Si la politique m’intéresse,
je tâche aussi souvent que possible de me rappeler qu’elle ne peut ni ne doit
tout régler de nos vies. Je tendrais même à penser que ceux qui y voient la
source de tout bien, de tout salut, en particulier dans quelque engagement
partisan trop passionné (qu’il soit durable ou momentané) risquent de sombrer
dans quelque religiosité dévoyée, voire dans l’idolâtrie. Gare, évidemment, aux
déceptions.
Lorsque cette religiosité
prend des formes un rien sommaires, qui ne vont pas sans une certaine
vulgarité, cela peut laisser perplexe, voire effrayé l’homme civilisé. Le spectacle
électoral et post-électoral donné ces derniers temps aux Etats-Unis en est un
bon exemple. Ainsi, la pauvreté des arguments de M. Trump, la nullité de ses
discours et ses arrangements avec la vérité nous auront été servis à satiété
ces derniers temps. Mais qu’en est-il de ses opposants dont on nous a dit qu’à
l’occasion de son intronisation ils étaient des millions à manifester ? Au
plat babil du mage Trump-qui-va-sauver-l’Amérique, ils opposent une expression
non moins sommaire, non moins puérile, pas même de leur indignation mais de
leur dégoût : pas bon Trump, tous en chœur, avec un bonnet de tricot rose à
oreilles de chat sur la tête.
Le crétinisme hargneux qui
semble avoir gagné les deux camps (encouragé par une forme toute américaine de
manichéisme ?) pourrait bien être en partie le fruit d’une invasion des
esprits par les modes d’expression qu’offrent les réseaux dits sociaux. Ce serait
le triomphe de la pensée « touiteur », dénoncée par exemple ici par
Patrice de Plunkett[i],
citant une analyse de Roger Scruton. Il ne va cependant pas assez loin.
Pour décrire un certain
type de désinformation, l’expression post-vérité est à la mode. Pourquoi
pas, si ce n’est qu’elle est souvent utilisée par la presse qui pense comme il
faut pour désigner les mêmes cibles : M. Trump, M. Poutine ou les
partisans du Brexit… sans mentionner que leurs adversaires ont fait usage
quelquefois de procédés tout aussi mensongers et grossiers. Le mensonge, puisqu’il
vaut mieux désigner les choses par leur nom, est répandu dans tous les camps.
Il en va de même des « émotions »
relayées par des touits fatalement peu nourris et peu subtils (cent quarante
signes pour exposer ses idées, ses projets ou ses intentions, c’est un peu
court, à moins de bénéficier d’un esprit de synthèse quasi-miraculeux). Ne
serait-on pas après tout dans la post-pensée, voire dans la post-émotion ?
Toutes ces réactions ressemblent plus à des réflexes conditionnés qu’à des
émotions sincères. Les prises de positions ou les réactions à celles-ci, de la
part des puissants ou des quelconques, dans la post-émotion, sont
reléguées en-deçà de l’émotion. Elles finissent par ressembler à des tics
nerveux[ii].
Si la sauvagerie du touit
a gagné le monde entier, une vieille nation civilisée et littéraire comme la
nôtre se doit, faute d’user toujours d’arguments de poids, de s’exprimer avec
des phrases construites. Ainsi, alors que les Etats-Unis ont vu parvenir au
pouvoir le milliardaire « anti-système » Trump, on nous vante en France
le candidat « anti-système » Macron. Lequel est énarque, ancien
banquier, ancien ministre, etc. Reconnaissons à M. Macron qu’il a sur M. Trump
l’avantage, en bon Français, de donner l’impression d’un certain raffinement, d’une
certaine culture : on nous le présente d’ailleurs souvent comme un « littéraire »,
trait qui même chez les moins lettrés de nos compatriotes est plutôt apprécié.
Ses partisans, et
notamment les plus jeunes, auront été séduits par ces qualités, à n’en point
douter, auxquelles il faut ajouter la jeunesse.
Ainsi, samedi dernier,
alors que je faisais mon marché, je fus abordé par une bande de jeunes gens
propres sur eux et capables de s’exprimer autrement que par borborygmes ou
monosyllabes : « Bonjour, êtes-vous intéressé par Emmanuel Macron, le
candidat qui fera entrer la France dans le XXIe siècle ? »
C’est plutôt joli, non ?
J’ai goûté l’assurance de ces jeunes, exprimée par l’emploi du futur : « qui
fera entrer… » Ajoutons que cette certitude est celle d’un avenir
nécessairement radieux : qu’attendre de plus beau, de plus enviable que d’entrer
dans le XXIe siècle ? Enfin, nous marcherons sur les chemins du
progrès, nous serons même sans doute des leaders, nous serons modernes
donc heureux, tout cela grâce à un homme neuf suivi par la jeunesse !
Tant attendre d’un seul
homme… Si l’expression est plus policée et articulée que quelques touitesques
éructations trumpiennes, elle n’en relève pas moins de cette religiosité
dévoyée que je vois dans l’exaltation partisane. Reste à savoir si l’homme du
moment est considéré par ces naïfs engagés comme un dieu ou comme un prophète
(et par ses ennemis comme un démon ou un sectateur du mal). Mais dans tous les
cas ces naïvetés confinent à l’idolâtrie.
(Quant aux jeunes
macroniens, ils eurent peu de succès avec moi : je m’étais levé tard et il
y avait la queue chez le boucher, sans parler du marchand de fruits et légumes.
Je passai donc mon chemin d’un air hébété qui me sied fort bien.)
[i] Qui, au passage, met en
évidence ce sur quoi portent ou ne portent pas les protestations plus ou moins
spontanées contre M. Trump.
[ii] Relevons un intéressant
article dans Phillitt, où la manie du touit est comparée au syndrome de Gilles
de la Tourette.
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