samedi 10 août 2013

On ramasse les copies (3) : John Kennedy Toole

Voici donc le dernier de mes devoirs de vacances pour cet été, chers amis ! A ce propos, commençons par une mise au point, pour répondre à un de mes lecteurs dont je respecterai l’anonymat mais que je salue amicalement s’il lit ces lignes : les copies que l’on ramasse ici sont les miennes. Je ne suis ni un maître omniscient qui jugerait tel ou tel, ni même un professeur de lettres. Disons qu’il entre dans le titre On ramasse les copies un peu de pose et beaucoup d’autodérision. 
Cela étant posé, parlons plutôt de La Bible de néon (The Neon Bible) de John Kennedy Toole.
L’homme d’un seul roman ?
Ceux qui ont lu La conjuration des imbéciles (A Confederacy of Dunces) connaissent le sort ironique de ce roman et celui, beaucoup moins drôle, de son auteur. John Kennedy Toole, jeune professeur d’université, écrivit La conjuration des imbéciles vers 1962 et le soumit à des éditeurs qui, quand ils ne le refusèrent pas tout net, entendirent lui imposer à plusieurs reprises d’importantes modifications. Lassé par tant de rebuffades, Toole se suicida en 1969. C’est sa mère qui, quelques années plus tard, finit par réussir à l’imposer. Ce fut un succès, tant auprès de la critique que du public.
Je ne ferai pas aux lecteurs de La conjuration des imbéciles le résumé du combat incessant et hilarant que livre Ignatius Reilly au monde entier (enfin à la partie de ce monde que représente la Nouvelle-Orléans, ville natale de Toole) et j’invite ceux qui ne l’ont pas encore lu à se jeter dessus et à le dévorer – dans le texte s’ils le peuvent, pour conserver une certaine saveur, disons : dialectale.
On eût pu croire que l’œuvre de John Kennedy Toole se serait limitée, malheureusement, à cet unique roman. Or un autre fut retrouvé dans les années 1980, que je n’ai jamais entendu citer dans les conversations entrecoupées de fous rires que j’ai pu avoir avec d’autres lecteurs de La conjuration des imbéciles. 
La Bible de néon
Ce roman nous est présenté comme un manuscrit laissé dans un tiroir par Toole, qui l’aurait écrit en 1953, à l’âge de seize ans ( !). Une telle présentation peut être dangereuse : quelle naïveté, quelle grandiloquence, quelle maladroite imitation d’un modèle quelconque le lecteur ne risque-t-il pas de trouver chez un si jeune auteur ?
Ces préventions, je les ai eues. Et force m’est d’avouer que je les ai perdues à la lecture de La Bible de Néon.
Le narrateur, un garçon prénommé David, monte dans un train pour fuir la petite ville du Sud des Etats-Unis qu’il n’avait jamais quittée jusque-là et nous raconte ce qui l’a amené à s’enfuir. Nous est donc livré le récit de son enfance entre son père, sa mère et la tante Mae – en fait la tante de sa mère. C’est une famille pauvre, que le chômage rejettera aux confins de la ville. Divers événements se produiront, de plus en plus dramatiques, qui finiront par forcer David à prendre la fuite, désormais seul, ignorant tout du vaste monde où il va s’aventurer.
Le récit est fait d’une manière réaliste, claire bien enchaînée. Les personnages – certains d’entre eux au moins – sont bien campés, bien vivants devant nous : citons au moins la tante Mae, ancienne chanteuse qui a fait une carrière médiocre, l’institutrice hystérique, et un évangéliste de passage. Ce dernier fournit le prétexte à un joli tableau – pastiche de sermon compris – de ce qui pourrait être qualifié de Billy Graham religion, pour reprendre les termes employés par un personnage d’un roman de David Lodge (est-ce dans Out of the Shelter ou How Far Can You Go ?), tableau qui ne manque pas d’une certaine force comique.
Et qu’est-ce que cette Bible de néon qui donne son titre au roman ? Il s’agit en fait de l’église de cette petite ville, qui s’orne d’une enseigne de néon, laquelle représente une Bible :
« Je pouvais voir la grande Bible de néon, toute allumée, sur l’église du pasteur. Elle est peut-être allumée ce soir aussi, avec ses pages jaunes, ses lettres rouges et sa grande croix bleue au milieu. » (NB : la traduction  de ce passage est de moi, d’avance, pardon !)
Cette église, relevant de je ne sais quelle confession protestante, ainsi que le pasteur qui en a la charge, apparaît de temps à autre dans le roman. On en connaîtra surtout, outre le ridicule bien moderne et américain de son enseigne, le pharisaïsme, qui est un des ingrédients de l’atmosphère de la bourgade. Pas beaucoup plus, car les parents du narrateur sont devenus trop pauvres pour payer leur cotisation : les en voilà exclus.
En fait, après la lecture de La Bible de néon, on peut être surpris de ce que cette église ait donné son titre au roman. Elle en est un élément, certes, et même un point de repère dans le paysage, mais le roman ne s’articule pas réellement autour d’elle, quoique le pasteur ait un rôle important dans son dénouement dramatique. 
De quelques comparaisons
Les critiques aiment les comparaisons. Cela les rassure, sans doute. Et leur permet de se poser en connaisseurs. Moi-même, bien qu’évoluant en catégorie « amateur de division perdue », je n’échappe pas toujours à ce travers. Comme je l’avais relevé dans une de mes causeries de juillet, un critique cité en quatrième de couverture de l’édition de La Bible de néon que je possède n’y va pas à moitié : « Un roman puissant qui a sa place à côté des œuvres de Flannery O'connor, de Carson McCullers et d’Eudora Welty. » Si j’ignore tout de l’œuvre de Carson McCullers et de celle d’Eudora Welty, j’ai la prétention d’avoir lu quelques pages de Flannery O’Connor et je suis au regret de dire qu’on n’y est pas du tout. Rien ici du combat entre Dieu et le diable (rien que ça, mais oui !) qui tord les personnages de Flannery O’Connor, fous mystiques mais ignorants, qui ne savent que faire des grâces qui leur sont données, grâces qui, fatalement, vont mal tourner (au passage : lisez Flannery O’Connor !). On reste dans un roman réaliste, joliment fait et touchant.
Le point commun pourrait résider dans la description de l’atmosphère d’un trou perdu du Sud des Etats-Unis, un microcosme renfermé sur lui-même, où le vaste monde pourrait se nommer Memphis, Nashville ou la Nouvelle-Orléans, où l’on rencontre des « évangélistes » qui ont plus leur place dans une foire ou un cirque que dans une église et des pasteurs pharisiens (ces deux derniers traits reflètent-ils le point de vue narquois de deux Catholiques ? C’est certain chez Flannery O’Connor et ce n’est pas impossible chez Toole, mais on ne saurait dire, chez un garçon de seize ans).
Que cette comparaison, dangereuse en somme, ne nous égare pas : si La Bible de néon ne va pas à la cheville des chefs d’œuvre baroques et déjantés de Flannery O’Connor, c’est bien plus qu’une curiosité pour admirateurs. A condition, quand même, de lire d’abord La conjuration des imbéciles.

3 commentaires:

  1. Salut amical rendu.
    C. B.

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  2. Un post-scriptum à cet article : naturellement, je me suis trompé sur "Billy Graham religion" ; c'est dans "Paradise News", de David Lodge (quand même !). Cherchez Page 167 dans l'édition "Penguin" et vous trouverez...

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