jeudi 7 septembre 2017

Une vieille muflerie

Début août, de retour de vacances, j’ai pu entendre, en allumant la radio, une annonce de la reprise au cinéma de Ginger et Fred, de Federico Fellini. J’entendis cette annonce plusieurs jours de suite sur France-Culture, accompagnée d’un thème, The Continental (tiré d’une comédie musicale d’avant-guerre avec Fred Astaire), joué par un saxophone solitaire et pépère.
Naturellement, on pourrait ne voir dans ce film que ce qui en était dit dans cette annonce : une dénonciation de la vulgarité télévisée, en particulier de celle qui émanait de quelques chaînes privées italiennes à l’époque de Ginger et Fred, soit vers 1985. Ce serait un peu limité ; on peut encore y voir une réflexion sur le sort fait à deux vieux artistes fatigués, exhibés comme des phénomènes de foire, mais aussi sur un monde spectaculaire où tout est fabriqué : la télévision, l’art de « Ginger » et de « Fred », autrefois imitateurs sympathiques des numéros virtuoses exécutés par Ginger Rogers et Fred Astaire pour l’industrie cinématographique américaine…
A sa première sortie en France, ce film tombait bien : c’était l’époque où, avec l’aide du gouvernement – alors socialiste – Silvio Berlusconi allait nous faire découvrir le genre de télévision qu’il avait déjà imposé en Italie. D’emblée, en matière de vulgarité, la « Cinq » pulvérisa des limites déjà bien lointaines.
Ginger et Fred fut donc une aubaine pour l’opposition : le gouvernement socialiste, qui se voulait l’ami de la culture, s’était fait l’importateur des fonds de poubelle de la télévision italienne et le complice de combines hautement berlusconiques. Ce n’était qu’un coup de plus porté à une majorité  de toute façon vouée à une déroute inévitable, à mesure qu’approchaient les élections législatives du 16 mars 1986. Elle en était elle-même convaincue, multipliant les affiches où l’on pouvait lire : « Au secours, la droite revient ! »
Parmi les tracts et fascicules électoraux qui encombrèrent les boîtes à lettres des Français à cette époque, je ne me souviens que d’une publication émanant du Parti socialiste : 16 mars magazine. Rien de bien remarquable là-dedans : les supposées réussites des gouvernements qui s’étaient succédé depuis mai 1981 y étaient vantées, dans tous les domaines, y compris celui de la culture, dont le nom de Jack Lang était presque devenu le synonyme. La « musique de jeunes » n’était pas oubliée : le rock avait enfin ses lettres de noblesse en France. Par exemple, on pouvait voir une photo où quelques jeunes gens à l’allure vaguement metal, hilares, étaient vautrés dans les fauteuils de quelque salle de concert ; sur la légende, on pouvait lire : « au "Gibus", un public qui n’a rien de Ginger ni de Fred ». Au musée, Fellini ! Place aux jeunes !
Les élections du 16 mars 1986 eurent le résultat que l’on sait. Les torchons de circonstance comme 16 mars magazine n’éveillent depuis longtemps plus aucun souvenir chez personne, à part quelques hypermnésiques dans mon genre. J’ignore si le « Gibus » existe encore, et peu me chaut. En revanche, les films de Fellini demeurent (ils ressortent même en salle), ainsi que les noms de leurs acteurs, Giulietta Massina et Marcello Mastroianni, par exemple. Reconnaissons qu’ils ne risquaient guère d’être atteints par les mufleries d’un plumitif anonyme loué par le Parti socialiste.
Ne nous y trompons pas : aux mufleries de la gauche, aux combines socialo-berlusconiennes allaient bientôt succéder les hautes vertus de la France éternelle, naturellement incarnées par la droite. Bientôt, Silvio Berlusconi, pour renouveler la concession de la « Cinq », allait fort bien s’entendre avec Robert Hersant, alors propriétaire du Figaro

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