Il me faut faire ici un
aveu : comme tous les experts ès américaineries, j’ai été surpris par
l’élection de M. Donald J. Trump au poste de président des Etats-Unis. Le
personnage était tellement grotesque que même Mme Clinton ne pouvait que
l’emporter. J’avais même ma petite théorie du complot à ce sujet, que j’avais
exposée ici. A ma décharge, je ne suis en rien un expert en américaineries,
moi.
Les experts, quant à eux,
tentent de recoller les morceaux en nous expliquant comment ce « séisme »
a pu se produire. Il leur faut quand même sauver leurs boutiques. On nous a
donc servi une réaction des « mâles blancs déclassés » à un sentiment
d’humiliation provoqué par la candidature d’une femme après huit ans de
présidence d’un homme noir : manière un brin condescendante, quoique
polie, de traiter les électeurs de M. Trump de ploucs racistes et
misogynes ; au fond, c’est en gros ce que Mme Clinton avait dit d’eux
pendant sa campagne.
Peut-être ces experts
n’ont-ils pas pressenti qu’en fait n’importe qui, même M. Trump, avait
des chances de donner du fil à retordre à Mme Clinton, voire (ce qui s’est
finalement produit) de l’emporter sur elle. Non pas parce que c’est une femme,
encore moins à cause du teint de M. Obama. Simplement (mais ce n’est qu’une
hypothèse) parce que Mme Clinton représente jusqu’à la caricature les vieux
routiers (et les vieilles routières) de la politique politicienne. Dans ces
conditions, n’importe quelle chaussure, même, disons, si elle était rose avec
des étoiles vertes, pouvait convenir à certains pour botter le derrière de ceux
qui les écœurent.
Il est à noter que cette
élection, comme tous les quatre ans, fascine le monde entier ou une bonne
partie de celui-ci. On se croit un peu partout tenu de prendre parti pour l’un
ou l’autre candidat, ou du moins autorisé à le faire. Certes, les Etats-Unis
sont un pays puissant et influent, mais jusqu’à plus ample informé nous sommes
une vaste majorité à ne pas en être les citoyens, ni même – du moins
officiellement – les vassaux[i] ou
les obligés. Comment expliquer cette frénésie ? Le rêve américain ?
L’esprit « yéyé » ? Ou peut-être s’agit-il d’un désir de se
soumettre au bon vouloir d’un empire ? Dans ce dernier cas, ce serait bien
commode pour nos politiciens, qui ne se sentiraient en rien tenus de décider
quoi que ce soit[ii].
Les cas les plus
paradoxaux de ce genre d’hypnose se rencontrent chez ceux que nos journalistes
nomment « populistes », avec la hargneuse condescendance qui
convient. Quels cris d’enthousiasme pour M. Trump n’entend-on pas depuis un bon
moment chez bon nombre de nationalistes ! Ceux-ci nous étonneront
toujours, tant ils sont occupés à se chercher des modèles, voire des maîtres, à
l’étranger (et ce n’est pas d’hier). Curieux comportement de la part de ceux
qui placent l’identité nationale (ou l’idée qu’ils s’en font) au-dessus de
tout.
Mais que craindre ou
espérer de l’élection de M. Trump si l’on n’est pas Américain ? Deux
choses, peut-être : dans le registre des craintes, celle d’une remise en
cause des engagements de son pays en matière d’émissions de gaz à effet de
serre ; dans celui des espoirs, celui de relations apaisées entre les
Etats-Unis et la Russie, une fois congédiés (permission de rêver) une certaine
coterie de néo-conservateurs et leurs idiots utiles.
C’est sur ce dernier
point que surgissent les doutes : M. Trump ne gouvernera pas seul et devra
compter en outre avec le Congrès. D’ailleurs, on le verra probablement
s’entourer – ou se laisser entourer – de vieux briscards qui lui dicteront sa
politique. Si c’est le cas, bien des espoirs et des craintes s’envoleront. Tout
le monde en aura alors pour ses frais : les contempteurs, les électeurs et
les admirateurs de M. Trump. La cuisine habituelle reprendra ses droits. M.
Trump semble en fait être une outre vide où chacun aura versé ce qu’il aura
voulu, pour le détester[iii] ou
l’aimer.
Chez nous, nos farouches
nationalistes en seront quittes pour aller se chercher un nouveau maître,
encore ailleurs.
Du reste, M. Trump a
donné un signe étrange en déclarant renoncer à son traitement de président des
Etats-Unis. Peut-être est-ce un signe d’honnêteté : nous avons
certainement affaire à un homme qui sait qu’il faut payer – et non se faire
payer – pour s’amuser un peu[iv].
[i] Le caractère quelque peu
féodal de ce terme a des résonances chevaleresques. J’en use donc faute de
mieux s’il s’agit des Etats-Unis d’Amérique.
[ii] Et ce serait normal chez
bon nombre de journalistes, de financiers et de snobs qui se rêvent en citoyens
du monde tout en se proclamant réalistes.
[iii] J’avoue avoir été ennuyé
par les reportages sur des manifestations anti-Trump après l’élection de ce
personnage. S’il a été élu… Le mieux pour ses opposants sera de se mobiliser
lorsqu’une fois installé il annoncera telle ou telle mesure. Sinon, n’importe
quelle élection dans n’importe quel pays pourra donner à l’avenir lieu à d’interminables
manifestations.
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