Penchons-nous un bref
instant sur un personnage dont nous commençons à connaître les dehors : le
Macron populaire. La couverture de Paris Match, sur tous les kiosques à
journaux, l’annonçait au bon peuple après ce 7 mai : « l’espoir a
gagné ». Les reporters de télévision se sont paraît-il extasiés devant la
posture digne de M. Macron lors de son investiture le 14[i]. Les
journaux français et étrangers nous abreuvent – ou nous ont abreuvés – de
récits attendrissants sur le couple que forment M. Macron et son épouse,
toujours souriante. Le bon peuple est prié de croire qu’il a élu M. Macron
président de la République par adhésion à son programme, par admiration pour
ses dons multiples, voire par amour, y compris pour Mme Macron, qu’il
appellerait désormais « Bibi »… Mais laissons-là pour l’instant ces
chansons pour midinettes. Ce sont des divertissements. Ils ont sans doute pour
but de faire oublier au bon peuple qu’il a élu M. Macron parce que son
adversaire était Mme Le Pen et que voter pour elle, c’est mal. Il faudra y
revenir, sous un angle plus politique (ou politicien).
Voyons plutôt le Macron
littéraire. Des références curieuses sont apparues. Certains journalistes, peu
heureux dans leur choix, ont cru le flatter en en faisant un personnage
stendhalien. Dans ce cas, Mme Macron, qui a certainement lu Le Rouge et le
noir, ferait bien de se tenir sur ses gardes. D’autres, plutôt du côté de
ses détracteurs, auront tenté des allusions au Bel-ami de Maupassant.
Tant que La Curée et certains de ses passages assez baveux et
complaisants (on est quand même chez Zola) n’auront pas été cités, les
détracteurs de M. Macron demeureront en-deçà des limites de la décence, et
c’est bien ainsi. Ces références ne me semblent guère pertinentes. Personne n’a
donc pensé à Huysmans ? Il y a pourtant de quoi.
Léon Bloy, dans un texte
vengeur sur son ancien ami (avec qui il était fâché depuis un bon moment), le
surnomma « l’incarnation de l’adverbe » (ou était-ce « l’adverbe
incarné » ? Je n’ai pas d’exemplaire des Dernières colonnes de
l’Eglise sous la main pour vérifier quel est le sobriquet exact). Ce surnom
tire bien sûr son origine des titres des romans de Huysmans, qui prenaient
souvent la forme de locutions adverbiales, comme : Sac au dos, En
ménage, A vau-l’eau, En rade, A rebours, Là-bas
ou En route. Ne manquait à cette liste que le désormais fameux En
marche de M. Macron. Observons, pour contredire mon cher Bloy et à la
décharge de Huysmans, que Là-bas et En route précèdent La
Cathédrale et L’Oblat dans le parcours spirituel de leur héros,
Durtal, qui va de la fréquentation (par une curiosité certes a priori hostile
et a posteriori écœurée mais un rien complaisante) de cercles satanistes à la
conversion et à la vie auprès d’une communauté monastique. La conversion de
Durtal (et celle de Huysmans) opérée, peut-être les locutions adverbiales ne
convenaient-elles plus pour décrire une situation apaisée…
Il reste donc à savoir si
M. Macron évoluera dans le même sens, ce que je lui souhaite.
De même que François
Mitterrand, aux dires de M. Giscard d’Estaing, n’avait pas en 1974 le monopole
du cœur, M. Macron n’a pas en 2017 celui des locutions adverbiales. Ainsi, on
nous signale l’apparition d’un mouvement qui, sous le patronage de Mmes Aubry,
Hidalgo et Taubira, s’est donné pour nom Dès demain. Passons sur le jeu
de mots laid et facile qui permet d’affirmer que ce n’est pas des deux mains
que l’on peut se mettre en marche, et relevons plutôt la référence à
peine voilée à un vers de Victor Hugo :
Demain, dès
l’aube, à l’heure où blanchit la campagne
Ce vers est bien connu
(ou l’était) d’un public lettré comme d’un public plus populaire : du
solide, pas des raffinements d’esthète inquiet et nerveux. Mais attention, par
ce vers commence un poème qui a pour objet le deuil.
Puisque me voilà revenu à
des choses plus populaires, je ne résiste pas au plaisir de citer longuement un
tract macroniste (ou macronien ?) distribué samedi 13 mai dans les rues et
sur les marchés du XVe arrondissement de Paris :
« Dimanche
dernier, à l’occasion d’un second tour marqué par l’attitude digne et
responsable d’un bon nombre d’électeurs qui ne partageaient pas forcément les
orientations de notre programme, vous avez été plus de 88% à lui accorder votre
vote.
Les élections législatives doivent confirmer cet
espoir. Choisir le renouveau et l’audace au moment de l’élection présidentielle
et la cohabitation au moment des législatives n’aurait pas de sens. »
En résumé : merci
d’avoir voté pour notre candidat par rejet de Mme Le Pen ; merci d’avoir
voté pour lui, même à contrecœur ; vous êtes priés de voter pour ses
candidats aux législatives, que cela vous plaise ou non.
Si cela ne s’appelle pas
prendre les électeurs pour des imbéciles, j’ignore de quoi il peut s’agir. On
appelle parfois pêcheurs à la ligne les abstentionnistes. Dans le cas de
M. Macron et de son organisation, c’est plutôt d’usine flottante qu’il faut
parler[ii].
[i] Quelques réflexions à ce
sujet ont été livrées ici par P. de Plunkett dans son blogue.
[ii] Apparemment, cette image
n’est pas démentie par le choix de son gouvernement.
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