vendredi 30 décembre 2016

Journées de lecture (dans la « France catholique »)

Après avoir souhaité un joyeux Noël à tous mes lecteurs (voilà, c’est fait), quels vœux faire pour l’année à venir ? Rien de précis, mais évidemment beaucoup de bien ; de l’espérance, peut-être. Pour tous et pour chacun. A travers quelques lectures, peut-être ?
Dans un monde qui change…
Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique est le long titre d’une brève brochure (70 pages environ) émanant du Conseil permanent de la Conférence des Evêques de France, parue cet automne. « Si nous parlons aujourd’hui, c’est parce que nous aimons notre pays, et que nous sommes préoccupés par la situation ». Qui ne partagerait ces sentiments ?
Dans ce texte, aussi riche qu’il est court, nos évêques livrent leurs observations, leurs inquiétudes et leurs suggestions sur de nombreux aspects de la vie de notre pays : le politique (avant la politique), mais aussi les impasses et les possibilités d’ordre social, économique, éducatif et culturel (y compris en ce qui concerne l’identité nationale).
On pourrait dire de cette brochure qu’elle est pour tous, en ce qu’elle entend poser des problèmes d’ordre collectif. On espère à ce titre que nos joyeux politiciens l’auront lue attentivement : ils ont beaucoup à y apprendre. Et nous ? Eh bien, nous aussi. Car « chacun, à son niveau, est responsable de la vie et de l’avenir de notre société » (p. 70), et « retrouver la vraie nature du politique et sa nécessité pour une vie ensemble suppose de s’y disposer, de le choisir, de le permettre. Cela ne tombera pas du ciel ou par l’arrivée au pouvoir d’une personnalité providentielle. C’est le travail et la responsabilité de tous » (pp 65-66).
Certains puristes (dont votre serviteur) ont tiqué à la lecture de quelques locutions peu dignes, nous a-t-il semblé, de nos évêques et de la qualité de leurs réflexions : vivre ensemble, contrat social ou faire sens. Concessions à la mode, imprégnation inconsciente, urgence ? Allez savoir. Ces défauts (pardonnés, donc, vu l’intérêt du texte) sont moins présents dans un texte fourni en annexe, qui est de juin 2016 : 2017, année électorale – Quelques éléments de réflexion. Il n’est besoin que d’en citer le dernier paragraphe pour en souligner l’utilité :
« Pour celles et ceux qui ont foi en Dieu et qui vivent dans la communion au Christ, les difficultés que nous rencontrons ne sont pas un appel au renoncement. Au contraire, elles nous acculent à investir toutes nos capacités pour construire une société plus juste et plus respectueuse de chacun. Cela s’appelle l’espérance. »
Les grandes figures catholiques de la France (François Huguenin)
Toujours cet automne est paru ce livre (aux éditions Perrin), qui passionnera les amateurs d’histoire et de portraits aussi succincts qu’équilibrés. On regrettera dans l’introduction les mêmes défauts que ceux relevés dans le texte de nos évêques. De grâce, un peu moins d’urgence ! Le calme permet de mieux choisir son vocabulaire.
A propos de l’introduction de cet ouvrage, un passage peut provoquer des interrogations : « Catholiques en effet, et non pas chrétiennes ». Tirée de son contexte avec malhonnêteté (ce que je suis en train de feindre de faire), cette phrase est redoutable. Il vaut mieux donc préciser, comme le fait l’auteur, que « la France est tout simplement, depuis son ébauche que l’on datera de Clovis et sa création qui est le fait des Capétiens, un pays catholique », en ce que « l’histoire de France est marquée par le catholicisme, jusqu’à se confondre avec lui ou à tout le moins être irriguée par lui, jusqu’au XXe siècle ».
Quinze « figures » nous sont ainsi dépeintes, de Clovis à Charles de Gaulle, en passant par saint Bernard de Clairvaux, saint Louis, sainte Jeanne d’Arc, saint Vincent de Paul ou sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Ces quelques figures de saints, plus que des motifs de fierté (ah ! ils étaient Français, comme nous !), sont à considérer comme des phares, des exemples, des sources d’espérance ou au moins d’admiration. La présence de Blaise Pascal dans cette galerie ne dépare pas.
Celle de personnages plus éminemment politiques, tels Philippe le Bel, Henri IV, Louis XIV ou Charles de Gaulle, surprend quelque peu. Les aspects peu chrétiens de ces personnalités ne nous sont pas cachés, et c’est fort bien. Il ne s’agit pas pour François Huguenin d’en faire des saints. Par exemple, la dureté dont put faire preuve de Gaulle, notamment envers les Harkis à l’issue de la guerre d’Algérie, ne fournit guère un témoignage de hautes vertus catholiques ! Cela doit être posé sans nier la grandeur (publique ou privée) de l’homme et sans se permettre (ni de notre part ni de celle de l’auteur) de douter de sa foi. A ce titre, son amour et son attention pour sa fille sont fort justement rappelés et sont à son honneur. L’homme savait se comporter en catholique – et simplement en chrétien – en privé. Mais en tant que personnage historique ? Accordons-lui d’avoir su faire preuve d’espérance dès 1940, ce qui n’était pas rien.
Cette gêne devant certains choix m’incite à faire une suggestion à François Huguenin : n’eût-il mieux pas valu donner comme titre à ce livre : Les grandes figures de la France catholique ?
Si je ne peux pas marcher, je courrai ! (Axelle Huber)
La France catholique, dans ce sens, est une notion qui appartient donc plutôt au passé. Elle subsiste cependant dans quelques îlots constitués souvent par d’aimables familles sans problèmes apparents. Ces buttes-témoins, pourrait-on dire, font les frais de nombreux clichés et caricatures sans toujours être innocentes de ce côté-là (vous savez bien, les « bourgeois-cathos »).
On a tort de se moquer de tels milieux. Il s’y produit parfois de douloureux miracles, révélateurs de profondes vertus chrétiennes qui en se manifestant nous rappellent qu’elles ne sont pas de vains mots ni des habitudes sociales.
Ainsi, tout souriait à la famille Huber : une certaine aisance matérielle, quatre enfants pétillants, deux parents aimants. On y est catholique pratiquant, cela va de soi. Léonard, le père, a de plus ce qu’il faut de nonchalance et de drôlerie pour être tout à fait charmant.
Or voici qu’un jour il est pris d’une étrange gêne et de quelques fourmillements. Ce ne sont que les premiers signes de la maladie de Charcot (ou sclérose latérale amyotrophique), qui l’emportera quatre ans plus tard. Ce douloureux cheminement est raconté dans Si je ne peux pas marcher, je courrai !, écrit par son épouse Axelle[i].
Le lecteur y trouvera, outre le souvenir d’un être admirable et de ses souffrances, l’illustration des vertus de foi, d’espérance et de charité, vécues dans la chair. La foi, dans l’acceptation confiante de l’épreuve ; l’espérance, quand l’espoir de guérison peu à peu s’éloigne, de « conserver la grâce du présent »[ii] ; quant à la charité, il s’agit de celle, de la part de l’entourage de Léonard, de l’aimer tel qu’il est, de l’aider, de le servir, et de la part de Léonard, qui a « endossé l’habit du pauvre », d’accepter cet habit et les attentions qu’il reçoit désormais. La charité résonne dans ce livre, comme elle a dû résonner entre Léonard et son épouse, entre eux et leurs proches aussi.
Trois écueils étaient à redouter pour un tel livre : une longue lamentation désordonnée, une accumulation de sucreries sulpiciennes, ou celle de grandiloquences apocalyptico-pontifiantes. Force est de constater, Dieu merci, qu’ils ont tous trois été évités, grâce notamment à une langue sobre et à une grande lucidité. Ajoutons à cela que chaque chapitre est précédé d’une citation tirée fort à propos de l’œuvre de Bernanos pour dire que l’on ne pouvait espérer plus beau témoignage.


[i] Et disponible aux éditions Mame.
[ii] « Si je ne peux plus marcher, eh bien je courrai », dit un jour Léonard. Plus tard, comme la maladie progressait jusqu’à le gêner dans la parole, il ajouta : « Si je ne peux pas parler, eh bien, je chanterai ». Si ce n’est pas de l’espérance…

vendredi 23 décembre 2016

« Sur les chemins noirs » (Sylvain Tesson)

Sylvain Tesson est en marche. Vraiment. C’est à pied, et non à bord d’un « car Macron », qu’il a décidé de traverser la France. Lui qui avait bravé les forêts sibériennes ou refait en side-car le trajet de Napoléon de Moscou à Paris[i], le voilà revenu d’une plongée dans des paysages apparemment plus familiers, ceux de la France la plus profonde, dont il nous livre le récit dans Sur les chemins noirs. Ce voyage est la réalisation d’un vœu fait pendant la convalescence qui a suivi un accident aussi grave que bête. Et puis, en guise de rééducation, mot qu’il estime tiré d’un « vocabulaire d’agents du Politburo », il allait de soi que Sylvain Tesson préférât « demander aux chemins ce que les tapis roulants étaient censés [lui] rendre : des forces ».
Il faut s’entendre sur la notion de France la plus profonde, dont les paysages ne nous sont peut-être pas si familiers que cela. Il ne s’agit pas de se gausser, ni, inversement, de s’en émerveiller, de mœurs paysannes miraculeusement préservées ou indécrottablement figées, selon le point de vue. Pourtant, l’ambition de Sylvain Tesson était bien d’aborder « une géographie de traverse », « une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement, qui est la pollution du mystère ». Certes, cette « France ombreuse », il la trouvera. Mais ce sera par les « chemins cachés, bordés de haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés » : les campagnes sont devenues un désert. Non pas le désert de l’hyperruralité déploré par quelques technocrates, mais celui d’un monde vidé d’une population que les illusions de la modernité ont attirée vers une vie apparemment plus facile. Ici et là, il verra, entre la Provence et le Limousin, quelques Anglais ou Hollandais venus s’installer au moins pour la belle saison.
Si cette traversée est celle d’un désert, elle n’interdit pas quelques rencontres : une bergère près de Tende, quelques marcheurs ou de vieux paysans du Massif Central, un vieux couple simple et hospitalier du côté de Laval… Ou encore des gendarmes inquiets de voir marcher un homme seul, et même des chasseurs reprochant à notre marcheur de ne pas avoir de tenue fluo pour éviter de se faire tirer dessus par eux. Cette dernière rencontre est l’occasion d’un beau morceau d’ironie de la part d’un compagnon d’étape.
Car, outre les rencontres que le hasard ou la Providence met sur les pas de Sylvain Tesson, ce voyage est fait en compagnie de quelques amis venus marches avec lui le temps d’une ou deux étapes.
Parmi ces amis se trouve le photographe Thomas Goisque (nom connu des lecteurs de Berezina), à qui l’on doit la photographie ornant le bandeau du livre : assis sur un tronc d’arbre couché, massif et tortueux, au milieu des feuillages et des rochers moussus, Sylvain Tesson, de profil, joue de la flûte. Il n’est pas rasé, porte un chapeau cabossé, de forts brodequins et une pèlerine, qu’on imagine de drap solide, recouvrant un épais sac à dos. Le costume, comme on le voit, n’est pas très fluo : il est intemporel ; en cette « France ombreuse », on pourrait être aussi bien en 1415 qu’en 2015. L’image a presque la délicatesse de quelque magnifique et paisible peinture chinoise. Elle rend bien le ton, et même la langue dans laquelle Sur les chemins noirs est écrit : classique et soutenue sans que l’on sente l’effort ; parfaite pour épouser le rythme de la marche qui en deux mois et demi mène de Tende au nez de Jobourg, en passant par le Mercantour, le Comtat Venaissin, les Cévennes, l’Aubrac, le Cantal et le Limousin, avant de descendre vers la Touraine puis, à travers quelques bocages, vers le littoral du Cotentin. La lenteur de la marche donne une continuité à la traversée de ces pays, continuité qui rend sensibles les variations du relief, des climats, de la végétation, et parfois aussi des gens…
Puisque nous voilà au bout, observons que le sud du Cotentin est l’occasion d’évoquer le souvenir flamboyant de Barbey d’Aurevilly, à travers celui du Chevalier des Touches, après un éloge politique du bocage : « Oh ! comme il eût été salvateur d’opposer une "théorie politique du bocage" aux convulsions du monde. On se serait inspiré du génie de la haie. Elle séparait sans emmurer, délimitait sans opacifier, protégeait sans repousser. L’air y passait, l’oiseau y nichait, le fruit y poussait. On pouvait la franchir mais elle arrêtait le glissement de terrain. »
Décidément, si Sylvain Tesson est en marche, ce n’est pas au pas de M. Macron. Et cela n’est pas pour nous déplaire.


[i] Voyage narré dans Berezina (voir ici).

jeudi 15 décembre 2016

Le sociétalisme réel

Pour revenir, comme promis, sur mon billet précédent, force m’est d’avouer qu’il est une objection, et une seule, que je veux bien entendre, aux considérations que j’y ai exposées : il est bien joli d’être « pro-vie » ou je ne sais quelle autre appellation, mais que proposer aux femmes qui, se découvrant enceintes, éprouvent pour diverses raisons une détresse telles qu’elles puissent envisager un avortement ? Des réponses existent déjà, d’autres, plus ambitieuses, peuvent être imaginées. Mais avant d’y venir, je m’autoriserai quelques observations.
Sur quoi le poussif quinquennat de M. Hollande s’est-il ouvert et sur quoi, le jour même où cet oubliable présidenticule annonçait qu’il ne souhaitait pas renouveler son mandat, s’est-il symboliquement refermé ? Sur des mesures qualifiées de sociétales. Pour commencer, le « mariage » dit pour tous, sur lequel je ne reviendrai pas aujourd’hui, qui a usé des semelles de manifestants (dont celles de votre serviteur) et fait couler presque autant d’encre que d’aérosol lacrymogène. Pour finir, cette absurde loi sur le « délit d’entrave numérique à l’IVG ». Il y a lieu de s’interroger sur l’insistance avec laquelle M. Hollande, ses ministres et quelques élus de la majorité ont voulu imposer ces lois. Une explication possible, que je trouve assez convaincante, est que, faute d’avoir pris des mesures de justice sociale, le président, son gouvernement et sa majorité avaient besoin d’avoir l’air de gauche en manifestant en permanence leur progressisme. Faute de socialisme, on nous servit le sociétalisme[i]. Une manière, en somme, d’incarner à peu de frais le progrès, le mouvement, de se sentir autorisé à tancer quiconque n’est pas d’accord. Et, faute d’avoir pour ennemi « la finance »[ii], les sociétalistes prirent pour ennemis les « conservateurs » ou les « réacs », de la Manif pour tous aux opposants à l’avortement. Sur ces ennemis, il fut permis de déverser toutes les insultes imaginables, fruit le plus souvent de clichés éculés et de fantasmes rances.
Ne nous plaignons pas cependant. La gauche a fait des progrès dans le traitement des ennemis qu’elle se désigne de temps en temps afin de conserver un semblant d’identité. Songeons qu’en 1792 les Girondins ne trouvèrent rien de mieux que de déclarer la guerre au reste de l’Europe, afin de pouvoir aussitôt déclarer la Patrie en danger. Puis les Montagnards enchaînèrent avec les massacres de Vendée et la Terreur. Il est à noter, au sujet de la Vendée, que c’est Gracchus Babeuf, précurseur en quelque sorte des communistes, qui forgea pour dénoncer ces massacres le néologisme populicide. Dieu merci, peu de progressistes – ou sociétalistes – ont désiré notre mort ces derniers temps.
Sans la comparer à celle de Babeuf, ce qui serait un peu dur, observons qu’une belle voix s’est fait entendre à gauche, avec une éloquence simple et juste, aussi bien contre le « mariage » dit pour tous que contre le « délit d’entrave numérique à l’IVG » : celle de M. Bruno Nestor Azerot, député de la Martinique. Il ne faut donc pas mettre toute la gauche dans le même sac, puisqu’elle compte parmi ses élus et ses militants des personnes plus préoccupées de questions sociales que de postures sociétales.
Cela posé, revenons à notre question : qu’offrir à des femmes tentées par l’avortement, ainsi qu’aux enfants qu’elles portent ? Une aide, bien entendu, autant matérielle que morale. Des associations existent déjà pour proposer cette aide. Pourquoi ne pas imaginer le même genre de service de la part de la collectivité ? Ce serait d’ailleurs un meilleur emploi de l’argent public que le remboursement d’avortements. Mais je doute que cela soit la volonté de quelque tendance politique que ce soit. La gauche sociétaliste et ses faux adversaires de droite – libéraux le plus souvent – n’en voudraient pas. La première parce que cela serait « réac » et les seconds parce que cela coûterait de l’argent et du dévouement à autrui. Cette dernière raison, plus crue, est sans doute celle qui se cache derrière la première. Une preuve ? Eh bien, la loi sur le « délit d’entrave numérique à l’IVG » vise précisément les sites internet où sont recommandées les associations proposant cette aide.
Certains esprits mal avisés évoquent parfois des « avortements de confort ». Je ne crois pas qu’un avortement puisse être confortable pour une femme[iii]. En revanche, il peut être confortable pour ceux qui la pousseront à le subir : fais-toi avorter et débrouille-toi avec ça, ma fille ; ne nous embête pas avec tes inquiétudes ; ne nous oblige pas, ne nous lie pas par un service que nous pourrions devoir te rendre ; devoir ? Nous ne voulons pas entendre ce mot. Ils appelleront cela, les hypocrites, la libération de la femme[iv].
Certains élus de gauche affirment avoir reçu d’un exorciste[v] du diocèse de Fréjus-Toulon[vi] une lettre les mettant en garde contre les feux de l’Enfer, lequel les guetterait s’ils votaient pour cette loi de « délit d’entrave numérique à l’IVG ». « Même pas peur », auraient répondus quelques-uns d’entre eux, avec le cran imbécile auquel on reconnaît la libre-pensée depuis au moins cent cinquante ans[vii]. Ils ont tort. Ils ne savent pas de quoi ils parlent.
Car nous savons désormais que la devise du sociétalisme réel est : « non serviam »[viii]. Il n’est jamais trop tard pour la rejeter.


[i] Cela est fort bien expliqué ici ou par P. de Plunkett.
[ii] M. Hollande n’eut en somme « la finance » pour ennemi que le temps d’un discours électoral…
[iii] Sauf aux dires de quelques féministes hypnotisées par leur militantisme qui prétendent que ce n’est qu’une formalité, un acte médical comme les autres, etc.
[iv] On trouvera de plus amples développements à ce sujet ici, dans le Samaritain.
[v] Mot qui ne paraît jamais sans guillemets dans la presse qui se dit sérieuse.
[vi] Diocèse connu des journalistes pour son évêque, le « très conservateur » Mgr Rey (voir ici).
[vii] Un peu plus même, si l’on songe à cette vieille pie de Homais.
[viii] Certains crurent à tort, dans la Tchécoslovaquie des années 1960, à la possibilité d’un « socialisme à visage humain ». Celui du sociétalisme paraît d’emblée plus grimaçant.

mercredi 7 décembre 2016

Ne vous faites pas avorter, mesdames !

Le jeudi 1er décembre, une proposition de loi portant sur le « délit d’entrave numérique à l’IVG » a été votée à l’Assemblée nationale. J’ignore combien de députés s’étaient dérangés pour l’occasion, mais au vu des résultats des votes relatifs aux amendements et motions de rejet[i], force est de supposer que bon nombre d’entre nos cinq cent soixante-dix-sept députés étaient occupés ailleurs : peut-être avaient-ils piscine, point de croix, goûter associatif ou campagne électorale. Par exemple, M. Fillon, nouveau champion, paraît-il, de la droite catholique, s’est-il fait entendre au sujet de cette proposition de loi, en tant que député de Paris[ii] ?
La proposition a donc été soumise au vote de nos sages et doctes sénateurs ce mercredi 7 décembre. Là, elle a été adoptée avec 173 voix pour et 126 contre[iii].
Quel est l’objet de cette proposition de loi ? Il s’agit d’étendre un « délit d’entrave à l’IVG » à des sites internet proposant d’autres solutions que l’avortement à des femmes enceintes qui, pour une raison ou une autre, seraient tentées de recourir à cette extrémité et s’interrogent. Les responsables de ces sites risqueraient jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende pour avoir tenté de dissuader des femmes de se faire avorter. Il est paraît-il reproché à ces sites de se donner des airs officiels pour tromper de malheureuses femmes.
Cette proposition a donné lieu de multiples protestations, notamment au nom de la liberté d’expression, de Mgr Pontier (président de la Conférence des Evêques de France)[iv] aux rédacteurs de Charlie Hebdo. Les partisans de cette proposition de loi auront beau s’égosiller contre un supposé retour de l’ordre moral (orchestré naturellement par de sombres officines catholiques), le moins que l’on puisse dire est que la diversité des sources et des motifs de ces protestations donne tort auxdits partisans, si elle ne témoigne pas de leur mauvaise foi.
Ainsi donc, une loi considérée par des personnes aux convictions fort variées comme une atteinte à la liberté d’expression a été votée avec légèreté[v] par une Assemblée nationale aux rangs semble-t-il clairsemés. Si d’aventure un gouvernement futur fait passer de la sorte d’autres lois aussi scélérates, il faudra demander aux députés ou anciens députés qui s’étrangleront alors d’indignation où ils étaient le 1er décembre 2016 et, s’ils étaient présents ce jour-là à l’Assemblée, quel fut leur vote. Les absents et ceux qui auront voté pour cette proposition auront surtout le droit de se taire. Il serait injuste de priver les sénateurs de ce même droit.
Mme Rossignol, ministre des Droits des femmes (sic), a déclaré au sujet de cette proposition de loi que « la liberté d’expression n’inclut pas le droit au mensonge ». Pourquoi pas, mais il va alors falloir s’entendre sur la notion de mensonge. Les avortements autorisés depuis la loi Veil de 1975 sont régulièrement qualifiés d’interruptions volontaires de grossesses. Le Trésor de la langue française donne comme synonymes d’interruption, arrêt et coupure, certes, mais aussi pause et suspension. Et interruption volontaire de grossesse est donné comme un euphémisme pour avortement. Si l’on prend interruption dans l’acception de pause ou de suspension, ledit euphémisme est quelque peu mensonger. Personne n’a jamais vu de grossesses reprendre après de telles interruptions. Mais cet euphémisme est tout à fait autorisé et même officiel puisqu’on le trouve dans des textes de loi. Voilà un bien mauvais exemple donné par l’Etat. Du reste, avortement est une appellation incomplète. Il faudrait dire avortement volontaire ou avortement provoqué[vi].
Je fais en outre partie des quelques illuminés fanatiques qui, de ci, de là, considèrent comme peu admissible, voire inadmissible, la pratique de ces avortements volontaires, par considération pour la vie des fœtus ou des embryons ainsi « éliminés ». Comme la quasi-totalité de ces illuminés fanatiques, j’ai entendu cent fois l’argument selon lequel un embryon n’est encore qu’un « tas de cellules ». Peut-être, mais quand un embryon franchit-il la limite qui le sépare de l’état de « tas de cellules » à celui d’être humain ? Ne serions-nous alors que des tas de cellules plus grands qui s’ignorent ? Dans ce cas, je ne donne pas cher de nos vies aux yeux de certains. Qui ment ? Qui se ment ?
Finissons sur un aspect plus anecdotique, voire plus léger. Qui voudra me faire croire que parmi ceux visés, le site internet nommé Afterbaiz prétend pouvoir se faire passer pour officiel avec un nom pareil ? Ou alors est-ce que son nom est tellement ridicule qu’il pourrait passer pour tel, en cette basse époque ?
Quoi qu’il en soit, mesdames, tant que cela est permis (et même après), je m’autorise à vous dire : ne vous faites pas avorter. Jamais.
(D’autres considérations autour du même sujet suivront bientôt.)


[i] Voir ici.
[ii] Ne médisons pas. M. Fillon a des convictions, mais uniquement à titre personnel.
[iii] Ce qui fait un total de 299 voix exprimées. Il y a trois cent quarante-huit sénateurs en tout.
[iv] Sans oublier Mgr Vingt-Trois.
[v] Et à main levée, en procédure accélérée !
[vi] Pour être honnête, je reprends ici en substance un commentaire lu dans un article du blogue de Patrice de Plunkett (voir ici), article aux considérations par ailleurs fort intéressantes.

samedi 3 décembre 2016

« L’Âge des low tech » (Philippe Bihouix)

La patience est une vertu cohérente : ses récompenses savent se faire attendre. Ainsi, c’est longtemps après ma sortie d’une grande école[i] que j’ai eu le plaisir de faire une découverte plus qu’intéressante grâce à la revue des anciens élèves de cette école. Il s’agissait, il y a bien un an, d’une brève note de lecture concernant L’Âge des low tech, ouvrage de Philippe Bihouix[ii], paru aux éditions du Seuil en 2014.
Cette découverte fut pour moi une heureuse surprise, au milieu d’articles vantant toutes sortes d’innovations techniques, organisationnelles ou managériales plus smart, lean ou agiles les unes que les autres. Parmi ces incantations d’ingénieurs enivrés par leur infinie inventivité s’insinuait enfin une réflexion à contre-courant ; et, luxe suprême, une réflexion qui demeure celle d’un ingénieur au meilleur sens du terme, sens sur lequel je reviendrai plus tard.
Il me fallut cependant encore quelque temps pour surmonter ma proverbiale paresse et enfin faire l’acquisition du susnommé ouvrage, au sujet duquel s’imposent quelques impressions.
Le livre commence par un prologue (La folle valse des crevettes) qui est un constat : les conséquences désastreuses du modèle économique et industriel actuel sur l’environnement commencent à se voir de manière indiscutable et pourraient bientôt finir par être catastrophiques. Un tableau est vite brossé de pratiques souvent absurdes[iii] et parfois dévastatrices qui ont été adoptées pour des raisons financières. Bien entendu, il y aura toujours quelques optimistes pour tenter de nous rassurer : les ressources de l’esprit humain en matière d’inventivité technique sont déjà à l’œuvre pour nous sortir de ce mauvais ; le développement durable et la croissance verte ne sont-ils pas déjà là pour nous permettre de nous gaver proprement désormais ? L’auteur n’y croit pas et n’y voit qu’une nouvelle manière de poursuivre la course folle déjà engagée.
En quelque sorte, il nous donne à entendre que nous sommes maintenant dans une situation qu’un esprit aussi fin que celui d’Antoine de Rivarol, il y a un peu plus de deux siècles, n’envisageait que comme une hypothèse improbable, voire farfelue (mais redoutable si elle venait à s’avérer) : « La terre ne donne que des revenus ; elle ne connaît pas de capitaux ; si on la mangeait en nature au lieu de vivre de ses fruits, alors elle serait un capital dont on pourrait calculer le prix et la durée, et il y a longtemps que le genre humain aurait mangé son séjour. »[iv]
Il en est de la conscience écologique comme du conservatisme : l’écologiste et le conservateur peuvent se contenter de constater combien l’époque est lamentable, voire menaçante, et contempler avec une sorte de délectation morose l’étendue des dégâts présents et à venir ; s’ils veulent en revanche faire preuve d’audace, ils peuvent aussi proposer une manière d’en sortir, qui n’hésite pas à recourir à certains retours en arrière. Non par nostalgie – ce ne sont pas des rêveurs ni des réactionnaires – mais pour découvrir des pistes viables à explorer, lesquelles pourraient avoir été oubliées, méprisées ou simplement négligées dans la course frénétique du progrès.
Philippe Bihouix montre dans la suite de son ouvrage qu’il appartient à la seconde catégorie (d’écologistes au moins ; pour le reste, je l’ignore et ce n’est pas l’objet de la présente causerie). Cette suite consiste en un développement en quatre « actes », appellation qui, pour désigner des chapitres, pourrait passer pour une coquetterie d’auteur. Il n’en est peut-être pas rien – peu importe – mais cela n’est sans doute pas gratuit : ces quatre actes, pour un pessimiste, pourraient être ceux d’une tragédie. Pour un esprit non pas optimiste mais lucide et refusant le désespoir, ils peuvent être ceux d’un drame ou d’une tragi-comédie : les périls sont vastes, mais il n’est pas impossible de les surmonter, bien que l’issue soit incertaine et de nombreux efforts nécessaires.
Le premier acte, Grandeur et décadence des « ingénieurs thaumaturges », reprend et développe le constat du prologue, en l’inscrivant notamment dans une perspective historique. L’histoire, ici, est celle des techniques, avec tous les avantages et la puissance qu’elles nous ont offerts. Avec aussi leur coût ; celui-ci est allé croissant. L’illusion de la « croissance verte », évoquée dans le prologue, est ici expliquée et analysée : en résumé, les solutions que de nouvelles techniques prétendent apporter à des problèmes dont la plupart d’entre nous sont désormais conscients n’en sont pas vraiment. Plutôt que résoudre ces problèmes, elles les déplacent. Les ressources risquant de s’épuiser et les pollutions occasionnées par la mise en œuvre de ces techniques seront différentes, voilà tout. La course frénétique continuera sur d’autres terrains, mais elle continuera[v].
Ces solutions techniques, ainsi que celles qu’elles prétendent remplacer, font partie d’un modèle économique dans lequel nous baignons, auquel nous sommes soumis et auquel nous contribuons, de manière plus ou moins consciente. S’il n’est pas viable, à quoi bon l’entretenir plutôt que le remplacer par un autre ?
Fort bien, mais par quoi ? C’est l’objet du livre en général, et en particulier de l’acte II : Principes des basses technologies.
Ces principes sont ceux des retours en arrière nécessaires avant d’envisager une bifurcation vers de nouveaux développements. Il ne s’agit donc pas d’un retour à quelque « bon vieux temps » aussi idyllique qu’imaginaire, mais d’un ensemble de réflexions orientées autour de sept axes : (1) « remettre en cause les besoins », (2) « concevoir et produire réellement durable », (3) « orienter le savoir sur l’économie des ressources », (4) « rechercher l’équilibre entre performance et convivialité », (5) « relocaliser sans perdre les bons effets d’échelle », (6) « démachiniser les services » et (7) « savoir rester modeste ».
Le cinquième axe apporte la nuance indispensable à la crédibilité de l’ensemble du raisonnement : les « principes des basses technologies » reposent sur un équilibre qui reste à déterminer de manière plus fine que dans cet ouvrage[vi], sans doute au cas par cas[vii]. L’auteur donne cependant de nombreux arguments, souvent bien choisis et éloquents, aussi bien en énonçant clairement le problème posé au départ de chaque principe et en fournissant quelques exemples de solutions.
De même que l’acte II, l’acte III (La vie quotidienne au temps des basses technologies) revendique une certaine imprécision dans l’aperçu, nécessairement approximatif, de ce à quoi pourrait ressembler notre vie une fois adoptés et appliqués les principes énoncés dans l’acte II. Divers domaines de la vie quotidienne sont abordés : l’alimentation, les transports, la finance… La vie ainsi envisagée semble assez frugale (d’aucuns diront spartiate) et quelques aspects évoqués pourront paraître farfelus ou contraignants. Mais n’est-ce pas plutôt, pour nous autres habitants de pays riches, le fait de renoncer à quelques fausses évidences (ou mauvaises habitudes) fort confortables qui nous effraie ? Comment entamer la transition ?
Cette question, élargie à des échelons plus vastes, fait l’objet de l’acte IV (La transition est-elle possible ?). Après avoir rappelé l’impossibilité selon lui de continuer comme nous le faisons aujourd’hui et la stérilité de certaines réactions (« attentisme, fatalisme et "survivalisme" »), Philippe Bihouix pose les questions associées à quelques obstacles possibles : celles liées à l’emploi, à l’échelle (en termes d’efficacité et d’influence, politique notamment, pas toujours de manière convaincante dans ce dernier cas – voir l’exemple de l’abolitionnisme anglais[viii]), mais aussi à l’habitude. Pour ne pas nous désespérer, l’acte finit « sur une note positive » : si les efforts à faire pour inverser une tendance désastreuse sont nombreux et importants, ils peuvent être coordonnés et entamés à divers échelons, et la combinaison de leurs premiers effets – l’inverse de ceux qui nous désolent actuellement – pourra s’avérer encourageante[ix].
Les quatre actes nous ayant passionnés, restait à Philippe Bihouix de nous donner un baisser de rideau ou un épilogue : Rêve s’il en fût jamais. L’analogie théâtrale perd un peu de sa pertinence ici : nous assisterions plutôt au finale d’une symphonie où tous les thèmes, condensés, s’enchaînent fort vite ; un bon aperçu pour le « spectateur » retardataire, paresseux ou distrait, ou un bon résumé pour le lecteur pressé, lequel aurait tort de s’en contenter.
En n’entrant point trop dans les détails de ce qu’il propose, ce livre évite l’écueil de l’utopie. A ce titre, il paraîtra pessimiste aux optimistes et optimiste aux pessimistes, ce qui est plutôt bon signe. Et si j’ai indiqué au début de cette filandreuse critique que je me trouvai avoir fréquenté la même école que son auteur, ce n’est pas (seulement) pour me vanter. Ce serait plutôt pour rappeler – en substance – un propos du défunt directeur de cette école au temps où j’y étais élève : « la première tâche d’un ingénieur n’est pas de résoudre des problèmes, mais de les poser. » C’est ce qu’a fait avec talent, avec rigueur et non sans humour parfois Philippe Bihouix dans L’Âge des low tech. Je me permets donc de saluer humblement ce camarade.


[i] Assumons ce fait ! Ne soyons pas « populiste » !
[ii] Le moyen par lequel j’ai découvert l’existence de ce livre et de son auteur m’a permis en outre d’apprendre que j’avais été pendant un an – avant quelques glissements dans le cours de mes études provoqués par une certaine légèreté de ma part – un camarade de promotion de ce dernier. Nous ne nous sommes pas croisés à l’époque. Mais il est vrai que j’étais, comme je viens de le suggérer, un élève quelque peu évanescent.
[iii] Comme celle qui a donné son titre à ce prologue, et qui consiste à pêcher des crevettes en mer du Nord, à les expédier au Maroc pour les y faire décortiquer (la main-d’œuvre y est moins chère), puis à les renvoyer au Danemark, où l’on raffole de ces petits animaux.
[iv] J’en avais déjà touché quelques mots ici il y a quelques mois.
[v] Voir p. 112 : « Notre système économique et industriel, tel James Dean au volant de sa voiture dans La Fureur de vivre, nous propose d’appuyer sur la pédale d’accélération, en espérant que l’on inventera les ailes avant d’atteindre le bord de la falaise. »
[vi] Cette observation n’est en rien un reproche. Détailler chaque équilibre n’est pas l’objet de L’Âge des low tech.
[vii] Pour aller dans le sens de l’auteur, l’exemple des hauts-fourneaux villageois du « grand bond en avant » chinois vers la fin des années 1950 démontre que tout relocaliser n’est pas la panacée.
[viii] Un complément, dans le domaine politique, à cette lecture pourra être apporté par celle de La Clameur de la terre, de Frédéric Rouvillois (voir ici).
[ix] « Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux », écrivait Ionesco – qui ne croyait peut-être pas si bien dire – dans La Cantatrice chauve. Ici, ce serait plutôt : « Prenez un cercle, élevez-le, il deviendra vertueux ».

jeudi 24 novembre 2016

Stop au bashing !

C’est sous le cri de ralliement de « Stop au Hollande-bashing ! » qu’est paru, dimanche 20 novembre, dans le Journal du dimanche, un appel signé par quelques célébrités ou, pour présenter mieux, quelques personnalités du monde artistique et culturel. Sans préjuger du mérite artistique de ces personnalités[i], qu’il nous soit permis de douter de leur maîtrise du français, puisqu’elles ont accepté de publier leur appel sous un titre non seulement saturé de franglais[ii] mais dont le vocabulaire traduit une soumission assez servile à la mode.
Soyons juste et rappelons le titre entier de cet appel[iii] : Une soixantaine de personnalités disent « stop au Hollande-bashing ! ».
Commençons par la question du franglais : stop peut facilement être remplacé par halte ; quant à bashing, la consultation d’un dictionnaire anglais-français nous apprend qu’au sens propre ce mot peut signifier rossée, raclée ou dérouillée et, au sens propre, dénigrement systématique. Le Journal du dimanche eût donc pu titrer : Une soixantaine de personnalités disent : « halte au dénigrement systématique du président Hollande ! », ou encore, pour éviter ce lourdingue style direct : Une soixantaine de personnalités protestent contre le dénigrement systématique du président Hollande.
Cette dernière formulation, gageons-le, n’aurait pas les faveurs d’un rédacteur en chef. Tant pis, dédisons-nous et passons par le style direct pour imaginer sa réaction : « Pas très punchy, ça. Ça manque de "peps", coco. On dirait un titre du Monde dans les années 70. » Et voilà comment on en vient à user jusqu’à l’écœurement de termes à la mode, comme bashing.
C’est probablement vers 2003 que ce mot a débarqué sur nos rivages pour envahir la langue des journalistes. C’était à l’époque où M. George W Bush[iv] avait décidé de semer définitivement la pagaille au Proche-Orient. On sait que la France manifesta son refus de suivre nos amis américains par la voix un peu ampoulée de M. de Villepin[v]. On sait aussi de quelle campagne de dénigrement notre pays fit l’objet alors aux Etats-Unis, jusque dans les détails les plus futiles[vi]. On nomma cela le French-bashing. Et le mot bashing fut accommodé depuis à toutes les sauces.
Bien entendu, écrire Hollande bashing au lieu de dénigrement systématique du président Hollande donne à cet appel le caractère dérisoire de ce qui suit la mode. Mais le choix de ce titre illustre fort bien le passage (définitif ?) du peuple de gauche, cher à feu Pierre Mauroy, aux people de gauche. La tendance a dû s’amorcer il y a une trentaine d’années, quand François Mitterrand adopta des poses d’oracle sibyllin mais éclairé de la gauche.
Observons que parmi les signataires de cet appel se trouve l’inévitable Jean-Michel Ribes, qui passa tout le quinquennat de M. Sarkozy à tourner ce dernier en dérision, le tout dans un théâtre subventionné, bien au chaud. Le voilà donc qui reproche à d’autres de faire ce qu'il fit naguère, cinq ans durant.
Du reste, M. Hollande fait-il réellement l’objet d’un dénigrement systématique de toutes parts ?[vii] Nous ne le croyons pas : c’est plutôt de dérision ou de ridicule qu’il faudrait parler. La chose est d’ailleurs peu recommandable, car peu charitable, peu constructive, peu élégante parfois et témoignant d’une inspiration qui tend de plus en plus à se tarir. Sans compter le risque de sombrer dans un état qui tiendrait autant du cynisme que de la déprime. Ne perdons donc pas notre temps à ridiculiser nos politiciens. Ils s’en chargent fort bien eux-mêmes. Laissons-les exercer leurs compétences.


[i] Catherine Deneuve, qui figure en bonne place parmi les signataires, fut autrefois admirable, dans La vie de château ou La sirène du Mississipi, par exemple.
[ii] Parmi ces personnalités se trouvent certainement quelques partisans de l’exception culturelle française. Félicitons-les pour ce combat, mais invitons-les aussi à un peu de cohérence.
[iii] Et contentons-nous de ce titre. Le reste est pitoyable. Ceux qui insistent pourront aller voir ici.
[iv] A côté de qui, en matière d’imbécillité politique, M. Donald J Trump fait figure d’amateur. De riche amateur, certes, mais d’amateur quand même.
[v] Reconnaissance perpétuelle à lui et à M. Chirac pour cela, malgré à peu près tout le reste.
[vi] Certains ordinaires, mess et cantines américains cessèrent, dit-on de servir des frites (y compris, probablement, en doubles rations) sous l’appellation French fries, les nommant désormais freedom fries. Le diable est dans les détails, la stupidité aussi.
[vii] La même question peut être posée en ce qui concerne M. Sarkozy.

dimanche 20 novembre 2016

Considérations d’un abstentionniste

Aujourd’hui avait lieu le premier tour de ce qui s’appelle la primaire de la droite et du centre ; qui voulait bien pouvait voter pour son préféré parmi sept candidats pour représenter, donc « la droite et le centre » à l’élection présidentielle de l’an prochain. Parmi ces sept candidats, on dénombre : un ancien président de la république, son ancien premier ministre, trois de ses anciens ministres, un insignifiant apparatchik, tous membres du parti « les républicains », auxquels il faut ajouter M. Jean-Frédéric Poisson.
On voit par là que cette élection au caractère officieux sert surtout à vêtir d’oripeaux démocratiques la désignation par un parti politique d’un candidat à la prochaine élection. En gros, personne n’aura à se plaindre de ce « candidat unique de la droite et du centre », puisque son choix émanera de la « volonté du peuple ». La presse nous a déjà vendu trois favoris : MM. Sarkozy, Fillon et Juppé. Le premier sent le déjà vu (pour ne pas dire le grillé), les deux autres rivalisent de propositions libérales.
Les quatre autres candidats font ce qu’ils peuvent pour exister. Qu’allait faire M. Poisson dans ce bocal ? Certes, il a acquis un peu plus de notoriété publique, mais pour quoi faire ? Pour s’engager à soutenir ensuite un candidat dont les idées ne seront pas les siennes ?
Question de milieu sans doute, j’ai rencontré pas mal de personnes (dont quelques-unes que j’estime fort) qui sont allées voter. Certaines ont même voulu m’y inciter, mais…
Et puis ces campagnes de retape sur Internet : « Le vendredi, c’est Poisson aussi », « Avec Alain Juppé, il est urgent d’agir », sans compter les épanchements de la Weltanschauung de M. Hervé Mariton, lequel n’a pas eu l’heur de s’aligner dans la course… Je soupçonne que quelques connexions « Manif pour tous » ont fini par me valoir ces courriers électroniques envoyés en masse. Bon, pour M. Poisson, je veux bien, mais pour les autres (à l’exception, peut-être de M. Mariton, lequel etc.)… Sans doute est-ce dû à une hâtive association « catho-LMPT-donc-de-droite-donc-intéressé-par-LA-droite » ?
A propos de « cathos », le Secours catholique a publié un message sur la pauvreté le jour du dernier débat télévisé entre ces candidats. Les pauvres, en substance, ont avant tout besoin de soutien (matériel, mais pas seulement) et non de discours sur la nécessité de « débloquer » l’économie. A propos de ces débats, observons que leurs décors façon « jeu télévisé » ont dû avoir leur coût : combien, aux frais de qui, dans la poche de qui ?
Du reste, le Secours catholique distribuait aujourd’hui des enveloppes à la sortie des églises, pour ceux qui souhaiteraient les emplir de quelque chèque. Et la Providence, toujours fidèle, avait lesté mon porte-monnaie de pièces de deux euros destinées aux mendiants que je croise chaque dimanche en sortant de la messe. Le nombre de mes pièces de deux euros étant limité, je ne suis pas allé ensuite en donner une à un parti me demandant de départager quelques sous-chefs de bureaux en mal de dorures élyséennes. Ce parti, en outre, m’aurait demandé de signer une déclaration en faveur des « valeurs républicaines de la droite et du centre ». Etant peu amateur de blancs-seings, j’attends toujours une énumération de ces « valeurs ». Mais peut-être suis-je un peu vétilleux, voire intransigeant : si ces valeurs sont communes à Mme Kosciusko-Morizet et à M. Poisson, elles ne doivent pas engager à grand-chose.
En somme, ce cirque ne peut que renforcer mes penchants royalistes.
Mais n’en faisons pas un drame. C’était aujourd’hui aussi (et surtout) la solennité du Christ roi de l’Univers. Tout autre chose que les simagrées républicaines ou que mes penchants royalistes, ces simagrées et ces penchants me paraissant soudain bien vains…

jeudi 17 novembre 2016

Trumperies (2)

Il me faut faire ici un aveu : comme tous les experts ès américaineries, j’ai été surpris par l’élection de M. Donald J. Trump au poste de président des Etats-Unis. Le personnage était tellement grotesque que même Mme Clinton ne pouvait que l’emporter. J’avais même ma petite théorie du complot à ce sujet, que j’avais exposée ici. A ma décharge, je ne suis en rien un expert en américaineries, moi.
Les experts, quant à eux, tentent de recoller les morceaux en nous expliquant comment ce « séisme » a pu se produire. Il leur faut quand même sauver leurs boutiques. On nous a donc servi une réaction des « mâles blancs déclassés » à un sentiment d’humiliation provoqué par la candidature d’une femme après huit ans de présidence d’un homme noir : manière un brin condescendante, quoique polie, de traiter les électeurs de M. Trump de ploucs racistes et misogynes ; au fond, c’est en gros ce que Mme Clinton avait dit d’eux pendant sa campagne.
Peut-être ces experts n’ont-ils pas pressenti qu’en fait n’importe qui, même M. Trump, avait des chances de donner du fil à retordre à Mme Clinton, voire (ce qui s’est finalement produit) de l’emporter sur elle. Non pas parce que c’est une femme, encore moins à cause du teint de M. Obama. Simplement (mais ce n’est qu’une hypothèse) parce que Mme Clinton représente jusqu’à la caricature les vieux routiers (et les vieilles routières) de la politique politicienne. Dans ces conditions, n’importe quelle chaussure, même, disons, si elle était rose avec des étoiles vertes, pouvait convenir à certains pour botter le derrière de ceux qui les écœurent.
Il est à noter que cette élection, comme tous les quatre ans, fascine le monde entier ou une bonne partie de celui-ci. On se croit un peu partout tenu de prendre parti pour l’un ou l’autre candidat, ou du moins autorisé à le faire. Certes, les Etats-Unis sont un pays puissant et influent, mais jusqu’à plus ample informé nous sommes une vaste majorité à ne pas en être les citoyens, ni même – du moins officiellement – les vassaux[i] ou les obligés. Comment expliquer cette frénésie ? Le rêve américain ? L’esprit « yéyé » ? Ou peut-être s’agit-il d’un désir de se soumettre au bon vouloir d’un empire ? Dans ce dernier cas, ce serait bien commode pour nos politiciens, qui ne se sentiraient en rien tenus de décider quoi que ce soit[ii].
Les cas les plus paradoxaux de ce genre d’hypnose se rencontrent chez ceux que nos journalistes nomment « populistes », avec la hargneuse condescendance qui convient. Quels cris d’enthousiasme pour M. Trump n’entend-on pas depuis un bon moment chez bon nombre de nationalistes ! Ceux-ci nous étonneront toujours, tant ils sont occupés à se chercher des modèles, voire des maîtres, à l’étranger (et ce n’est pas d’hier). Curieux comportement de la part de ceux qui placent l’identité nationale (ou l’idée qu’ils s’en font) au-dessus de tout.
Mais que craindre ou espérer de l’élection de M. Trump si l’on n’est pas Américain ? Deux choses, peut-être : dans le registre des craintes, celle d’une remise en cause des engagements de son pays en matière d’émissions de gaz à effet de serre ; dans celui des espoirs, celui de relations apaisées entre les Etats-Unis et la Russie, une fois congédiés (permission de rêver) une certaine coterie de néo-conservateurs et leurs idiots utiles.
C’est sur ce dernier point que surgissent les doutes : M. Trump ne gouvernera pas seul et devra compter en outre avec le Congrès. D’ailleurs, on le verra probablement s’entourer – ou se laisser entourer – de vieux briscards qui lui dicteront sa politique. Si c’est le cas, bien des espoirs et des craintes s’envoleront. Tout le monde en aura alors pour ses frais : les contempteurs, les électeurs et les admirateurs de M. Trump. La cuisine habituelle reprendra ses droits. M. Trump semble en fait être une outre vide où chacun aura versé ce qu’il aura voulu, pour le détester[iii] ou l’aimer.
Chez nous, nos farouches nationalistes en seront quittes pour aller se chercher un nouveau maître, encore ailleurs.
Du reste, M. Trump a donné un signe étrange en déclarant renoncer à son traitement de président des Etats-Unis. Peut-être est-ce un signe d’honnêteté : nous avons certainement affaire à un homme qui sait qu’il faut payer – et non se faire payer – pour s’amuser un peu[iv].


[i] Le caractère quelque peu féodal de ce terme a des résonances chevaleresques. J’en use donc faute de mieux s’il s’agit des Etats-Unis d’Amérique.
[ii] Et ce serait normal chez bon nombre de journalistes, de financiers et de snobs qui se rêvent en citoyens du monde tout en se proclamant réalistes.
[iii] J’avoue avoir été ennuyé par les reportages sur des manifestations anti-Trump après l’élection de ce personnage. S’il a été élu… Le mieux pour ses opposants sera de se mobiliser lorsqu’une fois installé il annoncera telle ou telle mesure. Sinon, n’importe quelle élection dans n’importe quel pays pourra donner à l’avenir lieu à d’interminables manifestations.
[iv] Et je recommande quelques avis intéressants ici et chez P. de Plunkett, ou encore chez J. Leroy (mais oui, mais oui…). Ah, et aussi  : une parfaite synthèse.

samedi 12 novembre 2016

« Les visages pâles » (Solange Bied-Charreton)

Faire d’une époque un objet romanesque est une tâche noble à laquelle, de temps en temps, s'attellent les écrivains. La tâche est en apparence plus facile s’il s’agit pour un écrivain de dépeindre son époque ou un passé proche qu’il a bien connu : le travail de documentation, à première vue, est léger, l’écrivain peut utiliser ce qu’il sait, ce qu’il a vu ou entendu, et le rendu de l’ambiance générale peut sembler un mince effort, à moins que quelques contemporains vétilleux viennent chipoter sur quelques détails. Cependant, une époque, c’est aussi riche que vague : autant se limiter à des événements précis et à des milieux particuliers s’il y a quelque chose à en écrire, quelque intérêt à en tirer.
Pour citer quelques références écrasantes, pourquoi ne pas songer à L’Education sentimentale de Flaubert où à quelques épisodes de Gilles de Drieu la Rochelle ?
Il serait tentant de voir dans Les visages pâles, dernier roman de Solange Bied-Charreton, le « roman de la Manif pour tous », et plus particulièrement celui des jeunes manifestants, avec leur enthousiasme, leurs incohérences, leurs rages, le mépris que leur opposent les indifférents, leurs déceptions et leurs évolutions… Ce serait un peu court. Après tout, seuls deux des personnages principaux des Visages pâles, une mère et son fils (auxquels il faut ajouter un comparse, ami du fils), iront manifester contre le « mariage pour tous ». Il s’agit plutôt de voir se déliter un milieu, illustré par une famille de grands bourgeois mâtinée de ce qu’il faut de vieille noblesse.
Nous sommes donc au milieu de 2013. La famille Estienne n’a rien d’exceptionnel dans son genre : fortune faite depuis quelques générations dans la fabrication de brosses à dents, elle a acquis au cours du temps ce qu’il faut de lustre. Jean-Michel Estienne, paterfamilias en titre, a trois enfants, Hortense, Lucile et Alexandre, issus de son mariage avec Chantal de Sainte-Rivière. Tout cela aurait l’air parfait si Jean-Michel n’avait pas vendu depuis plus de vingt ans l’entreprise familiale (scandalisant ainsi son vieux père) et s’il n’avait pas divorcé pour remplacer sa légitime épouse par une fastidieuse succession de maîtresses ou de compagnes. Chantal de Sainte-Rivière, de son côté, vivote dans un petit appartement où s’empile, sous la forme d’un mobilier ancien, hétéroclite et abondant, tout son pedigree.
Si Hortense, la fille aînée, porte tous les signes modernes de la réussite (elle dirige une start-up, a un compagnon banquier et deux jolis enfants ; elle maîtrise parfaitement le franglais, qu’elle parle avec naturel et un accent éthique très travaillé) et si Alexandre, le benjamin, a fait de bonnes études d’ingénieur et débute de manière prometteuse dans l’automatisation de procédés industriels, Lucile a perdu depuis belle lurette ses ambitions artistiques pour devenir graphiste dans une agence de communication.
Tout est en place, par conséquent, pour que les fissures s’élargissent. Il ne manque que la secousse initiale. Celle-ci survient dès les premières pages[i] : c’est la mort du grand-père, Raoul Estienne, et le désir qu’a son fils de vendre la maison de celui-ci, la Banèra. Ce à quoi s’opposeront ses trois enfants.
Au fond, Jean-Michel Estienne est un bourgeois cohérent : c’est un homme de mouvement plus qu’un homme d’ordre. L’ordre, les choses immuables, ce sont des traits d’ancien régime : plutôt le côté Sainte-Rivière.
Au premier abord, ses deux filles sont elles aussi cohérentes : l’aînée est une entrepreneuse, à la mode du temps – sa start-up ne produit rien mais rapporte beaucoup d’argent ; la cadette est à sa façon dans le mouvement, par son emploi « branché » et ses amours passagères. Mais c’est une « artiste » et aussi une « âme sensible » qui pensera un temps vivre une grande histoire d’amour, une vraie : goût aristocratique de l’inutile et de l’immuable ?
Alexandre, le plus jeune, est plus vif et plus confus : auxiliaire de la modernité dans ses formes techniques, il en rejette le versant « sociétal ». Il se jettera dans la Manif pour tous avec passion[ii], nourrissant son antimodernisme paradoxal de citations (notées sur son smartphone) d’auteurs qu’il n’a pas lus, de slogans on line et de doctes liens hypertextes. C’est un bon petit singe savant ou un preux chevalier, selon les points de vue. Il a « des préciosités de verbicruciste » et réponse à tout. Il est prêt à lutter virilement pour la France catholique, avec autrement de panache que les évêques : « L’Eglise catholique se doit de défendre, en premier lieu, nos valeurs », lui arrive-t-il de proclamer[iii].
Alexandre est souvent flanqué d’un ami, Côme, sorte de néo-néo-hussard raté qui cultive avec soin un certain détachement. Il écrit des romans – tous refusés – avec « deux adverbes par phrase, un héros misanthrope […], des morts par accidents de voiture, une dénonciation du sartrisme, quelques vues audacieuses sur la bourgeoisie, [situés] malgré tout dans les années 2010. » En matière d’aphorismes cinglants, il prendra une leçon humiliante auprès de prolos identitaires, après une manifestation : « On aimerait plus ou moins être pris au sérieux »…
Alexandre, au fil des manifestations et des rencontres, semblera gagner en lucidité, en cohérence aussi, mais surtout en lassitude ou en amertume. Quant à ses sœurs… Hortense démolira son ménage et Lucile sera lâchée par son amant, Charles[iv].
Tout retombera dans la médiocrité, dans la dépression, quand l’évidence de la comédie s’étalera sous leurs yeux : la jeune entrepreneuse (et mère de famille épanouie), l’artiste ratée amoureuse mais lucide, le jeune homme intransigeant, « libéral-conservateur » puis « décroissant », tous n’étaient peut-être pas même des personnages. Tout juste des figurines, des « Playmobil en mal de sensations fortes », peut-être ? Ils finiront par voler en éclats ou par tomber en morceaux, en quelque sorte. Leur restera la Banèra, seul repère.
Ce long roman est composé de brefs chapitres, presque des nouvelles que l’on pourrait lire séparément. Le ton, un brin sarcastique ou ironique, frise parfois le lyrisme quand il s’agit de dépeindre les amours de Lucile et de Charles. Assurément, s’il faut citer Drieu la Rochelle parmi des références fatalement écrasantes, il faut plutôt songer à Rêveuse bourgeoisie qu’à Gilles, toutes proportions gardées : la satire est en sourdine, avec un fond mélancolique s’abandonnant un peu trop parfois[v]. Le ridicule des personnages réside plus dans le conformisme que dans la folie[vi]. La langue, comme les décors, porte les stigmates du temps, les relevant ou les absorbant. On évolue ici dans une France contemporaine bétonnée, plastifiée, standardisée ; on traverse Paris en RER pour aller à la Défense. Et Solange Bied-Charreton semble avoir renoncé dans Les visages pâles à l’imparfait du subjonctif. On pourrait le lui reprocher, à moins que ce manque ne contribue à dépeindre une époque « sans rien de grandiose, […], muette, sans saveur délectable, sans beauté spécifique ».


[i] Où donc, sinon ? Sans cela, pas de roman…
[ii] Contrairement à ses sœurs, en particulier à Hortense, dont les intérêts ne sont pas menacés par la loi Taubira : sommet de la morale libérale.
[iii] Une perle. Le genre de came que revend une certaine presse de droite et qui semble (c’est regrettable) avoir trouvé son public.
[iv] Encore un qui, à sa manière, est plus « hussard » que le pauvre Côme.
[v] « Un grand roman contemporain, une satire sociale où résonnent humour, tragédie et émotion », nous dit la quatrième de couverture. Rien que cela !
[vi] C’est donc bien un roman français, et non anglais, par exemple…