jeudi 21 septembre 2017

Un film que je n’ai pas vu

 « En revenant, voyez A bout de souffle, d’un jeune ; excellent, pudique et fort ; une longue scène entre amants, remarquable. Une étude profonde des jeunes, leur indifférence à tout. »
Lettre de Paul Morand à Jacques Chardonne, 5 avril 1960

Que savons-nous de Jean-Luc Godard ? Plus précisément : que savons-nous de lui après 1965, à l’issue d’une période féconde commençant en 1959, durant laquelle il donna quelques joyaux, d’A bout de souffle à Pierrot le fou, en passant par Le petit soldat, Une femme est une femme ou Bande à part ? Selon une hypothèse sérieuse – quoique cruelle –, devenu fou, il se serait pris pour un individu nommé Jean-Luc Godard et aurait, sous ce transparent pseudonyme, réalisé quelques indigestes films politiques à la photographie et au montage parfois superbes ; tant il est vrai que Jean-Luc Godard avait assimilé le langage cinématographique de Jean-Luc Godard. Nous pourrions citer comme parangon de ce genre de travail La Chinoise, film réalisé en 1967.
Anne Wiazemsky, qui apparaît justement dans La Chinoise, fut à cette époque la compagne, et même l’épouse, de Godard. Elle a tiré de sa vie avec lui deux romans (Une année studieuse et Un an après), dont le second vient d’être adapté au cinéma par Michel Hazanavicius sous le titre : Le Redoutable. N’ayant jamais rien lu de la plume d’Anne Wiazemsky, je ne dirai rien de ce qu’elle a pu écrire de sa vie avec Godard vers 1968, 1969… Je n’ai pas vu le film d’Hazanavicius non plus, mais il me paraît possible de m’en faire une idée – mince, peut-être – grâce à la bande-annonce de celui-ci, à ce que j’ai pu lire ou entendre à propos d’Hazanavicius et à ce que je connais des films de Godard.
D’abord un aveu : non seulement je n’ai pas vu le dernier film d’Hazanavicius, mais je n’en ai vu aucun. Cependant, sa réputation de détourneur (ou de recycleur) d’images, de pasticheur, voire de parodiste, et d’amateur d’exercices de style est désormais solidement établie, des OSS 117 à The Artist. Elle se confirme dans la bande-annonce du Redoutable : un collage ou un concentré de figures de style et de tics godardiens : blagues de potache (un genre d’Almanach Vermot en plus pince-sans-rire ou plus distingué), aphorismes politiques aussi pesants que stupides (mais prononcés avec sérieux), gags très slapstick ; montage précis, couleurs magnifiques, tranchées, rendant aussi bien les tons vifs que le gris des trottoirs, des voitures et des costumes[i] ; plans qui semblent lorgner du côté du Mépris, citation de la musique d’A bout de souffle
Cette bande-annonce offre donc à nous regards et à nos oreilles comme un petit assortiment de ce qui peut émerveiller autant qu’atterrer dans le cinéma de Godard. On y sent le mélange d’admiration et de raillerie que l’on pourrait nommer troisième degré. Cette brève imitation, ce point de vue au troisième degré, voilà de quoi faire un pastiche réussi, en tant qu’exercice de critique par l’échantillon.
Maintenant, la question qui se pose est celle de la durée : cela peut-il tenir la distance dans un long-métrage ? C’est ce doute qui me fait hésiter, je l’avoue, à aller voir Le Redoutable[ii].
Un bon signe toutefois : j’ai entendu quelques critiques descendre en flammes ce film « réactionnaire », où l’on ose se moquer de Godard et de mai 68. Vraiment, les gens ne respectent plus rien. Pour ma part, je trouve au contraire qu’une certaine irrévérence est saine, si elle est pratiquée avec talent.
Et, puisque ma critique d’une critique et des critiques des développements de cette dernière commençait par une citation d’un vieil écrivain, finissons par en citer un jeune :
« Dragan disait : "Personne ne veut de la vérité vingt-quatre fois par seconde. Deux fois par mois, ça suffit amplement" ».
C’est de Clément Bénech, dans son dernier roman, dont je tâcherai de dire deux mots d’ici peu. Au travail, donc, pas de cinéma et, pour pasticher une réplique assénée par Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le fou : « un film tous les cinquante livres ! »


[i] Les rues de Paris, dans les années 60 et 70, n’avaient pas toujours – et de loin – les couleurs pop que leurs prêtent les publicitaires d’aujourd’hui…
[ii] Et je n’ai à mes côtés aucune Brigitte Bardot en perruque pour me dire : « Ne va pas le voir… Oh et puis si, vas-y, toi, le voir… »

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