Chevreuse (Patrick Modiano)
Quelques lieux, objets,
photographies, bribes de phrases, noms ou visages font faire à Jean Bosmans des
bonds en arrière ou en avant dans le temps. Il en fera un roman, mais les
souvenirs sont une brume où il voyagera toujours. Comme Patrick Modiano qui,
fidèle à son habitude, évoque une petite galerie de personnages tour à tour
fascinants, louches, dangereux ou pitoyables, voire simplement ridicules. Leurs
noms, comme toujours, ont quelque chose de familier et exotique à la fois. Un Modiano
de plus, toujours le même roman, quoi qu’en disent les inconditionnels ou les
snobs, pas déplaisant à lire mais quasiment impossible à distinguer du précédent : à quoi bon, se demandera le lecteur en tournant les premières
pages de Chevreuse. Il aura tort : s’il continue, il découvrira
que, peu à peu, le brouillard s’ordonne pour faire entrevoir le début d’une
intrigue.
Bosmans devient écrivain pourrait être un autre
titre pour Chevreuse. En tout cas, Modiano le redevient complètement, et c’est
une bonne nouvelle que ce roman.
Châteaux
de sable (Louis-Henri de la
Rochefoucauld)
On ne devrait pas trop
boire en sortant d’un mariage. Ou, au contraire, devrait-on ? Un certain
Louis-Henri de la Rochefoucauld, héros et narrateur du dernier roman de
Louis-Henri de la Rochefoucauld, en fait l’expérience. Il atterrira, assoiffé
par un excès de boisson, dans un bar clandestin tenu et fréquenté par des
royalistes un rien dérangés, où il fera la connaissance d’un nommé Robinson,
qui n’est autre que Louis XVI.
Ce dernier s’avère d’une
compagnie agréable, bien plus fin (intellectuellement, du moins, que la
réputation qui lui a été faite), malgré quelques excentricités. Outre Louis
XVI, notre narrateur aura l’honneur et la joie de rencontrer une Marie-Antoinette
au naturel, grisonnante et sobrement vêtue, embellie et ennoblie par les
épreuves, loin du kitsch chocolatier dont elle semble devenue à son corps
défendant l’enseigne, ce dont elle sourit amèrement : « vous savez qu’on
se sert de moi pour faire le marketing des macarons ? »
Quoi de mieux, en somme,
que cette rencontre fort improbable – ivresse, folie douce, songe éveillé,
réalité ou tout simplement roman – pour un homme qui se sent déplacé dans un
monde peu fait pour de doux rêveurs issus de vieilles familles françaises ?
Il flotte dans Châteaux
de sable comme un parfum légèrement blondinien, où l’ironie et l’humour
tempèrent la mélancolie et l’anxiété. Ce n’est pas une surprise, ce parfum
étant déjà présent, quoique moins bien dosé, en 2017 dans Le Club des vieux garçons.
Et la fantaisie de ces Châteaux de sable n’est pas exempte de gravité,
voire de profondeur, en espérant que ces compliments n’offenseront pas l’auteur.
Correspondance,
III, 1964-1968 (Paul Morand, Jacques
Chardonne)
Il arrive aux noms de
Modiano et de La Rochefoucauld d’apparaître dans ces pages : le même
Modiano, d’autres la Rochefoucauld.
Peu de choses à dire de
plus sur cet ultime volume de la correspondance des deux vieux chats que sur le précédent (1961-1963), paru il y a plus de six ans. Chardonne, sentant la mort
venir, semble encore plus tao par moments, ses « ce n’est rien »
étant agrémentés d’aveux d’admiration pour la civilisation chinoise. Morand excelle
encore ici et là dans l’image originale ou la description-éclair : « Nous
vivons ici dans un négatif de photographie : au lieu de la masse claire du
lac et d’une place plus sombre, j’ai un lac et un ciel d’ardoise noire, et un
sol éclatant de blancheur », écrit-il de Vevey le 29 décembre 1964.
La fin de cette
correspondance, ce sera la mort de Chardonne, fin mai 1968. Morand, apprenant
cette mort, écrira le 30 mai 1968 lettre qui ne partira évidemment pas,
finissant par : « Je ferme ici une correspondance d’une quinzaine d’années,
une boule de laine dans la gorge. » Curieusement, cette lettre est suivie
d’un post-scriptum reconnaissant apparemment quelques mérites à de Gaulle. Tout
arrive… Le vieil homme entrera ensuite dans le long hiver, pour paraphraser
Blondin, et ce sera le Journal inutile qui commencera le surlendemain.
Reste, entre des
souvenirs dur Proust (et quelques autres) et des considérations point
déshonorantes sur Les Choses de Georges Perec, un voyage dans le temps
qui fascinera les amateurs et rasera les autres d’une manière monumentale, quand
ils ne seront pas outrés par l’imbécillité politique, morale et spirituelle de
Morand. Dommage pour ce grand talent (ce dont il a déjà été question ici).
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