Résumé des épisodes précédents (1 et 2) : les
Muses, après avoir subi la vantardise bavarde d’un marquis pervers, ont pu
constater, deux siècles plus tard, alors que le marquis a encore ses
admirateurs, qu’il n’en va pas de même pour un malheureux pompiste tout aussi
dérangé. Sautant encore quelques lustres, les voici arrivées à Paris, où un
certain type de mobilier urbain les plonge dans la perplexité.
Tree, ce n’est bien entendu pas trois mal
traduit en anglais, mais le nom d’une installation qui a causé quelque bruit
dans Paris en octobre.
Scandale
place Vendôme
Brossons le tableau à
grands traits : au moment de l’édition 2014 de la FIAC, on put voir
s’ériger place Vendôme un immense objet de couleur verte que l’on pourrait, en
toute objectivité décrire comme un cylindre surmonté de trois portions de
cônes, la première se rétrécissant vers le haut, la seconde s’élargissant vers
le haut et la troisième se rétrécissant vers le haut, finissant par sa
pointe ; les jointures entre ces différentes formes, ainsi que la pointe
du dernier cône, étaient arrondies et l’ensemble était constitué par une
structure gonflable. Cette installation, intitulée Tree, donc, était
l’œuvre, si l’on peut dire, d’un artiste nommé Paul McCarthy[i]. Notons
qu’outre faire la publicité de la FIAC, l’objet était installé à Paris
concomitamment à l’ouverture d’une exposition du même McCarthy à la Monnaie de
Paris, Chocolate Factory, présentant des lutins priapiques en chocolat.
Cette installation fit
scandale, quelques âmes vertueuses (outre l’artiste lui-même, de son
propre aveu) voulant y voir un plug anal[ii]. A
tel point qu’un petit groupe de ses contempteurs parvinrent à la dégonfler et
qu’un autre de ces contempteurs asséna une paire de gifles à M. McCarthy.
D’où un nouveau
scandale : à en croire la gauche gouvernementale, la liberté de création
artistique aurait été menacée, M. Hollande (désœuvré en cette
mi-octobre ?) regrettant cette souillure et Mme Pellerin[iii]
redoutant un retour des conceptions esthétiques nationales-socialistes rejetant
un supposé art dégénéré.
Morale
automnale
Quel sérieux chez tous
ces gens ! Passons sur les cris indignés de la bourgeoisie de gauche et de
ses représentants au pouvoir : simple rhétorique politicienne, aussi
creuse et à côté de la plaque que d’habitude. Les âmes vertueuses, quant à
elles, ont donné les bâtons pour se faire battre, en dénonçant l’érection d’un plug
anal géant place Vendôme : occasion rêvée pour les serveurs de soupe
de la grosse presse de les tourner en ridicule en signalant qu’il faut avoir
l’esprit bien mal placé pour voir un tel objet dans ce qui avait été nommé
« arbre ». Et de voir dans les dégonfleurs des catholiques ultras
du Printemps français ou de la Manif pour tous[iv].
J’ignore, du reste, quel
put être l’état d’esprit, ou l’humeur, desdits dégonfleurs ; j’y
reviendrai plus bas. Mais ce qui est sûr est qu’aller gifler M. McCarthy était
particulièrement stupide : d’abord parce que ce n’est pas bien, ensuite
parce que c’est faire beaucoup d’honneur à l’intéressé.
Tirez
la langue au diable !
Qu’est l’œuvre de
Paul McCarthy ? Renseignements pris, à peu près rien : quelques
performances où le monsieur s’est montré couvert de diverses matières (y
compris corporelles), des statues niaises montrant des formes phalliques, ou
des installations gonflables, comme par exemple des étrons géants (en quelque
sorte une œuvre qui est son propre commentaire). Son seul prestige réside dans
son statut autoproclamé d’artiste, certifié par quelques critiques d’art à la
mode, quelques marchands d’art et quelques grands bourgeois avancés qui
tremblent de terreur à l’idée de ne pas avoir l’air de comprendre quelque chose
à l’art contemporain et à sa teneur bien évidemment transgressive, subversive
et dérangeante. Un bon filon, en somme. Une affaire d’argent.
Il eût donc suffi de dire
de ce Tree ce qu’il était : un immense empilement de formes vertes,
coniques et cylindriques, soit du point de vue artistique une nullité parfaite.
Quant aux dégonfleurs, je les eusse applaudis s’ils avaient accompagné leur
geste d’un discours ridiculisant celui des adorateurs de l’art
contemporain ; par exemple en nommant Leaf (feuille) le tas vert et
informe obtenu après dégonflage, et en rappelant qu’à l’automne les feuilles
tombent[v],
discours qui eût pu être signé du nom d’un collectif grotesque. Ils avaient à
leur disposition mille manières de mettre de leur côté les rieurs et ceux qui
veulent bien penser. Il eût aussi fallu donner une idée de ce qu’incarne Paul
McCarthy : un certain opportunisme, astucieux et mercantile, assez
américain – see if it works ! – soit tout ce que l’on veut nous
faire croire que ce monsieur dénonce[vi].
Ne prenons pas Paul
McCarthy pour le diable. Mais nous pouvons, sans oublier que le diable existe
ni sous-estimer ses dangers, éviter de le flatter en nous offusquant du moindre
de ses tours ; il vaut mieux le faire enrager en lui tirant la langue et
en lui montrant que nous ne sommes pas dupes de ses ruses, lesquelles sont
parfois pitoyables.
[i] Qu’il ne faut confondre ni
avec Paul McCartney, musicien britannique bien connu, ni avec Joseph McCarthy,
sénateur américain connu pour un anticommunisme revêtant des formes tellement
paranoïaques et grotesques qu’un bon théoricien du complot devrait se demander
s’il n’était pas en fait un agent
communiste ; ni avec l’écrivain américain Cormac McCarthy..
[ii] Il s’agit apparemment
d’un objet que d’aucuns aiment à… et puis non : si vous êtes aussi
innocents que moi, vous savez ce que signifie plug en anglais et anal
en français. Je crois que cela s’appelait autrefois un godemichet. Mais c’était
au temps où les perversions sexuelles n’avaient pas encore pris une tournure
mondialisée, au fait, à la page, quoi. Cette appellation est sans doute à
approcher de l’expression sex toy. Il
doit exister une industrie pour ce genre d’objets. Le sérieux avec lequel cette
activité est probablement menée (gestion des approvisionnements et des stocks,
procédés de fabrication, etc.) a quelque chose de hautement comique et
pitoyable.
[iii] Ministre de la
cyberculture dans le gouvernement Valls 2.0, qui n’a pas le temps de se
renseigner sur l’œuvre (sans guillemets ni italiques cette fois) de Patrick
Modiano, trop occupée qu’elle est à s’opposer par des touits au retour des
nazis.
[iv] L’amalgame entre la Manif
pour tous et le Printemps français est déjà douteux, celui entre le
catholicisme et la Manif pour tous l’est encore plus, quant à celui entre le
catholicisme et le Printemps français, il est tellement bête qu’il pourrait
être de Caroline Fourest (ce qui me peine, c’est qu’il doit se trouver des
auditeurs de France-Culture et des lecteurs du Huffington Post pour prendre au sérieux cette talentueuse
comique) ; mais non, à l’examen, ce n’est pas d’elle. On trouvera aussi un
article d’un certain Quentin Girard dans Libération,
condensé de clichés et d’amalgames haineux, assez drôle malgré lui.
[v] « J’adore le
concept » m’a dit un ami au vocabulaire plus moderne que le mien, lorsque
je lui exposai cette idée.
[vi] Dans cet esprit, si j’ai
bien compris, Causeur a publié à ce
sujet un intéressant article de Laurent Cantamessi.
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