dimanche 3 décembre 2017

Le sexe des genres

Il serait peut-être exagéré de prétendre que jamais autant qu’à notre époque la frontière entre les causes de franche hilarité et celles de consternation n’a été aussi mince. Peut-être, dis-je bien. Ainsi, on apprenait récemment que des élues dites écologistes du conseil de Paris avaient proposé de modifier le nom des « journées du patrimoine » pour en faire les « journées du matrimoine et du patrimoine ». Comme toujours, la modernerie n’en finit pas de renouveler son stock d’occasions de se tenir les côtes. En quelques jours, certains ont eu le loisir et le talent de mettre en évidence la cocasserie de ce genre de bêtise[i].
Soit, rions un bon coup (cela en vaut la peine), et puis haussons les épaules ? Presque. Ce genre d’imbécillité pose des problèmes peut-être graves.
D’abord, celui de l’hystérie féministe. Que des femmes soient plus souvent que des hommes victimes de violences, d’injustices ou tout simplement de condescendance, cela semble un fait. C’est déplorable, et il convient non seulement de s’en indigner, mais aussi de corriger autant que possible ces tristes réalités. Mais comment le faire lorsque quelques précieuses ridicules viennent encombrer les débats avec leurs futilités ? Bon, l’hilarité est si générale en l’occurrence que l’affaire a de fortes chances de rencontrer vite sa destinée de courant d’air.
Ensuite, celui de l’écologie politique. Que cette proposition émane d’élues encartées au parti nommé Europe Ecologie – les Verts donne une idée assez claire de l’imposture que représente ce parti. L’impression est celle d’un ramassis de snobs progressistes qui pensent avoir mieux à faire que de s’intéresser à de vraies questions écologiques. Il y en a de nombreuses à poser à Paris ; ce sont des questions sérieuses, parfois urgentes, qui méritent mieux que les opérations de com’ souvent désastreuses de Mme Hidalgo.
Il semble d’ailleurs qu’un peu partout on se sente pressé d’obéir à la mode plutôt qu’à sa mission essentielle. Il appert, par exemple, dans un tout autre ordre que ce qui précède, que l’Eglise suédoise (de confession luthérienne) proposerait dans son nouveau missel des formulations évitant de mentionner Dieu avec des formes trop masculines. Selon ce que j’ai compris, certaines tournures permettraient d’éviter aux pasteurs que cela gênerait d’employer des mots comme Seigneur (Herre en suédois) ou Père (Fader en suédois). Contrairement à ce que de petits êtres caricaturaux (identitaires luthériens[ii], progressistes qui considèrent hâtivement la Suède comme leur seconde patrie sans y avoir jamais mis les pieds, journalistes) ont pu affirmer (pour s’en offusquer, s’en émerveiller ou s’amuser du pittoresque de la chose), l’usage du désolant pronom « neutre » hen (ou plutôt Hen, s’il s’agit de Dieu) n’a pas été envisagé. Certains pasteurs suédois ont néanmoins exprimé quelques inquiétudes : quid de la sainte Trinité, commune à tous les chrétiens ? N’est-ce pas là une manière un peu légère de se séparer des autres confessions chrétiennes ? L’Eglise suédoise a cependant précisé qu’une bénédiction pourrait toujours être prononcée au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, mais qu’elle pouvait aussi l’être au nom du Dieu trine… Que de complications et de vaines disputes en perspective !
On pourra me faire plusieurs objections :
Premièrement, dans la vie de toute Eglise, il est nécessaire de temps à autre de faire des réformes. D’ailleurs, dans l’Eglise catholique, la traduction française du Notre Père[iii] vient de subir une mise à jour, désormais en usage dans les pays francophones. Certes, mais dans ce cas précis cette mise à jour a été jugée nécessaire pour lever une ambiguïté dans le texte d’une prière essentielle. Il ne s’est point agi de céder à un genre d’esprit du temps.
Deuxièmement, de quoi est-ce que je me mêle, étant catholique ? Eh bien, je me fais du souci pour mes frères luthériens suédois, voilà tout ; je n’ai pas envie de répondre à la manière de Caïn : « suis-je le gardien de mon frère ? ». En l’occurrence, je suis triste de voir une Eglise à laquelle je n’appartiens pas paraître se soucier de choses futiles plutôt que du salut de l’âme de chacun, tout en risquant de s’épuiser dans des disputes.
Troisièmement : soit mais dans ce cas, pourquoi ne pas inviter les luthériens suédois à « redevenir » catholiques ? Cela, il faut le demander aux catholiques suédois. Ils répondront certainement que les portes de leurs églises sont ouvertes, mais que nul catholique ne peut forcer quiconque à les franchir.
(Mais évidemment je préfèrerais voir ces deux anecdotes demeurer ce qu’elles devraient être, à savoir de bonnes blagues…)


[i] Comme David Desgouilles, ici. Observons que remplacer la maire de Paris par la paire de Maris affolera les complotistes, qui y verront une tentative à peine masquée de promouvoir l’ouverture du mariage aux femmes polyandres.
[ii] Ils ont aussi les leurs.
[iii] Laquelle a donné lieu aux enthovenesques élucubrations que l’on sait. Mais que M. Enthoven soit pardonné, ayant fait amende honorable.

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