samedi 22 novembre 2014

Un mauvais tour… triangle

Jamais, si je ne me trompe, on n’avait fait beaucoup de bruit autour de la tour Triangle avant lundi dernier. Il faut dire que la tournure politicienne et partant bouffonne qu’a prise cette affaire permet d’en parler en dehors du XVe arrondissement de Paris et des cénacles d’architectes.
Quelques rappels
Ce 17 novembre, en effet, le déclassement du terrain où il était prévu de construire cette tour était soumis au vote du Conseil de Paris. Sans déclassement, pas de tour Triangle. Et là, patatras, effondrement chez les partisans du projet : le déclassement est rejeté par 83 voix contre 78. Plus de tour Triangle, n-i, ni, fini ! Soulagement chez quelques Parisiens, dont votre serviteur. C’était sans compter sur l’opiniâtreté de Mme Hidalgo, désormais maire de Paris, laquelle a plus d’un-e[i] tour dans son sac, puisqu’elle a décidé d’avoir recours à la justice pour faire annuler ce vote.
La presse, à l’occasion de cet épisode, l’a assez fait comprendre : ce projet est absurde et presque indécent, puisqu’il consiste à implanter un immense immeuble de bureaux dans Paris, qui regorge de bureaux vides et où se loger est souvent fort onéreux. Ajoutons à cela la laideur[ii] du bâtiment qu’il était prévu de construire, sa démesure et les désagréments qu’aurait causés aux riverains (dont je suis) le chantier, et le tableau est dressé (ce que j’avais déjà fait ici il y a déjà presque un an).
Mais, pour ce qui est des désagréments causés par un tel bâtiment, qui se soucie des riverains ? Apparemment, le XVe arrondissement de Paris est peuplé de petits êtres discrets, sinon invisibles.
Mauvais joueurs
Lisez-vous la grosse presse en ligne ? Et les commentaires souvent navrants par leur simplisme[iii] qu’y laissent les internautes de base ? Au sujet de la tour Triangle et du vote du 17 novembre, ils peuvent être classés en trois catégories.
La première est composée de ceux qui se désolent de l’abandon d’un si magnifique projet, par la faute de quelques conservateurs moisis alliés à quelques écologistes fanatiques. Les riverains n’auront qu’à se reconnaître chez les uns ou les autres et à apprécier ce jugement, typique du bourgeois libéral (ami du business, de la modernité, du béton qui coule au milieu de grues immenses dans un film d’entreprise accompagné d’une musique forcément dynamique jouée par des synthétiseurs poussifs) ou progressiste (qu’enchante l’audace du geste architectural).
La deuxième est peu nombreuse ; elle est composée de ceux qui voient un complot des frères trois points dès qu’un objet vaguement triangulaire passe dans leur champ de vision. Disons qu’ils contribuent à un certain folklore.
La troisième se compose de ceux qui crient à la dictature socialiste à tout propos : à l’en croire, puisque Mme Hidalgo est mauvaise perdante et appartient au PS, son attitude (aussi grotesque que malhonnête, mais nous y reviendrons) est typiquement socialiste. D’ailleurs, depuis le 6 mai 2012, la France est un vaste goulag dont seul M. Sarkozy saura ouvrir les portes ; et il faudrait se demander si Mme Hidalgo n’entretient pas une liaison avec Kim-Jong-Un.
Ecartons la deuxième catégorie, et intéressons-nous à la troisième. Certes, il est peu démocratique de la part de Mme Hidalgo de chercher à annuler un vote dès que le résultat lui déplaît, mais je ne vois pas en quoi cela est typiquement socialiste. Ceux qui le croient et rêvent de M. Sarkozy devraient se souvenir du traité de Lisbonne, œuvre de ce dernier et décalque d’un traité constitutionnel européen rejeté par les Français lors d’un référendum bien connu en 2005.
Quant à la première catégorie, on peut dire que bon nombre de gens de gauche peuvent y être classés. De la gauche moderne, bien sûr, audacieuse, sociétale, culturelle et tout et tout (mais on doit bien aussi y trouver des gens de droite tout aussi modernes et audacieux, etc. etc.). Rappelons-leur un petit fait amusant : ce printemps, la presse s’amusa beaucoup de l’échec de Mme Kosciuszko-Morizet, candidate de l’UMP à la mairie de Paris, qui ne parvint même pas à se faire élire dans le XIVe arrondissement. Mais ces fins observateurs se gardèrent bien d’appendre à compter jusqu’à quinze, puisqu’ils auraient découvert que Mme Hidalgo, de son côté, prit ce qu’il est convenu d’appeler une raclée, son concurrent le plus important manquant de peu d’être élu maire du XVe dès le premier tour. Je ne sais si les faibles résultats de Mme Hidalgo sont liés au projet de la tour Triangle. Mais j’ai comme l’impression que Mme Hidalgo a un problème avec le XVe arrondissement.
Alors, ensuite, les chamailleries entre ces deux dames après le vote…
Gamineries
Rappelons la raison invoquée par Mme Hidalgo pour demander l’annulation de ce vote : il devait s’agir d’un vote à bulletins secrets, or certains des votants ont montré leurs bulletins, ce qui constituerait une irrégularité. Les élus parisiens qui se sont ainsi comportés ont protesté en indiquant que Mme Hidalgo ne les avait en rien empêchés de montrer leurs bulletins au moment du vote.
N’étant pas juriste, j’ignore si de telles dispositions et de tels arguments ont quelque valeur légale que ce soit. Cependant, force est d’observer que les élus qui ont ainsi exhibé leurs bulletins ont fait preuve de maladresse ou d’imprudence. Ils eussent pu se douter de quelle mauvaise foi et de quelles ruses grossières serait capable Mme Hidalgo en cas de résultat défavorable. Il leur eût suffi de voter comme ils l’ont fait, sans montrer leurs bulletins.
Alors, de deux choses l’une : ou bien cette maladresse était volontaire, histoire de se donner l’air de faire de l’opposition… sans réellement s’opposer au projet ; ou bien elle ne l’était pas, et les élus parisiens ont montré que n’importe quel benêt peut les berner. Ce qui illustre assez bien le problème que posent bien des politiciens : se comportent-ils de manière cynique et méprisante ou en mêlant jobardise et gaminerie[iv] ? Je penche parfois pour la seconde hypothèse, venant de lire un amusant et léger roman anglais paru dans les années 1930, Charivari[v], où l’on voit un asile pour pairs déments reproduisant à l’identique la chambre des Lords : ces messieurs y votent même des lois…




[i] Je ne voudrais pas passer pour un affreux sexiste ! J’aurais pu aussi parler des tours de Mme Hidalgo, en référence aux tours de M. Panado, chers à Alexandre Vialatte.
[ii] On a vanté la « transparence » du bâtiment. Je veux bien, mais que je sache, ni les meubles, ni les servitudes, ni les cloisons n’auraient été transparentes. Et encore moins les éventuelles personnes qui s’y seraient aventurées.
[iii] Sans parler du massacre de notre langue auquel ils permettent d’assister…
[iv] Résumons l’affaire en un dialogue simple :
-          On avait dit qu’on montrait pas les bulletins. Vous êtes des méchants. Et puis le vote il compte même pas, na.
-          Ouais, c’est pas juste, tu l’as pas dit quand on montrait nos bulletins ! Et puis t’es qu’une mauvaise joueuse !
[v] Wigs on the Green (1935), de Nancy Mitford.

1 commentaire:

  1. Ajout du 30 juin 2015 : et ça n'a pas manqué ! Le conseil de Paris a voté à nouveau et, surprise ! Cette fois le projet a emporté une majorité des suffrages. Cela s'appelle la démocratie, paraît-il.
    S.L.

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