lundi 23 décembre 2013

Un cadeau : "Villa blanche", de Bruno Tessarech

Il y a quelques mois, je vous avais entretenus ici du dernier roman de Bruno Tessarech, Art nègre. Et je vous avais promis de vous toucher un jour quelques mots de Villa blanche, du même auteur. Voici donc en guise de cadeau de Noël[i] un aperçu qui, je l’espère, vous donnera envie d’aller y voir.
Situons, pour commencer le sujet : il s’agit d’une évocation, sous la forme d’une enquête, de Denise Bourdet, la femme d’Edouard Bourdet, auteur dramatique tout aussi oublié aujourd’hui qu’elle. On pourrait hausser les épaules devant ce monde de fantômes, apparemment insignifiants pour beaucoup d’entre eux, mais l’effort de leur accorder quelque considération est payé d’un charme certain.
Passons rapidement sur quelques défauts qu’il faut cependant mentionner, et qui résident dans quelques relâchements, comme : « Hiver 1908. Catherine apprend… » (p. 56), « Automne 1913. Edouard a pris l’habitude… » (p. 72) ainsi qu’un « incontournable » et quelques « branché » ou « relooké » que je n’ai pas pris la peine de retrouver et qui m’ont crispé. Ce sont à mon avis des facilités dignes plutôt d’un journaliste, outre le fait que de telles expressions seront un jour plus ou moins proche, à n’en point douter, horriblement datées. Voilà pour les réserves du grincheux que je suis.
Je n’en dirai pas autant des « traductions » en euros de certaines sommes d’argent. L’effet, là, m’a plutôt semblé amusant et cruel : « euro », mot incongru et sans histoire, qui vient coiffer quelques vignettes d’une époque dont il ne reste que la patine. Je m’explique : c’est bien la patine qui manque à « euro », en fait quelque chose de dépourvu de tout agrément (contrairement à « franc », « livre », « couronne », « drachme » ou même « dollar »).
A propos de patine, Tessarech en créée une magnifique couche, vers le début, lorsqu’il raconte les circonstances qui lui ont fait faire la connaissance – si je puis dire – de Denise Bourdet. Quelques phrases au passé simple (« Le fond de l’appartement y passa à son tour », p. 25) surgissent au milieu du récit du débarras de l’appartement, où l’emploi de l’imparfait est abondant, comme pour suggérer un étirement du temps pour ce qui ne dut durer que quelques jours et devient ainsi une « époque ». Les brusques étapes au passé simple sont celles d’un combat déjà perdu.
Pour ce qui est de l’époque mentionnée plus haut, l’évocation de la khâgne d’Henri IV et des poses de ses élèves est un petit enchantement[ii]. Ces garçons qui prennent des airs élégants, affranchis et lettrés, qui ne savent pas grand-chose et parmi lesquels un aura l’illusion de l’accès à un monde mystérieux et fascinant – d’autant plus fascinant que la réalité de ce monde, certainement plus banale, lui sera pour toujours interdite – peuvent faire penser à certains passages du Grand Meaulnes ou, mieux (à mon goût), aux romans d’Alexandre Vialatte.
Venons-en à Denise Bourdet. Ou plutôt au monde qui l’entoure, car c’est surtout lui que l’on entrevoit ici. Si nous connaissons plus ou moins bien (ou croyons les connaître) des noms – voire des auteurs et leurs œuvres – comme Mauriac, Morand, Cocteau, etc., ceux d’Edouard Bourdet, de Catherine Pozzi ou d’Henry Bernstein nous sont moins familiers.
Bourdet restait jusque là pour moi un nom que l’on a parfois la bonté de placarder sur quelque colonne Morris ou une ombre passant par exemple dans le journal de Drieu la Rochelle, comme le 11 septembre 1939 : « B. a un air sinon délabré, du moins terriblement amorti. Cette drogue. Quand on pense que cela a été officier de chasseurs à pied en 14. Quelles ruines fait la paix. » Cela… Désormais, cela est pour moi un être humain.
Je ne connaissais Catherine Pozzi que par un bref article de Roger Nimier paru en 1960 dans Arts, où il est question de ses « œuvres poétiques (…), qui consistent en six brefs poèmes » et par une lettre de Jean Paulhan à Dominique de Roux (reproduite dans Maison jaune), où elle est présentée comme « une grande femme, gracieuse et laide, qui fut la femme de D. Bourdet (sic !), la mère de Claude B. et la maîtresse de Valéry ». En voici un peu plus sur la personne.
Des trois noms cités, le plus impressionnant demeure Bernstein. Alors que Tessarech parvient toujours à se montrer bienveillant envers les figures qu’il évoque, celui-là, malgré quelques efforts ici et là pour tenter de l’épargner (il « ne saurait être quantité négligeable », p. 236), il ne le rate pas, le sommet – ou le fond, on est avec Bernstein ! – étant atteint avec l’affaire de Judith. Entendons-nous : il ne le rate pas, à tous les sens du terme. Ajoutons quelques injures baroques, savantes et déroulées froidement et cela donnerait du Léon Bloy du meilleur tonneau. Mais il me semble que Tessarech ait eu le bon goût de se contenter de décrire et de raconter, comme lorsqu’il est question de ses relations avec Maurois. Bernstein est assez bouffi pour se suffire[iii].
Bien d’autres personnes passent dans ce récit : Henri Sauguet, Jean Marais (très Jean Marais, conscient de sa majesté mais n’en faisant tout juste pas trop ; saisissant : « Un géant aux yeux exorbités se tourna vers moi… Ses yeux fouillèrent au loin », p. 296), mais surtout Edmée de la Rochefoucauld, qui figure comme une dernière chance pour le narrateur : il n’en tirera que quelques vagues banalités.
Trop tard.
J’ai pensé en lisant ce dernier passage à la presque fin de La vraie vie de Sebastian Knight, de Nabokov[iv] :
-                     Oh ! la, la ! s’écria-t-elle, en devenant très rouge. Mon Dieu ! Mais le monsieur russe est mort hier et c’est à M. Kegan que vous avez rendu visite…


[i] J’en profite pour vous souhaiter une JOYEUSE et SAINTE fête de NOËL.
[ii] Personnellement, ce genre de tableau me touche beaucoup, moi qui fus l’un des plus enragés poseurs parmi les taupins de Condorcet, vers 1990-1993. Pour la petite histoire, une reproduction du portrait de Proust par Jacques-Emile Blanche est accrochée à l’un des murs du parloir parmi un bric-à-brac de souvenirs, comme l’hélice brisée d’un ancien élève qui, pendant la guerre, « l’autre, la Grande », mourut à l’issue d’un combat aérien.
[iii] Contrairement à Bourdet, Bernstein, toujours dans le journal de Drieu la Rochelle, passe moins pour une ombre. Drieu, tout comme Bourdet, en est venu aux mains avec lui !
[iv] Ce qui est de ma part un compliment.

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