Abandonnez vos appréhensions avant de lire cette
chronique. Il ne s’agit pas de vanter je ne sais quelle fascination envers des
corps enrégimentés pour une quelconque cause douteuse. Non. L’idée m’est venue
de la lecture, début juillet, d’un billet du fort recommandable blogue de P. de
Plunkett (ici). Il y était question de la décision prise dans un établissement
scolaire jésuite de Marseille d’interdire à ses élèves le port dans son
enceinte de vêtements ou d’autres effets de marques visiblement onéreuses. Sans
imposer le port d’un uniforme, mais celui de vêtements « simples, sobres, décents, notamment
financièrement » : « L'uniforme, ça aurait été facile : mais nous voulons que les
élèves trouvent leur propre façon d'évoluer dans ces règles ». L’exercice
ainsi proposé est aussi intéressant que l’intention est excellente, mais il me
semble fort difficile.
Et, en écartant la
solution de l’uniforme, les bons pères jésuites pourraient bien avoir manqué
une occasion d’enrichir leur enseignement d’une manière surprenante.
La marque des marques
Il existe bon nombre de marques connues (et
luxueuses pour certaines) d’effets divers (vêtements, mais aussi chaussures,
sacs et autres accessoires) qui doivent leur réputation à la qualité de leurs
produits : élégance des formes et des couleurs, confort, solidité, par
exemple. Cette réputation, outre la qualité des matériaux et de leur travail,
se vend, cher parfois, sans autre profit pour l’acheteur que le plaisir de se
sentir bien dans ses vêtements et, pourquoi pas, de se sentir soi-même, et pour longtemps, si la
solidité fait partie des qualités requises.
En revanche, si la marque reste discrète, pas moyen
de satisfaire sa vanité : personne ne saura que je porte une écharpe de
chez A ou des chaussures de chez B, à moins d’être un connaisseur. D’où l’idée,
chez certains fabricants, de placer l’étiquette à l’extérieur, bien en vue, et
de plus en plus grosse. Bonne publicité aussi, bien sûr.
Or, ce genre de vanité frappe souvent des
adolescents, soucieux de montrer qu’ils ne sont pas n’importe qui, qu’ils
méritent de s’intégrer à la société des autres adolescents, etc., etc. Elle se
prolonge parfois à l’âge adulte, où l’entre-soi se manifeste aussi de plus en
plus par l’usage de l’étiquette externe hypertrophiée (lire ici un excellent
billet à ce sujet, chez Le chouan des
villes).
Mais quelle satisfaction peuvent donc en tirer ceux
qui portent de tels effets ? Celles mentionnées plus haut (confort,
élégance, couleur, solidité, personnalité) ? Non, simplement un signe
extérieur de richesse et d’appartenance à ce qu’ils croient être une coterie
d’initiés. Appartenance qui, en fait, reflète surtout la conformité aux canons
–ou plutôt aux caprices – éphémères de la mode. Soit dit en passant, le
caractère éphémère de la mode est doublement une bonne affaire pour les
fripiers à riches : le débit est garanti, et point n’est besoin de
dépenser beaucoup pour fabriquer des vêtements qui ne seront pas portés
longtemps.
Evidemment, dans une société adolescente, les plus
pauvres souffriront de cette pression sociale – vive à l’âge bête et encore
tenace parmi les adultes chez qui elle n’aura pas été réprimée dans leur
jeunesse – et n’auront qu’à ruiner leurs parents ou se sentir exclus de la
meute, même lorsqu’ils feront l’effort d’une imitation maladroite des codes de
celle-ci.
Je parle de meute, mais c’est plutôt troupeau qu’il faudrait dire : en
croyant affirmer leur personnalité, ces tendres enfants – et les adultes qu’ils
deviendront – finissent par ressembler à un bétail marqué, et ce bien
volontiers.
Le souci des susnommés jésuites est donc
parfaitement compréhensible. Mais, encore une fois, la solution qu’ils ont
adoptée me semble bien vague.
Vertus et plaisirs de l’uniforme
Comment en effet laisser juges de la
« décence » de leur tenue des enfants capricieux et des parents assez
gogos pour céder aux foucades de leurs petits trésors ? Ne vaudrait-il pas
mieux suppléer à ce manque d’éducation en imposant une tenue commune à ces
élèves ?
Les modalités pourraient en être simples : les
uniformes seraient achetés pour tous les élèves chez les mêmes fournisseurs, au
même prix pour tous, les parents riches payant en sus pour les plus pauvres. Ce
qui enseignerait, certes, une forme d’égalité et de solidarité aux élèves, mais
leur donnerait aussi le sentiment d’appartenir à une même communauté. Divers
insignes pourraient être ajoutés à ces tenues, en fonction des classes ou des
options, par exemple : à l’appartenance à une même communauté s’ajouterait
celle à de plus petits groupe, chacun voyant à la fois ce qui le distingue et
ce qui le rapproche de l’autre. En quelque sorte, un apprentissage simultané de
l’enracinement local et de l’ouverture au monde.
Ces choses-là ne sont pas nouvelles. Quiconque a
déjà porté un uniforme (dans quelque circonstance honorable que ce soit) les connaît. Mais, m’objectera-t-on, que
fait-on des individus ? Quiconque a eu à porter un uniforme y répondra
aisément : il y a autant de façons de porter un uniforme que de personnes
qui le portent, sans avoir quoi que ce soit à modifier dans l’effet porté
lui-même. Paradoxalement (du moins en apparence), chacun y trouverait une leçon
de liberté individuelle, voire de fantaisie et, pourquoi pas, chez les plus
doués, d’élégance ?
Pour se manifester dans ses formes les plus subtiles,
l’originalité a parfois besoin de contraintes.
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