Personne, en France, à
moins de vivre dans l’ascèse la plus complète et la plus admirable, n’aura
échappé aux « révélations » concernant M. Fillon et les emplois
fictifs qu’aurait occupés son épouse. J’ai déjà évoqué (ici) le peu d’enthousiasme
que j’éprouve pour les propositions de M. Fillon, du moins pour ce que j’en
sais, ainsi que la méfiance que m’inspirent les arguments dont il use pour les
présenter ou les justifier. Puisque M. Fillon a revendiqué en matière de
probité une conception exigeante de la fonction à laquelle il aspire, ces
« révélations » devraient constituer pour moi une raison de plus de
me méfier.
Cependant, j’ai des
doutes. Point n’est besoin d’être initié aux secrets peu reluisants de la vie
politique pour deviner que ces « révélations » tombent un peu trop à
point nommé pour ne pas être le fruit de quelque coup monté contre M. Fillon. A
ce que l’on sait, les affaires qui nous sont « révélées » ne
dateraient pas d’hier après-midi. Elles étaient donc probablement connues depuis
longtemps dans les milieux bien informés et quelques-uns ont dû attendre
le moment approprié pour nous les apprendre. Le coup du dossier qu’on garde au
cas où pour le Canard enchaîné est bien connu. Si ce qui nous est
dévoilé ainsi n’est pas à l’honneur de M. Fillon[i] (ni
de son épouse), le fait de le dévoiler maintenant et de la manière que
l’on sait (par tranches chaque mercredi) n’est pas à l’honneur de ceux qui sont
en train de le faire.
Pour la presse en
général, peu importe que les faits soient avérés ou non (ils le semblent au
moins en partie) et qu’ils soient légaux ou non (un avocat, Régis de Castelnau,
peu « fillonniste » lui-même s’est étonné ici dans Causeur de
la diligence de la justice dans cette subite et opportune affaire). Ce qui
paraît compter pour nos amis les journalistes, c’est l’odeur alléchante de la
viande fraîche et le bruit qu’ils vont pouvoir faire en la mastiquant et en la
digérant. Ils auront comme d’habitude l’impression fugace d’être un peu ceux
qui firent « tomber » Richard Nixon en 1974, donnant au passage à
cette affaire le nom de Penelope-gate[ii],
du prénom de Mme Fillon.
Qu’est-ce que le Penelope-gate ?
Le portail de Pénélope ? Celui de quelque palais d’Ithaque ou des bords de
la Sarthe, à moins que ce ne soit celui – rêvé – du palais de l’Elysée, rêve
qui pourrait bien partir en fumée à cause des bourdes de M. et Mme
Fillon ? Dans ce dernier cas, c’est en Espagne qu’il faudrait situer le
palais de l’Elysée.
A moins qu’il s’agisse de
dire que Pénélope guette ? Que guette-t-elle ? Le retour de
son mari pour disperser de fâcheux et illégitimes prétendants ?
Mais revenons à des
considérations plus sérieuses : cette affaire, outre qu’elle trouble
l’image d’intégrité qu’entendait cultiver M. Fillon, trouble son discours.
Comment l’écouter et en faire la nécessaire critique, avec tant de bruit ?
Comment l’inciter à infléchir certaines des orientations qu’il revendique,
lesquelles paraissent intenables[iii] ?
Avec de telles incitations, M. Fillon aurait certes du pain sur la planche, obligé
qu’il serait de revoir une partie de ses propositions. La tâche serait pour lui
– et pour les Français – plus intéressante que celle qui consiste à restaurer
son image.
Mais, dans tous les cas,
nous savons bien que « faire, défaire et recommencer, c’est toujours
travailler ». Voilà un proverbe que n’eût pas démenti une certaine
Pénélope, il y a fort longtemps, avant de se remettre chaque matin devant sa
tapisserie, en disant : « filons » !
[i] En résumé, nous
découvrons, consternés, que M. Fillon est un politicien comme les autres, ce
que nous aurions pu deviner depuis longtemps.
[ii] J’ai déjà évoqué ici
cette détestable et ridicule habitude d’utiliser un peu à tout bout de champ le
mot gate.
[iii] Voir à ce sujet un
intéressant article de Guillaume de Prémare dans Permanences, ici (l’article
est paru en décembre, donc avant ce lamentable vacarme).
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