lundi 19 août 2013

Pipouf sera toujours Pipouf !

Aïe ! Avec un tel titre, j’entends d’ici monter lamentations et récriminations : notre Chatty Corner jusqu’ici préféré tombe en ce moment dans la facilité, l’auteur qui l’alimente en guillerettes chroniques se contente d’occuper la place… ou bien : il s’est (re)mis à boire, le pauvre, il ne sait plus ce qu’il écrit… à moins d’un choc frontal qui l’ait au moins momentanément privé de certaines de ses facultés ?…
Il n’en est rien, Dieu merci, chers amis. Ce titre sort tout droit d’une chronique livrée par Philippe Muray aux lecteurs de La Montagne le 16 décembre 2001 sous le titre Parlons franc.
Muray m’intéresse
Voilà maintenant un jeu de mots facile, puisqu’il m’a été inspiré par un petit livre salutaire que les éditions Descartes & Cie ont récemment fait paraître dans la collection « Chroniques du XXIe siècle » : Causes toujours. Il s’agit de chroniques que Muray écrivit de 2000 à 2006 pour La Montagne. Bon nombre d’entre elles (et même d’autres) avaient déjà été rééditées dans les deux derniers volumes de ses Exorcismes spirituels, mais même pour qui s’intéresse à Muray depuis longtemps, relire ces chroniques ne peut que faire du bien. Et, pour les autres, l’occasion de découvrir Muray est à saisir, par le biais de textes abordables, certes, mais surtout drôles (sinon joyeux), riches et pertinents. 
Quelques échantillons ?
J’évoquais plus haut Parlons franc : comment, par l’exemple du passage à l’euro, nous mettre sous le nez le fait que notre civilisation se mue de plus en plus souvent et dans à peu près dans tous les domaines en simulacre fatigué – et fatigant – d’elle-même ? En affublant quelques-uns de ces simulacres de noms loufoques, à la limite du prononçable, qui vont s’accumuler à un rythme de plus en plus rapide en couvrant toutes sortes de notions. Ce qui produit un effet poétique et comique qui n’est pas sans rappeler Dimanche à la campagne d’Henri Michaux[i], avec en plus la terreur ou l’ennui (selon les goûts, les humeurs ou les tempéraments) que pourra inspirer un remplacement aussi complet…
Je pourrais faire un commentaire de cet acabit pour à peu près chacune de ces chroniques, l’affaire est tentante, comme l’envie de rendre chaque réplique, chaque bon mot, chaque scène, situation ou description d’un roman, d’une pièce de théâtre ou d’un film qui m’aura ému, inquiété, transporté ou secoué de rire. Mais tant de paraphrase serait lassante, et puisque je vous dis ou vous répète que je me sens un peu paresseux en ce moment… 
Un prophète du présent ?
Pour continuer ce petit éloge de Philippe Muray (1945-2006), on pourrait se demander si un Barbey d’Aurevilly, dans l’hypothèse où il vivrait aujourd’hui, n’aurait pas rangé l’intéressé parmi ses Prophètes du passé. Pourquoi pas, ne nous refusons rien et voyons grand – même si Barbey, pour d’évidentes raisons de santé, a été empêché de le faire.
Pourquoi cette envolée de ma part ? Simple figure de rhétorique – un peu épaisse, j’en ai peur ? Eh bien, il me semble que ce que Muray écrivit il y a dix, quinze ans – plus parfois – sur le monde moderne est encore plus pertinent aujourd’hui qu’à l’époque où il donna son point de vue sarcastique et pessimiste sur ce monde. Pas de quoi se réjouir, mais au moins de quoi rire bien souvent.
Ce rire pourrait passer pour une simple manière de nous défouler ou de nous consoler de l’état – que nous sommes quelques-uns à trouver lamentable – de notre civilisation. Mais, à bien y réfléchir, ridiculiser notre époque peut être un moyen de rester lucide, voire d’éveiller des consciences : lisons, relisons, faisons lire Muray si nous espérons pouvoir préserver, oh, quelques miettes, quelques précieux débris d’humanité.
Au fond, ces deux raisons sont peut-être celles d’une certaine popularité dont jouit Muray ces temps-ci, notamment chez ceux que les bénisseurs et adorateurs de la modernité nomment réacs[ii] : « ah, ils nous fatiguent, avec leur Muray, ils n’ont plus que ce nom à la bouche ! ». Bien qu’affligé à mes heures d’une forme fâcheuse quoique légère de dandysme, je ne déplorerai pas cette popularité. Je ne hausserai pas les épaules en disant : « Muray ? Mais voyons, mes petits amis, je le lis depuis au moins quinze ans ! ». (Ce qui est vrai, mais vous fera une belle jambe, n’est-ce pas ?) 
Pour se faire une idée (et plus)
Comme je l’ai déjà dit plus haut, l’occasion fournie par la parution de Causes toujours me semble excellente pour qui voudrait découvrir Philippe Muray. Un peu de curiosité, pour en voir plus, pourra vous amener aux Exorcismes spirituels, quatre solides volumes parus aux Belles Lettres (il en existe des versions « portatives » ou « abrégées », pour les paresseux ou les pressés). Vous y découvrirez, outre le « pamphlétaire » auquel il est trop souvent réduit, un Muray critique littéraire et artistique. Pour la pratique (Muray auteur de « fiction »), je recommanderai plutôt Roues carrées que On ferme (mais c’est un choix tout personnel, disons une affaire de goût).
Si, après ces lectures, vous êtes devenus des mordus, des fanatiques, des inconditionnels ou des zélotes, c’est que vous êtes mûrs pour vous jeter sans crainte dans Le XIXe siècle à travers les âges, travail sérieux, érudit et surprenant qui cous apprendra beaucoup sur le XXIe siècle, quoiqu’écrit dans les années 80 du XXe. Sans oublier le reste…
Ou vous picorerez selon votre humeur ou votre bonne fortune. Ramassez ce que vous trouverez chez votre libraire, harcelez-le, torturez-le, faites-lui commander des lots entiers… Vous ne le regretterez pas.

[i] On trouvera ce texte dans Lointain intérieur, recueil publié dans le même volume que Plume.
[ii] Zut. J’accepte cette appellation, je l’assume au point de la revendiquer. Comme l’écrivit justement Barbey d’Aurevilly dans Les prophètes du passé : « les plus beaux noms portés parmi les hommes sont les noms donnés par les ennemis ! »

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