samedi 8 juillet 2017

Drôles de dieux

Le monde moderne, si épris de sa sécularisation, souffre d’un vide spirituel qu’il comble comme il peut. Diverses idolâtries ont été essayées, du culte des vedettes de cinéma ou de la chanson à celui des hommes exceptionnels, en passant par ceux de l’argent ou de la force destructrice, sans oublier les engouements partisans. En peu de mots, ce monde déborde de religiosité, sous des formes dévoyées, abâtardies, dégénérées.
Il me semble, oh, sans aucun chauvinisme, que la France est un pays pionnier en ce domaine. Depuis la Révolution française, des forces diverses se sont employées, parfois ouvertement, à extirper toute trace de christianisme dans notre civilisation. Ce qui a laissé la place, dans les esprits comme dans les institutions, à des formes variées de n’importe quoi : culte de l’Être suprême, Translations au Panthéon, napoléonisme
Une des dernières manifestations de cette idolâtrie fut, vers 1988, la quasi-divinisation dont François Mitterrand fit l’objet. Oh, une divinisation bien de son époque, sympa, puisque la liturgie mitterrandique prévoyait que le nouveau dieu fût adoré par la jeunesse sous le nom de Tonton. Curieux destin pour un genre de Rastignac qui exerça ses talents de Vichy à la pyramide du Louvre, en passant par les jardins de l’Observatoire…
On aurait pu croire, après avoir vu se succéder, à la suite de François Mitterrand, MM. Chirac, Sarkozy et Hollande, que ces manières appartiendraient bientôt à l’histoire ancienne. C’était sans compter sur M. Macron.
J’ignore qui le premier a eu l’idée d’affubler ce dernier d’une épithète que l’on nous sert jusqu’à la satiété : jupitérien. Sont-ce les adversaires de M. Macron, voulant ainsi signifier sa supposée mégalomanie ? Sont-ce ses admirateurs ou ses soutiens, voulant manifester un enthousiasme sans bornes ? Ou M. Macron lui-même, pris d’une bouffée d’orgueil qui aurait laissé quelques séquelles ? Je n’ai pas la réponse. Mais si j’étais mauvaise langue, j’objecterais qu’avec ses en même temps M. Macron me fait plus penser à Janus qu’à Jupiter.
Puisque M. Macron trône désormais sur l’Olympe, d’autres s’y verraient bien. M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, aimerait bien, paraît-il, qu’on lui trouvât quelque chose d’Hermès[i]. On ignore si c’est de l’humour ou l’ivresse provoquée par l’air raréfié de sommets tels que ceux de l’Olympe.
Nous nageons donc dans l’antique, dans la grandeur et la beauté classiques. Faut-il y voir une forme de néo-paganisme ? Je l’ignore, mais il faut observer qu’il existe d’autres mythologies européennes que celle à laquelle MM. Macron, Le Maire et autres font référence. Il est vrai que certaines d’entre elles furent récupérées au XXe siècle par des gens fort peu recommandables. Dommage, car un président-Thor n’eût pas manqué, outre de force, d’une certaine truculence, voire de drôlerie.
Quelles qu’elles soient, ces mythologies sont des sources d’images et d’histoires cruelles, émouvantes ou cocasses dont il faut admirer la beauté ou l’astuce en s’empressant de ne pas y croire[ii].
Puisque j’ai évoqué plus haut, parmi les substituts religieux offerts par nos institutions d’Etat, le Panthéon, revenons-y un instant. Il y a quelques jours, on annonçait le décès de Simone Veil. Aussitôt, on a parlé de l’inhumer au Panthéon, et l’idée fait son chemin depuis. Cela ressemble à une version laïque, gratuite et obligatoire de quelque santo subito, à ceci près que, par son nom, le Panthéon suggère plus l’adoration due au divin que la vénération due aux saints. J’évoquais plus haut une sorte de néo-paganisme : eh bien, sous couvert de laïcité, la République, avec son Panthéon, nous en propose un, hâtivement imité de l’antique, apothéoses comprises.
Soit dit en passant, le nom de Simone Veil reste associé à une loi votée en 1975, dont un bon nombre d’interprétations et de dérives actuelles semblent, et de loin, avoir dépassé les intentions. A propos de ces intentions, si j’ai bien compris, il s’agissait, tout en rappelant que l’avortement ne saurait être considéré que comme un dernier recours, de ne pas poursuivre les femmes qui se seraient fait avorter, ni les médecins qui auraient pratiqué ce geste, de manière à éviter des souffrances supplémentaires et des dangers sanitaires auxdites femmes. C’était une intention généreuse, certes, mais risquée, car ouvrant la place à toutes sortes d’interprétations et d’usages pour le moins abusifs[iii]. A ce titre (outre le fait qu’elle permettait de tuer un être humain, certes encore à l’état d’ébauche, si j’ose dire), on peut considérer que c’était une erreur. Cela appelle le reproche, et certainement pas l’insulte ni la malédiction. La vie et les actes de Simone Veil ne sauraient se résumer à cette loi. A l’occasion de son décès, on put entendre rappeler que dans les années 1960, en tant que haut fonctionnaire du ministère de la justice, elle avait œuvré pour l’amélioration des conditions de détention dans les prisons de femmes, avec le concours de personnes aussi diverses que Gisèle Halimi et Mme Marie-France Garaud. Les actions louables n’ont pas de couleur politique.
Souhaitons donc à Simone Veil de reposer en paix, hors de portée des dithyrambes intéressés et des crachats. Voilà pour rappeler que l’on peut respecter une personne tout en critiquant certains de ses actes. Il y a toujours à prendre et à laisser.
Nous laisserons donc les costumes de Jupiter, d’Hermès ou de Thor au vestiaire. Et le Panthéon au magasin des décors.


[i] D’aucuns, épris d’exactitude, se sont gaussés de M. Le Maire, qui s’est choisi un nom de dieu grec alors que pour M. Macron c’est du côté de Rome qu’il faut aller voir. Répondons-leur qu’en France Hermès fait quand même plus chic que Mercure, en matière de noms de marques. Soit dit en passant, cela vous pose autrement un homme que Zadig et Voltaire
[ii] C’est un catholique, un peu narquois, qui vous dit cela.
[iii] Voir ici et .

samedi 1 juillet 2017

Sans pilote, sans père, sans personne

Le progrès court toujours, personne n’ayant encore trouvé le moyen – ou pris la peine – de l’arrêter. Il importe donc, pour éviter d’avoir à trop en pâtir, d’en connaître quelques éléments de signalement.
Trains autonomes
On sait l’émerveillement mêlé d’une pincée d’inquiétude – pour la forme ? – avec lequel les journaux nous font part de divers projets de véhicules autonomes. Pour ce qui est des voitures personnelles, l’avantage est compréhensible : pouvoir lire un journal idiot ou un bon livre dans sa petite auto en allant travailler, pourquoi pas ? Jusqu’au moment où l’algorithme régissant le comportement de votre véhicule fera un choix que, pour une raison ou pour une autre, vous aurez à regretter, sans avoir toujours la possibilité de le comprendre.
Or voici qu’on nous annonce un changement d’échelle : non contente de donner à ses trains des noms absurdes, la SNCF fait un peu plus qu’envisager la mise en circulation de trains automatiques d’ici quelques années, pour le transport de voyageurs comme pour celui de fret[i]. On peut certes applaudir à la prouesse, mais il est permis d’éprouver une inquiétude de même nature mais plus forte que celle relative aux véhicules personnels, vu le nombre de voyageurs concernés ou les matières pouvant être ainsi transportées sans intervention humaine. Les jouets scientifiques peuvent être fascinants à condition de garder leur statut de jouets.
S’ajoute à ce problème un autre : combien de cheminots une telle évolution laissera-t-elle sur le carreau ? D’un point de vue « patronal »[ii] et moderne, cela sera présenté comme un progrès : les automates ne se mettent jamais en grève, ne revendiquent rien (primes, augmentations, congés, etc.), et il n’y a pas de retraite à leur verser.
Soit, mais à ce train-là, pourquoi ne pas supprimer aussi les voyageurs ? Quelle économie cela permettrait de faire sur les équipements et sur le personnel de nettoyage !
Génération spontanée
Les plus enthousiastes parmi les chantres du progrès me reprocheront sans doute de manquer d’optimisme quant à l’avenir des cheminots : ils sauront se reconvertir et, grâce aux réformes du code du travail qui nous sont promises, ils retrouveront vite un emploi. Pourquoi, comment ? Ne nous en inquiétons pas, cela se fera comme par magie.
Le progrès a d’ailleurs bien un caractère magique. Cette magie donnant aux hommes tant de pouvoir, pourquoi s’en priver ? Le Comité Consultatif National d’Ethique ne s’y est pas trompé, en rendant le 27 juin un avis favorable à l’autorisation de la procréation médicalement assistée[iii] pour les femmes seules et les couples de femmes. M. Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, a aussitôt déclaré que cela « permet d'envisager une évolution de la législation ». Si cette évolution a lieu, il sera en gros admis qu’officiellement des enfants n’auront jamais eu de père, non pas par quelque malheur mais par choix.
Observons que ledit Comité Consultatif (etc.) est pour l’instant opposé à l’insémination de mères porteuses, pour qui que ce soit. Combien de temps cet avis tiendra-t-il ? Comment quelques hommes seuls ou en couples se priveraient-ils de crier à la discrimination ? L’exploitation du corps d’une femme pauvre semble encore retenir les membres de ce comité[iv]. Il sera donc difficile de donner naissance à des enfants dépourvus de mère tant que l’on n’aura pas réussi à les fabriquer dans des utérus artificiels. Si cela est un jour possible, il y a fort à parier que nous serons invités à nous émerveiller devant cette nouvelle prouesse du génie humain. Et puis quand même, quelle ouverture pour l’économie !
Il reste que l’égalité intégrale n’aura pas été atteinte tant que les enfants n’auront pas le choix de naître sans parents, et tant qu’il ne sera pas possible d’exiger d’être père ou mère sans enfants.
Délicieuse perspective, non ? Autant que l’on peut trouver délicieux d’imaginer un futur plus ou moins proche où des êtres sans racines regarderont passer des trains sans conducteurs – ils seront sans travail donc ne pourront pas payer le billet pour s’y embarquer. Les plus optimistes d’entre eux se consoleront peut-être en songeant que tout cela est bon pour la croissance. Et qui sait s’il ne se trouvera pas quelque bel esprit – s’il en reste – pour nommer ce temps les jours sans ?
(Cette chronique se voulant légère et plus ou moins littéraire, d’autres arguments, plus sérieux, sur l’avis rendu par le Comité Consultatif National d’Ethique sont à trouver ailleurs, ici par exemple.)


[i] Voir ici.
[ii] Les guillemets s’imposent : tous les patrons ne sont pas de vilains méchants, bouffis et ricanants.
[iii] Procédé qui, fondamentalement, mérite déjà qu’on y réfléchisse.
[iv] Contrairement, par exemple, à M. Pierre Bergé (ardent soutien de M. Macron pendant la campagne présidentielle d’icelui), qui ne voit pas la différence entre les bras d’un ouvrier et le ventre d’une femme puisque, pour lui, tout cela n’est que de l’outillage à louer. M. Pierre Bergé a le maigre mérite d’avoir vendu la mèche dès 2013.