samedi 29 novembre 2014

Politique ensuite

Deux événements de la semaine qui se termine, outre ma paresse, m’ont poussé à remettre à mon prochain bavardage quelque petite spécialité littéraire dont je me promettais de vous faire profiter. Mais voici donc pour l’actualité…
Le pape à Strasbourg
Le cirque habituel, je veux dire les protestations de M. Mélenchon et les tout aussi prévisibles crétineries des Femen, n’auront pas réussi à éclipser la visite du pape au parlement européen ce mardi ni le discours qu’il a prononcé devant les députés dudit parlement. Ce discours, résumé assez complet d’un point de vue chrétien sur les affaires du monde, a été fort applaudi. Ce qui n’est pas sans ironie, vu qu’il fait en quelque sorte la synthèse du contraire de tout ce qui est à la mode chez les responsables politiques, en particulier à l’échelon européen. Mettons donc ces applaudissements en partie sur le compte de la politesse.
Ce discours a donné lieu à toutes sortes de commentaires, souvent erronés. L’hostilité traditionnelle d’une partie de la gauche a déjà été évoquée ; ne nous y étendons pas, ce sont des névroses bien connues qui se manifestent par une logorrhée plutôt usée (vous savez, l’inquisition, tout ça…). Une autre partie de la gauche, en revanche, semble être tombée en pâmoison devant le pape François. Il paraîtrait qu’il change tout, que c’est autre chose que Benoît XVI, voyez ce beau discours où il parle de l’accueil des immigrés, des injustices du capitalisme… Que ce discours révèle par certaines des citations qu’il utilise que Benoît XVI ne disait pas autre chose, voilà qui n’est apparemment pas pour les troubler. Car, voyez-vous, Benoît XVI, c’était un vilain pape, bien réac et tout et tout, un Panzerkardinal, d’ailleurs il est Allemand. Horreur !
Fait amusant, ce sont les mêmes sottises qui ont parfois fait admirer Benoît XVI à une droite peu chrétienne, ou disons pour laquelle l’Eglise est un élément traditionnel de l’ordre social et du décor, censé bénir les nantis et consoler les pauvres. Les propos du pape François surprennent ces gens de droite et leur déplaisent, du coup : ouh, ouh, le méchant gauchiste ! ou : c’est mou, Benoît XVI c’était plus musclé[i]. Ils commettent donc la même erreur que leurs frères de gauche.
A droite, il y a aussi de braves gens, par ailleurs catholiques, dont la sincérité n’est a priori pas à mettre en doute, mais dont la maladresse agace parfois. Pour eux, le discours du pape à Strasbourg est une révélation : délices, orgues et encens, il est en fait con-ser-va-teur, oui, comme Benoît XVI !!! Ah, il est joueur, il nous avait fait peur en le cachant jusqu’ici ! Nous voilà rassurés !
Bon. Passons sur la surprise causée par cette continuité. Ces gens pourraient quand même se renseigner un peu. Quant à dire que c’est du conservatisme, voilà qui est un peu court et tout à fait inadéquat. L’Eglise catholique et le pape n’entrent pas dans ces petites boîtes.
Ce dernier type d’erreur finit par faire sortir certaines personnes, mieux informées, de leurs gonds, comme ici Patrice de Plunkett. Son article serait tout à fait juste avec un titre un peu plus nuancé. Il aurait pu titrer A droite, on est parfois complaisamment borgne, plutôt que Aveugle volontaire, la droite… Pourquoi borgne ? Ne condamnons pas ces braves gens à la cécité ; signalons-leur simplement leur erreur[ii] (laquelle put frapper naguère, de manière symétrique, ce qu’on nommait les chrétiens de gauche), qui réside dans le vieux truc maurrassien du politique d’abord. Cela ne marche pas ainsi dans l’univers catholique. Ce serait même l’inverse : la pensée et l’action politique seraient plutôt à voir comme des conséquences. Ce qui évite de tomber dans les formes de religiosité dégénérée que revêt souvent la politique.
Alors, que peut faire un catholique, dans ce cas ? Par exemple s’informer[iii] de ce qu’a dit le pape, et tout prendre. Quitte à être bousculé dans ses habitudes.
Le sacré républicain
L’Assemblée nationale, cette semaine, à l’occasion du quarantième anniversaire de la dépénalisation de l’avortement, a voté une résolution faisant de cette opération un droit fondamental. Enfin, l’Assemblée nationale : environ un quart des députés, en l’absence des autres. Grand moment démocratique. Seul sept des députés présents ont voté contre.
L’objet de mes propos n’est pas de refaire un grand débat sur l’avortement. Tous les arguments pour ou contre sont à peu près connus (et on trouvera ici ce que j’en pense ; ô surprise, je suis contre). Mais il faut quand même remarquer qu’en faisant de l’avortement un droit fondamental, cette résolution en fait en quelque sorte un dogme sacré de la Rrrrépublique : s’y opposer, c’est désormais s’affirmer un hérétique, un ennemi de la liberté, dont on sait depuis Saint-Just qu’il ne mérite pas la liberté. Réjouissante perspective, qui permettra sans doute d’enrichissantes discussions.
A propos d’hérétiques, parmi les élus qui ont voté contre cette résolution, on trouve M. Jean-Christophe Fromantin, député UDI des Hauts-de-Seine. Celui-ci s’est fait rudement tancer par Mme Jouanno, sénatrice du même parti, qui considère qu’il n’a plus sa place à l’UDI. Bon, Mme Jouanno ou rien… Certes, mais on pourrait suggérer à M. Fromantin de prendre à la lettre de tels propos, de quitter l’UDI et surtout de ne s’inscrire à aucun autre parti : il sera ainsi libre d’exprimer ses convictions et, qui sait, de représenter sereinement ses électeurs, sans avoir à obéir aux consignes de quelque parti que ce soit. Un parti n’est pas une Eglise, ce n’est souvent qu’une coalition d’intérêts passagers et de vagues affinités d’idées : il est curieux de voir comme des gens qui ont le mot laïcité plein la bouche peuvent monter sur leurs grands chevaux dès qu’un de leurs camarades dévie d’un iota de la ligne du parti
Une mésaventure du même genre était arrivée ce printemps à M. José Bové, un des rares écologistes cohérents à EELV, lorsqu’il avait mentionné son opposition à toute manipulation du genre PMA ou GPA (tant défendues par ses petits camarades). On sait quelle volée de bois vert (ou plutôt de langue de bois verte) il reçut à cette occasion.
Ce n’est pas M. Jacques Bompard qui court ce risque, puisque ce député du Vaucluse est non inscrit. A l’occasion du vote de la susdite résolution, il a prononcé pour exprimer son opposition un discours assez beau – quoique d’un style un peu oratoire à mon goût – et assez courageux, sachant qu’il ne lui attirerait que les ricanements et les sarcasmes de ses quelques collègues présents.
Naturellement, de fins esprits m’accuseront de sympathies pour l’extrême droite, puisque j’admire le comportement qu’a eu M. Bompard et les propos qu’il a tenus, vu que M. Bompard n’est pas précisément de centre-gauche. Eh bien non. La politique ne me servant pas de substitut à la religion (j’ai tout ce qu’il faut de ce côté-là), je picore, je savoure, je prends et je laisse ici ou là, où je veux : chez M. Bompard, chez M. Fromantin ou chez M. Bové. Rien ne m’engage. Aucun d’eux n’est le pape.
(Et, la prochaine fois, causons littérature, si vous voulez.)




[i] Il paraît qu’Éric Zemmour, nouvelle idole des conservateurs et épouvantail du camp du bien, s’est fendu de quelques remarques de ce genre cette semaine. Et qu’il aurait fait amende honorable depuis. En tout cas, il s’est fort bien fait remettre à sa place ici et . Ou encore (ajout du 1er décembre).
[ii] A condition que tous ces gens soient de bonne foi, ce qui n’est pas toujours le cas. Une analyse intéressante est fournie ici par Henri Hude.
[iii] Comme je citais plus haut Patrice de Plunkett, celui-ci a eu l’excellente idée de mettre en ligne le discours prononcé par le pape, ici.

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