vendredi 20 mars 2020

Nos vies recluses

Le sourire amical que j’adressai tantôt à nos voisins d’Italie est devenu, par la force des choses, un sourire fraternel et navré. Nous voilà donc, nous aussi, sommés de nous enfermer chez nous, ce qui devrait bientôt arriver – et arrive déjà – dans certains pays. Ces conditions sont dures, mais si elles sont nécessaires pour éviter une catastrophe – ou du moins en limiter les effets – il nous faut nous y plier avec discipline.
Cette épreuve nous frappe en plein Carême, et en l’occurrence les privations qu’il nous faut endurer ne sont pas de ces « petits sacrifices » pas si durs auxquels nous consentons pieusement chaque année. Nous voilà privés jusqu’à nouvel ordre de messes et de sacrements. Dans le désert, il nous reste la prière et la charité. C’est peut-être dans de telles circonstances que nous sommes capables d’en saisir l’importance. De saisir aussi ce qu’est la solitude de ceux que leur santé empêche en permanence de sortir de chez eux. Ou encore ce qu’est la faim, quand sortir acheter à manger devient une aventure guère exaltante[i]. Et aussi d’apprendre cette vertu qu’est la patience.
Évidemment, pour ceux qui, depuis quelques jours, travaillent à distance, les choses ne sont pas si difficiles[ii] : ils ont de quoi occuper leurs journées et sont même payés à cela[iii]. Quant aux autres confinés, il leur faut bien trouver quelque chose à faire. D’aucuns inventent de petits jeux idiots ou amusants, se filment et répandent cela sur Internet. C’est, certes, souvent sympathique, mais un peu vain. Au bout de la vingtième plaisanterie relayée par un ami ou un parent, on finit par se lasser. D’autres se gavent de films ou de séries télévisées : je ne sais pas dans quel état se trouve leur cerveau chaque soir.
Reste la lecture. Les gros lecteurs poursuivront probablement un programme déjà établi, dévorant des piles déjà constituées, non en prévision de la dure épreuve que nous avons à subir, mais simplement par habitude. Ou, s’ils n’avaient pas renouvelé leur stock, peut-être avaient-ils un programme de relectures ?
Pour ma part, étant dans ce dernier cas, j’ai décidé d’être imperturbable : je relis à petites enjambées Crime et Châtiment, que j’avais lu bien trop jeune pour tirer de ce roman les nourritures dont il regorge. Lorsque j’aurai terminé cette lecture, j’aviserai. J’ai malheureusement le temps, car il est probable (et peut-être souhaitable, hélas) que la durée de ce grand enfermement excède les deux semaines initialement annoncées.
Suis-je d’ailleurs aussi imperturbable que je l’affirme ? J’ai remarqué que, chaque fois que des personnages se serrent la main ou se donnent une accolade, j’ai peur pour eux. Mais l’actualité influence parfois aussi nos lectures d’une manière plus directe.
Il a été beaucoup dit, par exemple, que La Peste de Camus s’est dernièrement vendu comme de petits pains, à une époque où il était encore possible d’entrer dans une librairie pour acheter des livres. Curieuse idée, à mon goût, que celle de vouloir ainsi coller à l’actualité à travers la littérature. À tout le moins, je garderais ce genre de lecture pour plus tard. Et à qui tient à des lectures en rapport avec la situation où nous nous trouvons, je conseillerai plutôt le Voyage autour de ma chambre, de Xavier de Maistre. Il n’est pas inutile pour le moral de lire aussi des choses drôles.
Bien entendu, pour qui n’a pas ce livre chez soi, il est un peu tard[iv] : l’idée de se faire livrer à domicile quoi que ce soit, y compris des livres, si elle est séduisante, sollicite le concours de personnes pour préparer, emballer, transporter et déposer les commandes, s’exposent à la contagion. Nos plaisirs, même les plus élevés, ne valent pas la vie d’un homme. il vaudrait mieux que les personnes ainsi sollicitées aient, comme la plupart d’entre nous, la possibilité, la chance même, de rester chez elles.
Cessons donc, nous autres confinés, de nous plaindre : restons chez nous, prions, lisons, rions et faisons quelque chose pour nos prochains, autant que cela nous est possible.


[i] Cette aventure est à relativiser, à côté de ce que doivent vivre ceux qui travaillent dans les boutiques et magasins que nous fréquentons.
[ii] À condition, il est vrai, de vivre seuls. La solitude a aussi des avantages.
[iii] Cela dit sans dénigrer en aucun cas ces personnes, dont je fais partie.
[iv] Mais ne constatons-nous pas qu’il est – d’une manière bien plus préoccupante – un peu tard pour beaucoup de choses ? Demandez aux médecins des hôpitaux (et aux personnels médicaux en général) dont le dévouement n’a d’égal que le mépris avec lequel ils ont été traités par des gouvernements successifs ces dernières années.

samedi 14 mars 2020

Pour une étiquette en temps d’épidémie

Une épidémie frappe en ce moment le monde et, si elle s’étend de manière redoutable (au point d’avoir été qualifiée de pandémie), il ne nous paraît pas toujours facile d’en évaluer, imaginer ou comprendre la gravité. Le mal qui se propage semble se situer quelque part entre un très mauvais rhume (aux conséquences bénignes ou fatales) et la grippe espagnole. Dans une telle incertitude, les comportements excessifs ne sont pas surprenants, du déni bravache à la panique, à la terreur, voire au désespoir.
Or, pour les quidams que nous sommes, je ne vois pas pour ma part de conduite viable à tenir en dehors d’une simple et calme prudence. Les autorités, civiles et religieuses, nous y incitent d’ailleurs : que ce soit pour échanger un signe de paix dans la charité du Christ pendant les messes ou pour nous saluer dans notre vie profane, nous sommes enjoints d’éviter accolades, baisers et poignées de main.
Les temps difficiles incitent parfois à une certaine frivolité. Sans doute pour tromper l’ennui ou encore l’angoisse. Les journaux nous ont donc administré quelques anecdotes sur le check du bout des poings où à coups de coudes, voire sur le footshake, manière pataude de se toucher du pied (chaussé, bien entendu) pour se saluer. Quelques responsables politiques en ont fait la démonstration pour la galerie. C’est amusant dix minutes, mais ensuite on s’en lasse.
Une solution plus sérieuse peut consister à chercher des modèles ailleurs : en se mettant la main sur le cœur, à la mode musulmane, ou en joignant les mains avec une inclinaison plus ou moins profonde du buste, selon une coutume que l’on prête aux Asiatiques. Pourquoi pas…
En fait, mille manières peuvent être envisagées, dès lors qu’elles sont dignes et amicales. Montrer la paume de sa main droite (dépourvue de toute arme)[i], ou encore incliner la tête, comme le résumé d’une révérence[ii]. L’essentiel réside peut-être dans les nombreuses expressions que l’on peut donner à son visage. Celles-ci peuvent aller d’une compassion empreinte de gravité, dans les moments douloureux, à une joie fraternelle ou amicale (que l’on veuille bien faire l’effort de sourire des yeux !), en passant par l’encouragement dans les épreuves. Tout est possible pour témoigner de l’amitié, du respect, ou la plus élémentaire des politesses, sans palper les mains de qui l’on rencontre. Il suffit d’y mettre de son âme.
Et c’est une précaution qui pourrait nous dispenser d’avoir à nous claquemurer chez nous pendant des semaines, comme cela arrive à nos voisins italiens. À qui j’adresse un amical sourire.
(Cela dit, les choses ne semblent pas bien tourner : à Paris, nous ne pourrons pas aller à la messe ces prochains dimanches. En attendant de rester longtemps enfermés chez nous ? Des choses étonnantes se passent d’ailleurs de toutes parts, puisque l’on a entendu M. Macron, dans un discours aux accents nobles quoique grandiloquents, annoncer la nécessité d’une politique qui serait l’exact contraire de celle qu’il a menée sans discontinuer depuis bientôt trois ans.)


[i] Ce qui serait l’origine du salut militaire.
[ii] Sans en faire trop : il n’est pas nécessaire de se mettre en même temps au garde à vous en claquant des talons, à moins de vouloir se donner des airs prussiens.