Les atrocités qui se sont
produites au début de ce mois à Paris hantent bien évidemment bon nombre d’esprits.
Nous n’entrerons point ici dans la querelle du Je suis Charlie et du Je
ne suis pas Charlie, qui commence à tourner en rond. Quoique…
Etrange
laïcité
Ce drame, et c’est
normal, a suscité des interrogations, passée la sidération qui a saisi à peu
près tout le monde : comment en est-on arrivé là, comment eût-on pu l’empêcher,
comment désarmer des ennemis qui sont désormais chez nous et éviter que leurs
rangs ne grossissent ? Il n’est pas question ici des mesures de police :
laissons cette dernière faire son office. Non, il s’agit plutôt des réflexions
sur un problème de société, voire de civilisation, ainsi que de la formulation –
souvent hâtive – de solutions.
Contentons-nous d’une
mince contribution à ce débat en renvoyant à ce que j’avais écrit ici il y a un
bon moment sur le vide moral, culturel et spirituel de l’occident contemporain.
Trop occupé à se gaver et à renier la civilisation dont il est l’héritier, le
voilà qui découvre qu’il est incapable d’assimiler tout une jeunesse (pas
seulement) « issue de l’immigration », faute de lui avoir appris tout
ce que notre civilisation pouvait lui donner et de l’avoir encouragée à
imaginer tout ce qu’elle pouvait, en retour, apporter à cette civilisation.
En haut lieu, on a réagi
autrement : il paraît que désormais les enfants des écoles auront des
cours de laïcité et seront tenus de prendre part tous les ans, le 9
décembre, à une journée de la laïcité. Sur ce dernier point, me voilà
tout perplexe : eh bien quoi, la laïcité deviendrait-elle l’objet d’un
culte, d’une religion d’Etat obligatoire ? Drôle de laïcité.
Du reste, on chercherait
en vain sur quel principe, quelle foi ou quel dogme s’appuie cette nouvelle
religion : serait-ce le Charlisme[i], ou
alors, le Charlisme n’en est-il qu’un élément ? Peut-être est-elle
animée par le mystérieux Esprit du 11 janvier ?
Entendons-nous sur ce
fameux et mystérieux Esprit : il ne s’agit en rien de me moquer des
manifestations massives qui eurent lieu ce 11 janvier. Elles furent sans doute
une manière plus ou moins spontanée que trouva une nation blessée de réprouver
les crimes perpétrés, ce qui est fort respectable et même bienvenu. Mais ces
manifestations demeurent l’expression d’une émotion plutôt que d’une pensée
construite et cohérente. L’Esprit du 11 janvier reste donc à définir, si
la chose est possible. L’invoquer à tout bout de champ (comme le font en ce
moment nos gouvernants) relève donc plus de la récupération politicienne que d’autre
chose. Il y a un avant et un après, disent-ils, et j’ai bien peur que l’après
ressemble de plus en plus à l’avant, ce qui n’est pas pour me rassurer.
Ce culte, le gouvernement
n’est pas le seul à en avoir eu l’idée, puisqu’on a entendu M. Claude Bartolone,
président de l’Assemblée nationale, déclarer qu’il y a « une religion
suprême pour chacun d’entre nous : c’est la religion de la République »[ii].
Ignorant qui désigne ce nous, je suis inquiet quant à la liberté de
conscience de chacun. Les Eglises et l’Etat ne furent-ils pas séparés en
1905 ? Quant à Mme Rama Yade, ancienne ministre de M. Sarkozy, elle s’est
fendue d’un propos du même tonneau, écrivant le 14 janvier dans le Monde : « La
République doit redevenir un messianisme, avec ce que le messianisme a de
transgressif, de collectif, de discipliné, d’exigeant, de moral... ».
Que Mme Yade veuille bien me pardonner, mais la notion de messianisme
républicain me donne froid dans le dos, particulièrement cette semaine où
nous sommes quelques Français à nous être rappelé le 21 janvier 1793, fruit
parmi d’autres de ce fameux messianisme… En outre, il faudrait savoir
que ce messianisme transgressif est censé transgresser[iii] :
saurait-il se transgresser lui-même et admettre ce fameux droit au blasphème
dont pas mal de gens se gargarisent[iv] ?
Bref, bref… voilà des
gens qui ont le mot laïcité plein la bouche tout en semblant vouloir
instaurer une religion d’Etat[v]. C’est
à se demander si les mots ont encore un sens. Mais, pour paraphraser M. Valls, peu
importent les mots, n’est-ce pas ?
Liturgies
laïques
Comme on vient de le
voir, le spectacle d’athées cédant à la panique n’est pas particulièrement
réjouissant. Cependant, il serait possible de leur faire lever la tête vers le
ciel en leur révélant ce que cette attitude a de ridicule[vi].
A quoi pourraient en
effet ressembler les rites laïques ? Quels seraient les gestes et les
paroles employés ? Qui en seraient les officiants, sous quels costumes ?
Verrait-on renaître ceux utilisés pour les célébrations de l’Être suprême
ou de la Déesse Raison[vii] ?
Il semble que ces pompes
grandioses, plus ou moins imitées de l’antique (ou de l’idée que l’on s’en
faisait à la fin du XVIIIe siècle) soient quelque peu passées de mode. Ce devrait
plutôt être quelque chose de « sympa », détendu et interactif. Peut-être
un peu comme les Sunday Assemblies, réunions d’athées qui, le dimanche
matin, entonnent ensemble des chansons de variétés et écoutent des discours
remplis de bienveillance. Ce qui prouve que les athées, comme les enfants et
les libéraux, s’ennuient le dimanche. Ou, autrement dit, que l’homme, dans une
situation de vide spirituel, se satisfera de ce qu’il trouvera pour combler ce
vide, que ce soit des gentillesses un peu mièvres ou des idées folles et meurtrières.
Mais il est vrai qu’à l’origine
de ces Sunday Assemblies on trouve deux comiques britanniques. Il est
des jours où l’on aimerait que toute notre époque – et en particulier le mois
de janvier 2015 – fût un vaste canular. Ce n’est pas le cas, j’en ai peur.
[i] Je dois ce nom à un
article intéressant de Régis de Castelnau dans Causeur. Sur un sujet analogue, Laurent Dandrieu a aussi écrit quelque chose dans les mêmes parages.
[ii] Est-ce vraiment une
nouveauté du moment ? Pas sûr : que l’on veuille bien se rappeler les
extravagances de M. Peillon, naguère.
[iii] On pense ici,
évidemment, à un travers moderne relevé par Philippe Muray : l’intransitivité ;
peu importe de savoir s’il se présente une limite qu’il est nécessaire (ou non)
de transgresser, c’est transgresser
qui compte.
[iv] Sur ce point :
naturellement, la liberté d’expression est une chose nécessaire, voire vitale. Mais
il faut l’exercer de manière responsable.
[v] N’importe quel chrétien
pourra leur expliquer le sens du mot laïcité,
qui est fort bien défini dans quelques versets des Evangiles. Ce qui ne
signifie pas, évidemment, que nous ayons toujours été de petits saints en ce
domaine.
[vi] Je ne peux m’empêcher de
penser à une réplique d’un film de Woody Allen, où un personnage qui voyage en
avion est pris de frayeur à l’atterrissage. Alors que sa femme tente de l’apaiser,
il lui répond qu’étant athée il ne dispose de rien pour se rassurer et se
trouve donc obligé de céder à la panique…
[vii] Les habitués de Chatty Corner auront relevé que, parmi les
sites que j’invite mes lecteurs à consulter, deux ont pour objet – ou pour
prétexte – l’élégance vestimentaire. Suggérons aux auteurs de ces sites de nous
esquisser une étude des costumes révolutionnaires, en particulier de ceux
revêtus pour les pompes républicaines. Ce qui serait l’occasion d’un beau
moment d’érudition et de drôlerie.
Certes, il y a vraiment confusion des genres en ce moment. Mais ne nous inquiétons pas trop sur l'avenir d'une religion de la république, ou, par un glissement sémantique révélateur de la pente techniciste et absconse adoptée par le discours politiquement correct, de la "laïcité" : dans le passé, d'autres ont essayé d'y entraîner les institutions et le peuple, avec force manifestation, célébration et liturgie dans les années qui suivirent la révolution française, et tout cela a fait pschit. Aucune transcendance, là-dedans, donc peu de concurrence pour les religions ! je ne crois pas que les foules se passionneraient longtemps pour une mobilisation au sujet de la laïcité, beaucoup moins drôle que le football ou Johnny Halliday.
RépondreSupprimerCela fit en effet "pschit". Et fut, dans l'ensemble fort ridicule - non sans s'accompagner d'une certaine brutalité. Voilà donc la rrrépublique encore sur une fausse piste. Quant à Johnny Halliday, je le verrais bien récupéré dans quelque célébration "laïque", sur fond de "allumer le feu" : ferveur vide et préfabriquée, à base de vieilles chansons de notre unique vedette garantie recyclable !
SupprimerNotons quand même que les pompes révolutionnaires n'étaient pas désignées comme "laïques" en leur temps...
S.L.