samedi 7 juin 2014

Liberté pour les rois !

L’abdication du roi d’Espagne, lundi dernier, m’a rappelé (sans me vanter) quelques réflexions (à lire ici) qui m’avaient été inspirées par celle du roi des Belges l’an dernier. Réflexions qui méritent du coup quelques compléments. Que voici.
« Ô cruel souvenir de ma gloire passée ! »
C’est au fond ce que pourrait dire ce vieux roi qui s’en va (et après tout, Le Cid se passe en Espagne) : les dernières années de son règne  auront été marquées par divers scandales n’épargnant pas la famille royale espagnole. Il y a lui-même contribué il y a quelques années, partant en Afrique chasser l’éléphant tandis que son peuple ne nageait pas dans la prospérité.
Sa gloire passée ? Quelle est-elle ? Celle d’avoir rétabli la royauté en Espagne, rétablissement qui n’eut rien d’une restauration emperruquée, de celles qui, sous des airs de renaissance, sont souvent de mornes agonies – que l’on pense, en France, à Charles X. Ce rétablissement se fit au prix d’une démocratisation qui impliquait un certain effacement du roi, peut-être excessif (nous y reviendrons), mais était-il possible d’envisager une solution plus originale ? Je l’ignore. Et puis, que voulez-vous, l’air du temps…
Cet effacement trouva cependant d’heureuses limites en 1981 lorsque, en tant que chef des armées, le roi n’eut besoin que d’un discours pour mettre un terme aux élucubrations putschistes d’un colonel de la garde civile pris soudain d’une nostalgie du temps de Franco sous des formes quelque peu turbulentes. Ce qui prouve qu’au moins en ce temps, il restait quelque autorité au roi d’Espagne.
Or voici qu’on entendait ces derniers jours dans la grosse presse française que certains Espagnols souhaiteraient qu’un référendum décidât de la poursuite ou non de la monarchie. Je crois que quelques avertissements, ou éclaircissements, leur seraient nécessaires.
Aux républicains espagnols
Reprenons les motifs de reproches et d’éloges évoqués plus haut et transposons-les dans une république. En France, par exemple.
Eh bien, nous eûmes de 1981 à 1995 un président de la république bigame, qui logeait sa maîtresse et leur fille aux frais de l’Etat. Entre deux affaires de la fin de son second septennat, un de ses amis se tira une balle dans la tête en plein palais de l’Elysée. Ce président, avec de telles histoires, démissionna-t-il pour autant ? Non. Bien que son âge fût avancé et sa santé plus que chancelante, il s’accrocha au pouvoir jusqu’au terme de son mandat. Plus récemment, M. Hollande, dans une ambiance moins dramatique, fit rire pas mal de monde avec ses affaires de scooter et le congé qu’il donna à Mme Trierweiler, laquelle avait son bureau (à quel titre ?) à l’Elysée… Mais assez bavé sur mon pays : les républiques étrangères ne manquent pas de frasques grotesques – que l’on veuille bien penser aux aventures de M. Clinton…
En résumé, la république n’épargnerait aux Espagnols ni la corruption, ni le népotisme, ni d’autres frasques.
Imaginons maintenant un colonel de gendarmerie un peu fêlé qui entrerait, avec quelques complices, à l’Assemblée Nationale et menacerait les députés d’un pistolet, déclarant sa volonté de prendre le pouvoir. La réaction de nos députés serait sans doute comparable à celle des députés espagnols en 1981 : à ce qu’on dit, tous se réfugièrent derrière leurs pupitres, à quatre pattes, à l’exception d’un communiste et d’un ancien franquiste. Mais que ferait notre président ? Un gentil discours plein de « euh » ? Et tous de hausser les épaules tandis qu’il serait parti se cacher au fond d’un bunker, tremblant à l’idée que le susnommé colonel fêlé pourrait inspirer ses gardes. Cela n’est pas posé pour attaquer personnellement l’actuel hôte du faubourg Saint-Honoré : ce scénario aurait pu convenir à son prédécesseur.
(Il est à observer qu’en 1961 de Gaulle mit rapidement fin à une révolte militaire et qu’en 1969 il démissionna ; il est vrai que d’aucuns le soupçonnent de ne pas avoir eu de sentiments plus républicains que cela.)
D’où vient la différence ? Quelqu’un peut-il me dire si le roi d’Espagne ne serait pas roi par la grâce de Dieu ? Ce qui lui donne sans doute à la fois une autorité plus respectée (n’émanant pas de sa seule petite personne) et une plus grande humilité (pour les mêmes raisons) qu’un président quelconque, somme toute interchangeable, qui s’est retrouvé là par le hasard du vote, le boniment électoral et la lassitude éprouvée à l’égard de son prédécesseur.
D’ailleurs, il faudrait signaler – amicalement – à nos voisins espagnols que nous serions en droit de nous demander si ce n’est pas la république qui est un peu usée chez nous…
Dans les pages pipôle
Les monarchies européennes souffrent toutes en gros du même problème : souvent, les rois, les reines et les princes ne sont plus que des bibelots plus ou moins élégants, que l’on promène ici et là à des fins décoratives. Ils ont parfois du mal à tenir des propos intéressants sur le gouvernement de leurs pays et, lorsqu’ils y parviennent, ils se font rabrouer aussitôt par des politiciens qui n’apprécient guère que l’on perturbe leurs jeux par quelques commentaires.
Il est vrai que lesdits politiciens, depuis cent cinquante ans environ, ont patiemment grignoté ce qui restait de pouvoir à leurs rois. Lesquels ne se sont pas toujours fait prier pour céder de leur autorité, soit par crainte de s’opposer au sens de l’histoire, soit par paresse.
Quel a été le résultat de cet abandon ? Eh bien, entre un défilé et une réception, les princes s’ennuient. Les plus sages s’occupent en créant des fondations charitables, en cultivant leurs terres ou leur esprit, ou en servant dans l’armée. Les autres s’amusent avec faste en faisant rêver les midinettes et gagner de l’argent aux propriétaires de journaux cucul. Au fond, plus grand-chose ne distingue ces princes fêtards des stars, si ce n’est que ces dernières ont parfois quelques talents. Il ne reste plus à quelques bonnes âmes libérales qu’à suggérer que ces amusements coûtent cher, et…
On l’aura compris, pour les princes fêtards, les carottes sont peut-être déjà cuites. Leur insignifiance est le dernier fruit de la paresse et de la pusillanimité de leurs aïeux. Et les princes sages ? Pourquoi ne pas leur offrir une position d’arbitre, de recours ? Il n’est pas dit qu’un roi exerçant effectivement son autorité doive être un monarque absolu.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas libérer les rois ? Et leur accorder une place réelle et originale ?
Un prénom très porté
Le nouveau roi d’Espagne se nommera Philippe VI. Déjà, l’an dernier, la Belgique héritait d’un Philippe. Précisons que le fils du roi de Suède, Charles Philippe, n’est pas l’héritier direct du trône…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).