement rhétorique : c’eût été de la transphobie, voyons.
Il est en tout cas triste d’observer qu’aux Etats-Unis une personne se sente obligée de passer pour ce qu’elle n’est pas afin de défendre les droits d’autres personnes qu’elle.
Charleston, South Carolina
Que nous ayons tous oublié cette affaire, reconnaissons-le, est compréhensible : elle n’a fait l’objet chez nous que de quelques pittoresques entrefilets et des choses bien plus graves se produisent chaque jour de par le monde. Comme, toujours aux Etats-Unis, le massacre perpétré à Charleston, en Caroline du Sud[iii], par un jeune blanc raciste dans une église fréquentée par des noirs. Outre l’horreur, cet événement peut susciter, chez nous autres Européens, une certaine perplexité quant à ses développements.
Premièrement, constatons qu’aux Etats-Unis il paraît normal d’avoir des églises (et même des Eglises ?) protestantes pour les blancs d’une part et pour les noirs de l’autre. On ne saurait trop conseiller à ces étranges chrétiens de relire saint Paul.
Deuxièmement, les beaux esprits ont immédiatement trouvé quelle mesure prendre : bannir l’usage du drapeau dit confédéré, sachant que l’assassin s’était fait photographier avec ce dangereux instrument à la main. A croire que les braves gens qu’il a trucidés sont morts étouffés dans les plis dudit drapeau. On n’en doute point : cela sauvera sans doute bon nombre de vies, de même que le bannissement de l’emploi du mot nigger[iv].
Quant à réglementer (pour ne pas dire : restreindre) le port d’armes à feu, cela semble moins évident pour pas mal de nos amis amerlocains, puisqu’on apprend qu’un membre de la NRA[v] a déclaré que les victimes seraient encore en vie si elles avaient été armées.
Une telle confusion dans les esprits permettrait-elle d’entrevoir une explication au chaos que sème parfois dans le monde, sans nécessairement penser à mal, une puissance qui a la prétention d’en être le gendarme ?[vi]


[i] National Association for the Advancement of Colored People, soit Association Nationale pour la Promotion des Personnes de Couleur.
[ii] Voir ici, par exemple, dans Libération (bon, il y a mieux comme source, mais…).
[iii] Sale effet pour les amateurs de vieilles scies : Charleston, South Carolina, cela fait penser à la chanson qui donna son nom à une danse des années 1920 et au Charleston beat… Les amateurs plus pointus de vieux jazz préfèreront peut-être un morceau composé pour profiter du succès du précédent : The Baltimore. Décidément, l’actualité américaine donne à ces noms des résonnances plus sinistres.
[iv] Soit : nègre. Je signale aux censeurs de tout pelage que bien des écrivains américains peu suspects de racisme l’ont assez largement employé, mais il est vrai qu’ils étaient souvent originaires du Sud (je pense par exemple à l’excellente Flannery O’Connor, décidément) et que c’était le plus souvent dans des dialogues. De même, le drapeau dit confédéré, vu d’ici, a plus l’air d’un élément de folklore avec sa dose de commerce. Ce folklore sudiste, au caractère souvent frelaté, Flannery O’Connor, toujours elle, l’a évoqué dans une nouvelle intitulée A Late Encounter with the Enemy.
[v] La puissante National Rifle Association, comme disent nos amis les journalistes.
[vi] Ces quelques réflexions seront avantageusement complétées par celles de Pierre Jova, ici.