samedi 31 août 2013

Universalité de la négritude

Que l’on ne craigne rien pour moi : il ne s’agira pas aujourd’hui de déclamer, l’air halluciné, quelques vers d’Aimé Césaire. Même à des fins politiques. Non. Pour mieux comprendre le titre de ce soir, il faudra trouver la citation qui suit : « Avez-vous noté le caractère universel de la négritude ? »
Pour trouver cette citation, il n’y a pas de meilleur moyen que de lire Art nègre, le nouveau roman de Bruno Tessarech.
 
Méfiez-vous…
… Non des contrefaçons, mais des quatrièmes de couverture. Après un résumé alléchant du début du roman, voici ce qui nous est annoncé : « Dans la veine de La Femme de l’analyste, Bruno Tessarech signe un nouveau roman, autobiographique et drôle, sur l’écriture – ses vérités et ses mensonges. »
Le roman est drôle, c’est indiscutable. Mais autobiographique ? Qu’en savons-nous et cela importe-t-il vraiment ? Entendons-nous : il me semble qu’un écrivain prend sa matière où il la trouve ; c’est ce qu’il en fait qui compte.
Quant à dire si ce roman est dans la veine d’un autre du même auteur, la chose saute vite aux yeux pour qui apprécie les romans de Tessarech, mais encore faut-il s’entendre sur lequel…
 
Des airs de famille
Avez-vous des frères ou des sœurs ? On vous aura dans ce cas fait une fois ou l’autre, probablement, le coup de l’air de famille. Pour ma part, je ressemble, paraît-il, à mon frère ; mais aussi à ma sœur. Et à mon père, c’en est fou ; à moins que ce ne soit à ma mère. Pour ne rien dire des oncles, tantes, cousins, grands-parents, arrière-grands-parents… Ce qui porte à croire que, selon toute vraisemblance, je suis un membre de ma famille.
Ne filons pas trop cette image et revenons à Art nègre. Eh bien, oui : c’est un roman de Bruno Tessarech, et ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. N’accablons pas cependant les éditions Buchet-Chastel, et jouons au jeu des ressemblances. J’ai donc relu avec plaisir La machine à écrire, paru en 1996. La parenté entre les deux romans saute aux yeux : Louis, le narrateur, devient nègre. Nous sont racontées dans les deux cas, pour commencer, les circonstances dans lesquelles il fait ses débuts dans cet obscur métier. Puis viennent quelques épisodes décrivant sa « collaboration » avec divers clients : célébrités du moment, hommes politiques, auteurs en panne… Dans certains cas, les « clefs » sont évidentes, dans d’autres on ne prendra pas la peine de les chercher – ce n’est pas ce qui importe ; disons que les « clefs » nous font bien sourire. Puis vient le dénouement : que deviendra notre nègre, comment se résoudront ses déboires avec sa bien-aimée Olivia, ses travaux ne vont-ils pas avoir un jour raison de son équilibre mental, de sa personnalité ?
Au vu de ce résumé, on pourrait penser que Tessarech se moque du monde : enfin, quoi, il nous ferait donc deux fois le même roman ? Se plagierait-il lui-même ? Serait-il son propre nègre ?
Disons plutôt que cette parenté est une fausse piste, bien tracée, bien aménagée, au balisage habilement fallacieux, et que nous nous y engouffrons avec plaisir. Le lecteur découvrira en effet que « Louis » ne désigne pas deux fois le même personnage et qu’il en va de même pour « Olivia ». Dans La machine à écrire, Louis est nègre par vocation ; c’est un jeune homme qui monte son affaire et la poussera jusqu’à des hauteurs à la fois grandioses et inquiétantes. Tandis que le Louis d’Art nègre est un écrivain « accompli » qui tombe en panne et qui, notamment pour renflouer ses finances, accepte de déchoir dans la condition de nègre. Il tombera sur des os, improvisera sa méthode (parfois « à l’épate », surtout au début), et sera souvent sollicité malgré lui. Si son état de nègre l’amuse et le stimule, il semble aussi lui peser. Il espère pouvoir trouver son salut d’auteur – enfin écrire à nouveau sous son nom. Il sera d’ailleurs soutenu par l’amitié d’un personnage bien réel – à moins qu’il ne s’agisse de ce personnage jouant son propre rôle avec un indéniable talent, puisqu’il est acteur – dont je tairai le nom. A vous le plaisir de le découvrir.
(A mon avis, ce personnage est nommé dans Art nègre parce qu’il renoncera, lui, à utiliser les services de Louis, même en ayant l’élégance de lui proposer de cosigner le livre de souvenirs qu’ils auraient pu écrire ensemble : « J’ai mieux à faire que de raconter ma vie, et vous, de l’écrire. Vous avez vos romans, j’ai mes rôles. » Par ailleurs, il permet quelques tirades « à faire », et bien faites.)
 
Plusieurs branches
Comme je parlais plus haut d’airs de famille, concédons quand même qu’Art nègre est un peu dans la même veine que La Femme de l’analyste. Nous pourrions aussi citer dans cette veine Les grandes personnes.
Pour qui ne connaîtrait pas l’œuvre de Bruno Tessarech, précisons que c’est une famille (cette fois je file l’image) qui contient plusieurs branches et que d’autres livres de lui sont fort différents : ils revêtent par exemple des costumes historiques dans Les nouveaux mondes et dans Les sentinelles (roman occulté, il me semble, par le succès, au moment de sa parution, du Jan Karski de Yannick Haenel). Citons aussi, encore dans une autre veine, Villa Blanche et Pour Malaparte. Tiens, d’ailleurs, il faudrait qu’un jour je vous entretienne de Villa Blanche, qui est une chose admirable. Mais laissez-moi le temps de le relire. Ou lisez-le aussi, quand vous aurez fini de vous délecter d’Art nègre.

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