vendredi 10 avril 2015

La Terre est plate !

Je le sais bien, nous ne sommes plus le premier avril. Mais le monde moderne paraît non seulement affirmer une telle énormité, mais aussi le prouver, en faisant se suivre et se ressembler les jours et les saisons.
Poissons d’avril
Aimez-vous les poissons d’avril ? J’avoue pour ma part avoir un faible pour cette amusante tradition qui consiste à faire gober une énormité à ses interlocuteurs. Les meilleurs sont ceux qui ont toutes les apparences d’un grand sérieux en accumulant, ou plutôt en les enchaînant, des détails presque vraisemblables.
Il en surnage encore parfois de jolis, comme cette année celui selon lequel un fabricant de matériel informatique allait supprimer le point-virgule sur les claviers des appareils qu’il commercialise. Pour un peu, on s’emporterait contre cette nouvelle absurdité, avant de regarder avec soulagement le calendrier.
Hélas, on ne peut pas en dire autant de bien des choses qui se passent ici-bas, des plus comiques aux plus atroces. Dans ce dernier cas, on est tenté de penser que, si c’est une blague, elle est de mauvais goût. Bien des décisions, bien des projets, de nos jours, semblent puiser leur inspiration dans le Gorafi.
Il en résulte un malaise : d’une part, du fait de l’affadissement du premier avril, et, d’autre part, du fait de l’impression – un brin cauchemardesque – de vivre un premier avril permanent.
Observons qu’il en va de même pour le carnaval : autrefois moment enchanté où l’on se permettait de faire bombance et de se livrer à des excentricités avant de passer aux choses sérieuses – en l’occurrence à l’occasion du carême –, le carnaval, semble-t-il, est devenu permanent, y compris (à mon humble avis) en matière vestimentaire.
Poissons en chocolat
Ces considérations sur le sens du carnaval nous amènent donc à des questions moins profanes : que reste-t-il en Occident d’autres moments qui jadis rythmaient l’année, à savoir les fêtes chrétiennes ? Pas grand-chose, j’en ai peur, sinon quelques vestiges qui ne provoquent guère l’enthousiasme : ruée dans les magasins et excès de table à Noël, indigestion de chocolat et de viandes grasses à Pâques… Nous savons cela depuis des lustres. Ces tristes habitudes ont leur origine chrétienne mais, de même que Chesterton constatait que le monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles, on pourrait dire qu’il est tout aussi plein de coutumes chrétiennes devenues obèses.
Ainsi, boire du bon vin, faire gras et manger des friandises à Pâques peut avoir un sens si l’on s’en est privé pendant le carême (à condition de savoir pourquoi l’on s’en est privé). Seulement, la modernité nous a désappris à nous priver de quoi que ce soit : ce ne serait pas bon pour les affaires – ce qui est évidemment dit d’une autre manière aux foules : en affirmant qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien ou par l’injonction martelée de céder au moindre de ses désirs (en fait aux désirs de ceux qui ont quelque chose à nous vendre).
Cependant, les fêtes de Pâques semblent avoir été moins touchées, c’est-à-dire dénaturées et salies, par les zélateurs – ô combien prosélytes – de Mammon que celles de Noël. Est-ce dû à la saison, à la lumière ? Il est vrai que dans la nuit de l’hiver les illuminations des temples du commerce se voient mieux qu’aux jours plus longs du printemps, qu’ils soient radieux ou grisâtres. Ou alors c’est que s’insinuer dans la célébration d’une naissance est plus à la portée desdits zélateurs de Mammon que de s’insinuer dans celle d’une résurrection.
Et si c’était une chance pour rappeler ce qu’est cette fête essentielle ? Et ainsi rendre à l’année un peu de son rythme, autant dans les apparences qu’en profondeur ?[i]
Poisons d’avril
Bien entendu, il n’y a pas de Pâques sans carême, ni sans Vendredi Saint, de même qu’il n’y a pas de carême ni de Vendredi Saint sans Pâques. Cette année, le Vendredi Saint, l’attention des catholiques a été portée sur nos frères persécutés d’Orient, notamment par des quêtes et des prières. C’est que, pour eux[ii], le Vendredi Saint, en ce moment, est une chose bien réelle.
Or il semble que l’on ait eu à Paris des visions étranges. Aurait-on cru voir Ponce Pilate conduire des rames de métro ? En tout cas, la RATP, au nom de la neutralité du service public[iii], a refusé de faire apparaître sur les affiches annonçant des concerts, que les recettes seraient versées à des œuvres venant en aide aux chrétiens d’Orient. Cette affaire ayant commencé à faire du bruit le premier avril, je confesse avoir cru un instant à un poisson un peu pourri. Or il n’en est rien.
Le scandale a vite enflé et, Dieu merci, la réprobation fut à peu près générale[iv] : tout le monde (ou presque ?) a compris ce qu’a d’indécent cette neutralité entre les assassins et leurs victimes.
Il est vrai, aussi, qu’une filiale du groupe RATP a récemment emporté d’appétissants appels d’offres en Arabie Saoudite. De là à y voir un lien avec le comportement minable de la régie publicitaire de la RATP[v], on ne saurait dire. Dans ce cas, non olet, comme disait un empereur romain dont le nom est longtemps resté associé à des pissotières…

[i] On peut l’espérer, à Paris du moins, en voyant l’augmentation d’année en année du nombre de chemins de croix proposés dans les rues par les paroisses le jour du Vendredi Saint.
[ii] Et pour d’autres à travers le monde. Au Kenya, par exemple.
[iii] Dans ce domaine, si toute référence chrétienne gêne la RATP, que vont devenir des stations du métro parisien comme Sait François-Xavier, Saint Placide, Saint Sulpice, Saint Germain-des-Prés, Saint Michel, Saint Paul, Saint Augustin, Saint Lazare, Saint Georges et quelques autres ? Mais je m’en voudrais d’avoir soufflé une mauvaise idée aux dirigeants de la RATP.
[iv] Même de la part de M. Valls. Ne boudons pas notre plaisir : BRAVO !
[v] Mais ne soyons point trop dur : la RATP a fini par accepter de faire figurer la mention qui la gênait tant.

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