Tout ou presque a été dit
au sujet d’un nommé François Hollande, connu pour occuper un logement de
fonction et des bureaux dans un palais sis faubourg Saint-Honoré. En fait de
tout, c’est surtout du mal qui en a été dit. Rien ne nous a été épargné, jusqu’à
ses cravates toujours de travers. Son apparition télévisée, la semaine
dernière, semble n’avoir suscité que railleries, haussements d’épaules ou, chez
les plus miséricordieux, quelques expressions de pitié. Il en est aussi que sa
personne obsède, au point de dérouler ou de faire défiler derrière un petit
avion une banderole « Hollande démission » partout où se rend ce
citoyen qui se veut normal ; y compris en faisant du hors-sujet lorsque
ledit citoyen s’en est allé inaugurer un monument le 11 novembre.
Or il me semble que M.
Hollande est un homme providentiel. Oui, de ceux dont, nous autres Français,
nous rêvons paraît-il de temps à autre. Voici pourquoi.
Précautions
Avant de me lancer dans
mes explications, quelques précautions me semblent utiles pour éviter à
certains de mes lecteurs de s’étrangler. J’imagine déjà quelques réactions :
« Comment, Hollande,
un homme providentiel ?! Mais on nous a changé notre Chatty Corner !!! »
ou :
« L’auteur a
retourné son loden, ou quoi ? »
ou encore :
« Oh, vous savez, je
le connais, il s’appelle Laval et n’est même pas complètement français. Vous voyez
ce que je veux dire… »
Donc, précisons qu’un
homme providentiel n’est pas nécessairement un sauveur ou un guide. François
Hollande n’est ni Charles de Gaulle, ni Jeanne d’Arc, ni Moïse, ni… Non. C’est
un homme à qui la Providence a donné un rôle. Reste à comprendre lequel.
Une prise
de conscience
Certains d’entre vous se
souviennent peut-être de la loi Taubira de 2013 et des manifestations qu’elle
provoqua en son temps : en quelques mois, à trois reprises, environ un
million[i] de
personnes descendirent dans la rue pour protester contre cette loi. Certains d’entre
vous en étaient peut-être, moi aussi ; ce mouvement continue, d’ailleurs,
ses sujets allant en s’élargissant (sans tourner au fourre-tout) ; il en a
engendré d’autres, parfois fort intéressants (je pense aux Veilleurs,
par exemple). Chez ceux qui veulent bien se donner la peine de raisonner de
manière cohérente, on peut parler (timidement, parfois) de prise de conscience :
sur l’écologie, la politique, le libéralisme et ses impasses… Voilà des gens
obligés de s’interroger et de rechercher des réponses originales, qu’aucun
parti politique ne saurait leur fournir. Et si, en particulier, ces gens
penchaient à droite (moi-même, j’avoue…), ils savent bien qu’aucune
réponse ne viendra des partis qui s’en réclament.
Imaginons maintenant si
la loi Taubira s’était appelée loi Dati, par exemple : eussions-nous
été si nombreux dans ces manifestations, eût-on vu apparaître des Veilleurs,
etc. ? Pas sûr. Beaucoup se fussent dit que, bon, ce genre de disposition
n’est pas leur tasse de thé, mais que, bon, il faut vivre avec son temps, ma
bonne dame…
Du reste, les
gouvernements les mieux placés pour faire passer des avancées sociétales
sont souvent ceux qu’on dit à tort ou à raison conservateurs : qu’on
veuille bien songer à la loi Veil en 1975 pour ce qui est de l’avortement[ii]. A l’autre
bout de la vie, on trouve l’euthanasie : en ce moment, on y songe dans l’Angleterre
gouvernée par les Tories. Ce qui me donne l’occasion de citer un passage
d’un court roman d’anticipation écrit par Evelyn Waugh en 1952 :
« L’euthanasie n’avait
pas été introduite avec le service public sanitaire en 1945 ; c’était une
mesure des Tories destinée à capter les votes des vieillards et des
incurables. »[iii]
Ce n’est que de la
littérature – et d’anticipation – mais un tel avertissement, venant d’un
conservateur à propos de la politique que peuvent mener des conservateurs, est
fort intéressant. Il suffit de voir, en France, comme on se tortille à l’UMP
(ou au FN, d’ailleurs), au sujet des avancées sociétales adoptées ou en projet
pour être édifié. Mais, honnêtement, en étions-nous tous soucieux avant
2012 ?
La république
à l’os
La politique est souvent
sale et ridicule, ce n’est pas d’hier. Songeons d’ailleurs que François
Hollande doit son élection en 2012 plus à la lassitude provoquée par le vain
cirque sarkozyque qu’à ses promesses – y compris le mariage dit pour tous et
les autres joyeusetés sociétales annoncées. Or que voyons-nous depuis ?
La même chose, en pire : Cahuzac, les vaudevilles en scooter, le président
contredit par le premier ministricule venu, le même président, ennemi de la finance
sans visage, qui fait entrer au gouvernement un ponte de la banque
Rotschild… jusqu’à, petit détail, un ministre de la culture qui dit
tranquillement ne pas avoir le temps de s’intéresser à la littérature[iv].
Le lieu commun pour
décrire une telle situation serait : « le roi est nu ». Mais il
faudrait plutôt dire que c’est la république qui est nue. Et que ce n’est pas
une beauté. Plutôt un sac d’os couvert de varices. Elle fait songer au premier
quatrain d’un des derniers sonnets de Ronsard :
Je n’ai plus que
les os, un squelette je semble,
Décharné,
dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de
la mort sans pardon a frappé.
Je n’ose voir
mes bras que de peur je ne tremble.[v]
Nous sommes dans une
basse époque. C’est une épreuve déprimante dont nous ignorons et la durée et l’issue :
une révolution, une contre-révolution, ou la poursuite de cet enfoncement
routinier dans la médiocrité. Cela peut durer encore longtemps. Mais ce qu’il
nous est désormais impossible d’ignorer, c’est que nous sommes en plein dedans.
Grâce aux efforts quotidiens de M. Hollande, nous ne pouvons pas l’oublier. Ne soyons
donc pas ingrats !
[i] Ne chipotons pas sur les
chiffres.
[ii] A ce sujet, une véritable
mesure sociale eût pu consister à donner à des femmes tentées d’avorter les
moyens et les conditions pour accueillir et élever des enfants a priori non
désirés ; aux frais de la communauté, si nécessaire, et sans chercher à
juger ces femmes. Autoriser les avortements me semble plutôt consister à leur
dire : « fiche-nous la paix avec tes problèmes, débarrasse-nous le
plancher. »
[iii] Traduction maison de "Euthanasia had not been part of the 1945 Health Service; it was a Tory
measure designed to attract votes from the aged and mortally sick.”, dans Love Among The Ruins, A Romance Of The Near
Future. Il ne semble pas que ce petit bijou ait été traduit
en français.
[iv] On m’objectera que
pendant les deux ans où elle avoue n’avoir pas lu un livre, Mme Pellerin n’était
pas encore ministre de la culture. Soit, mais, connaissant ce détail, il eût
mieux valu ne pas la nommer à ce poste. Surtout après avoir raillé le peu de
goût de M. Sarkozy pour La princesse de
Clèves…
[v] J’ignore si cette
république agonise, mais voilà de beaux vers, biens crus. Jouons un peu et
imaginons les réactions des présidents successifs de la cinquième république
après les avoir entendus :
Charles de
Gaulle aurait certainement prononcé quelques généralités aimables sur la
grandeur éternelle de la poésie française.
Georges Pompidou
aurait complété à voix haute le sonnet ainsi cité, avant d’en réciter une
douzaine d’autres, la clope au bec.
Valéry Giscard d’Estaing,
après un « hmmmm » dont il a le secret, se serait sans doute imaginé
auprès de la destinataire d’autres sonnets de Ronsard, dans le château
renaissance d’un ancêtre qu’il aurait découvert depuis peu. La dame serait
assez découverte elle aussi. Devant la cheminée, un bon chien serait sagement
couché.
François
Mitterrand, malicieux, eût cité les titres de quelques sonnets de Ronsard
non récités par Georges Pompidou.
Jacques Chirac
eût fait remarquer combien Ronsard est universel. Et se serait servi une bière.
Nicolas Sarkozy
eût bougonné : « oh, vous savez, moi, je vais vous dire une bonne
chose, eh bien, Baudelaire, Verlaine, tout ça, hein, c’est pas mon truc, ça m’emmerde
un peu » (rire gras et approbateur de Brice Hortefeux, scandale à gauche).
François
Hollande dirait sans doute : « euh… ».
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