Voilà déjà quelques années que je m’interroge sur la
perméabilité des esprits à des nouveautés (idées, propositions ou projets) qui,
en peu de temps, d’absurdités plus ou moins aimables qu’elles étaient
deviennent parfois des possibilités envisageables, voire souhaitées. Les
exemples ne manquent pas, il est à peine nécessaire de se baisser pour les
ramasser : que ce soit le mariage dit pour tous et ses éventuels
corollaires (en matière de descendance), les projets relatifs à l’euthanasie,
ou encore l’idée géniale d’aller forer un peu partout pour trouver du gaz de
schiste, nous sommes servis en ce moment.
Avant, j’étais moche
C’est ce que disait, si j’ai bonne mémoire, Alice
Sapritch dans une publicité télévisée, il y a bien vingt-cinq ou trente ans,
pour des produits servant au nettoyage des fours. Il en va un peu de même avec
les « avancées », qu’elles soient sociétales,
techniques, économiques, lorsque leurs promoteurs tentent à tout prix de les
faire passer : soyez favorables à ces « avancées », parce que
c’est bien et, surtout, parce que les choses ne seront plus comme avant. Car
avant, c’était mal, et le progrès c’est le progrès. L’important sera de caser
quelques enfin, quelques encore et quelques retard.
L’ennui, avec ce genre de propagande, c’est que ses
effets sont apparemment limités. Certes, il doit se trouver des
semi-indifférents qui, fatalistes, lâcheront qu’il faut vivre avec son temps (marque de résignation qui constitue
déjà un refus de réfléchir). Cela peut faire beaucoup de monde, parfois, mais
c’est encore insuffisant. C’est qu’il y a toujours ceux qui émettent des
objections. Les plus ennuyeux d’entre eux sont ceux qui ont des arguments
(logiques, moraux, spirituels ou autres) à opposer. Pour prendre l’exemple du mariage
dit pour tous, l’Eglise catholique en France avait exprimé dès l’été 2012 des
réserves quant au projet du gouvernement. Sans haine, sans quelque agressivité
que ce fût. En signalant notamment qu’il y avait d’autres urgences dans un pays
où se posent de vrais problèmes.
Devant de telles objections, les amis du progrès se
doivent de réagir vite, et avec force. C’est qu’il s’agit d’écarter les
obstacles.
Si vous êtes contre, vous êtes un monstre
Chacun connaît ce lieu commun professé par le
premier tacticien en chambre venu : la
meilleure défense, c’est l’attaque. Précepte que les amis du progrès ne
manquent jamais d’appliquer.
Pour rester sur l’exemple du mariage dit pour tous,
on sait la tournure que les choses ont prise, après les réserves exprimées par
nos évêques. Passé un vague argument d’autorité de la part du gouvernement (on-a-promis-de-le-faire-alors-on-le-fera-c’est-comme-ça),
il fallut à celui-ci et à ses alliés avoir recours, une fois des centaines de
milliers de manifestants dans les rues, à des méthodes plus énergiques. Comme
l’insulte et l’amalgame : ah, vous n’êtes pas favorables à cette
loi ? C’est donc que vous êtes contre l’amour et l’égalité des
droits ; d’ailleurs, vous êtes homophobes. Donc certainement racistes
aussi. En somme, vous êtes des nazis. Ah, et aussi des intégristes. Et des obscurantistes.
Des franges plus militantes prirent moins de
pincettes. Dans certaines manifestations favorables au projet de loi, on put
voir d’aimables pancartes où était écrit kill Frigide Barjot. Au fond, ce n’est pas étonnant : à force d’assimiler
toute opposition à une aberration, on finit par faire de tout opposant un
obstacle avant de se rappeler qu’il s’agit d’une personne. On peut en avoir un
aperçu dans un article paru ce 22 mai sur le site de Causeur, où l’auteur relève
que les opposants au mariage dit pour tous ont été qualifiés de
« monstres » dans une réunion publique célébrant le premier
anniversaire de cette noble conquête. Dans le même genre (si j’ose m’exprimer
ainsi), une récente chronique de Caroline Fourest dans le Huffington Post (ou sur France-Culture : ce sont mot pour mot
les mêmes – il n’y a pas de petits profits) était assez gratinée, comparant ce
qu’elle nomme « la droite catholique » à Boko Haram (et José Bové à
Bertrand Cantat)…
Mais assez épilogué sur cette affaire : la
technique vaut pour bien des sujets. Essayons-en quelques-uns :
Vous êtes
contre l’avortement ? C’est que vous voulez asservir les femmes. Vous êtes
donc un ennemi des femmes.
Vous êtes
contre l’euthanasie ? C’est que vous voulez prolonger les souffrances des
mourants. Vous êtes donc un sadique.
Le projet
de traité de libre-échange transatlantique éveille chez vous des
soupçons ? C’est que vous croyez que l’US Air Force va bombarder l’Europe
à coups de poulets javellisés. Vous êtes donc un abruti.
Vous vous
méfiez des cultures d’OGM ? C’est que vous vous fichez de la faim dans les
pays pauvres. Vous êtes un affameur.
J’arrête là. Vous pouvez essayer. Le suffixe –phobe apparaîtra souvent. Vous serez un
ennemi du progrès. Donc une menace.
Du reste, cela ne date pas d’hier : pour
Sartre, un anticommuniste était un chien, pour les Nazis, les Juifs voulaient
perdre la noble race aryenne (et pour Himmler l’Eglise catholique était une
porcherie) ; pendant la Révolution Française, les Vendéens étaient une
race de brigands. Tout cela, on l’aura compris, peut prendre des proportions
variées, de l’anecdotique à l’atroce.
Hygiène mentale (et charité ?)
Il faut croire que de telles méthodes, si elles sont
consciemment appliquées, doivent rencontrer un certain succès (en intimidant
ceux qui auraient peur de passer pour « pas convenables » ?). Ou
alors que ceux qui y ont recours sont des imbéciles qui s’obstinent à répéter
une erreur. J’aurais tendance à pencher pour la première hypothèse, vu le genre
de réaction de ceux qui font l’objet d’une telle diabolisation : souvent,
ils ne marchent pas, mais courent.
Voyons plutôt.
Il y a d’abord ceux qui se défendent : mais non, je ne suis pas trucophobe ;
d’ailleurs… Chercher à se justifier, c’est entrer dans le petit jeu du
procès et reconnaître l’autorité du tribunal.
Il y a aussi ceux qui font dans la surenchère :
en gros, le genre Minute. En général,
cela amène devant un vrai tribunal.
Belle manière pour les deux parties, dans une sorte de complicité, de se faire
mousser (ce qui pourrait être ajouté aux commentaires d’un petit jeu proposé
ici par Fromage Plus). Et, pour la
partie civile, de jouer les vierges effarouchées, offensées par d’odieuses et
vulgaires brutes.
(A propos de vierges effarouchées, il y a ceux qui
s’offusquent des attaques menées contre eux avec des cris d’orfraie, achevant
de passer ainsi pour de vieux machins. Autre attitude suicidaire.)
Comment réagir alors ? Par la légèreté et
l’ironie, peut-être ? Pourquoi pas ? Cela peut donner d’amusants vers
de mirliton (assumés comme tels, je pense, par leur auteur) chez Le Chouan des villes, blog dont le sujet
– ou le prétexte – est l’élégance masculine. On pourra toutefois reprocher à ce
type de réponse de s’apparenter à une forme de défense, manière évoquée plus
haut.
Faut-il, d’ailleurs, réagir ou répondre à toutes ces
provocations ? Peut-être pas. Ou alors y répondre à côté : oui, oui, moi aussi je vous aime bien…
Et cesser de croire qu’on peut discutailler avec des gens qui refusent tout
débat, tout en s’interdisant d’avoir recours aux mêmes moyens qu’eux. Sans
renoncer à proposer ici et là ce que l’on croit être vrai.
Ce climat n’est pas sain. Toutes ces injonctions à
se laisser gagner par la contagion de tout ce qui est nouveau, voilà qui me fait
penser à Rhinocéros, d’Ionesco. Or,
pour lutter contre un rhinocéros qui charge, il vaut mieux être de taille à le
faire. Peut-être faut-il se faire rhinocéros soi-même ? Très peu pour moi,
dans ce cas. Je préfère faire un pas de côté.
Remerciements
Ce texte (filandreux, je le crains) m’a été inspiré
par le fil de commentaires qui suit le petit jeu proposé par Fromage Plus, mentionné plus haut. Plus
particulièrement par un commentaire auquel j’ai répliqué « sur
place ». Que l’auteur de ce commentaire en soit remercié, s’il lit ces
lignes (ainsi que Fromage Plus). Le
commentaire en question finit par : La
vie est ailleurs. D’une part, c’est vrai, d’autre part, c’est le titre d’un
roman de Milan Kundera : parfaite occasion pour vous suggérer la lecture
du dernier opus du maître, La fête de
l’insignifiance, qui est fort agréable.
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