vendredi 25 décembre 2015

D’un visage


Dans Modérément moderne, Rémi Brague cite une lettre de John Ruskin datant de 1851 sur le risque de perte de la foi causé par des découvertes archéologiques pouvant contredire des récits bibliques :
« Si seulement les géologues me laissaient tranquille. J’y arriverais très bien, sans ces affreux marteaux ! J’entends leur cliquetis à la fin de chaque cadence des versets de la Bible. »
Les temps faisant l’objet des récits bibliques sont assez lointains et les découvertes archéologiques assez lacunaires (ainsi que leurs interprétations) pour que toute tentative dans ce domaine pour confirmer ou infirmer ces récits nous paraisse quelque peu vaine. En termes de confrontation entre la Bible et l’archéologie, ces tentatives ne se limitent pas, d’ailleurs, à l’Ancien Testament.
Ainsi, récemment, le site de L’Express publiait un article rendant compte d’une « découverte » quant à l’aspect physique de Jésus (voir ici). Cet article nous apprend en fait peu de choses, si ce n’est un certain nombre d’hypothèses liées à des statistiques sur la taille, le teint, la couleur des yeux, la longueur des cheveux ou l’habillement des habitants de Palestine il y a environ deux mille ans. En ne manquant pas de nous faire remarquer combien ces hypothèses sont peu compatibles avec les représentations traditionnelles de Jésus sur les tableaux ou icônes.
Avec de telles niaiseries, on croit voir émerger quelques trésors de la pensée bourgeoise, scientiste, péremptoire, voltairienne à la manière de M. Homais. Pour faire bref, c’est 1851 comme si vous y étiez.
Certes, par Son incarnation, le Christ a bien eu un visage, une taille, un teint, a porté tel ou tel type de vêtement. Mais en avoir les mesures « exactes » – ou quelques vagues suppositions sur ces mesures – a-t-il vraiment une importance, de même que la concordance ou non de ces suppositions avec les conventions qui nous permettent de Le reconnaître sur quelque peinture religieuse ?
Ce qui nous devrait plutôt nous importer, c’est que ce visage est celui de la miséricorde divine incarnée. Rappel fort opportun en cette année de la miséricorde.
Et comme nous voici arrivés à Noël, nous nous rappellerons que le Christ est venu parmi nous en naissant – après avoir été porté par sa mère – comme n’importe quel homme. Avec la fragilité y afférant, faiblesse nécessaire à Son triomphe.
Ce dernier rappel devrait nous aider à cultiver une vertu fort nécessaire en ce moment, qui se nomme l’espérance. Elle est parfois mince, fragile même, mais doit vivre.

Alors, joyeux Noël !

samedi 19 décembre 2015

Rase campagne

Les résultats des élections régionales nous ont montré de quelle façon les partis politiques dits de gouvernement ont tiré au second tour les enseignements du premier : ils nous ont fait le vieux coup du front républicain, sorte d’union sacrée contre le monstre infâme et assoiffé de sang que serait le Front dit National. Compte tenu de la « montée » de ce « péril », le fait qu’aucune région ne soit « tombée aux mains » dudit Front a pu être présenté comme un fait d’armes victorieux du camp de la Résistance. Les affaires courantes vont pouvoir reprendre leur cours, et les grandes voix de la politique ne diront pas un mot de la vie de ces nouvelles régions.
Charme
Les résultats spectaculaires du Front National au premier tour traduisent-ils une « montée » à laquelle tout « républicain » serait sommé de « résister » ? Si l’on croit le compte des voix (et celui des abstentions), guère. C’est plutôt d’une chute des partis dits de gouvernement qu’il faut parler[i]. Quant à ceux qui ont effectivement voté pour le Front National, lui trouvent-ils tous tant d’attrait que cela[ii] ? J’ai plutôt comme l’intuition que beaucoup se sont dit que cela ne pouvait pas être pire, quel que fût l’enjeu de l’élection, que ce dont ils soupent depuis trente ou quarante ans. Un critique gastronomique (!), Périco Légasse, a fort bien résumé ici les nombreux griefs que l’on peut opposer à ces gros partis politiques qui prétendent se charger des affaires de notre pays.
Guéguerre civile ?
L’article de M. Légasse vise notamment les outrances verbales de M. Valls entre les deux tours. Celui-ci avait déclaré en substance que si le Front National l’emportait dans certaines régions la France connaîtrait bientôt une guerre civile. De telles exagérations nous sont devenues familières de la part de M. Valls, au point d’être, comme d’habitude, plus ridicules qu’autre chose. A moins que la guerre civile soit ce dont, secrètement, de manière à-demi consciente, rêve notre premier ministre ? Il devient légitime de se demander si ce monsieur est à sa place à un tel poste[iii] : ou bien il ne sait plus se maîtriser – au point que l’on craint pour sa tension artérielle – ou bien il veut se donner par ses rodomontades les apparences d’un homme ferme et courageux, prêt à affronter toutes es tempêtes. Il semble s’être quelque peu laissé posséder par son personnage.
Pendant ce temps, le parti de la seule alternance crédible selon les termes de M. Sarkozy, c’est-à-dire le sien, se perd en de vaines querelles où les ambitions personnelles ont un rôle non négligeable.
Heureusement que tous ces gens nous ont expliqué sur tous les tons que le Front National n’est qu’un ramassis incohérent d’amateurs aux propos outranciers : ce n’est pas faux, mais que sont alors leurs partis ?
Le bassin parisien
Intéressons-nous maintenant, si vous voulez bien, à l’Île-de-France. Entre les deux tours, M. Bartolone, candidat de gauche, s’est fait remarquer pour une sortie absurde contre Mme Pécresse, candidate de droite. Cette dernière, à en croire le premier, se serait donné pour mission de « défendre la race blanche ». C’était, semble-t-il, en réponse à des propos de Mme Pécresse, qui avait déclaré redouter de voir l’Île-de-France ressembler en plus grand à la Seine-Saint-Denis de M. Bartolone. Ces derniers propos visaient plutôt la gestion désastreuse des finances de ce département que la couleur de peau de ses habitants. Apparemment, on se moranise[iv] aussi à gauche.
Des hypothèses ont été émises quant aux raisons d’une telle sortie de la part de M. Bartolone : désir de plaire aux gauchistes ralliés sous son panache rosâtre pour le second tour ?  rhétorique « terranoviste » privilégiant le multiculturalisme et le sociétal par rapport au social ? La seconde hypothèse me semble la plus fondée : après tout, pendant la campagne du premier tour, M. Bartolone avait « révélé » que se cachaient dans la liste de Mme Pécresse des candidats qui avaient participé aux Manifs pour tous, manifestations qu’il s’est empressé de qualifier d’obscènes. D’où l’on peut conclure que M. Bartolone n’en est pas à une imbécillité près. Et que pour lui toute opposition est à considérer, pis qu’une offense, comme une obscénité. Curieuse conception de la démocratie…
Mais n’en parlons plus : M. Bartolone a été battu. Il a été depuis reconduit à la présidence de l’Assemblée Nationale, sous les acclamations des députés « socialistes ». L’air de ce « perchoir », plus pur, lui sera, n’en doutons point, plus agréable que celui des profondeurs du Bassin parisien.
Un peu de franchise !
Quant aux déchirements des « Républicains » évoqués plus haut (ainsi, d’ailleurs que ceux des « Socialistes »), peut-être nous révèlent-ils le problème fondamental des gros partis politiques. Quelle ligne adopter ? se demandent-ils tous. La bonne réponse serait : aucune ; que chacun suive ses convictions quant à ce qui pourrait être bon pour le pays ; et se sépare d’avec ceux de ses petits camarades avec qui il ne peut tomber d’accord, pour aller voir ailleurs.
Ou alors que les tenanciers de ces gros partis nous les présentent pour ce qu’ils sont : des boutiques dont le but est d’amasser à chaque élection le plus de dividendes possible. Du reste, on comprendra mieux, dans ce cas, ce qui les horripile chez le Front National, autre boutique qui commence à leur prendre des parts de marché non négligeables.
Il me reste à présenter mes excuses pour l’emploi abondant de guillemets et d’italiques que je viens de faire. Mais les mots, dans la bouche des politiciens, ont-ils encore un sens ? Sont-ils autre chose que des éléments d’un « positionnement marketing » ?


[i] Voir à ce sujet une intéressante réflexion ici.
[ii] A part Mlle Marion Maréchal-Le Pen, qui est bien jolie, quel attrait, en effet ? Habitant Paris, je n’allais quand même pas voter pour M. Wallerand de Saint-Just, sous le charme de sa barbe à poux !
[iii] Et si M. Le Drian est à la sienne en tant que ministre de la défense et désormais président du conseil régional de Bretagne : cela lui donne je ne sais quel air de se moquer des Bretons ou des militaires (et à travers eux des Français en général), voire des deux, dans un pays que l’on nous dit en guerre.
[iv] Pour comprendre ce néologisme, voir ici.

vendredi 11 décembre 2015

Camember précurseur malgré lui

Pendant que nous découvrons douloureusement l’état de notre pays et que les partis politiques dits de gouvernement s’efforcent de sauver leurs boutiques et de ne tirer aucun enseignement de leurs déboires électoraux, d’autres questions importantes font l’objet de débats et d’âpres discussions. Il s’agit, bien entendu, des désordres climatiques dont les participants à la COP 21, dont chacun aura entendu parler, entendent (ou prétendent ?) limiter les effets.
On en parle, certes, mais que fait-on ? Cette nième conférence aura-t-elle abouti enfin à des résolutions susceptibles d’être tenues ?
Les optimistes envisagent des pistes « technologiques » : à les entendre, une « transition énergétique » est en cours, s’appuyant sur des énergies « renouvelables » ; sans avoir à brûler de combustibles contribuant à l’effet de serre, il serait bientôt possible de produire, donc de consommer, autant d’énergie que maintenant. Et cela donnerait de l’ouvrage à de nombreux ingénieurs tout heureux de développer de nouvelles solutions techniques.
L’idée est à première vue séduisante, voire réconfortante. Or elle ne fait que déplacer les problèmes qui se posent, d’autres étant à prévoir du fait de l’exploitation massive – donc peu durable – de ressources naturelles et de la pollution qui pourra en résulter. En somme, de nouveaux risques seront courus.
Pour user d’un langage familier aux gestionnaires de projets, cela peut s’appeler un transfert de risque : puisque le risque climatique devient inacceptable, transformons-le en un autre risque, moins impopulaire en ce moment, et nous verrons bien après !
Cela ne me semble pas très sérieux et me rappelle un épisode bien connu du Sapeur Camember, « On ne pense pas à tout » : dans cette histoire, Camember est chargé par le sergent Bitur d’enterrer quelques détritus qui ne font pas honneur à la cour de la caserne. Pour ce faire, il creuse un trou où il déverse lesdits détritus. Mais que faire de la terre du trou ? Le sergent lui ordonne donc de creuser un second trou pour y mettre la terre du premier. Mais que faire de la terre du second trou ?... Ce pourrait être sans fin, si le sergent ne punissait pas Camember pour ne pas avoir creusé un second trou assez grand pour contenir sa propre terre, outre celle du premier.
N’en sommes-nous pas là avec de telles solutions ? Avant d’attendre de grandes résolutions mondiales, peut-être chacun d’entre nous devrait-il chercher quelques pas à faire vers une vie plus sobre ? Il doit exister des manières simples d’y parvenir, à la portée d’une personne, d’un foyer ou de quelques familles[i]
Cette sobriété personnelle sera sans doute insuffisante, et c’est là que doivent intervenir les collectivités et les institutions : en déterminant à quels échelons d’autres économies seront utiles et efficaces[ii]. Un travail abondant et complexe, passionnant pour les ingénieurs, du reste.




[i] Cela peut aller de « petits gestes » dans notre vie quotidienne à un changement radical de mode de vie, que certains expérimentent.
[ii] A ce propos, le numéro de décembre de Causeur publie un fort intéressant entretien (« Décroître ou périr ») avec Olivier Rey, où ce dernier rappelle ce qui pourrait passer pour un truisme mais va mieux en le disant : « Tout problème doit être traité à une échelle pertinente. »

samedi 5 décembre 2015

Trois ordres

La France, nous dit-on, est en guerre. C’est fort possible et, dans ce cas, cette guerre a lieu depuis plus longtemps que ce que nous nous imaginons : en tout cas, elle a certainement commencé avant ce très sombre 13 novembre.
S’il importe alors de savoir contre qui nous sommes en guerre, laissons pour l’instant cette question aux stratèges et à ceux qui ont de quoi les éclairer. Contentons-nous d’acquiescer à un propos entendu je ne sais plus où il y a quelques jours : ce n’est pas contre « le terrorisme », qui n’est qu’une façon (particulièrement odieuse, du reste) de faire la guerre ; on pourrait aussi bien dire dans d’autres circonstances que c’est une guerre contre l’artillerie.
Il importe en revanche que nous, simples citoyens, ayons une idée de ce pour quoi notre pays est en guerre. Je ne parle pas ici des buts de guerre, qu’il nous faut aussi laisser aux stratèges. La pauvreté des réponses souvent véhiculées par la grosse presse nous y oblige : que ce soit la prétendue laïcité promue par l’association des maires de France en relançant une dérisoire querelle sur la présence ou non de crèches dans les mairies à Noël, ou une certaine douceur de vivre bien française (voire gauloise), c’est un peu court, me semble-t-il, voire à côté de la plaque.
Art de vivre
Il nous a été dit que les massacres du 13 novembre avaient pour cible un certain art de vivre à la française, voire à la parisienne. En gros, la liberté de baguenauder, de s’asseoir à la terrasse d’un café pour boire quelques canons avec ses amis… La mode des « je suis… », lancée après d’autres sinistres jours de cette année, a cette fois accouché d’un « je suis en terrasse », et il se raconte qu’un livre d’Ernest Hemingway, Paris est une fête, est devenu l’emblème de ceux qui se veulent les défenseurs de ces plaisirs.
La fête ou une virée entre amis au café, ce sont des choses fort agréables. Mais sont-elles essentielles ? Nous voyons-nous, jeunes ou vieux, mourir pour le seul droit de nous divertir ? D’autant que, provisoirement, pour des raisons de sécurité, nous pourrions devoir éviter de trop nous y étaler…
Et puis, la fête, on s’en lasse parfois : après tout, la gueule de bois peut venir. Un contemporain de Hemingway (et bien meilleur écrivain à mon goût), Francis Scott Fitzgerald, donna dès 1931 un Retour à Babylone (Babylon Revisited), où Paris est plutôt un lendemain de fête, assez las et pâteux.
Alors, lutter pour des plaisirs éphémères et parfois lassants ? Cela me paraît insuffisant. Cherchons autre chose.
Art (tout court)
Curieusement, c’est le comportement de nos ennemis déclarés dans les contrées dont ils se croient les maîtres qui peut nous fournir une piste. Pour être plus précis, leur comportement à l’égard d’œuvres d’art souvent antiques, qui avaient traversé les siècles, entières ou à l’état de grandioses vestiges : ils les pulvérisent ou, quand ils le peuvent, les vendent à quelques receleurs peu scrupuleux. Anéantir ou occulter toute forme de beauté semble être semble être une de leurs passions. On peut supposer qu’il en va de même pour la musique, la littérature ou la poésie. Toute création artistique semble exciter leur rage.
Or quelle civilisation, même primitive, même grossière, n’a pas exprimé quelque chose par une quelconque forme d’art ? A côté du nécessaire labeur quotidien, l’art est peut-être ce qui nous rend humains : la part de la Création qui nous est donnée pour être enrichie ou plutôt encore embellie. On pourrait aussi citer le rire en tant que manifestation plaisante de la conscience que nous avons de nos imperfections. Dans une forme plus savante, le constat de nos faiblesses et de nos travers est le déséquilibre qui donne son élan au roman.
C’est donc une part essentielle de notre humanité qu’il nous faut défendre (et si possible illustrer !).
Spiritualité
L’art en soi est donc déjà vital. Mais il peut être aussi un chemin spirituel, lorsqu’il rend compte d’une méditation, d’une prière ou d’une louange, ou encore lorsqu’il invite à la contemplation. Là encore, quelle civilisation n’en a pas eu sa part, dans ce qu’elle a de plus élevé, cette part fût-elle parfois remplie d’erreurs ou de boursouflures ?
Sans spiritualité, sans recherche de la vérité, nous ne serions au fond que des animaux d’une habileté peut-être au-dessus de la moyenne.
L’expression contemporaine du deuil collectif (j’en ai déjà parlé ici il y a quelques mois, à un tout autre sujet) manifeste d’ailleurs cette nécessité : la pauvreté symbolique des mémoriaux improvisés dans de telles circonstances me paraît être un signe de pauvreté spirituelle et du désarroi qui en découle : les gens font ce qu’ils peuvent, après tout, et c’est même parfois émouvant.
Or voici que parmi les mots à la mode précédés d’un dièse est apparu le désormais fameux « Pray for Paris ». Certains grincheux ont tiqué : ils préfèrent le champagne ; en somme, ils voudraient continuer de danser en rond et de sautiller comme avant, habillant en résistance leur refus de voir les choses en face. C’est dommage. Pourquoi refuser ces prières ?
Du reste, nos ennemis nous ont qualifiés d’adorateurs de la croix. Et comme, pour citer Barbey d’Aurevilly, « les plus beaux noms portés parmi les hommes sont les noms donnés par les ennemis », pourquoi ne serait-on pas libre d’endosser celui-là ? Essayez donc, il ne peut en venir que des grâces.
Bien entendu, chacun est libre de l’endosser ou non. Que l’on sache en tout cas que le porter n’interdit pas, bien au contraire, d’admirer les beautés de ce monde ni de les enrichir.
Puis, lorsque ces menaces seront écartées, nous aurons tout loisir d’aller boire un demi à quelque terrasse.