samedi 25 novembre 2017

Le caporal épinglé ?

On a récemment prêté à Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, une velléité de bannir le tabac du cinéma français, ou tout au moins de prendre « des mesures fermes ». L’intéressée a démenti, mais le soupçon demeure. Il existe paraît-il des ligues pour s’indigner de voir des personnages fumer dans les films. Cela inciterait les spectateurs à fumer.
Or fumer nuit à la santé, ce que nous savons à peu près tous, que nous fumions ou non. Si les noms de Virginie, Maryland, Havane, Saint Domingue, voire caporal ou scaferlati, en font rêver certains, ils font aussi tousser tout le monde. Observons que ceux qui reprochent à l’idée prêtée à Mme Buzyn d’être une intrusion de la morale dans l’art se trompent : il s’agit bien plutôt d’hygiène. Dans la même logique, la crasse, la poussière, les voitures à moteur thermique et les mauvaises habitudes alimentaires devraient disparaître de nos écrans. Sans parler des tenues trop légères, qui risquent de donner aux spectateurs des désirs d’attraper froid.
Où je rejoins ceux dont je prétendais dénoncer plus haut l’erreur, c’est que de l’hygiène à la morale, il n’y a qu’un pas : si montrer au cinéma des personnages au comportement peu hygiénique nuit à la santé, alors montrer des personnages au comportement répréhensible pourrait aussi bien être répréhensible. On ne saurait, du reste, se limiter à la morale : après tout, le moral compte aussi ; pourquoi ne pas interdire tout film où se produirait un malheur ? Où paraîtrait l’imperfection qui frappe le monde et les hommes qui l’habitent ? C’est parfois un peu déprimant, et il n’est pas gentil de montrer des choses déprimantes.
Il siérait d’ailleurs d’étendre cette interdiction au théâtre et à la littérature. Qu’en résulterait-il ? Vraisemblablement, l’impossibilité de toute intrigue, même la plus simplette, de toute drôlerie, de tout drame et de toute tragédie. Tout cela ne repose en fait que sur l’imperfection ou l’adversité, ne serait-ce que momentanée. En résumé, tout récit, même édifiant, serait impossible. Il ne resterait plus qu’à filmer, représenter ou raconter l’histoire d’un caillou posé sur un rocher assez stable pour lui éviter une malencontreuse chute, laquelle pourrait avoir des conséquences désagréables. Cela aurait peut-être le charme minimaliste que l’on prête au zen, du moins tel que l’on se l’imagine en Occident. Trois minutes de la vie d’un écureuil seraient déjà trop violentes (les écureuils amassent des noisettes et font subir de terribles supplices aux pommes de pin pour en extraire les pignons, supplices que je préfère ne pas détailler, de peur d’incommoder les natures délicates).
Sinon, il est permis de faire remarquer aux censeurs hygiénistes qu’il importe de distinguer le récit ou la mise en scène d’une part et la réalité de l’autre. Tout ne peut pas être montré ni même raconté, bien entendu, mais la question reste celle du goût, du style ou encore de l’intention. En général, une œuvre intéressante ne se perd pas dans la complaisance.
Pour rassurer nos nouveaux censeurs, précisons que Le Caporal épinglé n’est pas le récit d’une interminable tabagie. Caporal est aussi un grade dans l’armée. Cependant, reconnaissons que Jacques Perret fut par ailleurs l’auteur d’un Rapport sur le paquet de gris

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