samedi 24 janvier 2015

Ce n’est pas ce que vous croyez

Les atrocités qui se sont produites au début de ce mois à Paris hantent bien évidemment bon nombre d’esprits. Nous n’entrerons point ici dans la querelle du Je suis Charlie et du Je ne suis pas Charlie, qui commence à tourner en rond. Quoique…
Etrange laïcité
Ce drame, et c’est normal, a suscité des interrogations, passée la sidération qui a saisi à peu près tout le monde : comment en est-on arrivé là, comment eût-on pu l’empêcher, comment désarmer des ennemis qui sont désormais chez nous et éviter que leurs rangs ne grossissent ? Il n’est pas question ici des mesures de police : laissons cette dernière faire son office. Non, il s’agit plutôt des réflexions sur un problème de société, voire de civilisation, ainsi que de la formulation – souvent hâtive – de solutions.
Contentons-nous d’une mince contribution à ce débat en renvoyant à ce que j’avais écrit ici il y a un bon moment sur le vide moral, culturel et spirituel de l’occident contemporain. Trop occupé à se gaver et à renier la civilisation dont il est l’héritier, le voilà qui découvre qu’il est incapable d’assimiler tout une jeunesse (pas seulement) « issue de l’immigration », faute de lui avoir appris tout ce que notre civilisation pouvait lui donner et de l’avoir encouragée à imaginer tout ce qu’elle pouvait, en retour, apporter à cette civilisation.
En haut lieu, on a réagi autrement : il paraît que désormais les enfants des écoles auront des cours de laïcité et seront tenus de prendre part tous les ans, le 9 décembre, à une journée de la laïcité. Sur ce dernier point, me voilà tout perplexe : eh bien quoi, la laïcité deviendrait-elle l’objet d’un culte, d’une religion d’Etat obligatoire ? Drôle de laïcité.
Du reste, on chercherait en vain sur quel principe, quelle foi ou quel dogme s’appuie cette nouvelle religion : serait-ce le Charlisme[i], ou alors, le Charlisme n’en est-il qu’un élément ? Peut-être est-elle animée par le mystérieux Esprit du 11 janvier ?
Entendons-nous sur ce fameux et mystérieux Esprit : il ne s’agit en rien de me moquer des manifestations massives qui eurent lieu ce 11 janvier. Elles furent sans doute une manière plus ou moins spontanée que trouva une nation blessée de réprouver les crimes perpétrés, ce qui est fort respectable et même bienvenu. Mais ces manifestations demeurent l’expression d’une émotion plutôt que d’une pensée construite et cohérente. L’Esprit du 11 janvier reste donc à définir, si la chose est possible. L’invoquer à tout bout de champ (comme le font en ce moment nos gouvernants) relève donc plus de la récupération politicienne que d’autre chose. Il y a un avant et un après, disent-ils, et j’ai bien peur que l’après ressemble de plus en plus à l’avant, ce qui n’est pas pour me rassurer.
Ce culte, le gouvernement n’est pas le seul à en avoir eu l’idée, puisqu’on a entendu M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, déclarer qu’il y a « une religion suprême pour chacun d’entre nous : c’est la religion de la République »[ii]. Ignorant qui désigne ce nous, je suis inquiet quant à la liberté de conscience de chacun. Les Eglises et l’Etat ne furent-ils pas séparés en 1905 ? Quant à Mme Rama Yade, ancienne ministre de M. Sarkozy, elle s’est fendue d’un propos du même tonneau, écrivant le 14 janvier dans le Monde : « La République doit redevenir un messianisme, avec ce que le messianisme a de transgressif, de collectif, de discipliné, d’exigeant, de moral... ». Que Mme Yade veuille bien me pardonner, mais la notion de messianisme républicain me donne froid dans le dos, particulièrement cette semaine où nous sommes quelques Français à nous être rappelé le 21 janvier 1793, fruit parmi d’autres de ce fameux messianisme… En outre, il faudrait savoir que ce messianisme transgressif est censé transgresser[iii] : saurait-il se transgresser lui-même et admettre ce fameux droit au blasphème dont pas mal de gens se gargarisent[iv] ?
Bref, bref… voilà des gens qui ont le mot laïcité plein la bouche tout en semblant vouloir instaurer une religion d’Etat[v]. C’est à se demander si les mots ont encore un sens. Mais, pour paraphraser M. Valls, peu importent les mots, n’est-ce pas ?
Liturgies laïques
Comme on vient de le voir, le spectacle d’athées cédant à la panique n’est pas particulièrement réjouissant. Cependant, il serait possible de leur faire lever la tête vers le ciel en leur révélant ce que cette attitude a de ridicule[vi].
A quoi pourraient en effet ressembler les rites laïques ? Quels seraient les gestes et les paroles employés ? Qui en seraient les officiants, sous quels costumes ? Verrait-on renaître ceux utilisés pour les célébrations de l’Être suprême ou de la Déesse Raison[vii] ?
Il semble que ces pompes grandioses, plus ou moins imitées de l’antique (ou de l’idée que l’on s’en faisait à la fin du XVIIIe siècle) soient quelque peu passées de mode. Ce devrait plutôt être quelque chose de « sympa », détendu et interactif. Peut-être un peu comme les Sunday Assemblies, réunions d’athées qui, le dimanche matin, entonnent ensemble des chansons de variétés et écoutent des discours remplis de bienveillance. Ce qui prouve que les athées, comme les enfants et les libéraux, s’ennuient le dimanche. Ou, autrement dit, que l’homme, dans une situation de vide spirituel, se satisfera de ce qu’il trouvera pour combler ce vide, que ce soit des gentillesses un peu mièvres ou des idées folles et meurtrières.
Mais il est vrai qu’à l’origine de ces Sunday Assemblies on trouve deux comiques britanniques. Il est des jours où l’on aimerait que toute notre époque – et en particulier le mois de janvier 2015 – fût un vaste canular. Ce n’est pas le cas, j’en ai peur.




[i] Je dois ce nom à un article intéressant de Régis de Castelnau dans Causeur. Sur un sujet analogue, Laurent Dandrieu a aussi écrit quelque chose dans les mêmes parages.
[ii] Est-ce vraiment une nouveauté du moment ? Pas sûr : que l’on veuille bien se rappeler les extravagances de M. Peillon, naguère.
[iii] On pense ici, évidemment, à un travers moderne relevé par Philippe Muray : l’intransitivité ; peu importe de savoir s’il se présente une limite qu’il est nécessaire (ou non) de transgresser, c’est transgresser qui compte.
[iv] Sur ce point : naturellement, la liberté d’expression est une chose nécessaire, voire vitale. Mais il faut l’exercer de manière responsable.
[v] N’importe quel chrétien pourra leur expliquer le sens du mot laïcité, qui est fort bien défini dans quelques versets des Evangiles. Ce qui ne signifie pas, évidemment, que nous ayons toujours été de petits saints en ce domaine.
[vi] Je ne peux m’empêcher de penser à une réplique d’un film de Woody Allen, où un personnage qui voyage en avion est pris de frayeur à l’atterrissage. Alors que sa femme tente de l’apaiser, il lui répond qu’étant athée il ne dispose de rien pour se rassurer et se trouve donc obligé de céder à la panique…
[vii] Les habitués de Chatty Corner auront relevé que, parmi les sites que j’invite mes lecteurs à consulter, deux ont pour objet – ou pour prétexte – l’élégance vestimentaire. Suggérons aux auteurs de ces sites de nous esquisser une étude des costumes révolutionnaires, en particulier de ceux revêtus pour les pompes républicaines. Ce qui serait l’occasion d’un beau moment d’érudition et de drôlerie.

2 commentaires:

  1. Certes, il y a vraiment confusion des genres en ce moment. Mais ne nous inquiétons pas trop sur l'avenir d'une religion de la république, ou, par un glissement sémantique révélateur de la pente techniciste et absconse adoptée par le discours politiquement correct, de la "laïcité" : dans le passé, d'autres ont essayé d'y entraîner les institutions et le peuple, avec force manifestation, célébration et liturgie dans les années qui suivirent la révolution française, et tout cela a fait pschit. Aucune transcendance, là-dedans, donc peu de concurrence pour les religions ! je ne crois pas que les foules se passionneraient longtemps pour une mobilisation au sujet de la laïcité, beaucoup moins drôle que le football ou Johnny Halliday.

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    1. Cela fit en effet "pschit". Et fut, dans l'ensemble fort ridicule - non sans s'accompagner d'une certaine brutalité. Voilà donc la rrrépublique encore sur une fausse piste. Quant à Johnny Halliday, je le verrais bien récupéré dans quelque célébration "laïque", sur fond de "allumer le feu" : ferveur vide et préfabriquée, à base de vieilles chansons de notre unique vedette garantie recyclable !
      Notons quand même que les pompes révolutionnaires n'étaient pas désignées comme "laïques" en leur temps...
      S.L.

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