On est toujours étonné en apprenant le décès d’un prince, d’un artiste ou encore d’un politicien à un âge très avancé. Cela va de l’effarement en apprenant son âge – effarement qui peut être un indice de ce que nous ne sommes plus très jeunes nous-mêmes – à l’étrange surprise d’apprendre (pour peu qu’elle ne se soit guère fait remarquer récemment) que la personnalité concernée était encore en vie, en passant par la déception de découvrir que le défunt n’était pas immortel. Dans ce dernier cas, il s’en trouve toujours pour énoncer d’un ton solennel que c’est la fin d’une époque. Et les époques, comme chacun sait, n’en finissent pas de finir.
La disparition récente de
la reine Elizabeth d’Angleterre à l’âge de 96 ans et celle de Jean-Luc Godard à
l’âge de 91 ans ont ainsi pu faire naître chez nous un mélange de ces
impressions.
Dans le cas de Jean-Luc Godard,
la perplexité règne. Selon une théorie du complot que je viens d’inventer,
Godard serait en fait mort en 1967, assassiné par des maos rendus furieux par La
Chinoise, dont ils avaient compris, dans un rare accès de lucidité, que c’était
une satire qui les ridiculisait avec une rare acuité ; il aurait été
ensuite remplacé par un sosie qui se trouvait être son homonyme et se prenait
pour Jean-Luc Godard ; cela expliquerait le caractère abscons et militant
de ses films ultérieurs. Restent quelques-uns de ses premiers films (les vrais,
donc), comme À bout de souffle, Le Petit soldat ou encore Bande
à part, où semblent se manifester une sécheresse, une rapidité, un goût
pour l’aphorisme, le commentaire de l’œuvre sur elle-même et la parenthèse qui n’eussent
peut-être pas déplu à Roger Nimier[i],
lequel avait asséné quelques années auparavant : « De quoi souffre le
cinéma ? De bêtise »[ii].
Ajoutons pour compléter cette liste Une femme est une femme, Pierrot
le fou et Alphaville.
En ce qui concerne
Elizabeth II, tout aura été dit par d’autres que moi à son sujet. Même qu’elle
aura eu l’humour – ou la pardonnable coquetterie – d’attendre d’avoir pu
ajouter Mme Truss à sa collection – pourtant déjà riche – de premiers ministres
avant de quitter ce monde. À propos de Mme Truss, observons la présence dans
son gouvernement de l’intéressant Jacob Rees-Mogg. Si M. Boris Johnson semble
parfois sortir des pages d’un roman de jeunesse d’Evelyn Waugh[iii], M.
Rees-Mogg paraît s’être échappé d’un roman de P.G. Wodehouse : sa
silhouette guindée, d’une vêture élégante et surannée, ses propos lunaires et
oubliables ne manquent pas de faire sourire ; en quelque sorte une
caricature d’Anglais Upper class, délicieusement anachronique et
invraisemblable, comme nous les aimons un peu facilement sur le continent, en
nous exclamant so British, sans trop savoir ce que cela peut signifier.
À propos d’immortalité,
on relève parmi les titres sélectionnés pour le grand prix du roman de l’Académie
française, Ceux qui restent, de Jean Michelin et Le Président se tait, de
Pauline Dreyfus. Excellente nouvelle pour deux romans fort recommandables. Il faudra
que j’en dise quelque chose une autre fois.
[i] Occasion de saluer l’écrivain,
mort trop jeune, lui, il y a 60 ans et quelques jours.
[ii] Dans un article du Nouveau Femina de mai 1954 et
reproduit dans le recueil (posthume) Variétés,
paru en 1999.
[iii] Voir ici une explication
par votre serviteur. C’est d’ailleurs le scandale soulevé par ses fêtes en
temps de confinement qui aura fini par provoquer l’éviction de M. Johnson. En Finlande,
cet été, d’aucuns ont fait le même genre de reproches à Mme Sanna Marin, avec
moins de succès. Il est vrai que Mme Marin est jeune, progressiste et plus
jolie que M. Johnson (sur ce dernier point, la presse progressiste refusera
probablement tout aveu, de peur de paraître sexiste). En d’autres temps, Albert
Edelfeldt eût peut-être aimé faire son portrait.
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