Ma retraite champêtre et maritime, dont je reviens
tout juste, se trouvant quelque part en Suède, j’ai tâché de mettre à profit la
canicule qui y régnait ces dernières semaines pour lire à l’ombre. Y compris la
presse du pays, quelques articles et tribunes de Svenska Dagbladet[i],
par exemple.
L’Eglise suédoise, l’orient et le climat
L’Eglise suédoise (nom de l’Eglise luthérienne
officielle et nationale, séparée de l’Etat depuis quelques années), a essuyé,
dans quelques tribunes de ce quotidien, diverses critiques, plus ou moins
justifiées comme on le verra.
Pour commencer, ce qui a été critiqué le plus
vivement ces derniers temps est, à en croire les auteurs de quelques articles,
le silence ou pour le moins la tiédeur de l’Eglise suédoise quant aux
persécutions que subissent nos frères chrétiens en Irak et en Syrie. Un
Assyrien installé en Suède a ainsi – et plutôt brillamment – supposé que
l’Eglise suédoise et son archevêque ont sans doute trop à faire à protester contre
la brutalité des opérations menées en ce moment à Gaza en s’abstenant de
consommer des jus de fruits israéliens. Si c’est bien le cas, on ne saurait
qu’acquiescer à ces propos, sans pour le moins minimiser les brutalités
susnommées[ii].
La tiédeur de l’Eglise suédoise semble être un grief
assez fréquent, notamment en ce qui concerne ses fondements. Dans un récent
article[iii],
on pouvait lire qu’« une Eglise qui a récemment choisi un nouveau chef
spirituel parmi cinq candidats qui sans exception ont répondu de manière
hésitante à la question de savoir si le Christ est un plus grand prophète que
Mahomet, doit bien être considérée comme un peu égarée »… L’article avait
pour objet une lettre épiscopale à propos du climat : le grief cité plus
haut donne l’occasion à son auteur de considérer que l’Eglise suédoise n’est
pas à sa place lorsqu’elle parle d’autre chose que de questions strictement
spirituelles et qu’elle place la politique avant Dieu. En somme, l'article cité semble dire : « occupe-toi d’homélies[iv] ».
Ce genre d’argument laisse songeur : il se
trouve toujours quelqu’un pour critiquer une autorité religieuse, quelle
qu’elle soit, dès lors qu’elle ne donne pas sa bénédiction à ce qui arrange les
uns ou les autres. Une Eglise (quelle que soit sa confession) sera toujours
trop à gauche pour les uns ou trop à droite pour les autres. Le tout, pour
éviter de telles critiques ou pour y répondre de manière imparable, est de
nourrir son propos de fondations solides et de ne pas s’y limiter, ce qui
semble manquer à l’Eglise suédoise[v].
Le gaz, la liberté et l’OTAN
L’écologie étant passée par pertes et profits (au
nom du souci des plus pauvres et du rejet d’un supposé gauchisme) dans cette
chronique, il est temps de passer aux choses sérieuses. En lisant un éditorial d’un
journaliste par ailleurs auteur d’intelligents articles dénonçant
l’indifférence du monde devant la persécution des chrétiens d’orient[vi],
j’apprends qu’il est nécessaire de voir enfin arriver la
« révolution » du gaz de schiste en Europe. En Suède en particulier,
où cela ne saurait être dangereux, puisque les réglementations
environnementales suédoises sont strictes. Tout cela au nom de la
liberté : il faut se prémunir de la dépendance énergétique face au
méchants, méchants, trrrrrès méchants russes.
Ouais. Si c’est cela la liberté et la révolution,
très peu pour moi. Je ne serai jamais un libéral, j’en ai peur, ni un
révolutionnaire, si c’est pour laisser à nos descendants des trous sales avec
des tuyaux fuyards en vue de brûler un peu plus de gaz. (Autrefois, on n’était
pas nécessairement meilleur qu’aujourd’hui, mais on laissait des châteaux et
des cathédrales, ce qui était quand même plus beau).
Il est vrai que la Russie a toujours donné du souci
aux Suédois. Après tout, ce n’est pas loin, la Russie, et les relations de
voisinage ont rarement été tendres. Et la situation douloureuse de l’Ukraine
n’aide pas toujours à réfléchir. A tel point que, toujours dans les colonnes de
Svenska Dagbladet, on a pu lire
récemment une tribune de membres du parti centriste défendant l’idée d’une
adhésion de la Suède à l’OTAN, puisque ce pays n’a plus les moyens de se
défendre contre une éventuelle agression extérieure. Ben voyons : c’était
prévisible, après vingt ans passés par les politiciens à réduire les moyens des
forces armées suédoises, lesquelles, encore naguère, n’étaient pas tout à fait
rien. Sans doute cela permettrait-il de se montrer plus solidaires avec
l’Ukraine ? En se montrant plus hostile envers la Russie ? Voilà qui
a un curieux arrière-goût de Poltava, sans vouloir trop donner dans le
folklore. De plus, les auteurs de cette tribune citent l’exemple, d’intrusions
d’avions militaires russes dans l’espace aérien suédois, auxquelles des avions
de l’OTAN – danois en l’occurrence – ont pu mettre fin. Certes, mais qui alors pour
mettre fin aux incursions américaines (ce qui a eu lieu ces derniers
jours) ?
Tous à la Pride !
Depuis quelques années a lieu, fin juillet, à
Stockholm, le Pride Festival, une
semaine de manifestations, de débats et de spectacles autour de l’homosexualité
et de thèmes adjacents. Un festival organisé par des militants LGBTQ[vii],
où chaque parti politique se croit obligé d’être représenté. S’il y est
autorisé par les organisateurs, qui exigent que tout le monde soit de leur avis
mais ne voudraient pas être pris pour un service public – public service, comme ils disent en bon suéglais[viii].
Il existe du reste en Suède un ministre pour ces questions fondamentales.
Ce festival a revêtu un aspect tellement officiel,
voire obligatoire, que la radio d’état en fait des émissions à tout
propos : il a été donné il y a quelques jours aux auditeurs de la chaîne
musicale « sérieuse » d’entendre un programme sur la contribution des
homosexuels à la musique, de Händel à Cole Porter, en passant par Schubert, Saint-Saëns,
Britten ou Poulenc, sans oublier Chopin, qui était certainement
« bi », paraît-il. Deux remarques : Monteverdi, Bach, Beethoven,
Mozart et tant d’autres, c’est du mou pour les chats, sans doute ? Et que
me fait la vie sexuelle d’un compositeur ?
Un aspect de ce festival m’amuse : le
vocabulaire. Il est question ici de pride
et non de fierté (en suédois : stolthet). Et, parmi ces personnes si
fières (oh, pardon : proud), se trouvent naturellement celles qui se
disent queer. Cette invasion de mots
anglais pourrait paraître anecdotique, mais elle me semble préparer un terrain
favorable dans les esprits au n’importe quoi, à la confusion globalisée de tout
dans tout.
Mauvaise nouvelle…
… pour le pronom hen
(dont je vous ai entretenu ici l’an dernier) : il a été reconnu par
l’Académie suédoise.
… Et bons romans ?
La mode du polar
scandinave fait depuis quelques années les ravages que l’on sait. Ne citons
que les noms de Henning Mankell et de Stieg Larsson, bonne âme de gauche dont
les héritiers s’entredévorent pour savoir à qui échoiront les millions
rapportés par le combat de son héros contre les hommes qui n’aiment pas les
filles qui jouent avec les allumettes dans des châteaux pleins de courants
d’air. Plus récemment est apparue la vogue du roman picaresque rigolo avec des
vieillards fabuleux, comme Le vieux qui
ne voulait pas fêter son anniversaire, de Jonas Jonasson.
Mais, et c’est regrettable, personne ne semble avoir
eu l’idée de traduire les aventures du Secrétaire
d’Etat (en suédois : Statsrådet),
histoires policières hautement comiques écrites entre 1968 et 1990 sous le
pseudonyme de Bo Balderson (on ignore qui se cache derrière ce nom : plus
de cent noms d’écrivains ont été proposés, mais l’intéressé, il y a quelques
années, a prétendu être un ancien gardien des toilettes du parlement). On y
suit les exploits d’un secrétaire d’état, assez fin politicien pour toujours
rester en place mais surtout monument jovial de balourdise, d’incompétence et
d’inculture, qualités qui contribuent à résoudre des énigmes laissant perplexes
les forces de police. Ces exploits nous sont narrés par son beau-frère, homme
timide, cultivé et raffiné, droit jusqu’à la naïveté, sur un ton à la fois
consterné et admiratif. Traducteurs, éditeurs, au boulot, voulez-vous
bien !
Ces considérations ne m’empêcheront pas de lire le
nouveau roman de Torgny Lindgren – pas un auteur de polar : un écrivain,
un vrai, un artiste. Et un académicien, dont j’ignore l’avis sur la question
essentielle du pronom hen.
[i] Un peu le Figamonde ou le Mondaro local, si vous voulez. Ceux qui lisent le suédois (ou qui
veulent essayer) peuvent trouver l’édition en ligne gratuite ici.
[ii] Quelqu’un pourrait-il
dire au gouvernement israélien et au Hamas qu’il n’est ni moral ni raisonnable
de se comporter comme des garçons de cinq ans (mais avec des armes) quand on a
passé cet âge turbulent ?
[iii] de Maria Ludvigsson :
Politik före Gud i biskopsbrev (La politique avant Dieu dans une lettre
épiscopale)
[iv] Je tiens à préciser que
je ne suis pas l’auteur de ce jeu de mots. Il a un peu plus de soixante-cinq
ans et nous le devons à Antoine Blondin.
[v] Par comparaison, dans la
modeste paroisse parisienne et catholique que je fréquente, le prêtre qui
officiait ce dimanche (18ème du temps ordinaire), en en commentant
les riches et nourrissantes lectures, nous a rappelé que nous sommes les
gardiens de la Création et que de ce fait l’écologie est plus une affaire d’action
de grâce que de partis politiques (j’ajouterais pour ma part : de droite
ou de gauche). Ces lectures étant riches et nourrissantes, il fut question de
bien d’autres aspects, spirituels notamment. Du solide, si l’on peut dire.
[vi] Ivar Arpi.
[vii] EJNSECQOPI (et je ne
sais encore ce qu’on peut inventer).
[viii] On pourrait ainsi
nommer (en suédois : svengelska ?)
l’équivalent suédois du franglais.
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