samedi 15 novembre 2014

Un homme providentiel

Tout ou presque a été dit au sujet d’un nommé François Hollande, connu pour occuper un logement de fonction et des bureaux dans un palais sis faubourg Saint-Honoré. En fait de tout, c’est surtout du mal qui en a été dit. Rien ne nous a été épargné, jusqu’à ses cravates toujours de travers. Son apparition télévisée, la semaine dernière, semble n’avoir suscité que railleries, haussements d’épaules ou, chez les plus miséricordieux, quelques expressions de pitié. Il en est aussi que sa personne obsède, au point de dérouler ou de faire défiler derrière un petit avion une banderole « Hollande démission » partout où se rend ce citoyen qui se veut normal ; y compris en faisant du hors-sujet lorsque ledit citoyen s’en est allé inaugurer un monument le 11 novembre.
Or il me semble que M. Hollande est un homme providentiel. Oui, de ceux dont, nous autres Français, nous rêvons paraît-il de temps à autre. Voici pourquoi.
Précautions
Avant de me lancer dans mes explications, quelques précautions me semblent utiles pour éviter à certains de mes lecteurs de s’étrangler. J’imagine déjà quelques réactions :
« Comment, Hollande, un homme providentiel ?! Mais on nous a changé notre Chatty Corner !!! »
ou :
« L’auteur a retourné son loden, ou quoi ? »
ou encore :
« Oh, vous savez, je le connais, il s’appelle Laval et n’est même pas complètement français. Vous voyez ce que je veux dire… »
Donc, précisons qu’un homme providentiel n’est pas nécessairement un sauveur ou un guide. François Hollande n’est ni Charles de Gaulle, ni Jeanne d’Arc, ni Moïse, ni… Non. C’est un homme à qui la Providence a donné un rôle. Reste à comprendre lequel.
Une prise de conscience
Certains d’entre vous se souviennent peut-être de la loi Taubira de 2013 et des manifestations qu’elle provoqua en son temps : en quelques mois, à trois reprises, environ un million[i] de personnes descendirent dans la rue pour protester contre cette loi. Certains d’entre vous en étaient peut-être, moi aussi ; ce mouvement continue, d’ailleurs, ses sujets allant en s’élargissant (sans tourner au fourre-tout) ; il en a engendré d’autres, parfois fort intéressants (je pense aux Veilleurs, par exemple). Chez ceux qui veulent bien se donner la peine de raisonner de manière cohérente, on peut parler (timidement, parfois) de prise de conscience : sur l’écologie, la politique, le libéralisme et ses impasses… Voilà des gens obligés de s’interroger et de rechercher des réponses originales, qu’aucun parti politique ne saurait leur fournir. Et si, en particulier, ces gens penchaient à droite (moi-même, j’avoue…), ils savent bien qu’aucune réponse ne viendra des partis qui s’en réclament.
Imaginons maintenant si la loi Taubira s’était appelée loi Dati, par exemple : eussions-nous été si nombreux dans ces manifestations, eût-on vu apparaître des Veilleurs, etc. ? Pas sûr. Beaucoup se fussent dit que, bon, ce genre de disposition n’est pas leur tasse de thé, mais que, bon, il faut vivre avec son temps, ma bonne dame…
Du reste, les gouvernements les mieux placés pour faire passer des avancées sociétales sont souvent ceux qu’on dit à tort ou à raison conservateurs : qu’on veuille bien songer à la loi Veil en 1975 pour ce qui est de l’avortement[ii]. A l’autre bout de la vie, on trouve l’euthanasie : en ce moment, on y songe dans l’Angleterre gouvernée par les Tories. Ce qui me donne l’occasion de citer un passage d’un court roman d’anticipation écrit par Evelyn Waugh en 1952 :
« L’euthanasie n’avait pas été introduite avec le service public sanitaire en 1945 ; c’était une mesure des Tories destinée à capter les votes des vieillards et des incurables. »[iii]
Ce n’est que de la littérature – et d’anticipation – mais un tel avertissement, venant d’un conservateur à propos de la politique que peuvent mener des conservateurs, est fort intéressant. Il suffit de voir, en France, comme on se tortille à l’UMP (ou au FN, d’ailleurs), au sujet des avancées sociétales adoptées ou en projet pour être édifié. Mais, honnêtement, en étions-nous tous soucieux avant 2012 ?
La république à l’os
La politique est souvent sale et ridicule, ce n’est pas d’hier. Songeons d’ailleurs que François Hollande doit son élection en 2012 plus à la lassitude provoquée par le vain cirque sarkozyque qu’à ses promesses – y compris le mariage dit pour tous et les autres joyeusetés sociétales annoncées. Or que voyons-nous depuis ? La même chose, en pire : Cahuzac, les vaudevilles en scooter, le président contredit par le premier ministricule venu, le même président, ennemi de la finance sans visage, qui fait entrer au gouvernement un ponte de la banque Rotschild… jusqu’à, petit détail, un ministre de la culture qui dit tranquillement ne pas avoir le temps de s’intéresser à la littérature[iv].
Le lieu commun pour décrire une telle situation serait : « le roi est nu ». Mais il faudrait plutôt dire que c’est la république qui est nue. Et que ce n’est pas une beauté. Plutôt un sac d’os couvert de varices. Elle fait songer au premier quatrain d’un des derniers sonnets de Ronsard :
 
Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé.
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.[v]
Nous sommes dans une basse époque. C’est une épreuve déprimante dont nous ignorons et la durée et l’issue : une révolution, une contre-révolution, ou la poursuite de cet enfoncement routinier dans la médiocrité. Cela peut durer encore longtemps. Mais ce qu’il nous est désormais impossible d’ignorer, c’est que nous sommes en plein dedans. Grâce aux efforts quotidiens de M. Hollande, nous ne pouvons pas l’oublier. Ne soyons donc pas ingrats !




[i] Ne chipotons pas sur les chiffres.
[ii] A ce sujet, une véritable mesure sociale eût pu consister à donner à des femmes tentées d’avorter les moyens et les conditions pour accueillir et élever des enfants a priori non désirés ; aux frais de la communauté, si nécessaire, et sans chercher à juger ces femmes. Autoriser les avortements me semble plutôt consister à leur dire : « fiche-nous la paix avec tes problèmes, débarrasse-nous le plancher. »
[iii] Traduction maison de "Euthanasia had not been part of the 1945 Health Service; it was a Tory measure designed to attract votes from the aged and mortally sick.”, dans Love Among The Ruins, A Romance Of The Near Future. Il ne semble pas que ce petit bijou ait été traduit en français.
[iv] On m’objectera que pendant les deux ans où elle avoue n’avoir pas lu un livre, Mme Pellerin n’était pas encore ministre de la culture. Soit, mais, connaissant ce détail, il eût mieux valu ne pas la nommer à ce poste. Surtout après avoir raillé le peu de goût de M. Sarkozy pour La princesse de Clèves
[v] J’ignore si cette république agonise, mais voilà de beaux vers, biens crus. Jouons un peu et imaginons les réactions des présidents successifs de la cinquième république après les avoir entendus :
Charles de Gaulle aurait certainement prononcé quelques généralités aimables sur la grandeur éternelle de la poésie française.
Georges Pompidou aurait complété à voix haute le sonnet ainsi cité, avant d’en réciter une douzaine d’autres, la clope au bec.
Valéry Giscard d’Estaing, après un « hmmmm » dont il a le secret, se serait sans doute imaginé auprès de la destinataire d’autres sonnets de Ronsard, dans le château renaissance d’un ancêtre qu’il aurait découvert depuis peu. La dame serait assez découverte elle aussi. Devant la cheminée, un bon chien serait sagement couché.
François Mitterrand, malicieux, eût cité les titres de quelques sonnets de Ronsard non récités par Georges Pompidou.
Jacques Chirac eût fait remarquer combien Ronsard est universel. Et se serait servi une bière.
Nicolas Sarkozy eût bougonné : « oh, vous savez, moi, je vais vous dire une bonne chose, eh bien, Baudelaire, Verlaine, tout ça, hein, c’est pas mon truc, ça m’emmerde un peu » (rire gras et approbateur de Brice Hortefeux, scandale à gauche).
François Hollande dirait sans doute : « euh… ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).