samedi 13 mai 2017

« Un Roi immédiatement» (Marin de Viry)

La toxicité de la campagne électorale à laquelle nous venons d’assister n’est plus à démontrer. Il suffit de songer aux quantités d’argent et d’énergie dépensées, au nombre de coups bas assénés, de mensonges proférés et de rumeurs répandues, de discours hargneux, hallucinés ou creux prononcés, tout cela pour avoir le choix entre une démagogue approximative et l’étrange bouée de sauvetage que s’est choisie une classe politique aux abois… Mais assez parlé de ce cirque. Il en a déjà été assez question ici. Contentons-nous d’en dire que c’est un argument d’ordre pratique en faveur de la monarchie héréditaire (ce dont j’ai déjà radoté ici il y a longtemps).
Des arguments – de natures diverses – en ce sens, c’est ce que cherche Marin de Viry dans Un Roi immédiatement, curieux petit livre paru cette année aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Pourquoi en chercher si l’on est convaincu de cette nécessité ? Parce que l’auteur la perçoit d’une manière d’abord irrationnelle, au mieux intuitive. De la difficulté éprouvée à expliquer cette nécessité naît souvent un malentendu : être royaliste serait une manière de plus d’être réactionnaire, nostalgique d’un temps que l’on n’a pas connu (et qui ne reviendra pas), sentimental, voire arriéré, y compris mentalement. Ce serait devenu impensable, la France étant considérée par certains comme intrinsèquement républicaine (enfin, il paraît). Et les royalistes seraient à ce titre des monstres de foire, que quelques journalistes désœuvrés pourront exhiber de temps à autre comme tels. Ce genre de cliché est abordé pour être ridiculisé par Marin de Viry dans le premier chapitre d’Un Roi immédiatement, « Devenir une fille cool et cash, qui fait du buzz avec ses clashs qui cassent »[i].
La réfutation de tels clichés (souvent présentés comme des révélations par ceux qui les véhiculent) est un exercice sain et drôle, mais il ne résout toujours pas le problème. L’auteur s’ouvre à quelques amis, leur faisant part de son intention d’écrire un livre sur la nécessité d’instaurer (plutôt que de restaurer) en France une monarchie catholique : un banquier d’affaires de gauche, une ex, un polytechnicien luthérien, deux écrivains. L’accueil est, disons, mitigé. Les deux écrivains sont encore les plus réceptifs, peut-être pour des raisons fort différentes. Le premier, Frédéric, qui doit avoir (au moins) un verre dans le nez, lui répond en faisant du Frédéric : « Bamboula-monarchie, ça sonne mieux que bamboula-république. […] Donne à la bamboula ce tour majestueux et tragique qu’elle a dans Le Guépard, sans pour autant abandonner cette culture de l’excès et du n’importe quoi qui m’est chère. Voilà : la grande différence, c’est qu’on fera les "after" à l’église ! C’est vraiment bien ton truc. » Le second, Sébastien, « déjà catholique et monarchiste », qui « tape dur, mais charitablement », l’encourage avec un sens éprouvé du paradoxe : « T’as pas la caisse, t’as pas la culture, t’es un enfant, tu vas te planter. Conclusion : fais-le. »
Mais à ce point il n’est pas plus avancé, et nous non plus, si ce n’est qu’un certain plaisir se dégage de la lecture du récit des intuitions et tâtonnements de M. Marin de Viry…
Cependant, il faut aussi gagner sa croûte : caresser vaguement le projet d’écrire un livre sur l’urgence de refaire de notre pays un royaume catholique ne nourrit pas son homme[ii]. De nos jours, même un lazy French aristocrat est obligé d’avoir un salaire ou des honoraires. Nous voici donc embarqués dans le récit d’un déplacement professionnel où le narrateur (avec qui, subitement, l’auteur entend ne pas être confondu) fait le consultant international dans le Caucase, en mission auprès du gouvernement kouchmène. Il est flanqué d’une belle et austère collègue allemande, éprise d’efficacité, de démocratie, de féminisme et de morale kantienne. En résumé, un excellent, car difficile, cobaye, non pour vérifier une théorie, mais à qui faire sentir ou vivre le bien-fondé de ses intuitions royalistes, selon un principe que l’on pourrait qualifier, pour faire vite, d’inductif :
« J’ai préféré faire les choses à l’envers, c’est une tendance de fond de ma personne. A l’endroit, on pose une hypothèse et on la vérifie. A l’envers, on tient une vérité d’intuition et on la décrit. A l’endroit, on prouve. A l’envers, on vit. »
Le résultat est atteint au bout de quelques scènes dont la cocasserie n’a rien à enlever à un Toni Erdmann en plus élégant et plus concis[iii] : entrevoir le rôle bien particulier, ambigu, biface et intermédiaire du monarque de droit divin entre le visible et l’invisible :
« Il n’y a pas de deuil du roi, il est là et il est ailleurs à la fois. Il est dans le même monde que le Gustav que tu vires, et dans le même monde que Gustav s’il avait été digne de vivre avec toi. »[iv]
A la suite de cette possibilité enfin aperçue, deux chapitres (« Pourquoi moi ? » et « Le sortilège du manteau royal ») exposent de manière plus logique, mais aussi plus banale par conséquent, les raisonnements que tout bon royaliste a pu tenir. Y compris, dans le dernier, le constat de l’absence totale de majesté chez nos récents présidents de la République, constat fait par Marin de Viry en observant M. Hollande, rappelant au passage que Sébastien Lapaque l’avait déjà fait à propos de M. Sarkozy (dans un livre intitulé Il faut qu’il parte). Les arguments sont plutôt justes et amènent, de manière rationnelle cette fois, à la même conclusion qu’une conversation déjantée avec une belle et sévère walkyrie.
Cela posé, il me vient deux objections :
Premièrement, si je n’ai rien contre la monarchie ni son éventuelle inspiration catholique, et encore moins contre le catholicisme, peu me chaut que la France soit catholique : je préfère que chaque Français le soit ou le devienne. Et cela ne se décrète pas.
Secondement, un roi immédiatement : pourquoi pas, mais qui ?


[i] L’effroi me saisit en frappant ces mots : mon correcteur d’orthographe ne rejette ni cool, ni cash, ni buzz, ni clashs. O tempora
[ii] Sans doute est-ce le défaut de la restauration rapide (jeu de mots volé à Jalons).
[iii] L’Allemand sait marteler, le Français évoquer. Chacun ses aptitudes.
[iv] Gustav est le conjoint (époux ou compagnon ?) de cette exquise Allemande.

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