vendredi 26 mai 2017

« Le Génie de la bêtise » (Denis Grozdanovitch)

Force nous est de soupçonner Denis Grozdanovitch d’éprouver un malin plaisir à nous surprendre, voire à nous prendre à contre-pied sans ostentation. L’ancien champion de France junior de tennis (en 1963) avait entamé sa carrière littéraire publique en 2002 avec son Petit traité de désinvolture, dont le titre est un chef-d’œuvre de pensée paradoxale : s’il faut s’appliquer à être désinvolte, où ne risque-t-on pas d’être entraîné ? Quelques ouvrages, aussi précis que désinvoltes, plus tard, voici qu’il nous donne Le Génie de la bêtise.
Pour commencer, il est nécessaire de s’entendre sur l’étendue de ce génie. La bêtise peut être celle du simplet, celle du savant ou de l’expert, ou encore celle du snob (forme dégénérée de la précédente), à laquelle il faudrait ajouter (on ne la rencontre guère dans l’ouvrage de Denis Grozdanovitch) celle, encore plus dégénérée, de l’expert universel de comptoir, de salon ou de blogue[i], pour ne citer que ces exemples.
Du savant au snob (et donc aussi à l’expert universel de comptoir, de salon ou de blogue) en passant par toutes sortes de Besserwisser, cette bêtise recèle des trésors de comique involontaire, dont Grozdanovitch confesse que c’est son père qui l’initia à leur recherche. De nombreux exemples nous sont fournis du ridicule dont, sans le savoir, bien des savants ou des experts peuvent faire preuve. Chez les snobs qui veulent jouer aux honnêtes hommes, cela peut confiner au sublime.
Le cas du simplet est différent : traité avec mépris ou avec condescendance (au mieux avec indulgence), il n’a personne ici-bas à qui confier ses richesses. A quelques exceptions près, celle de Valentin, par exemple, « un petit maître en "idiotie" », lointain cousin que l’auteur rencontra dans son enfance. Peu gâté en apparence, ce petit homme laisse à Grozdanovitch un souvenir émerveillé, celui de la simplicité (justement) de ses rapports avec la nature en général et les animaux, sauvages ou domestiques, en particulier. Une sorte de leçon d’humilité et de poésie naïve, assez émouvante, s’en dégage : l’initiation par l’idiotie à quelques beautés négligées par les esprits mûrs et solides.
Sur les différentes formes de bêtise, pas toujours faciles à distinguer, Denis Grozdanovitch nous livre force impressions, anecdotes et citations pour étayer une réflexion nourrie de références allant de Flaubert aux blagues juives (qui ne sont jamais bien loin de nous rappeler à un certain sérieux théologique). A propos de Flaubert, il nous fait observer que des figures comme Bouvard et Pécuchet ou Emma Bovary sont, en matière de bêtise, assez ambiguës quant au bien ou au mal qu’il y aurait à en penser.
Voilà donc une manière agréable, à la fois profonde et badine, d’être incité à réfléchir sur la bêtise (la nôtre, la vôtre, la leur, la mienne aussi). Or un grain de sable s’y est glissé et c’est aussi curieux que regrettable. Il semble que Denis Grozdanovitch ait une dent – oh, point trop dure – contre la religion chrétienne, comme par exemple page 202 au sujet de La Légende de saint Julien l’hospitalier de Flaubert :
« Ce conte représenterait donc une métaphore de notre très ancien faux rapport à l’animalité […]. Terrible malentendu qui a induit les êtres humains au fil des siècles en terre chrétienne et dans une fureur mystique mégalomaniaque, à mépriser, massacrer et torturer leurs compagnons animaux… »
Mais où M. Grozdanovitch est-il allé pêcher ce rapport entre christianisme (ou chrétienté, même résiduelle) et mépris ou cruauté envers les animaux ? N’a-t-il jamais entendu parler, je ne sais pas, moi, par exemple, de saint François d’Assise ? Cela est regrettable dans un livre par ailleurs plus qu’intéressant dédié à la mémoire de Pierre Ryckmans, lequel n’eût pas manqué d’arguments pour le corriger d’une manière aussi plaisante et élégante que fraternelle[ii].
Après tout, aborder la bêtise sous divers aspects et sur environ trois cents pages était une entreprise périlleuse. Pour le défaut que nous venons d’évoquer, soyons indulgents et supposons que c’est le tribut – cruel – qu’aura dû payer Denis Grozdanovitch à la bêtise.


[i] Outre celle de jouer au critique littéraire, je prétends avoir la capacité d’échafauder mille théories politiques – de circonstance ou non – à faire rugir de rire qui les relira quelque temps après, y compris moi-même.
[ii] A moins d’être saisi de « hennissements de rire » (les connaisseurs de l’œuvre de Simon Leys apprécieront).

jeudi 18 mai 2017

Macronneries, macronnades, macronages (et Joris-Karl Huysmans)

Penchons-nous un bref instant sur un personnage dont nous commençons à connaître les dehors : le Macron populaire. La couverture de Paris Match, sur tous les kiosques à journaux, l’annonçait au bon peuple après ce 7 mai : « l’espoir a gagné ». Les reporters de télévision se sont paraît-il extasiés devant la posture digne de M. Macron lors de son investiture le 14[i]. Les journaux français et étrangers nous abreuvent – ou nous ont abreuvés – de récits attendrissants sur le couple que forment M. Macron et son épouse, toujours souriante. Le bon peuple est prié de croire qu’il a élu M. Macron président de la République par adhésion à son programme, par admiration pour ses dons multiples, voire par amour, y compris pour Mme Macron, qu’il appellerait désormais « Bibi »… Mais laissons-là pour l’instant ces chansons pour midinettes. Ce sont des divertissements. Ils ont sans doute pour but de faire oublier au bon peuple qu’il a élu M. Macron parce que son adversaire était Mme Le Pen et que voter pour elle, c’est mal. Il faudra y revenir, sous un angle plus politique (ou politicien).
Voyons plutôt le Macron littéraire. Des références curieuses sont apparues. Certains journalistes, peu heureux dans leur choix, ont cru le flatter en en faisant un personnage stendhalien. Dans ce cas, Mme Macron, qui a certainement lu Le Rouge et le noir, ferait bien de se tenir sur ses gardes. D’autres, plutôt du côté de ses détracteurs, auront tenté des allusions au Bel-ami de Maupassant. Tant que La Curée et certains de ses passages assez baveux et complaisants (on est quand même chez Zola) n’auront pas été cités, les détracteurs de M. Macron demeureront en-deçà des limites de la décence, et c’est bien ainsi. Ces références ne me semblent guère pertinentes. Personne n’a donc pensé à Huysmans ? Il y a pourtant de quoi.
Léon Bloy, dans un texte vengeur sur son ancien ami (avec qui il était fâché depuis un bon moment), le surnomma « l’incarnation de l’adverbe » (ou était-ce « l’adverbe incarné » ? Je n’ai pas d’exemplaire des Dernières colonnes de l’Eglise sous la main pour vérifier quel est le sobriquet exact). Ce surnom tire bien sûr son origine des titres des romans de Huysmans, qui prenaient souvent la forme de locutions adverbiales, comme : Sac au dos, En ménage, A vau-l’eau, En rade, A rebours, Là-bas ou En route. Ne manquait à cette liste que le désormais fameux En marche de M. Macron. Observons, pour contredire mon cher Bloy et à la décharge de Huysmans, que Là-bas et En route précèdent La Cathédrale et L’Oblat dans le parcours spirituel de leur héros, Durtal, qui va de la fréquentation (par une curiosité certes a priori hostile et a posteriori écœurée mais un rien complaisante) de cercles satanistes à la conversion et à la vie auprès d’une communauté monastique. La conversion de Durtal (et celle de Huysmans) opérée, peut-être les locutions adverbiales ne convenaient-elles plus pour décrire une situation apaisée…
Il reste donc à savoir si M. Macron évoluera dans le même sens, ce que je lui souhaite.
De même que François Mitterrand, aux dires de M. Giscard d’Estaing, n’avait pas en 1974 le monopole du cœur, M. Macron n’a pas en 2017 celui des locutions adverbiales. Ainsi, on nous signale l’apparition d’un mouvement qui, sous le patronage de Mmes Aubry, Hidalgo et Taubira, s’est donné pour nom Dès demain. Passons sur le jeu de mots laid et facile qui permet d’affirmer que ce n’est pas des deux mains que l’on peut se mettre en marche, et relevons plutôt la référence à peine voilée à un vers de Victor Hugo :
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne
Ce vers est bien connu (ou l’était) d’un public lettré comme d’un public plus populaire : du solide, pas des raffinements d’esthète inquiet et nerveux. Mais attention, par ce vers commence un poème qui a pour objet le deuil.
Puisque me voilà revenu à des choses plus populaires, je ne résiste pas au plaisir de citer longuement un tract macroniste (ou macronien ?) distribué samedi 13 mai dans les rues et sur les marchés du XVe arrondissement de Paris :
« Dimanche dernier, à l’occasion d’un second tour marqué par l’attitude digne et responsable d’un bon nombre d’électeurs qui ne partageaient pas forcément les orientations de notre programme, vous avez été plus de 88% à lui accorder votre vote.
Les élections législatives doivent confirmer cet espoir. Choisir le renouveau et l’audace au moment de l’élection présidentielle et la cohabitation au moment des législatives n’aurait pas de sens. »
En résumé : merci d’avoir voté pour notre candidat par rejet de Mme Le Pen ; merci d’avoir voté pour lui, même à contrecœur ; vous êtes priés de voter pour ses candidats aux législatives, que cela vous plaise ou non.
Si cela ne s’appelle pas prendre les électeurs pour des imbéciles, j’ignore de quoi il peut s’agir. On appelle parfois pêcheurs à la ligne les abstentionnistes. Dans le cas de M. Macron et de son organisation, c’est plutôt d’usine flottante qu’il faut parler[ii].


[i] Quelques réflexions à ce sujet ont été livrées ici par P. de Plunkett dans son blogue.
[ii] Apparemment, cette image n’est pas démentie par le choix de son gouvernement.

samedi 13 mai 2017

« Un Roi immédiatement» (Marin de Viry)

La toxicité de la campagne électorale à laquelle nous venons d’assister n’est plus à démontrer. Il suffit de songer aux quantités d’argent et d’énergie dépensées, au nombre de coups bas assénés, de mensonges proférés et de rumeurs répandues, de discours hargneux, hallucinés ou creux prononcés, tout cela pour avoir le choix entre une démagogue approximative et l’étrange bouée de sauvetage que s’est choisie une classe politique aux abois… Mais assez parlé de ce cirque. Il en a déjà été assez question ici. Contentons-nous d’en dire que c’est un argument d’ordre pratique en faveur de la monarchie héréditaire (ce dont j’ai déjà radoté ici il y a longtemps).
Des arguments – de natures diverses – en ce sens, c’est ce que cherche Marin de Viry dans Un Roi immédiatement, curieux petit livre paru cette année aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Pourquoi en chercher si l’on est convaincu de cette nécessité ? Parce que l’auteur la perçoit d’une manière d’abord irrationnelle, au mieux intuitive. De la difficulté éprouvée à expliquer cette nécessité naît souvent un malentendu : être royaliste serait une manière de plus d’être réactionnaire, nostalgique d’un temps que l’on n’a pas connu (et qui ne reviendra pas), sentimental, voire arriéré, y compris mentalement. Ce serait devenu impensable, la France étant considérée par certains comme intrinsèquement républicaine (enfin, il paraît). Et les royalistes seraient à ce titre des monstres de foire, que quelques journalistes désœuvrés pourront exhiber de temps à autre comme tels. Ce genre de cliché est abordé pour être ridiculisé par Marin de Viry dans le premier chapitre d’Un Roi immédiatement, « Devenir une fille cool et cash, qui fait du buzz avec ses clashs qui cassent »[i].
La réfutation de tels clichés (souvent présentés comme des révélations par ceux qui les véhiculent) est un exercice sain et drôle, mais il ne résout toujours pas le problème. L’auteur s’ouvre à quelques amis, leur faisant part de son intention d’écrire un livre sur la nécessité d’instaurer (plutôt que de restaurer) en France une monarchie catholique : un banquier d’affaires de gauche, une ex, un polytechnicien luthérien, deux écrivains. L’accueil est, disons, mitigé. Les deux écrivains sont encore les plus réceptifs, peut-être pour des raisons fort différentes. Le premier, Frédéric, qui doit avoir (au moins) un verre dans le nez, lui répond en faisant du Frédéric : « Bamboula-monarchie, ça sonne mieux que bamboula-république. […] Donne à la bamboula ce tour majestueux et tragique qu’elle a dans Le Guépard, sans pour autant abandonner cette culture de l’excès et du n’importe quoi qui m’est chère. Voilà : la grande différence, c’est qu’on fera les "after" à l’église ! C’est vraiment bien ton truc. » Le second, Sébastien, « déjà catholique et monarchiste », qui « tape dur, mais charitablement », l’encourage avec un sens éprouvé du paradoxe : « T’as pas la caisse, t’as pas la culture, t’es un enfant, tu vas te planter. Conclusion : fais-le. »
Mais à ce point il n’est pas plus avancé, et nous non plus, si ce n’est qu’un certain plaisir se dégage de la lecture du récit des intuitions et tâtonnements de M. Marin de Viry…
Cependant, il faut aussi gagner sa croûte : caresser vaguement le projet d’écrire un livre sur l’urgence de refaire de notre pays un royaume catholique ne nourrit pas son homme[ii]. De nos jours, même un lazy French aristocrat est obligé d’avoir un salaire ou des honoraires. Nous voici donc embarqués dans le récit d’un déplacement professionnel où le narrateur (avec qui, subitement, l’auteur entend ne pas être confondu) fait le consultant international dans le Caucase, en mission auprès du gouvernement kouchmène. Il est flanqué d’une belle et austère collègue allemande, éprise d’efficacité, de démocratie, de féminisme et de morale kantienne. En résumé, un excellent, car difficile, cobaye, non pour vérifier une théorie, mais à qui faire sentir ou vivre le bien-fondé de ses intuitions royalistes, selon un principe que l’on pourrait qualifier, pour faire vite, d’inductif :
« J’ai préféré faire les choses à l’envers, c’est une tendance de fond de ma personne. A l’endroit, on pose une hypothèse et on la vérifie. A l’envers, on tient une vérité d’intuition et on la décrit. A l’endroit, on prouve. A l’envers, on vit. »
Le résultat est atteint au bout de quelques scènes dont la cocasserie n’a rien à enlever à un Toni Erdmann en plus élégant et plus concis[iii] : entrevoir le rôle bien particulier, ambigu, biface et intermédiaire du monarque de droit divin entre le visible et l’invisible :
« Il n’y a pas de deuil du roi, il est là et il est ailleurs à la fois. Il est dans le même monde que le Gustav que tu vires, et dans le même monde que Gustav s’il avait été digne de vivre avec toi. »[iv]
A la suite de cette possibilité enfin aperçue, deux chapitres (« Pourquoi moi ? » et « Le sortilège du manteau royal ») exposent de manière plus logique, mais aussi plus banale par conséquent, les raisonnements que tout bon royaliste a pu tenir. Y compris, dans le dernier, le constat de l’absence totale de majesté chez nos récents présidents de la République, constat fait par Marin de Viry en observant M. Hollande, rappelant au passage que Sébastien Lapaque l’avait déjà fait à propos de M. Sarkozy (dans un livre intitulé Il faut qu’il parte). Les arguments sont plutôt justes et amènent, de manière rationnelle cette fois, à la même conclusion qu’une conversation déjantée avec une belle et sévère walkyrie.
Cela posé, il me vient deux objections :
Premièrement, si je n’ai rien contre la monarchie ni son éventuelle inspiration catholique, et encore moins contre le catholicisme, peu me chaut que la France soit catholique : je préfère que chaque Français le soit ou le devienne. Et cela ne se décrète pas.
Secondement, un roi immédiatement : pourquoi pas, mais qui ?


[i] L’effroi me saisit en frappant ces mots : mon correcteur d’orthographe ne rejette ni cool, ni cash, ni buzz, ni clashs. O tempora
[ii] Sans doute est-ce le défaut de la restauration rapide (jeu de mots volé à Jalons).
[iii] L’Allemand sait marteler, le Français évoquer. Chacun ses aptitudes.
[iv] Gustav est le conjoint (époux ou compagnon ?) de cette exquise Allemande.

vendredi 5 mai 2017

« Le Club des vieux garçons » (Louis-Henri de La Rochefoucauld)

Avec un nom comme La Rochefoucauld, si l’on veut trouver une place – même modeste – dans la littérature, il est nécessaire d’être en mesure de s’élever à un certain niveau. Pour cela, deux possibilités se présentent : la force ou la légèreté. Probablement conscient de ses limites, Louis-Henri de La Rochefoucauld paraît avoir choisi la seconde de ces options.
Que dire d’autre en effet de l’argument de son Club des vieux garçons et du traitement de celui-ci ? Le héros et narrateur en est François de Rupignac, dernier rejeton d’une famille d’ancienne et illustre noblesse, qui se sent depuis la plus tendre enfance une vocation de vieux garçon et n’éprouve guère d’attirance pour les modèles contemporains de réussite sociale. Il a sous les yeux, il faut en convenir, l’exemple de son oncle (ou plutôt grand-oncle) Albert, personnage qui n’est pas sans rappeler en plus cossu ceux que l’on peut rencontrer dans Les Célibataires de Montherlant. A l’adolescence, il rencontre Pierre, sorte de cancre cultivé, moine-soldat sans monastère ou boxeur mystique qui se serait trompé d’époque. C’est ensemble qu’après un dîner bien arrosé dans un discret restaurant du XVIe arrondissement ils fonderont le club dont le roman tient son titre. De réunion en réunion, les effectifs s’étoffent, des canulars bizarres sont perpétrés, avant que d’autres chemins, plus féconds peut-être, ne s’ouvrent à chacun des deux compères…
J’avoue avoir tiqué devant un tel argument : ce club des vieux garçons et ses activités ont quelque chose de trop énorme pour être vraisemblables. Et les traits des deux héros, Pierre et François, me paraissent un peu appuyés. Sans compter ce nom de Rupignac, qui sent son cliché : trop aristo d’opérette à mon goût[i]. Mais après tout, on rencontre parfois des personnes au nom invraisemblable, et il existe en Angleterre un mouvement chap, d’ailleurs évoqué dans Le Club des vieux garçons, qui prône « la révolution par le tweed »[ii]. Cela posé, personne ne demande à la réalité d’être vraisemblable[iii]. Tandis qu’au roman…
Cependant, cette intrigue, aussi bancale qu’elle soit, permet d’amener quelques morceaux assez réussis de descriptions et de dialogues. La description du « Relais du Bois » (où naît l’idée du club) et les répliques de la grand-mère du narrateur font partie de ces plaisirs. Toutes proportions gardées, il est permis de songer à l’attaque de L’Europe buissonnière[iv] ou à celle des Enfants du bon Dieu[v], d’Antoine Blondin, et aux répliques lâchées par quelques personnages des romans du même, où se mêlent intimement verdeur et préciosité.
Mais insistons : toutes proportions gardées. Louis-Henri de La Rochefoucauld force parfois un peu le trait, et se laisse aller ici et là à des facilités ou à des clichés qui sentent un peu leur journaliste[vi].
Il lui sera donc conseillé d’élaguer, d’acérer, de raboter, de polir, en un mot d’affiner son expression pour en faire un vrai style et devenir, pourquoi pas, un digne héritier de celui que Roger Nimier avait qualifié de « fondateur du blondinisme ». D’autant que Louis-Henri de La Rochefoucauld semble partager avec celui-ci un point de vue inquiet et parfois fâché sur la difficulté éprouvée par quelques-uns à entrer dans l’existence. Un sujet si grave, quand un romancier choisit de le parer des apparences de la légèreté, mérite une élégance irréprochable.


[i] On me répliquera qu’un vrai aristocrate comme Louis-Henri de La Rochefoucauld s’y connaît certainement en noms vraisemblables ou non. Eh bien pour ma part, en vrai roturier, je me verrais mal donner pour nom à un personnage de roman « François Rupignac », par exemple.
[ii] Programme qu’a priori je ne rejette pas.
[iii] La situation politique de la France en ce moment en est un exemple.
[iv] « Passé huit heures du soir, les héros de roman ne courent pas les rues dans le quartier des Invalides. »
[v] « Là où nous habitons, les avenues sont profondes et calmes comme des allées de cimetière. »
[vi] De fait, Louis-Henri de La Rochefoucauld officie à Technikart, Schnock et GQ, publications que mes yeux ne parcourent guère.