Jamais, si je ne me
trompe, on n’avait fait beaucoup de bruit autour de la tour Triangle avant
lundi dernier. Il faut dire que la tournure politicienne et partant bouffonne
qu’a prise cette affaire permet d’en parler en dehors du XVe arrondissement de
Paris et des cénacles d’architectes.
Quelques
rappels
Ce 17 novembre, en effet,
le déclassement du terrain où il était prévu de construire cette tour était
soumis au vote du Conseil de Paris. Sans déclassement, pas de tour Triangle. Et
là, patatras, effondrement chez les partisans du projet : le déclassement
est rejeté par 83 voix contre 78. Plus de tour Triangle, n-i, ni, fini !
Soulagement chez quelques Parisiens, dont votre serviteur. C’était sans compter
sur l’opiniâtreté de Mme Hidalgo, désormais maire de Paris, laquelle a plus d’un-e[i] tour
dans son sac, puisqu’elle a décidé d’avoir recours à la justice pour faire annuler
ce vote.
La presse, à l’occasion
de cet épisode, l’a assez fait comprendre : ce projet est absurde et presque
indécent, puisqu’il consiste à implanter un immense immeuble de bureaux dans
Paris, qui regorge de bureaux vides et où se loger est souvent fort onéreux. Ajoutons
à cela la laideur[ii]
du bâtiment qu’il était prévu de construire, sa démesure et les désagréments qu’aurait
causés aux riverains (dont je suis) le chantier, et le tableau est dressé (ce
que j’avais déjà fait ici il y a déjà presque un an).
Mais, pour ce qui est des
désagréments causés par un tel bâtiment, qui se soucie des riverains ?
Apparemment, le XVe arrondissement de Paris est peuplé de petits êtres
discrets, sinon invisibles.
Mauvais
joueurs
Lisez-vous la grosse
presse en ligne ? Et les commentaires souvent navrants par leur simplisme[iii] qu’y
laissent les internautes de base ? Au sujet de la tour Triangle et du vote
du 17 novembre, ils peuvent être classés en trois catégories.
La première est composée
de ceux qui se désolent de l’abandon d’un si magnifique projet, par la faute de
quelques conservateurs moisis alliés à quelques écologistes fanatiques. Les riverains
n’auront qu’à se reconnaître chez les uns ou les autres et à apprécier ce
jugement, typique du bourgeois libéral (ami du business, de la
modernité, du béton qui coule au milieu de grues immenses dans un film d’entreprise
accompagné d’une musique forcément dynamique jouée par des synthétiseurs
poussifs) ou progressiste (qu’enchante l’audace du geste architectural).
La deuxième est peu
nombreuse ; elle est composée de ceux qui voient un complot des frères
trois points dès qu’un objet vaguement triangulaire passe dans leur champ de
vision. Disons qu’ils contribuent à un certain folklore.
La troisième se compose
de ceux qui crient à la dictature socialiste à tout propos : à l’en
croire, puisque Mme Hidalgo est mauvaise perdante et appartient au PS, son
attitude (aussi grotesque que malhonnête, mais nous y reviendrons) est
typiquement socialiste. D’ailleurs, depuis le 6 mai 2012, la France est un
vaste goulag dont seul M. Sarkozy saura ouvrir les portes ; et il faudrait
se demander si Mme Hidalgo n’entretient pas une liaison avec Kim-Jong-Un.
Ecartons la deuxième
catégorie, et intéressons-nous à la troisième. Certes, il est peu démocratique de
la part de Mme Hidalgo de chercher à annuler un vote dès que le résultat lui
déplaît, mais je ne vois pas en quoi cela est typiquement socialiste. Ceux qui
le croient et rêvent de M. Sarkozy devraient se souvenir du traité de Lisbonne,
œuvre de ce dernier et décalque d’un traité constitutionnel européen rejeté par
les Français lors d’un référendum bien connu en 2005.
Quant à la première
catégorie, on peut dire que bon nombre de gens de gauche peuvent y être
classés. De la gauche moderne, bien sûr, audacieuse, sociétale, culturelle et
tout et tout (mais on doit bien aussi y trouver des gens de droite tout aussi
modernes et audacieux, etc. etc.). Rappelons-leur un petit fait amusant :
ce printemps, la presse s’amusa beaucoup de l’échec de Mme Kosciuszko-Morizet,
candidate de l’UMP à la mairie de Paris, qui ne parvint même pas à se faire
élire dans le XIVe arrondissement. Mais ces fins observateurs se gardèrent bien
d’appendre à compter jusqu’à quinze, puisqu’ils auraient découvert que Mme
Hidalgo, de son côté, prit ce qu’il est convenu d’appeler une raclée, son
concurrent le plus important manquant de peu d’être élu maire du XVe dès le
premier tour. Je ne sais si les faibles résultats de Mme Hidalgo sont liés au
projet de la tour Triangle. Mais j’ai comme l’impression que Mme Hidalgo a un
problème avec le XVe arrondissement.
Alors, ensuite, les
chamailleries entre ces deux dames après le vote…
Gamineries
Rappelons la raison
invoquée par Mme Hidalgo pour demander l’annulation de ce vote : il devait
s’agir d’un vote à bulletins secrets, or certains des votants ont montré leurs
bulletins, ce qui constituerait une irrégularité. Les élus parisiens qui se
sont ainsi comportés ont protesté en indiquant que Mme Hidalgo ne les avait en
rien empêchés de montrer leurs bulletins au moment du vote.
N’étant pas juriste, j’ignore
si de telles dispositions et de tels arguments ont quelque valeur légale que ce
soit. Cependant, force est d’observer que les élus qui ont ainsi exhibé leurs
bulletins ont fait preuve de maladresse ou d’imprudence. Ils eussent pu se
douter de quelle mauvaise foi et de quelles ruses grossières serait capable Mme
Hidalgo en cas de résultat défavorable. Il leur eût suffi de voter comme ils l’ont
fait, sans montrer leurs bulletins.
Alors, de deux choses l’une :
ou bien cette maladresse était volontaire, histoire de se donner l’air de faire
de l’opposition… sans réellement s’opposer au projet ; ou bien elle ne l’était
pas, et les élus parisiens ont montré que n’importe quel benêt peut les berner.
Ce qui illustre assez bien le problème que posent bien des politiciens :
se comportent-ils de manière cynique et méprisante ou en mêlant jobardise et
gaminerie[iv] ?
Je penche parfois pour la seconde hypothèse, venant de lire un amusant et léger
roman anglais paru dans les années 1930, Charivari[v], où l’on
voit un asile pour pairs déments reproduisant à l’identique la chambre des
Lords : ces messieurs y votent même des lois…
[i] Je ne voudrais pas passer
pour un affreux sexiste ! J’aurais pu aussi parler des tours de Mme Hidalgo, en référence aux tours de M. Panado, chers à Alexandre Vialatte.
[ii] On a vanté la « transparence »
du bâtiment. Je veux bien, mais que je sache, ni les meubles, ni les servitudes,
ni les cloisons n’auraient été transparentes. Et encore moins les éventuelles
personnes qui s’y seraient aventurées.
[iii] Sans parler du massacre
de notre langue auquel ils permettent d’assister…
[iv] Résumons l’affaire en un
dialogue simple :
-
On avait dit qu’on montrait pas les bulletins. Vous êtes
des méchants. Et puis le vote il compte même pas, na.
-
Ouais, c’est pas juste, tu l’as pas dit quand on
montrait nos bulletins ! Et puis t’es qu’une mauvaise joueuse !
[v] Wigs on the
Green (1935), de Nancy Mitford.
Ajout du 30 juin 2015 : et ça n'a pas manqué ! Le conseil de Paris a voté à nouveau et, surprise ! Cette fois le projet a emporté une majorité des suffrages. Cela s'appelle la démocratie, paraît-il.
RépondreSupprimerS.L.