Deux événements de la
semaine qui se termine, outre ma paresse, m’ont poussé à remettre à mon
prochain bavardage quelque petite spécialité littéraire dont je me promettais
de vous faire profiter. Mais voici donc pour l’actualité…
Le pape
à Strasbourg
Le cirque habituel, je
veux dire les protestations de M. Mélenchon et les tout aussi prévisibles
crétineries des Femen, n’auront pas réussi à éclipser la visite du pape
au parlement européen ce mardi ni le discours qu’il a prononcé devant les
députés dudit parlement. Ce discours, résumé assez complet d’un point de vue
chrétien sur les affaires du monde, a été fort applaudi. Ce qui n’est pas sans
ironie, vu qu’il fait en quelque sorte la synthèse du contraire de tout ce qui
est à la mode chez les responsables politiques, en particulier à l’échelon
européen. Mettons donc ces applaudissements en partie sur le compte de la
politesse.
Ce discours a donné lieu
à toutes sortes de commentaires, souvent erronés. L’hostilité traditionnelle d’une
partie de la gauche a déjà été évoquée ; ne nous y étendons pas, ce sont
des névroses bien connues qui se manifestent par une logorrhée plutôt usée
(vous savez, l’inquisition, tout ça…). Une autre partie de la gauche, en
revanche, semble être tombée en pâmoison devant le pape François. Il paraîtrait
qu’il change tout, que c’est autre chose que Benoît XVI, voyez ce beau discours
où il parle de l’accueil des immigrés, des injustices du capitalisme… Que ce
discours révèle par certaines des citations qu’il utilise que Benoît XVI ne
disait pas autre chose, voilà qui n’est apparemment pas pour les troubler. Car,
voyez-vous, Benoît XVI, c’était un vilain pape, bien réac et tout et tout, un Panzerkardinal,
d’ailleurs il est Allemand. Horreur !
Fait amusant, ce sont les
mêmes sottises qui ont parfois fait admirer Benoît XVI à une droite peu
chrétienne, ou disons pour laquelle l’Eglise est un élément traditionnel de l’ordre
social et du décor, censé bénir les nantis et consoler les pauvres. Les propos
du pape François surprennent ces gens de droite et leur déplaisent, du coup :
ouh, ouh, le méchant gauchiste ! ou : c’est mou, Benoît XVI c’était
plus musclé[i]. Ils
commettent donc la même erreur que leurs frères de gauche.
A droite, il y a aussi de
braves gens, par ailleurs catholiques, dont la sincérité n’est a priori pas à
mettre en doute, mais dont la maladresse agace parfois. Pour eux, le discours
du pape à Strasbourg est une révélation : délices, orgues et encens, il
est en fait con-ser-va-teur, oui, comme Benoît XVI !!! Ah, il est joueur,
il nous avait fait peur en le cachant jusqu’ici ! Nous voilà rassurés !
Bon. Passons sur la
surprise causée par cette continuité. Ces gens pourraient quand même se
renseigner un peu. Quant à dire que c’est du conservatisme, voilà qui est un
peu court et tout à fait inadéquat. L’Eglise catholique et le pape n’entrent
pas dans ces petites boîtes.
Ce dernier type d’erreur
finit par faire sortir certaines personnes, mieux informées, de leurs gonds,
comme ici Patrice de Plunkett. Son article serait tout à fait juste avec un
titre un peu plus nuancé. Il aurait pu titrer A droite, on est parfois
complaisamment borgne, plutôt que Aveugle volontaire, la droite…
Pourquoi borgne ? Ne condamnons pas ces braves gens à la cécité ; signalons-leur
simplement leur erreur[ii]
(laquelle put frapper naguère, de manière symétrique, ce qu’on nommait les chrétiens
de gauche), qui réside dans le vieux truc maurrassien du politique d’abord.
Cela ne marche pas ainsi dans l’univers catholique. Ce serait même l’inverse :
la pensée et l’action politique seraient plutôt à voir comme des conséquences. Ce
qui évite de tomber dans les formes de religiosité dégénérée que revêt souvent
la politique.
Alors, que peut faire un
catholique, dans ce cas ? Par exemple s’informer[iii] de
ce qu’a dit le pape, et tout prendre. Quitte à être bousculé dans ses
habitudes.
Le sacré
républicain
L’Assemblée nationale,
cette semaine, à l’occasion du quarantième anniversaire de la dépénalisation de
l’avortement, a voté une résolution faisant de cette opération un droit
fondamental. Enfin, l’Assemblée nationale : environ un quart des
députés, en l’absence des autres. Grand moment démocratique. Seul sept des
députés présents ont voté contre.
L’objet de mes propos n’est
pas de refaire un grand débat sur l’avortement. Tous les arguments pour ou
contre sont à peu près connus (et on trouvera ici ce que j’en pense ; ô
surprise, je suis contre). Mais il faut quand même remarquer qu’en faisant de l’avortement
un droit fondamental, cette résolution en fait en quelque sorte un dogme
sacré de la Rrrrépublique : s’y opposer, c’est désormais s’affirmer un
hérétique, un ennemi de la liberté, dont on sait depuis Saint-Just qu’il
ne mérite pas la liberté. Réjouissante perspective, qui permettra sans doute d’enrichissantes
discussions.
A propos d’hérétiques,
parmi les élus qui ont voté contre cette résolution, on trouve M. Jean-Christophe
Fromantin, député UDI des Hauts-de-Seine. Celui-ci s’est fait rudement tancer
par Mme Jouanno, sénatrice du même parti, qui considère qu’il n’a plus sa place
à l’UDI. Bon, Mme Jouanno ou rien… Certes, mais on pourrait suggérer à M.
Fromantin de prendre à la lettre de tels propos, de quitter l’UDI et surtout de
ne s’inscrire à aucun autre parti : il sera ainsi libre d’exprimer ses
convictions et, qui sait, de représenter sereinement ses électeurs, sans avoir
à obéir aux consignes de quelque parti que ce soit. Un parti n’est pas une
Eglise, ce n’est souvent qu’une coalition d’intérêts passagers et de vagues affinités
d’idées : il est curieux de voir comme des gens qui ont le mot laïcité
plein la bouche peuvent monter sur leurs grands chevaux dès qu’un de leurs
camarades dévie d’un iota de la ligne du parti…
Une mésaventure du même
genre était arrivée ce printemps à M. José Bové, un des rares écologistes
cohérents à EELV, lorsqu’il avait mentionné son opposition à toute manipulation
du genre PMA ou GPA (tant défendues par ses petits camarades). On sait quelle
volée de bois vert (ou plutôt de langue de bois verte) il reçut à cette
occasion.
Ce n’est pas M. Jacques
Bompard qui court ce risque, puisque ce député du Vaucluse est non inscrit. A l’occasion
du vote de la susdite résolution, il a prononcé pour exprimer son opposition un
discours assez beau – quoique d’un style un peu oratoire à mon goût – et assez
courageux, sachant qu’il ne lui attirerait que les ricanements et les sarcasmes
de ses quelques collègues présents.
Naturellement, de fins
esprits m’accuseront de sympathies pour l’extrême droite, puisque j’admire le
comportement qu’a eu M. Bompard et les propos qu’il a tenus, vu que M. Bompard
n’est pas précisément de centre-gauche. Eh bien non. La politique ne me servant
pas de substitut à la religion (j’ai tout ce qu’il faut de ce côté-là), je
picore, je savoure, je prends et je laisse ici ou là, où je veux : chez M.
Bompard, chez M. Fromantin ou chez M. Bové. Rien ne m’engage. Aucun d’eux n’est
le pape.
(Et, la prochaine fois,
causons littérature, si vous voulez.)
[i] Il paraît
qu’Éric Zemmour, nouvelle idole des conservateurs et épouvantail du camp du
bien, s’est fendu de quelques remarques de ce genre cette semaine. Et qu’il
aurait fait amende honorable depuis. En tout cas, il s’est fort bien fait
remettre à sa place ici et là. Ou encore là (ajout du 1er décembre).
[ii] A condition
que tous ces gens soient de bonne foi, ce qui n’est pas toujours le cas. Une
analyse intéressante est fournie ici par Henri Hude.
[iii] Comme je citais plus
haut Patrice de Plunkett, celui-ci a eu l’excellente idée de mettre en ligne le
discours prononcé par le pape, ici.
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