La toxicité de la
campagne électorale à laquelle nous venons d’assister n’est plus à démontrer. Il
suffit de songer aux quantités d’argent et d’énergie dépensées, au nombre de
coups bas assénés, de mensonges proférés et de rumeurs répandues, de discours
hargneux, hallucinés ou creux prononcés, tout cela pour avoir le choix entre
une démagogue approximative et l’étrange bouée de sauvetage que s’est choisie
une classe politique aux abois… Mais assez parlé de ce cirque. Il en a déjà été
assez question ici. Contentons-nous d’en dire que c’est un argument d’ordre
pratique en faveur de la monarchie héréditaire (ce dont j’ai déjà radoté ici il
y a longtemps).
Des arguments – de natures
diverses – en ce sens, c’est ce que cherche Marin de Viry dans Un Roi
immédiatement, curieux petit livre paru cette année aux éditions
Pierre-Guillaume de Roux. Pourquoi en chercher si l’on est convaincu de
cette nécessité ? Parce que l’auteur la perçoit d’une manière d’abord
irrationnelle, au mieux intuitive. De la difficulté éprouvée à expliquer cette
nécessité naît souvent un malentendu : être royaliste serait une manière
de plus d’être réactionnaire, nostalgique d’un temps que l’on n’a pas connu (et
qui ne reviendra pas), sentimental, voire arriéré, y compris mentalement. Ce serait
devenu impensable, la France étant considérée par certains comme
intrinsèquement républicaine (enfin, il paraît). Et les royalistes seraient à
ce titre des monstres de foire, que quelques journalistes désœuvrés pourront
exhiber de temps à autre comme tels. Ce genre de cliché est abordé pour être
ridiculisé par Marin de Viry dans le premier chapitre d’Un Roi immédiatement,
« Devenir une fille cool et cash, qui fait du buzz avec ses clashs qui
cassent »[i].
La réfutation de tels clichés
(souvent présentés comme des révélations par ceux qui les véhiculent) est un
exercice sain et drôle, mais il ne résout toujours pas le problème. L’auteur s’ouvre
à quelques amis, leur faisant part de son intention d’écrire un livre sur la
nécessité d’instaurer (plutôt que de restaurer) en France une monarchie
catholique : un banquier d’affaires de gauche, une ex, un polytechnicien
luthérien, deux écrivains. L’accueil est, disons, mitigé. Les deux écrivains
sont encore les plus réceptifs, peut-être pour des raisons fort différentes. Le
premier, Frédéric, qui doit avoir (au moins) un verre dans le nez, lui répond
en faisant du Frédéric : « Bamboula-monarchie, ça sonne mieux que
bamboula-république. […] Donne à la bamboula ce tour majestueux et
tragique qu’elle a dans Le Guépard, sans pour autant abandonner cette
culture de l’excès et du n’importe quoi qui m’est chère. Voilà : la grande
différence, c’est qu’on fera les "after" à l’église ! C’est
vraiment bien ton truc. » Le second, Sébastien, « déjà
catholique et monarchiste », qui « tape dur, mais
charitablement », l’encourage avec un sens éprouvé du paradoxe : « T’as
pas la caisse, t’as pas la culture, t’es un enfant, tu vas te planter. Conclusion :
fais-le. »
Mais à ce point il n’est
pas plus avancé, et nous non plus, si ce n’est qu’un certain plaisir se dégage
de la lecture du récit des intuitions et tâtonnements de M. Marin de Viry…
Cependant, il faut aussi
gagner sa croûte : caresser vaguement le projet d’écrire un livre sur l’urgence
de refaire de notre pays un royaume catholique ne nourrit pas son homme[ii]. De
nos jours, même un lazy French aristocrat est obligé d’avoir un salaire
ou des honoraires. Nous voici donc embarqués dans le récit d’un déplacement professionnel
où le narrateur (avec qui, subitement, l’auteur entend ne pas être confondu)
fait le consultant international dans le Caucase, en mission auprès du gouvernement
kouchmène. Il est flanqué d’une belle et austère collègue allemande, éprise d’efficacité,
de démocratie, de féminisme et de morale kantienne. En résumé, un excellent,
car difficile, cobaye, non pour vérifier une théorie, mais à qui faire sentir
ou vivre le bien-fondé de ses intuitions royalistes, selon un principe
que l’on pourrait qualifier, pour faire vite, d’inductif :
« J’ai préféré
faire les choses à l’envers, c’est une tendance de fond de ma personne. A l’endroit,
on pose une hypothèse et on la vérifie. A l’envers, on tient une vérité d’intuition
et on la décrit. A l’endroit, on prouve. A l’envers, on vit. »
Le résultat est atteint
au bout de quelques scènes dont la cocasserie n’a rien à enlever à un Toni Erdmann en plus élégant et plus concis[iii] :
entrevoir le rôle bien particulier, ambigu, biface et intermédiaire du monarque
de droit divin entre le visible et l’invisible :
« Il n’y a pas de
deuil du roi, il est là et il est ailleurs à la fois. Il est dans le même monde
que le Gustav que tu vires, et dans le même monde que Gustav s’il avait été
digne de vivre avec toi. »[iv]
A la suite de cette
possibilité enfin aperçue, deux chapitres (« Pourquoi moi ? » et
« Le sortilège du manteau royal ») exposent de manière plus logique,
mais aussi plus banale par conséquent, les raisonnements que tout bon royaliste
a pu tenir. Y compris, dans le dernier, le constat de l’absence totale de
majesté chez nos récents présidents de la République, constat fait par Marin de
Viry en observant M. Hollande, rappelant au passage que Sébastien Lapaque l’avait
déjà fait à propos de M. Sarkozy (dans un livre intitulé Il faut qu’il parte).
Les arguments sont plutôt justes et amènent, de manière rationnelle cette fois,
à la même conclusion qu’une conversation déjantée avec une belle et sévère
walkyrie.
Cela posé, il me vient
deux objections :
Premièrement, si je n’ai
rien contre la monarchie ni son éventuelle inspiration catholique, et encore
moins contre le catholicisme, peu me chaut que la France soit catholique :
je préfère que chaque Français le soit ou le devienne. Et cela ne se décrète
pas.
Secondement, un roi
immédiatement : pourquoi pas, mais qui ?
[i] L’effroi me saisit en
frappant ces mots : mon correcteur d’orthographe ne rejette ni cool, ni cash, ni buzz, ni clashs. O tempora…
[iii] L’Allemand sait
marteler, le Français évoquer. Chacun ses aptitudes.
[iv] Gustav est le conjoint
(époux ou compagnon ?) de cette exquise Allemande.
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